Guet-apens that does happen (avec Museau Bleu) -abandon

Une patrouille de nuit, une séance de pêche à l'aube et quelques distributions de tâches pour les autres guerriers, avant d'aller discuter un peu du Clan avec Étoile d'Or - telles avaient été les activités de Museau Bleu, ce matin-là; elle avait choisi de ne pas entraîner sa novice et sa fille, Nuage de Méduse, trop tôt, puisqu'elles avaient travaillé longuement, durement la veille, et que la féline taupe s'était dite fatiguée, mais préférait s'assurer d'être plus occupée que jamais, pour se dévouer au Clan: que l'apprentie dorme - elle, elle était lieutenante, et par conséquent, devait se rendre plus utile que jamais. C'était donc dans cet état d'esprit que la princesse de la rivière était allée se coucher, et elle s'était relevée, plus fraîche et reposée, mais aussi plus patiente, quelques heures plus tard. Il n'était pas si tard... Elle pourrait peut-être aller chasser avec Nuage du Blaireau et Nuage d'Émeraude, ou rendre visite à Eau Turquoise ? C'était sur ces pensées qu'elle était sortie de la tanière.

« HAAAAAAAALTE ! »

Le cri la tira de ses pensées, et si elle n'esquissa pas un geste, elle s'était malgré tout tendue un peu.
Elle était à cran depuis les Lunar Pods, comme beaucoup, et ce, malgré la délicate danse des saisons.
Pourtant, elle eut la patience de chercher du regard le garnement qui s'était jeté sur elle: Patte Grise, bien sûr.
C'était lui ou Petit Renard; les deux enfants faisaient les quatre cent coups... Et rendaient fous leur petit monde.
Museau Bleu ne s'énerva pas pour autant; il lui rappelait un peu Matin Embrasé, son père, par l'attitude.
Encore plus quand il fit mine de la retenir, la vétérane tentant de soulever sa patte et abandonnant, "vaincue".
Encore plus quand il fit mine de froncer le nez pour miauler une remarque. Il ressemblait au rouquin taquin d'avant.
Le félin de flammes qui embrasait son quotidien, l'appelait sa Muse, et lui faisait du charme en plaisantant gentiment.

« Pouaaaah ! Tu sens pas bon ! »

Le chaton était assez intelligent pour choisir ses cibles - il n'était pas fou, il savait bien que certains prendraient très mal ces amusements aux dépends de plus grands, les appelant "irrespect". Patte Grise et Petit Renard avaient toujours testé les limites, avec plus ou moins de finesse selon celui des frères qui vous tombait dessus, entre deux bêtises. Mais Museau Bleu regrettait son ami, et elle aimait bien les petits. Alors elle riait simplement, sans prendre la mouche. S'énerver pour si peu, à quoi bon ? Autant s'amuser ! L'enfant reprit:

« C'est pas du tout bien de dormir à cette heure-ci. T'entends ?
Ils sont pas du tout d'accord non plus. C'est très grave. »

Les moustaches de Museau Bleu frémirent d'amusement, et elle fixa droit dans les yeux le petit effronté. De grands yeux verts, un vert froid, d'eau, de certaines plantes très délicates, de jade, aussi, emplis d'un rire léger pour les réchauffer. Elle le scruta quelques secondes, semblant débattre de s'il fallait s'énerver, puis, sans signe avant coureur, l'attrapa par la peau du cou, le détacha de sa patte, et, relâchant l'enfant, s'aida de celle-ci pour le retourner à l'envers. Elle souffla alors, malicieuse:

« Et toi ton problème, c'est que tu ne dors jamais ! »

Derrière la plaisanterie, il y avait peut-être un léger reproche - on entendait un peu trop parler des deux frères, ils auraient des ennuis... Mais le lui dire directement ne servirait à rien; un enfant, ça détestait parfaitement les interdictions. Et au moins, tant qu'il était avec elle, il n'irait pas embêter quelqu'un d'autre... Elle continua donc, cherchant un rôle - puisque celui de la Muse n'était plus que souvenir, jusqu'au Clan des Étoiles:

« J'étais levée de nuit, moi, en tant que guerrière ! Mais tu comprendras plus tard, je suppose... »

Une pause, comme pour se donner le temps de la réflexion.
Un regard oblique, espiègle, accompagnant la proposition.

« Quoique, tu as l'air tellement impatient de devenir apprenti, ô grand guerrier. » ironisa-t-elle gentiment.
« Peut-être que je pourrais te trouver une occupation ? Les tiques des anciens, avec la bile de souris, tiens !
Je suis sûre qu'ils seraient contents de te voir... Alors, je pue toujours ? »

« EEEEH ! C'est quoi ces manièèèèEEEEEEEEEEEEERES ! »

Un cri d'indignation de la part du chaton, qui bientôt se mua en une exclamation aussi joyeuse qu'apeurée. Museau Bleu avait réussi son coup, et ce simple constat fit frémir délicatement ses moustaches, tandis qu'elle esquissait un sourire amusé qui illumina ses prunelles. Tiens donc, le petit n'en menait pas large comme ça ? Elle avait réussi à le surprendre ? Plutôt contente, la lieutenante, qui l'avait reposé au sol tout en douceur - le plaquant néanmoins avec fermeté - écouta la suite des réactions, ravie, quelque part, de ces interactions qui lui rappelaient Matin Embrasé d'une toute autre manière. Le félin à la pelisse de flammes, le guerrier moqueur et drôle, le vrai, son ami avant que la vie ne les brise et que le Clan des Étoiles ne l'emporte; celui que beaucoup trouvaient énervant, mais qui elle, la faisait rire en toute confiance. Patte Grise et Petit Renard, ses fils, avaient à coup sûr hérité, l'un de sa fourrure et l'autre de son esprit... La vétérane eut un pincement au cœur en repensant à son ami, à leurs discussions, à sa voix quand il l'appelait sa Muse, et même à sa détermination pour courtiser Perche Farouche - qui n'avait répondu aux faveurs du matou que bien des lunes après cette fervente poursuite amoureuse. Les chatons, à présent, l'appelaient maman...

« Pfff et quand je pense que moi Maman veut pas que je sorte la nuit ! Bravo pour l'exemple !
Si je lui répète ça tu vas voir comme elle va te tirer les oreilles ! »

J'aimerais bien voir ça, pensa Museau Bleu, malicieuse. Elle était, hiérarchiquement, obligée de n'obéir qu'à Étoile d'Or, et cette dernière l'écoutait, puisqu'en termes d'âge, la vétérane prévalait de sagesse et de force, d'intelligence, de connaissances; elles étaient un binôme égal dans la vie, même si humblement la plus grande savait que sa place à elle ne quitterait jamais le bas du Promontoire; égal, même si l'une avait reçu neuf vies des étoiles - l'aînée vivrait la sienne, et mourrait une seule fois pour rejoindre leurs ancêtres dans les constellations. Pour la première fois, la lieutenante eut alors une pensée douce-amère: elle avait bien vécu... Elle n'était plus l'apprentie qui voulait retrouver son père dans les étoiles, la toute jeune guerrière qui pleurait ses frères et son mentor, non; elle avait grandi, mûri, trouvé ses repères et tracé son chemin; et sa vie, à présent, était bien avancée; elle avait tant de connaissances dans les rangs célestes, désormais: elle les rejoindrait peut-être sous peu.

« Oui, mais moi je suis grande ! Et toi » fit-elle en se penchant exagérément vers lui
puis ébouriffant un peu de sa patte la fourrure de galets, avec précaution pour ne pas lui faire mal
« Tu es encore petit ! » Elle riait. « C'est triste, la vie de chaton, non ?
Serais-tu tenté d'accepter ma proposition, Nuage Gris ? »

Mais déjà, le petit faisait machines arrière, voulant sans doute se protéger d'une séance de représailles à la bile de souris.
- Son aînée ne l'en blâmerait pas, il avait du voir les apprentis s'en plaindre et c'était une épreuve, une corvée, pour tous -

« Moi ? J'ai dit que tu pues ? » s'écarquilla-t-il, affichant un air d'innocence parfaite avant de la renifler à nouveau.
À le voir ainsi, on eut pu le prendre pour un petit ange. Un ange cornu, avec des ailes de tôle.

« Tu sens juste pas très bon ! » reprit-il, comprenant pourtant qu'il ferait mieux de choisir la prudence.
« Mais tu sais c'est pas très grave ! Et puis d'abord je sens moins bon que toi !
Même que c'est de la faute à Petit Goujon... »

La lieutenante sourit. Puis une question lui vint en tête, et ses prunelles de jade s'étrécirent légèrement.
Elle connaissait bien les multiples projets malicieux et plaisantins des chatons... Que tramait celui-ci ?
Non, parce qu'elle était gentille, mais pas stupide ! Et elle entendait trop souvent parler de Gris et Renard.
Sans compter que... Oui, elle adorait Matin Embrasé, mais elle ne sous-estimerait jamais pareil esprit.
Et face à elle, se tenait celui des enfants du rouquin qui en avait le plus. Alors elle demanda, amusée:

« Mais dis-moi, comment se fait-il que tu portes un tel intérêt à mon sommeil et la propreté de ma fourrure ? »