Une rencontre à contre-courant, et une danse au milieu de la tempête ◊ ft Vent - e n d

Rien ne durait éternellement, Museau Bleu le savait. Les saisons se succédaient, en une danse infinie, le ciel se voyait éclairé de lune et d'étoiles, puis de soleil, les amitiés se nouaient puis se défaisaient, la vie et la mort s'alternaient, en un jeu sublime et douloureux d'ombre et de lumière, de peines et de joie, la rivière poursuivait son cours, sous le murmure de l'eau, les mélodies trouvaient toutes, après l'harmonie, une fin, les histoires un dénouement; même les étoiles finissaient par mourir. Rien ne durait éternellement, et leur journée d'automne, rencontre hors du temps, se faisait rattraper, à présent, mais contre la fourrure de l'enfant du vent, elle se sentait bien, et elle savait qu'elle garderait toujours une affection incroyable pour celui qui, de ses grands yeux d'ambre, avait illuminé son monde.

Prince des sables et princesse de la rivière
Roux, beige et gris, feu et eau
Mêlés, entrelacés
Deux cœurs qui battaient à l'unisson
Un souhait fou de ne pas se quitter
Un espoir de bientôt se retrouver
Puis la voix de Nuage du Vent
Douce berceuse
Infiniment précieuse

« à chaque fois qu'une étoile filante passera,
penses à moi.
car j'aurais exécuté un rêve
et songé à toi. »

Museau Bleu enfouit son museau dans la fourrure de son protégé, émue au-delà des mots, laissant cette comptine d'enfant rallumer les étoiles et tracer, là-haut, dans le ciel, la plus belle des constellations, une constellation d'amitié. Elle aurait voulu croire que, dans bien des lunes, des chatons compteraient les lucioles argentées qui formaient le dessin de deux chats enlacés. Un message éternel d'amour et d'amitié. Rien ne durait éternellement, c'était vrai... Sauf peut-être les promesses, et leur chant, confié aux feuilles d'or, de feu et d'écarlate de cette forêt, sous le vieil érable, auquel la guerrière, à son tour, ajouta un couplet, comme le plus céleste des ornements.

Clan des Étoiles, comprenez-nous.

« Écoute le murmure de la brise, quand tu seras chez toi
Il te parlera de nous et de rêves dans les plus beaux endroits
Et chaque caresse du vent sera un moment où je serai près de toi. »

Puis, se détachant de lui, à contrecœur, tout en douceur, elle murmura:

« Et je te souhaite des pluies d'étoiles filantes. Toujours. »

Écoute le murmure de la brise, quand tu seras chez toi
Il te parlera de nous et de rêves dans les plus beaux endroits
Et chaque caresse du vent sera un moment où je serai près de toi.

Conjoncture de cette douce rencontre de deux âmes perdues, la lumière que créa cette exceptionnelle amitié caressa son cœur, son esprit et les moindres parties de son être, incendiant violemment — mais dans le sens d'un simple effleurement, la route passé et future de sa vie dessinée. Comme un feu d'artifice qui brouillait le ciel de sa fumée multicolore, les paroles de la princesse des eaux vinrent créer un opaque rideau rose, rouge, vert, bleu — de toutes les couleurs —, celui-ci descendant pour aller cacher les anciens plans que le crayon du destin avait bafouillé sur son chemin. Avec elle, avec cette promesse, cette chanson, il pouvait tout recommencer ; ré-écrire ce qu'il voulait sur le pavé d'herbe et de feuilles n'avait jamais paru aussi facile qu'en cet instant si divin. Le mâle devenait un artiste, allégresse s'emparant de ses pattes qui foulaient le ciel picotés d'étoiles, qui raclaient la terre et s'agitaient dans une rivière sans fin, surmontable épreuve.

le murmure de la brise, prenant place
tendrait-il l'oreille, soupir
et son cœur de glace, fondu
entendant ce son dans son plus profond
s'éveillerait aux merveilles de cette caresse
qui, aimante et fraîche dans l'organe
ferait éclore un sourire de feu

Et je te souhaite des pluies d'étoiles filantes. Toujours.

un doux sourire
il lui souhait tout
de ce qu'elle
espérait

Il aspirait reconnaître, dans le chuchotement du vent se déchainant autour de son corps, les mots réconfortants et familiers de la lieutenante de ce clan si proche, mais si loin en même temps. Dans les derniers pas qui menèrent les deux royaux esprits à la frontière, un silence lénifiant et paisible régnait, comme si le jamais qui résonnait encore à leurs oreilles parlaient pour le duo inespéré. Il n'avait pas besoin d'ouvrir sa gueule, non ; un simple regard pouvait se transmettre dans la minute, et elle comprendrait, il en était sûr, tous les sentiments importants se mélangeant dans ses teintes orangés. Ses propres pas, et un peu à contre cœur, le menèrent donc à cette ligne si déchirante qui essayaient de rompre le charme, le jeune n'osant pas observer cette ignoble idée de ces ancêtres. Quand il poserait son premier souffle dans la partie froide et sans réchaud de ce territoire des landes, il savait qu'il devrait courir, et, ses pas le menant loin, ne pas se retourner. Mais allait-il pouvoir exécuter ce mouvement, sans se retenir de rebrousser chemin pour plonger avec douceur son museau dans la pelisse consolatrice ? Il ne savait point. Ce fut donc d'un cœur déchiré que le novice leva une fois de plus sa tête vers le firmament, mais aussi vers les deux joyaux scintillants de celle qui l'avait accompagné tout au long de la soirée.

- Je n'ai pas envie de partir.. Penses-tu qu'on se reverra bientôt, Museau Bleu ? J'aimerais beaucoup. J'aurais le vent pour me faire penser à toi, et les murmures de celui-ci, mais ils ne te remplaceront jamais ; ils ne remplaceront pas toutes la beauté que tu as changé en moi cette soirée-là. Je te suis éternellement redevable.

Un regard
Feu et soleil
Astre dans la nuit
La petite flamme brillait
Intense et feutrée, douce et vive
Réchauffant le cœur de la princesse
Brûlant d'émotions qui l'illuminaient
Presque douloureux de beauté simple
Merveille incandescente de tendresse

Un regard suffisait pour se comprendre
Parce que les mots ne pouvaient
Transmettre ce que les deux cœurs
En silence ressentaient
Un regard muet, un regard éloquent
Un regard entre une mère et son enfant
Ils ne l'avaient pas dit; ils savaient
Et ça suffisait
Ce serait leur secret

Museau Bleu retint quelques larmes, quelques mots, désireuse de ne pas ajouter au déchirement de cette séparation, leurs pas les menant, lentement, doucement, à la frontière entre ces deux mondes si proches mais si lointains, qui se côtoyaient sans pouvoir se mêler. C'était interdit, ce qu'ils avaient fait: passer les barrières, oublier le code, laisser leurs fourrures se toucher. Mais personne ne le saurait; ils confiaient cette rencontre et cette amitié au vent, au ciel et aux étoiles, au vieil érable sous les branches duquel ils s'étaient adoptés, et un peu aussi à ce monstre écarlate qui, sur le Chemin du Tonnerre, avait filé, pour tisser une part de leur destinée. La guerrière le savait, il était temps de partir, chacun de son côté - et de courir, loin, vite, laissant le grondement des Chutes se placer entre eux et rompre les silences qui voulaient tout dire. Laisser la distance instaurer à nouveau ce qui devait être. Regagner leur camp, chacun, et être loyal au Clan. Elle regrettait que ce monde ne soit pas parfait, et qu'elle ne puisse vivre auprès de Nuage du Vent, dans la paix; mais sa place était à la rivière, et lui devait regagner les landes battues par les vents; elle n'avait pas le droit de faire autrement. Pas le droit de lui proposer l'idée folle qu'elle aurait espérée. Il n'était qu'apprenti, elle devait être forte, grande pour deux, faire taire ces rêves fous, au moins pour le moment, et le laisser partir. Parce qu'elle savait que si elle l'appelait, il se retournerait. Si elle lui parlait, jamais il ne partirait. C'était d'une évidence aussi lumineuse que douloureuse... Mais on ne peut pas faire ça.

Quelques mots, d'une voix emplie
De peine, de regrets mais d'espoir
Quelques phrases dans la nuit
D'un enfant qui voulait la revoir
Un élan d'amour qui la submergea

Sur la ligne
Funambules
Ils marchaient
Pas à pas
Mot à mot
Amis
Merci

« Je n'ai pas envie de partir.. Penses-tu qu'on se reverra bientôt, Museau Bleu ? J'aimerais beaucoup. J'aurais le vent pour me faire penser à toi, et les murmures de celui-ci, mais ils ne te remplaceront jamais ; ils ne remplaceront pas toutes la beauté que tu as changé en moi cette soirée-là. Je te suis éternellement redevable. »

L'intéressée à la pelisse de sable et d'écume n'aurait pas du répondre à cela, et pourtant, comment faire autrement ? Les étoiles ne remplaceraient jamais les prunelles de soleil du petit prince des sables, et les caresses du vent ne pouvaient exprimer toute l'affection de la princesse de l'eau pour son jeune protégé. Elle aussi voulait le revoir, évidemment. Et puis... Là, sous les étoiles, elle voulait croire que si elle faisait cela, c'était tout simplement pour que, rassuré, le petit mâle regagne son camp le cœur plus léger. Comme le sien, qu'il était parvenu à faire chanter... Elle ne pouvait pas lui parler de ses angoisses, du poids de son rôle, des soucis de son Clan; mais au fond, c'était elle qui se sentait infiniment reconnaissante de ces rires d'enfants. Parce qu'ils avaient chassé les fantômes et l'avaient apaisée. Elle se sentait mieux, elle aussi, aurait tout donné pour que continue cela, pour une éternité. Mais leur temps était limité. Alors, d'une voix mélodieuse, aussi cristalline que les murmures de l'eau, clapotis contre les pierres, chant dans le torrent, aussi douce que l'onde qui caressait sa fourrure, elle souffla une idée, accompagnée d'un sourire, semblable aux reflets de lumière sur les vagues. Elle savait comment et où se retrouver.

« Viens près du vieux pont des Bipèdes, à la frontière, en suivant la route des Quatre Chênes, dans une demi-lune, à l'aube. Je t'attendrai. Mais sois prudent, surtout. Pour le reste, on se reverra aux Assemblées; je te le promets. » Elle s'arrêta, puis choisit d'ajouter: « Tu ne me dois rien... Ou si tu veux payer ta dette, sois heureux. » Sa voix, ornée d'un filigrane d'émotion, était modulée quand elle souffla enfin: « Fais confiance aux Étoiles, Nuage du Vent. Écoute la brise et le torrent. Et si tu ne crois en rien d'autre... Crois en moi. Crois en nous. »

Elle lui donna un dernier, gentil coup de museau sur l'épaule, comme pour l'encourager à s'éloigner.
Son regard vert jade se posa sur la fine silhouette rousse, taillée pour la course, en une caresse.
Tendre, douce, triste, aussi, mais infiniment aimante. Un geste simple et pur, un regard sincère.
Puis elle l'observa, attentive, attendant... Qu'il parte. Il fallait qu'il s'en aille, contre leurs cœurs.

« Pars. » murmura-t-elle.
Reste, criait son cœur.

Quelques pas. Dans les ombres, il aurait du disparaître vite, et pourtant, un corps svelte, à la fourrure flamboyante, se dessinait encore nettement, baigné par la lueur argentée de la voûte céleste qui veillait sur leur début d'histoire. Que leurs ancêtres leur pardonnent... Elle devinait ses yeux d'or, dans la nuit. Il commençait à faire froid - où alors était-ce la peine qui lui gelait le cœur ? Elle glissa, dans le vent:

« Garde toi... Et que ta route soit belle. »

Elle ne pleura que lorsqu'il fut loin.

Viens près du vieux pont des Bipèdes, à la frontière, en suivant la route des Quatre Chênes, dans une demi-lune, à l'aube. Je t'attendrai. Mais sois prudent, surtout. Pour le reste, on se reverra aux Assemblées; je te le promets. Tu ne me dois rien... Ou si tu veux payer ta dette, sois heureux. Fais confiance aux Étoiles, Nuage du Vent. Écoute la brise et le torrent. Et si tu ne crois en rien d'autre... Crois en moi. Crois en nous.

chaque nuit
il regarderait la voûte
priant, espérant, souhaitant
que, dans ce voile sombre
apparaisse l'espoir tant souhaité
la lune espérée

Il recula d'un pas, et toucha. Toucha son territoire, sa prison, et observa avec une horreur indescriptible les cloisons de sa cage se refermer autour de lui. Se courbant sur le sol, les oreilles plaquées avec peine sur les parois de son crâne, il priait à sa princesse de la rivière de ne pas l'abandonner, de ne pas le laisser tout seul dans cette épreuve. Mais à peine ses pensées essayaient-elles de sortir de son esprit que les barreaux se rapprochaient du sol, continuant leurs cheminements qui avaient commencés dans l'au-delà, il y avait bien des millions d'années. Et alors que son cœur battait de plus en plus fort, et alors qu'une boule se formait dans sa gorge à mesure qu'il sentait l'horrible effluve des chaînes, alors qu'il sentait peu à peu la glace le tirer vers le sol, il voulu bondir vers l'avant pour la rejoindre.

trop tard.

Pars

Et les chaines s'élancèrent dans une vitesse de feu, agrippant ses pattes tremblantes et le tirant avec une force brutale vers l'arrière. Les grilles se plantèrent dans le sol meuble, et, craquelant le sol, il sentit les fissures se propager et s'insinuer dans son organe vitale qui battait avec peine. PARS. Il devait partir. Tremblant comme un chaton qu'on aurait lancé dans un monde inconnu, il esquissa un autre mince pas derrière lui. Ses épaules étaient secouées de spasmes peureux, hantées d'une peur immense ; celle-ci s'amplifiant alors qu'il orchestra un autre pas hésitant.. Puis un autre, et un autre, puis le monde autour de lui se brouilla à mesure qu'il accélérait sa cadence effrénée, et qu'il ne sentit plus que le vent qui battait à son visage, lui hurlant aux oreilles des ignobles phrases empreintes de venin. Il courait, et, griffes sorties, déchirait le sol à ses pattes de ses foulées bouleversante. La lande le punissait, et, maintenant loin derrière lui, sa compagne ne pouvait plus le sauver.

Écoute le murmure de la brise, quand tu seras chez toi
Il te parlera de nous et de rêves dans les plus beaux endroits
Et chaque caresse du vent sera un moment où je serai près de toi

entendit-il dans sa tête, une première fois.

Écoute le murmure de la brise, quand tu seras chez toi
Il te parlera de nous et de rêves dans les plus beaux endroits
Et chaque caresse du vent sera un moment où je serai près de toi.

une deuxième fois, comme un champs d'étoiles dans son crâne.

Écoute le murmure de la brise, quand tu seras chez toi
Il te parlera de nous et de rêves dans les plus beaux endroits
Et chaque caresse du vent sera un moment où je serai près de toi.

une troisième fois.
il se tourna vers la droite,
et plongea ses yeux dans museau bleu.
les rafales du vent ne lui faisait plus mal, non
elles ne le blesserait plus jamais
car, maintenant, à ses côtés,
ce n'était plus la brise, qui hurlait
mais museau bleu
qui courait
et lui souriait
côte à côte
sa mère

et il put enfin respirer.