La nuit était la seule qu'il se sentait vraiment le droit d'attendre, lui, ce guerrier qui était rentré au camp exténué. Il avait puisé si profondément dans ses forces pour semer le blaireau que ça lui faisait mal à la tête et partout ailleurs. Chaque pas avait été difficile. Il n'avait pu retrouver son merisier, avec un grand soulagement, qu'après avoir grignoté un morceau d'oiseau et longuement, longuement, beaucoup trop longuement, décrit le danger à la patrouille du soir.
Son merisier... Il en fermait les yeux d'impatience, et se mit à ronronner, et lentement, à s'installer à sa place habituelle. Caresse du Vent n'était pas là, il arrivait parfois qu'il soit long à rentrer. Le tigré ne l'attendrait pas cette fois-ci, pour s'endormir. Il était vraiment beaucoup trop fatigué. Il fallait qu'il récupère, qu'il laisse la Nuit l'imprégner et le reconstituer. C'était essentiel.
Mais cette nuit était si fraîche... et il se sentait si fatigué, tellement fatigué. Pour ne pas se geler les pattes, ni la queue, il voulut se mettre en boule, mais ses muscles étaient si courbaturés qu'il ne se sentait plus assez souple. Et le froid le mordait, le mordait... C'était particulièrement désagréable au niveau des oreilles. Bientôt, avec l'hiver, Crocs Nacrés devrait sans doute regagner cette tanière des guerriers qu'il avait dû quitter.
Ce jour... ce jour où...
Il remarqua qu'il avait une moitié de la tête posée contre quelque chose de chaud. C'était... c'était si délicieusement chaud... exactement comme ce jour, ce jour où... Où il avait dû quitter la tanière des guerriers.
Un drôle de sursaut prit le guerrier tigré, qui ne bougea malgré tout pas d'un pouce. " Aaaheu ! " lança-t-il, surpris, émergeant à moitié de son sommeil. " Ec... Ecl... d'Ar... " il voulait dire : Éclat d'Argent, je suis " Désolé. Euuuh. "
Il faillit bouger sa tête, mais il renonça vite. Déjà parce qu'elle semblait trop lourde, et ensuite parce que peu à peu, sans même y réfléchir, il reniflait l'odeur du chat contre qui il dormait, et assez vite, un doute se fit. Ce n'était pas Éclat d'Argent, non. C'était Caresse du Vent. Le bégaiement de Crocs Nacrés redevint un très faible ronron. Et sa voix brisée par l'effort l’accueillit tout doucement :
" Tiens, t'es là, toi ! " comme à chaque fois, il semblait trouver ça surprenant. Et pourtant, c'était devenu une habitude pour eux que de se reposer ensemble, au pied du merisier, un peu à l'écart des autres guerriers. Une belle habitude qui inspirait à Crocs Nacrés un certain courage, mais en même temps, comme il ne manquait pas de se le répéter pour lui-même, une habitude lâche qui risquait fort de ne pas préparer Caresse du Vent à l'avenir odieux qui s'abattrait sur son ancien mentor. Au contraire. " Pfffff " soupira-t-il, tout attendri, mais toujours sans bouger d'un pouce. Sa tête était si bien, là ! Et il avait si peur de déranger le confort du rouquin en bougeant...
" T'as passé une belle journée ? " il le reniflait toujours, et la suite vint tout naturellement. Il ne réfléchissait pas du tout, c'était impossible, au milieu de la nuit, lorsqu'on était fatigué comme il l'était : " T'as épaté une jolie minette... "
Son apprenti était décidément quelqu'un de formidable. Doué, drôle, doux, charmant... Pourquoi donc un matou aussi intelligent restait-il attaché ainsi à un gros maladroit de bon-à-rien comme lui ? Pourquoi ne le laissait-il pas... disparaître... tout seul, et en silence. Pourquoi s'encombrait-il de la sorte ?
