Légèreté. Entrain. Candeur. Nuage de Printemps se montrait sous ses meilleurs jours en ce moment, parce que la vieillesse se faisant, elle grandissait, sa vision du monde muait, elle se trouvait charmante, élégante et pleine de tendresse. Son baptême de guerrière approchait, elle le voyait bien ; mais il lui fallait persévérer dans les efforts, et se montrer intelligente en dépit de cette force misérable qu'on lui avait constatée à la naissance. Pelage de Crème était un bon professeur, peut-être finirait-il par lui manquer ? Elle n'en savait rien, mais ce dont elle était sûre, en revanche, c'est qu'elle continuerait à lui proposer des entraînements de combat et des parties de chasse en souvenir du bon vieux temps.

Un matin, suite à un entraînement particulièrement salissant, la femelle gris-bleu se retrouva obligée d'aller se rincer dans la rivière. Elle prit le chemin menant à la zone marine où le territoire du Tonnerre et de la Rivière se scindait en deux ; lorsqu'elle l'atteignit finalement et y trempa ses pattes usées par les exercices physiques, la jeune chatte se mit à ronronner. Elle s'assit, roula sur les graviers ensevelis par la rivière et profita de la fraîcheur de celle-ci et des rayons de soleil pour faire sécher ses poils.
Cependant, son activité fut très vite interrompue par une forme étrange se mouvant dans les eaux limpides, côté de la rive du Tonnerre... Nuage de Printemps se redressa, ses yeux scrutant attentivement cette présence inhabituelle qui troublait le courant de sa rivière chérie.

Ça avait la forme d'un chat. Du moins, de corpulence ; Nuage de Printemps ne se trouvait ni plus imposante, ni plus amaigrie que cette grosse tache brune dans l'eau. Et ça se mouvait... Un gros poisson ? Etrange.
Ni une, ni deux, la fille d'Eau Turquoise se dit que plonger ne lui ferait pas de mal. Au contraire, même ! Son corps n'en serait que plus ravi.
Un pas. Puis deux.
Et son corps, entier, traversa la surface liquide pour plonger dans l'eau glacée. Loin d'être inquiétée par le courant qui entraînait les eaux vers des milieux plus lointains, l'apprentie progressa jusqu'à la forme brune. C'était... un chat.

Un chat. Qui se noyait ! Nuage de Printemps perdit son souffle et dû remonter à la surface. Quand ses poumons furent rassasiés, elle replongea et s'approcha le plus prudemment possible de la forme brune. Celle-ci se mouvait étrangement. On aurait dit qu'elle se noyait. Oh, mais quelle idiote... C'était même une évidence : ce chat se noyait !
Elle l'attrapa, soudain, essayant d'éviter les coups de patte de l'autre féline, et tenta de les remonter toutes les deux jusqu'à la surface. Etant donné que sa victime était encore consciente, Nuage de Printemps prit le risque de la relâcher pour lui crier :

« Allez ! Nage jusqu'à la rive ! »

Son souffle se coupa, et elle dû reprendre intensément sa respiration. Nuage de Printemps grandissait, c'en était une certitude... mais dans les circonstances les plus urgentes, elle ne faisait plus tellement la différence entre le territoire ennemi et le sien. Malgré les miaulements du chat qui n'avait pas l'air d'accord, elle le poussa puis le dépassa pour atteindre les terres du Tonnerre. S'attendant à ce que celui qu'elle venait de sauver daigne avoir l'intelligence de vouloir perdre la vie autrement qu'en se noyant. Dès qu'elle aurait eu la certitude que ce chat allait bien, elle regagnerait ses terres. C'en était certain.