S'il te plaît, ne te fâche pas | ft Corbeau - abandon

Ce matin-là, un matin d'automne comme les autres, Petit Mimosa s'était éloignée de la pouponnière, d'un pas léger et sautillant, pour suivre les taches dorées que faisait le soleil en passant, tamisé, entre les doux feuillages. Les grands sapins se dressaient, éternels, épines d'émeraude à la douce senteur, emplie de réconfort, tandis que tous les arbres, perdant leur parure, flamboyaient malgré tout une dernière fois l'an. Le rouge, le feu et l'or étaient magnifiques, à cette période, en un spectacle que la jeune fleur ne se lassait jamais d'admirer; pour l'instant, elle devait rester au camp, mais bientôt, pour elle s'étendrait, chaleureuse et enchantée, toute la forêt ! À quatre lunes, la jolie féline était aussi devenue plus courageuse, quoique encore réservée, et explorer seule son royaume, quand les autres dormaient encore, ne la dérangeait pas: elle était heureuse, dans ces moments-là, de filer vers Esprit Lent pour une parole, un jeu, ou d'écouter guerriers, apprentis, guérisseurs... Parfois, aussi, elle allait rendre visite à son père, modèle et meneur; mais cette fois, ce n'était pas Étoile Maudite qu'elle cherchait; elle venait de prendre la direction de l'antre du guérisseur. Et ce faisant, elle suivait son chemin de feuilles rouges, oranges, jaunes et brunes, montrant encore ça et là des fragments de verts entre les paillettes de lumière. C'était beau, la lumière. Vraiment beau.

Mimosa croyait aussi, sincèrement, qu'il y avait des paillettes de lumière en chacun, comme il y avait des ombres: des bonnes choses, des mauvaises, des défauts et des qualités. Il fallait juste... Se concentrer sur la lumière. Créer les arc-en-ciels. Et c'était ce qu'elle tentait, chaque jour, de faire... Parce qu'elle ne pouvait être si mauvaise, au fond; elle aussi, elle devait avoir un peu de jour en elle, non ? Pensive et curieuse, la jolie fleur d'or continuait son chemin, et s'approcha bientôt des ronces protégeant la clairière de soins, qu'elle franchit sans difficulté. Là, au milieu des plantes, se tenait un jeune chat. Noir. Grand, mais pas trop pour elle - comme elle avait changé. Plus massif qu'elle - mais elle était si fine que le contraire aurait été inquiétant. L'apprenti d'Esprit Soucieux... Nuage de Corbeau. Mimosa ne lui avait jamais parlé, mais elle aurait bien aimé un cours sur les plantes, et un nouvel ami. Alors, d'un pas gracieux, agile et encore un peu enfantin, elle se dirigea vers lui, petite boule de fourrure brune tigrée, prunelles d'ambre rieuses, voix douce et mélodieuse, aux accents purs de cristal et de chants. Une jolie voix d'enfant.

« Bonjour, Nuage du Corbeau ! Moi, c'est Petit Mimosa ! Dis, tu veux bien m'apprendre les plantes ! J'en connais certaines, mais il y en a beaucoup que j'ignore, et j'aimerais beaucoup savoir ! S'il te plaît ! »

Elle assortit la demande d'un grand sourire, et attendit, scrutant attentivement le visage du félin... Qui n'exprima rien.
Timide, peinée, un peu effrayée et son complexe d'infériorité se jetant sur elle comme sur sa proie, elle baissa les oreilles, déçue.
Triste, aussi. Et surtout, pleine d'appréhension. Et s'il se fâchait contre elle ? Et si elle avait été trop curieuse, trop bavarde, trop...
Le visage du jeune chat de jais était sombre comme une nuit sans lune et sans étoiles. La fille du matin murmura dans la brise:

« S'il te plaît, ne te fâche pas... »

Après la supplication timide de Petit Mimosa, qui, fine silhouette gracieuse mais semblant bien fragile, cœur de cristal et corps aussi élancé mais délicat qu'une fleur à la tige ployant dans la brise, fleur si facilement coupée par inadvertance, se tenait encore au milieu de la clairière, le chat noir lui faisant face battit de la queue avec ce qui semblait être un peu d'agacement, mais son regard aux prunelles bleues d'eau glacée se radoucit et la considéra, entraînant bientôt un soupir d'acceptation. La chatonne n'en demandait pas plus; il lui donnait à présent l'occasion de faire ses preuves.

« Bon... Commençons par savoir ce que tu sais déjà. Je ne veux pas t'apprendre des choses que tu sais déjà ! Cela aurait le don de m'énerver... »

Mimosa hocha la tête, compréhensive, puis se dirigea à petits pas rapides mais prudents vers le tas de plantes et le cataplasme posés près du matou, reniflant la mixture pour identifier ses composants. Elle devait être rapide, mais respectueuse, et ne pas toucher le précieux travail de l'apprenti d'Esprit Soucieux, juste au cas où ! Nuage de Corbeau la tolérait peut-être, la gamine n'était pas folle: l'oiseau aurait tôt fait de s'envoler, en la gratifiant d'un coup de serre au passage ! Mais elle sourit bientôt, des paillettes d'or dans ses yeux d'ambre.

« La toile d'araignée pour arrêter le sang, la graine de pavot qui atténue la douleur et endort, la bourrache aide à avoir du lait et la feuille de framboisier sert lors des mises bas. Même si nous on aime les framboises parce que c'est bon. Pas comme la mille-feuille, ça fait vomir ! » Les graines de pavot, elle en avait pris elle-même une. La bourrache et la feuille de framboisier, c'était lors d'une mise-bas dans la pouponnière. Mais la mille-feuille... La jeune chatte songea avec amusement qu'elle garderait la mésaventure de son jumeau pour elle, enchaînant sur ce qu'elle avait devant elle. « Comme tu fais un cataplasme je suppose que tu as mis de l'aloe vera qui nettoie les plaies... Mais j'arrive pas à reconnaître le reste. » avoua-t-elle, un brin dépitée.

Elle espérait juste que le ténébreux novice qui se tenait devant elle voudrait bien lui apprendre, qu'il n'était pas déçu, et qu'elle pourrait revenir le voir à l'avenir ! Comme ça elle saurait plein de choses et elle pourrait l'aider, aussi ! Et comme ça, il l'aimerait bien et serait son ami ! Et elle, elle aurait un grand auprès de qui se réfugier. C'était sans doute un des défauts de Petit Mimosa... Trop s'attacher. Mais elle n'avait pas envie d'y penser.

« C'est pour qui ? » préféra-t-elle demander.

La fille d'Étoile Maudite s'était approchée avec curiosité de l'apprenti guérisseur qu'Esprit Soucieux avait pris sous son aile, et Petit Mimosa et Nuage du Corbeau s'étaient tenus un instant ainsi, côte à côte, près du cataplasme, en silence; la plus jeune était un peu déçue d'elle-même, les connaissances tourbillonnant dans sa tête comme les pétales de fleurs ou les feuilles mortes aux mille couleurs les jours de grand vent sans qu'elle parvienne à les rattraper, trop intimidée par la présence de son aîné... Elle n'avait surtout pas envie de le décevoir ! Mais plutôt que de s'énerver, ou que de la juger, l'apprenti à la pelisse de jais s'était contenté de répondre à sa question, avec plus de gentillesse qu'elle ne s'y serait attendue - faisant aussitôt éclore son sourire sur son visage.

« Un des anciens s'est pris une patte dans des ronces et s'est fait une plaie. Je dois donc la désinfecter et la guérir. Dans ce cataplasme, il y a donc de la Verge d'Or, une plante utile pour guérir les plaies. Je vais sûrement frotter la plaie avec de l'Oseille. Je garde toujours des Graines de Pavot sur moi au cas où l'ancien ai trop mal. »

De l'oseille... Elle réfléchit. Cette plante-là aidait à guérir des plaies, entre autres...
Pensive, elle tenta de la visualiser, y parvint, puis se remémora un peu la verge d'or.
Les graines de pavot, elle les connaissait très bien, après; c'était simple, pour tous.
En tout cas, tous ceux qui écoutaient. Mais elle, elle voulait en savoir davantage...

« Est-ce que tu as beaucoup de patients, souvent ? Et puis, quelles autres plantes il faut connaître ? T'as des réserves d'herbe à chat au cas où pour la mauvaise saison ? Où tu trouves tes plantes ? »

La petite fleur avait aligné ses questions dans un souffle, montrant toute sa curiosité, les yeux brillants, posant sur son apprenti-mentor un regard immensément attentif, très doux, avant que sa nature réservée ne reprenne le dessus. Elle aurait voulu lui demander s'il l'emmènerait, un jour, ou s'il lui accorderait son amitié mais... Comment oser ? Alors elle attendait simplement sa réponse, en murmurant, dans sa tête d'enfant:

S'il te plaît, ne te fâche pas.

Elle murmura enfin, plus calme et plus douce encore, si c'était possible, enthousiaste mais posée, et heureuse:

« Je peux t'aider ? »

Un grognement se fit entendre, de la part du corbeau à la pelisse chatoyante sous les rayons du soleil qui y jouaient, enfantins, parant d'or le prince des étoiles, dans l'atmosphère de l'automne. L'automne, qui faisait tomber les feuilles en tourbillons dans le vent, comme les questions dans la tête de l'apprenti d'Esprit Soucieux, probablement... Petit Mimosa se sentit alors un peu coupable. Elle avait l'habitude de poser beaucoup de questions, mais que lui avait dit Feuille de Houx, le frère de sa maman, déjà ? D'écouter les réponses, de laisser le temps aux gens; et elle voulait aider le novice d'encre et de plantes, pas l'énerver ou lui ajouter des soucis ! Désolée, elle avait donc repris son silence, et attendait, assise, patiente et douce. Déjà que Nuage du Corbeau avait accepté - Esprit Soucieux ne l'aurait sans doute pas fait ! Le félin à la fourrure de nuit miaula alors, d'une traite:

« Oui, j'ai beaucoup de patients. Heureusement, je ne suis pas seul. Je sais que je peux compter sur mon mentor. Je connais encore quelques plantes mais, j'ai tout juste débuté mon apprentissage. »

Oui, lui il avait son mentor. Pas comme Nuage Silencieux, le pauvre apprenti du Vent, que Mimosa avait vu, déjà, venir prendre des cours auprès du guérisseur de son Clan à elle ! Pas comme Nuage des Ruisseaux à la Rivière, non plus, même si ça, la petite chatte n'avait aucun moyen de le savoir. N'empêche, c'était à croire qu'un mentor, quand on devenait guérisseur, c'était une denrée rare... Aussi rare que l'herbe à chat, sans doute, en hiver - un hiver aussi froid que le regard amer que son aîné lança. Mimosa se fit plus sage encore, espérant être pardonnée. Elle avait été indélicate...

« L'herbe à chat... Nous en avons en faible quantité. » Une pause. En auraient-ils assez ? Nuage du Corbeau continuait. « Chaque plante a une position bien précise dans la forêt. Certaines se récoltent quelque part, d'autres autres part... »

Plutôt vague, comme réponse, mais la petite princesse de soleil ne lui en voulut pas, fine silhouette tigrée attentive aux moindres paroles que voulait bien ajouter le plus grand, silhouette d'ébène et prince de la nuit, à son intention. Elle avait tout le temps d'apprendre, après tout. Et puis quand elle serait plus grande, peut-être, elle pourrait l'aider !

« M... M'aider ? » Balbutia le noiraud.

Il paraissait surpris, et elle, elle fut contente. Sous les yeux plissés de son interlocuteur, elle hocha donc la tête, esquissant un sourire empli de gaieté, quoique quelque peu intimidé, et attendit qu'il prenne sa décision. Petite fleur s'était proposée, pour danser dans la brise, elle n'attendait qu'un mot de l'oiseau, pour qu'il l'emporte, et qu'elle puisse s'envoler... Il la scrutait attentivement; comme s'il venait de comprendre à quel point elle était intéressée par les plantes sur le sol, véritable trésor devant eux, pour elle. Mais oui, elle aurait aimé être guérisseuse, en d'autres circonstances - comme elle aurait aimé !
Enjoué, le mâle lui sourit, et proposa:

« Je te remercie... Pourrais-tu alors m'aider à finaliser ce cataplasme ? »

Est-ce que c'était un test ? Mimosa aurait eu peur, en d'autres circonstances.
Mais elle voulait lui prouver qu'elle pouvait être utile - alors elle réfléchissait.
Vive d'esprit, se répétant les mots-mélodies de souvenirs, un remède lui revint.
Tout doucement, elle tendit la patte et prit un tout petit, petit morceau de plante.
Elle leva la tête vers Nuage du Corbeau, tout en mélangeant, puis souffla:

« Un jour, Esprit Lent m'a dit que sur les Terres Neutres on trouvait un remède, la racine de consoude.
Que c'était un anti-inflammatoire et que ça refermait les plaies. L'aloe vera désinfecte, la tige d'or soigne, mais le temps que ça fasse effet, la consoude ça aidera à ce que ça fasse pas mal, si ça s'enflamme pas ! »

Montrer ses connaissances mais faire très, très attention aux réserves...
Précautionneusement, Mimosa s'écarta pour laisser l'autre juger du joli cataplasme.
Avec un peu de chance, ce drôle d'oiseau serait content d'elle, et elle pourrait rester...
La petite fleur d'or, elle priait les étoiles - parce qu'elle voulait juste, juste être acceptée.

« Merci de me laisser d'aider. » murmura-t-elle doucement. « Je te promets d'apprendre très vite. »

Et elle tiendrait sa promesse, elle la tiendrait toujours. Pour l'aider.

Quand on y pensait, c'était beau et terrible, le pouvoir des mots... Ça nous permettait de nous exprimer, de dire nos sentiments, nos pensées, et pourtant, dans le même temps, c'était aussi source de mensonges, ou d'incompréhensions. Sans doute parce que les mots n'avaient pas le même pouvoir pour tout le monde; et celui qu'avait dit Mimosa, ce jour-là, « promis », son sens différait beaucoup, selon la personne qui le prononçait. Mais les promesses, vu le regard de Nuage du Corbeau, ça semblait beaucoup compter - et la petite fleur d'or ne s'en inquiétait absolument pas; en elle, c'était le bonheur qui formait la plus belle des floraisons, parce qu'elle était acceptée - et elle savait, parfaitement sincère, qu'elle tiendrait sa promesse à son nouvel ami. Elle ne l'oublierait jamais - et le ronron doux comme un murmure de l'apprenti guérisseur se chargea de graver ce serment dans son cœur, en lettres d'or et d'émeraudes, qu'elle renferma dans le précieux écrin de ses pensées comme le compliment, tendre aveu, qu'il était.

« Tu t'es très bien débrouillée... »

Elle rosit de plaisir, et un immense sourire de joie illumina son visage.
Un sourire de soleil, qui trouva sa lune dans celui du chat de la nuit.
Un sourire rare, précieux, immensément sincère. Émue, elle le lui rendit.
À présent, elle le savait, elle avait vraiment sa place auprès de lui.
Ce jour-là, avec quelques plantes, quelques mots, elle s'était fait un nouvel ami.

« Tu sais quoi ? Je pense que tu es l'un des chatons les plus compétents que je n'ai jamais rencontré. Que dirais-tu de venir m'aider quelques fois ? Cela ne me dérangera pas, ne t'inquiète pas. »

Un regard d'or, d'ambre et de soleil, jaune couleur de gaieté, qui rencontrait le vert des plantes, des émeraudes, du jade et de l'espoir. Deux enfants, une presque apprentie et un tout juste apprenti. Deux félins dans un royaume de remèdes, choisis par les étoiles ou par une amitié. Avant, il y avait eu Esprit Soucieux et Esprit Lent, le frère et la sœur, à leur place; à présent, c'était Nuage du Corbeau, et Petit Mimosa. L'apprenti guérisseur, et l'aide guérisseuse qu'il venait de choisir. Il n'était pas fâché, ne l'avait pas chassée... Il venait de lui offrir le plus beau des cadeaux. Alors toutes les réponses avaient à présent des airs d'évidences.

« Bon... Il faut que j'aille apporter ça aux Anciens. » Il hésita un instant. « Tu m'accompagnes ? »
« Avec plaisir, Nuage du Corbeau. Et... Si ça ne te dérange vraiment pas...
Je viendrai t'aider. Je tiendrai ma promesse. J'adorerais ça. »

Elle le laissa passer devant elle, puis revint se placer, agile et gracieuse, petite danseuse, à ses côtés;
Lentement, tous les deux, ils se mirent à marcher, pour aller rejoindre les anciens, portant le précieux paquet. Elle gardait le silence, lui ne pouvait vraiment parler, à cause des remèdes. Avant d'entrer, seulement, elle souffla:

« Et je n'oublie pas. »