Boule de nerfs - Ft. Museau Bleu -abandon

La patrouille frontalière rentrait au camp après son altercation avec la patrouille du Clan du Vent qui les avait attaqués sans raison valable. Pluie Battante et Saumon Vif marchaient en tête, à plusieurs mètres de distance de Museau Bleu et Nuage d'Émeraude. Cette dernière marchait d'un pas ralenti, premièrement parce qu'elle souffrait de sa patte avant droite, où l'apprenti ennemi l'avait sérieusement mordue, et en second lieu parce qu'elle était aveuglée par sa rage et était plus occupée à tenter de la contrôler qu'à presser le pas. Pour être tout à fait exact, la novice aux grands yeux verts était une vraie boule de nerfs et elle n'en finissait plus de pester contre tout ce qui se présentait comme un bon motif pour subir son courroux : la patrouille du Clan du Vent en tête, évidemment ; mais aussi le vent qui lui ébouriffait le pelage - ce qui n'avait jamais l'habitude de l'agacer -, la terre qui se faufilait sous ses griffes, la feuille qui lui tombait sur le museau, le clapotis de l'eau qui lui mouillait les flancs.
Elle n'arrivait pas à passer au-dessus de l'affront qui leur avait été fait. Eux qui se contentaient de patrouiller de leur côté de la frontière s'étaient vus attaquer par la patrouille du Clan du Vent, entraînée par ce grand mâle bicolore qui avait traversé la frontière sans gêne et avait été jusqu'à les accuser de voler leur gibier ! Une insulte et une humiliation que Nuage d'Émeraude vivait très mal ; le combat qui s'en était suivi ne lui avait pas suffi à libérer toute sa frustration. Elle restait avec l'affront en travers de la gorge et la colère faisait trembler ses muscles.

« Foutu Clan du Vent... Pas foutus de respecter leurs frontières... A croire qu'ils n'ont pas eu d'entraînement... S'en fichent du code... Ont trahi les Étoiles... Vont le regretter... J'leur en foutrai, moi, des lapins dans le... » murmurait-elle la tête baissée, ruminant sa rancœur.

Il allait en falloir à Museau Bleu, du calme et de la patience, pour calmer cette boule de feu.

C'était victorieux qu'ils rentraient au camp de la Rivière, à présent; victorieux, ils auraient du triompher, la tête haute, baignés par la lumière de ce début d'automne, qui les entourait d'un halo d'or, à l'image de ce trophée qu'ils venaient de remporter, arpentant avec fierté leur territoire, défendu une nouvelle fois. Mais en fait de victoire, ils rentraient en silence, marchant pas à pas, Saumon Vif et Pluie Battante en tête, Museau Bleu conservant sa place aux côtés de Nuage d'Émeraude. La novice à la pelisse flamboyante, la tête basse, plongée dans ses pensées, boitait un peu - Nuage du Vent ne l'avait pas ratée; la lieutenante, princesse de sable et d'écume, amie de la rivière, elle, sentait à chaque pas une douleur amère transpercer son épaule, se répercutant dans son être jusqu'à son cœur meurtri. Quelle victoire ! Ils avaient gagné, mais en réalité, dans l'âme, le cœur et les pensées de la belle vétérane, il n'y avait qu'une réalité, gravée dans sa chair, à l'endroit où le sang qui s'était tari, ne laissant qu'une goutte ou deux perler de temps à autre, révélait une future cicatrice, pour toujours: elle avait perdu - elle l'avait perdu.

Nuage du Vent
Son enfant
Nuage du Vent
Tellement innocent
Les fous rires
Les jeux
Les sourires
Et ses yeux
De soleil
Qui s'illuminaient
Devant les merveilles
Qu'ils découvraient
Ensemble
Nuage du Vent
Son enfant
Nuage du Vent
D'un autre Clan
Rien ne durait
Jamais
Éternellement
Et rien ne serait
Plus jamais
Comme avant

Shhhh, shhhh, faisait le vent, soufflant, caressant sa fourrure avec une délicatesse qui la brûlait presque. Plic, ploc, plic, ploc, faisait la rivière, contre les pierres, disant ce que la lieutenante aurait voulu oublier. Scritch, scratch, faisaient les griffes de Museau Bleu - qui ne réalisa qu'alors qu'elle les avait sorties. Non. Non. Non. Tout avait un goût amer de cendres, de sel, de sang - tout avait à présent le goût des adieux. Le goût des gouttelettes pourpres versées. Le goût des larmes cachées par la lieutenante, par simple fierté. Le goût d'un passé coloré, vif, pastel, empli d'enchantement, à la magie et l'innocence bafouées, anéanties.

Mais ils avaient
Gagné
Alors ce n'était
Pas important
Mais alors pourquoi
Est-ce que son cœur
Se brisait ?
Elle devait se réjouir
Parce qu'après tout
Ils avaient
Gagné

La princesse de l'eau, à la pelisse de sable et d'écume, retint le rire amer qui aurait voulu s'échapper, intense de détresse et de regrets; c'était un combat inutile, juste avant la mauvaise saison, un combat qui entamerait la réserve de plantes du jeune guérisseur, Écho des Ruisseaux, un combat qui avait été créé par un guerrier du Vent trop stupide pour respecter ses frontières, un combat pour une proie, qui avait coûté beaucoup plus que ça. C'était stupide. Stupide. Et ça, Museau Bleu aurait été tentée de le hurler. Mais ce fut un marmonnement, à peine plus haut qu'un murmure, de la part de sa cadette, qui la fit choisir la langue du silence.

« Foutu Clan du Vent... Pas foutus de respecter leurs frontières... A croire qu'ils n'ont pas eu d'entraînement... S'en fichent du code... Ont trahi les Étoiles... Vont le regretter... J'leur en foutrai, moi, des lapins dans le... »

Du bout de la queue, la belle lieutenante caressa l'épaule et le dos de l'étincelle ardente, avec compassion et une pointe d'amusement, comprenant la position d'Émeraude - elle détestait se rappeler le combat entre ces deux novices qu'elle appréciait - et surtout, approuvant la majorité de ce qu'elle venait de dire. Néanmoins, elle ne pouvait que rire du dernier commentaire de la jolie rousse...

« Ils ne retraverseront pas de sitôt, et de toute façon, les Étoiles puniront bien assez tôt les traîtres. » souffla-t-elle avec douceur. « Ne perds pas ton temps à ressasser tout ça; tu as fait ce que tu devais faire, en tant que future guerrière, et tu as été courageuse. Le Clan pourra être fier, le jour de ton baptême. »

Vérifiant d'un petit coup d'œil la patte de la novice à la fourrure de flammes dansantes sous le soleil, dont les yeux verts si caractéristiques qu'ils lui donnaient son nom étaient tout autant remplies d'un feu contenu, qui les faisait briller, l'aînée ajouta, par la suite:

« En rentrant, va voir le guérisseur directement, s'il te plaît. »

Devant elles, le duo de mâles composant l'autre part de la patrouille avançait encore.
Le pas régulier, rien ne trahissait les pensées qu'ils pouvaient avoir à cet instant...
Museau Bleu, elle, hésitait quant au comportement à suivre avec l'incendiaire petite.

« Émeraude... » demanda-t-elle, avec délicatesse. « Pourquoi tant de colère ? Parle-moi; il vaut mieux que tu extériorises. Tu ne tiendras pas comme ça longtemps. »

Et ça m'évite de penser à mes propres soucis
Parce que moi, ce n'est pas très important.
Je préférerais t'aider, si je peux, pourquoi pas;
J'ai promis que je veillerais toujours sur mon Clan.

Le contact du pelage de Museau Bleu fit taire Nuage d'Émeraude. Tout en continuant de marcher, elle tourna la tête vers son aînée, qu'elle connaissait depuis toute petite et qu'elle appréciait beaucoup. Sa douceur et sa patience lui rappelaient celles d'Eau Turquoise, sa mère de lait ; et elle l'admirait pour sa progression dans la hiérarchie du Clan, tout comme celle d'Étoile d'Or. Les deux femelles étaient les preuves vivantes que les mâles n'étaient en rien supérieurs. La rouquine se sentait fière à cette idée, et elle souhaitait s'inscrire dans leur lignée.
Ils ne retraverseront pas de sitôt, et de toute façon, les Étoiles puniront bien assez tôt les traîtres. Peut-être ; mais le jugement dernier n'apportait rien à la rouquine dans l'instant présent. Dans la fougue de sa jeunesse, elle n'était pas prête à se montrer patiente. Ne perds pas ton temps à ressasser tout ça; tu as fait ce que tu devais faire, en tant que future guerrière, et tu as été courageuse. Le Clan pourra être fier, le jour de ton baptême. Les conseils de Museau Bleu n'eurent pas non plus d'effet sur sa cadette ; elle avait en elle bien trop de rancœur pour pouvoir s'apaiser. Par contre, les compliments eurent le bénéfice de lui apporter un peu de joie, accompagnée de la fierté qui la caractérisait tant, elle, la petite fille du feu. Elle se redressa légèrement, repensant à ses attaques, se félicitant d'avoir su se démarquer lors de son premier vrai combat. En rentrant, va voir le guérisseur directement, s'il te plaît. Nuage d'Émeraude coula un regard vers sa patte, sévèrement enflée et couverte de sang séché. Sa première vraie blessure. Elle en était fière autant qu'elle la regrettait : s'entraîner allait être difficile dans ces conditions... Elle haussa les épaules : elle n'avait pas vraiment envie d'aller voir Écho des Ruisseaux, elle avait plutôt envie de dormir tout son saoul. Émeraude... Pourquoi tant de colère ? Parle-moi; il vaut mieux que tu extériorises. Tu ne tiendras pas comme ça longtemps. Cette fois, Nuage d'Émeraude s'arrêta tout simplement de marcher, se tournant totalement vers la lieutenante. Museau Bleu la fixait de son regard intense et profond, et elle semblait lire en la rouquine comme dans un courant d'eau translucide. Nuage d'Émeraude frissonna sous l'effet de ce regard clairvoyant, et finit même par détourner son attention sur autre chose, n'importe quoi tant que ce n'était pas l'attention extrême de la vétérane. Mais il lui fallait répondre. Alors, pourquoi tant de haine ?

« Je ne supporte pas l'injustice. Je ne supporte pas l'humiliation. Je ne supporte pas qu'on me provoque ou qu'on remette en cause ma droiture. Je ne supporte pas qu'on me touche ou qu'on touche aux miens. » Simple. Basique. « Crois-moi, Museau Bleu, si les Lunar Pod avaient débarqué aujourd'hui plutôt que lorsque je n'étais pas encore née, ils n'auraient pas fait long feu. Et ma mère ne serait pas morte. Et ma sœur non plus. Mon père non plus. »

Il y avait un trop-plein en Nuage d'Émeraude, un trop-vécu, un trop-subi.

« Je ne supporte pas l'injustice. Je ne supporte pas l'humiliation. Je ne supporte pas qu'on me provoque ou qu'on remette en cause ma droiture. Je ne supporte pas qu'on me touche ou qu'on touche aux miens. » Simple. Basique. « Crois-moi, Museau Bleu, si les Lunar Pod avaient débarqué aujourd'hui plutôt que lorsque je n'étais pas encore née, ils n'auraient pas fait long feu. Et ma mère ne serait pas morte. Et ma sœur non plus. Mon père non plus. »

Ces mots-là faisaient plus mal à entendre que n'importe quoi d'autre; tout simplement parce que cette soif de justice, ce sens de la droiture, cette fierté et cette volonté de protéger ses proches, elle les connaissait bien, la belle muse de la rivière - elle les vivait; mais elle avait échoué, vu ses proches rejoindre les étoiles peu à peu pour former dans le ciel la plus jolie des constellations, et si elle avait guéri de ces pertes-là, elle voyait clairement la rancœur et la tempête d'émotions en sa cadette, avec une clarté limpide, aussi pure que l'eau et froide que la glace. Un poignard de glace - c'était la sensation que tout ça donnait. Et repenser à Aigue-Marine, à Petite Améthyste, à Étoile de Pierre, même, c'était douloureux. Trop de morts, et celles-là, injustes: une reine assassinée, une chatonne enlevée, et un chef anéanti par toutes les tragédies. Quels temps sombres... Museau chercha les mots, avec une pointe de tristesse.

« Certains ont été injustes et humiliants, ça je te l'accorde. » commença-t-elle.
Ça, c'était plus facile. « Mais se rabaisser à la colère pour des misérables pareils...
Celui qui a passé la frontière ne respecte rien. Pour les autres, ils ont seulement voulu...
Ils ont seulement voulu s'assurer qu'on ne touche pas leurs proches. C'est respectable.
La guerrière que j'ai combattue n'est pas mauvaise; elle est loyale à son propre Clan.
Personne n'a à remettre en cause ta droiture, mais on ne peut, par exemple, critiquer la sienne.
Elle a fait ce qu'elle pensait juste - ce qu'on devrait tous faire, sans se soucier de l'avis des autres. »

Elles marchaient encore, côte à côte
Et Museau Bleu, se focalisant sur ses mots
Choisit la petite pierre précieuse, cette fois;
Ses pensées pouvaient s'écouler avec l'eau,
Se noyer dans la rivière, pour l'instant.
Elle avait autre chose à faire, à dire.

« Ce qui est fait est fait, Émeraude.
Peu importe la force de la rancœur ou des regrets, on ne peut pas ramener les morts...
Même si j'aurais aimé, moi aussi, pouvoir protéger Aigue-Marine, Petite Améthyste...
Elles méritaient mieux, ça c'est un fait; mais toi, tu continues de vivre.
Alors profites-en, aussi pour elle - sois heureuse.
Ne perds pas ton temps avec des gens qui ne le méritent pas.
Et continue de protéger ceux que tu aimes. »

Elles marchaient encore, côte à côte
Et Museau Bleu tentait de trouver ses mots;
Pour chasser la colère, pour aider sa cadette
Pour lui faire comprendre, et qu'elle arrête
Sa fourrure effleura la pelisse rousse, à nouveau
Et elle souffla, avec une sorte de tendresse:

« Tu comptes en laisser un peu pour les autres, ô illustre Étoile d'Émeraude ?
Ou tu nous défendras tous, toute seule ? »
Et, d'une voix infiniment douce:
« Merci d'être venue m'aider.
Tu peux être fière de celle que tu deviens, Émeraude.
Simplement... Ne te laisse pas aveugler par la colère. »

Elles marchaient encore, côte à côte
La lieutenante et l'apprentie
Présent et avenir
Et la relève serait bien assurée.

Certains ont été injustes et humiliants, ça je te l'accorde, répondit calmement Museau Bleu, avec toute la sagesse qu'on lui connaissait. Nuage d'Émeraude roula des yeux au ciel : ça, c'était évident, et c'était la moindre des choses à dire. La patrouille du Clan du Vent s'était montrée bien effrontée de franchir la frontière, et ce grand guerrier bicolore, qui avait lancé l'offensive, avait été bien audacieux de les accuser de voler leur gibier. Les combats qui s'en étaient suivis avaient eu le goût amer de l'injustice et de l'inutilité. Heureusement, aucun félin n'avait été blessé gravement ; mais des blessures à l'approche de l'hiver, mêmes peu sérieuses, n'étaient jamais de bon augure. Nuage d'Émeraude revoyait la scène et ne pouvait empêcher les vagues de colère la submerger encore et encore, à la manière d'un tsunami et de ses diverses répliques tout aussi dangereuses. Mais se rabaisser à la colère pour des misérables pareils... Celui qui a passé la frontière ne respecte rien. Pour les autres, ils ont seulement voulu... Ils ont seulement voulu s'assurer qu'on ne touche pas leurs proches. C'est respectable. La guerrière que j'ai combattue n'est pas mauvaise; elle est loyale à son propre Clan. Personne n'a à remettre en cause ta droiture, mais on ne peut, par exemple, critiquer la sienne. Elle a fait ce qu'elle pensait juste - ce qu'on devrait tous faire, sans se soucier de l'avis des autres. La sagesse de Museau Bleu parlait encore ; mais Nuage d'Émeraude ne pouvait se résoudre à adhérer totalement à l'avis de la belle guerrière au poil pastel. Pour elle, l'apprenti qui les avait attaquées n'était pas si innocent, tout comme cette guerrière noire ; ils avaient tous les deux sauté dans le combat sans même chercher à comprendre s'il était juste et, le cas échéant, au lieu d'attaquer, se charger plutôt de retenir leur stupide meneur de patrouille. Non : ils savaient que cette attaque était illégitime, mais ils y avaient sauté tête baissée malgré tout. C'était faire preuve d'un manque de réflexion évident, et dangereux pour la rouquine. C'était à partir de ce genre d'attitude que des tyrans étaient menés droit au pouvoir. Il fallait prendre soin de son esprit critique. Nuage d'Émeraude était peut-être encore trop naïve, mais elle se plaisait à penser que si ça avait été elle, elle aurait réagi différemment. Elle aurait réfléchi. Elle n'était pas cette machine de combat à laquelle on l'associait souvent : elle réfléchissait plus que ce qu'on pensait.
Ce qui est fait est fait, Émeraude. Peu importe la force de la rancœur ou des regrets, on ne peut pas ramener les morts... Même si j'aurais aimé, moi aussi, pouvoir protéger Aigue-Marine, Petite Améthyste... Elles méritaient mieux, ça c'est un fait; mais toi, tu continues de vivre. Alors profites-en, aussi pour elle - sois heureuse. Ne perds pas ton temps avec des gens qui ne le méritent pas. Et continue de protéger ceux que tu aimes. Museau Bleu parlait encore, longuement, doucement, et sa voix montait dans les airs, et ressemblait presque à la voix des Étoiles : sage, sans querelle ni rancœur, détachée. Nuage d'Émeraude admirait le caractère placide de son aînée tout en le détestant. Elle qui était beaucoup plus entière ne savait se résoudre à être si calme. L'injustice la dérangeait fortement, depuis toujours ; celle dont elle venait d'être victime la rendait folle. Nuage d'Émeraude ne comprenait pas les paroles de Museau Bleu ; le dicton c'est la vie était loin de satisfaire ses envies de vengeance, ses envies de crier, de pleurer ; et c'était ça, vivre, selon elle.

Nuage d'Émeraude avait repris la marche en silence, sentant cheminer Museau Bleu à ses côtés, silencieuse pour l'instant, mais dégageant pourtant une aura apaisante bouleversante. Malgré sa force, il était difficile de calmer la tempête intérieure de Nuage d'Émeraude ; aucune parole ne suffisait à calmer les remous du torrent qui agitait ses veines, aucune caresse n'avait la force d'apaiser les tremblements de ses muscles. Sa mâchoire se contractait à un rythme presque machinal. Nuage d'Émeraude se laissait presque complètement envahir par la colère qu'elle ressentait ; mais elle la combattait, elle se battait de toutes ses forces pour qu'elle n'éclabousse pas Museau Bleu ou quiconque ne l'aurait pas méritée. En réalité, la fille d'Étoile d'Or était de très mauvaise humeur. Tu comptes en laisser un peu pour les autres, ô illustre Étoile d'Émeraude ? Ou tu nous défendras tous, toute seule ? La question de Museau Bleu eut le mérite d'arracher un sourire à la novice : un sourire conquérant et déterminé. Oh oui, elle les défendrait tous, sans exception. Oh oui, elle deviendrait Étoile d'Émeraude, c'était écrit. Elle le sentait en elle depuis sa naissance, et plus elle grandissait, plus les autres semblaient le voir aussi. Cette pensée lui apporta un peu de réconfort et d'apaisement ; elle ralentit machinalement son allure et sentit la contracture de ses mâchoires se faire moins violente. Elle sentit à quel point elle l'avait contractée : elle lui faisait mal. Merci d'être venue m'aider. Tu peux être fière de celle que tu deviens, Émeraude. Simplement... Ne te laisse pas aveugler par la colère. Nuage d'Émeraude écouta attentivement les paroles de Museau Bleu. Elle était fière, fière de son attitude au combat, de sa capacité à défendre les siens mais aussi de défendre ce qui était juste. Elle était satisfaite de constater les résultats directs de ses entraînements, et d'imaginer le genre de guerrière qu'elle allait devenir. Celle qu'elle avait toujours pensé devenir.
Malgré tout, l'avertissement final de Museau Bleu la fit tressaillir. Ne te laisse pas aveugler par la colère. Oui, c'était un sage conseil pour elle, qui se laissait souvent déborder par ses émotions. Son caractère entier la poussait souvent à agir avant de réfléchir... Un peu comme la patrouille du Vent face à l'attitude de ce guerrier bicolore, au fond. Tout se recoupait. Ils n'étaient pas si différents... Mais comment contrôler cette colère ? Comment ne pas se laisser déborder par ses émotions ? Même la présence de Fierté du Blaireau suffisait rarement à apaiser la boule de feu qui avait pris la place de son cœur.

« Je ne sais pas comment faire, Museau Bleu » souffla-t-elle, contrariée. « J'ai toujours été comme ça et je ne crois pas que ça pourra changer. » Ni que je veux que ça change... ajouta-t-elle silencieusement, pour elle.