Ils ne s'observèrent l'un l'autre que l'espace d'un centième de seconde. Le grand mâle borgne, déboussolé, inquiet et rassuré à la fois, imperceptiblement fatigué par cette longue nuit, et son filleul dont les deux jeunes yeux brillaient au contraire d'ignorance. Pluie Battante aurait pu achever son geste de la tête qui indiquait à Hibou Nocturne où il pourrait voir les nouveaux-nés, mais il s'était interrompu quand même.
Et Nuage Gris, qui sortait à peine et qui comprenait que son petit travail n'avait distrait personne, se demandait à cette minute de la nuit ce qui pouvait bien traverser la tête de son parrain, jeune père.
« Dis donc, Nuage Gris. Tu devrais être au lit, ce n’es pas encore l’aube. Si tu veux voir les chatons, vas-y et retourne te coucher. Patte de Loutre sera mécontent si tu es fatigué, demain.
- Déjà vus ! » s'exclama-t-il, à voix haute, espiègle comme celui qui même à une heure pareille n'avait pas la moindre raison de se sentir fatigué ni de craindre de briser le silence. Alors qu'en fait, c'était surtout le silence qu'il craignait. Il parlait pour le repousser.
« Même qu'i'sont vraiment pas gros, hein ! » Il n'avait bien entendu pas le souvenir d'avoir jamais vu des chatons aussi petits. Et encore moins d'avoir, un jour, lui-même été aussi petit.
« Mais t'en fais pas, il va pas me punir, Patte de Loutre, parce que j'ai bien travaillé ! » assura-t-il ensuite, en se rapprochant un peu de son parrain, toujours aussi exagérément détendu. Au fond, c'était vrai. Il avait changé la mousse de la pouponnière et s'était rendu utile, un peu. Et puis il pourrait toujours prétendre n'avoir veillé qu'à cause d'une nouvelle punition, qui en douterait ?
« Bravo, en tout cas ? » demanda-t-il, imitant sans grande aisance le ton des quelques grands qui avaient déjà félicité Pluie Battante, indiquant très franchement et sans grande gêne, qu'il ne comprenait pas tout à fait le rôle qu'avait joué son parrain dans cet évènement. Ils étaient tous proches désormais. Un petit frottement de sa tête contre la patte avant du guerrier et il courut dans l'autre sens, comme s'il était encore en pleine forme.
« Allez t'as raison, je vais me coucher ! Et salut Hibou Nocturne !!! » s'exclama-t-il, très vif. Il était de ces vivants-vivants, les plus vivants de tous, qui avaient pourtant tout à découvrir de la vie.
