Feuille d'Automne ▬ Jolie Abeille.- abandon

C'était devenu une habitude, une chose de son quotidien dont elle ne voyait pas la fin, et qu'elle ne voulait pas voir. Une multitude de rendez-vous s'était succédé, créant un rituel. Leur rituel. Rien qu'à eux, juste pour eux, à deux. Loin du regard de leurs clans, de leurs familles.

Ils parlaient de tout et de rien, de leur vie, et cela lui faisait tellement de bien. Et en ce jour, le voir était presque un besoin vital. Voilà deux jours qu'Eau Turquoise les avait quitté. Jolie Abeille avait retenu ses larmes tant qu'elle le pouvait pour ses frères et sœurs. Elle était l’aînée, elle devait être là pour eux, pour les soutenir, les aider dans leurs deuils. Elle n'était pas seule dans cette tâche, Echo des Ruisseaux était là aussi. Mais, maintenant, qu'elle était éloignée de ses proches, la tristesse voulait éclater. La gorge serrée, essayant tant bien que mal de ravaler l'eau qui s'accumulait au coin de ses yeux, elle avançait vers l'endroit où l'accueillerait celui avec qui elle voulait tout lâcher. Peut-être était-ce un peu égoïste, mais elle ne voyait que lui pour ça. Elle se sentait si bien en sa présence, et il était le confident de ses pensées. Lui ne la jugerait pas, lui la soutiendrait. Ce n'était pas que personne ne le pouvait dans son camp, mais elle ne pouvait se permettre de craquer devant les jeunes de la fratrie. Il ne fallait pas montrer cette mine détruite, même si sa peine immense se lisait dans ses yeux.

Jolie Abeille espérait qu'il serait là cette fois-ci, car elle ne savait ce qu'elle allait faire si elle ne le voyait pas en ce jour. Elle en avait tellement besoin, plus que toutes les autres fois. Elle n'ignorait pas que Raton Laveur avait aussi des obligations et que c'est surement l'une d'entre elle qui l'avait retenu la dernière fois. Elle n'avait jamais cru qu'il l'avait abandonné, c'était tout bonnement impossible.

Elle arriva enfin. Elle franchit le buisson. Il ronronne, la regarde, s'avance vers elle. Il est là. Pour elle. Une nouvelle fois.

« Je suis désolé pour l’autre fois, j’ai dû remplacer un guerrier en patrouille qui s’est blessé. J’ai eu peur que tu ne viennes pas. »

Elle n'attend qu'à peine, ressentant un besoin de tout lâcher et une intense joie la traversant, l'envahissant de tendresse, au même moment. Curieux mélange. La truffe du guerrier se glisse dans son pelage, tandis qu'elle apprécie le contact. Puis il s'assoie. Et...

Sa tête tombe subitement, s'appuyant contre son torse. Tout le flux ravalé éclate, les larmes affluent, le bruit des sanglots fait son apparition tandis que la fourrure du gris s'humidifie à cause de l'eau. Ses épaules hoquettent, et elle se revoit, tout contre sa mère tant aimé désormais disparu. Désespérée et reconnaissante à la fois, aucun mot ne franchit le palier de ses lèvres. Il est là. Pour elle. Et elle n'a jamais eu autant besoin de lui.

Raton Laveur ne la repousse pas, l'accueillant au contraire entre ses pattes. Là, elle se sent maintenue, protégée, là, elle se sent bien. Comme lorsqu'elle était dans les bras de la nouvelle étoile brillant dans le ciel, veillant sur eux. Que pensait-elle de sa fille à présent? Était-elle toujours aussi fière d'elle que lorsqu'elle lui avait dit sur son lit de mort?

Le masqué effaça quelques une de ses larmes, mais ce n'est que chose vaine puisque celles-ci continuaient d'affluer. Le mâle ronronne et lui caresse le dos, lentement dans un geste réconfortant, rassurant. L'agréable son, et le va et vient continu sur sa fourrure la calme légèrement et le débit de ses pleurs diminue.

« Que se passe-t-il ? Je suis là pour toi, tu le sais, raconte moi ce qui te fait tant de peine ... »

Jolie Abeille voulait le dire. Lui expliquer. Mais rien ne sortait de sa gorge, hormis des sanglots étouffés et des hoquets. Voyant très bien que ses efforts étaient vains, elle attendit que les gestes du guerrier fasse assez leurs effets pour qu'elle puisse parler.

"Plus la.. plus... là."

Poser des mots sur sa douleur. Le prononcer pour se l'avouer. Elle avait l'espoir naïf, stupide et terriblement ridicule que si elle ne le disait pas, ce ne serait pas un fait. Elle espérait tant qu'en rentrant, elle la reverrait. Mais non. Elle n'était plus là.

"Maman... Aux étoiles."

Car c'était tellement plus beau et doux que dire: ma mère est morte.

HRP:

Raton Laveur se frotte à elle. Elle sent sa présence réconfortante, celle qu'elle apprécie tant. Celle avec qui elle se sent heureuse, sans le moindre poids sur ses épaules.

« Elle n’a pas souffert, ça va être très dur pour toi, tes frères, tes sœurs et toute la famille qui reste. Elle viendra te voir dans tes rêves, elle est toujours là pour toi. Elle te regarde de là haut. »

En effet, elle n'avait pas eu l'air de souffrir... elle avait même l'air d'être plutôt heureuse. Après tout, y avait-il plus belle façon de mourir que celle où l'on était entouré des gens que l'on aimait. Mais c'était si dur tout de même... Avait-il raison? La verrait-elle un jour lors de ses rêves, là où tout était possible. Là où elle pourrait la revoir, se serrer contre elle, lui parler comme si de rien n'était. Là où elle se sentirait pas coupable lorsqu'elle rentrerait chez elle, après avoir vu Raton Laveur. Les rêves, lieu de l'impossible... qui rendait le retour à la réalité parfois si dur, si frappant.

Se calmant un peu, les larmes cessant de couler, elle leva les yeux vers le ciel. C'était vrai... Elle était là, là haut. Le jour où elle s'était éteint, une étoile s'était allumée, aussi resplendissante que l'était sa mère. Les mots n'avaient pas atténué sa peine, mais lui avait lui avait mis un peu de baume au cœur. Lui avait fait comprendre qu'il fallait qu'elle profite de ce moment.

Elle ronronna se frotta à lui. Ses yeux étaient toujours embuées de larmes, mais il y scintillait sa reconnaissance envers Raton Laveur. Elle les leva vers lui.

"Merci. D'être là pour moi."

HRP:

Les contacts avec Raton Laveur sont tellement plaisants, rassurants. Autant que ceux avec sa mère bien aimée, mais d'une manière différente... Était-ce chose normale venant d'un chat qui n'était même pas de son clan? Était-ce même normal qu'ils se retrouvent ici tous les trois jours? Surement que non. Il ronronne et elle aussi. La peine ne s'oublie pas, elle est toujours là, présente, dans un recoin de sa tête, lui étreignant toujours une partie de la gorge. Mais à ses côtés, elle semble bien plus supportable.

« C’est normal Jolie Abeille. J’ignore pourquoi et l’avouer fait de moi un traître … Mais lorsque je suis près de toi … Je me sens bien. J’attends nos retrouvailles avec impatience … »

Alors... comme cela... il pense comme moi? Elle n'osait imaginer qu'il partageait les mêmes ressentiments qu'elle.Cependant, elle mentirait si elle affirmait ne l'avoir jamais espéré. Elle était également impatiente de le revoir, et elle se sentait si bien en sa présence...

"Alors si tu es un traître, moi aussi...Quand je suis avec toi, c'est... ce n'est pas pareil qu'avez les autres. T'avoir rencontré.. est l'une des plus belles choses de ma vie..."

Elle n'osait maintenant plus rien dire, ni croiser le regard du tonnereux. Elle sentait qu'il se passait quelque chose... et que plus rien ne serait pareil après ce rendez-vous.

HRP:

Quelque chose d'important va se dérouler. Quelque chose qui va changer sa vie à jamais. Jolie Abeille le sent. Les deux n'osent pas se regarder, comme deux jeunes qui découvrent les sentiments. Ce qui était vrai pour la bicolore. L'amour qu'elle éprouvait pour Raton Laveur était pour elle inédit, nouveau et totalement inconnu. Son ronronnement est si doux à ses oreilles et son cœur manque d'exploser quand il enlace sa queue. Ce geste brise la distance entre eux. Mais pas d'une façon brutale tel un coup de griffe qui tranche la surface de l'eau, faisant disparaître de façon éphémère sa limpidité. C'est quelque chose de bien plus agréable, amené avec douceur, tel un poisson nageant, faisant ruisseler le liquide sur ses écailles.

« Tout est différent près de toi Jolie Abeille. Tu … Tu es merveilleuse. »

Il se colla à elle, et elle se sent si bien. Qu'il se trompait. Elle n'avait rien de merveilleux, d'exceptionnel. Elle était une définition de la banalité, avait bien plus de défauts que de qualités. Lui, au contraire, était formidable. Et en voyant un tel être pensait cela d'elle, elle s'autorisa à penser qu'elle avait une part qui n'appartenait qu'à elle même, qui la distinguait des autres. Au fond, être aimé n'était-il pas ce qui nous faisait sentir unique?

« Je ne peux pas savoir ce que l’avenir nous réservera … Je veux être avec toi, quelle qu’en soit les conséquences. Je t’aime Jolie Abeille. »

Les mots sont de trop dans sa gorge, et elle ne sait que dire. Trois simples mots qui la rendent si heureuse. Elle se presse encore plus sur lui, ronronne tel un chaton. L'avenir... elle ni pense plus. Seul le moment présent compte.

"Je t'aime aussi, Raton Laveur."

Et elle voudrait rester là, avec lui, pour l'éternité. Regarder les étoiles ensemble, parler de tout et de rien, voire ne rien dire du tout. Juste, être ensemble. Un instant, elle oublie, tout.

Au lendemain d'une nouvelle qui déchira son cœur, elle vécut l'un des moments les plus beaux de sa vie.

Mais ce ne serait pas comme cela pour toujours.