take me on a roadtrip -end

— « Uuuumpf. On a pas les bonnes techniques, Vent trouva vite son chemin dans le confort de son ombre en se rangeant contre lui et sa fourrure charcoal. Peut-être qu'on aurait du le manger, ce blaireau...
Coup de Foudre ronfla du nez:
— Quoi ?    Plutôt mourir, hah hah! »

Les hauts Chênes en distance se retrouvèrent derrière eux lorsqu'ils arrivèrent à une jonction entre deux chemins du Tonnerre en Terre Noire, confondant le bengal qui plissa une paupière et recula sa tête en la secouant comme par dédain de voir plus d'un seul chemin. Mais Vent vit cette apparition comme une Providence : il sortit du corridor de sécurité en trottinant rapidement vers ce nouveau Chemin.

— « Ah ! Coufoudre,
— « "Coufoudre" ? Le reprit ce-dernier en ricanant.
— Regarde qui a rejoint le blaireau sur la route ! »

"Coufoudre" pencha sa tête avec lassitude et suivit l'apprenti non sans jeter un prudent regard derrière, puis devant eux, histoire qu'aucun Monstre ne décide de surgir de nul-part sans qu'ils n'y soient préparés. Sa queue traîna au sol comme ses pas mais il comprit bientôt d'où venait l'énergie renouvelée de Nuage du Vent en reniflant l'air - le fumet était tellement puissant qu'il maintint sa gueule entrouverte histoire de s'imprégner de l'odeur des entrailles du lapin. Il aimait penser que c'était celui qui s'était sauvé, plus tôt, pour finir écrasé sous la patte d'un monstre. Il avait de meilleurs morceaux que le blaireau, ça c'est sûr, le rouquin plongeant déjà sa bouche dessus pour y serrer les dents et tenter de décoller leur déjeuner de la chaussée.

— « Fauchrait tu m'chaides avant que ch'autres monchtre charivve…
— J'arrive, j'arriiive ~ il lâcha sans énergie, mais il la retrouva progressivement en plongeant lui aussi ses dents dans la bête puis en barrant le dos pour prêter main-forte à son comparse.

Ensemble, ils tractèrent le lourd gibier sur le côté de la route, dans les herbes, pour s'adonner à un splendide déjeuner. Coup de Foudre dut se coucher pour manger - le poil lui rentrait dans le nez - il arracha au lapin le cartilage de son oreille avec lequel s'amuser... Jamais il n'avait mangé avec autant d'appétit et jamais il n'avait goûté une proie d'ailleurs que la forêt Tonnerre. C'était différent, et la différence lui renvoya des centaines de petits chocs dans le corps qui repartirent - eh oui, enfin - le bruyant vrombissement de son si caractéristique ronron.

Nuage du Vent, impatient d'attendre avec toute cette flopée de poils dans la gueule, darda un regard plissé vers son compagnon, voulant lui faire comprendre qu'il n'attendrait pas éternellement sur cette surface brûlante. Comme si les deux avaient eu une télépathie secrète, le grand matou ronchonna un J'arrive, j'arriiive, les commissures de la bouche du jeune s'élevant dans un sourire soulagé. Le blaireau écrasé, ce n'était pour lui, aujourd'hui ! Ce duo bizarre et éreinté tira donc la proie hors des pattes des monstres hurlants, lâchant le lapin sur l'herbe moelleuse pour s'adonner au plus grand festin de tout le temps… Du moins, du point de vue du petit garçon. Plantant et déchirant de ses crocs la viande qui fondait avec délicatesse sur sa langue, il ronronna en rejoignant Coup de Foudre, sentant son ventre se combler à mesure que les bouchées s'empilaient. Ce ne fut qu'à sa dernière qu'il se détendit, lâchant un aaaahhh satisfait, son corps le lâchant alors qu'il venait s'écraser parmi les herbes moelleuses.

— Pourquoi on peut pas faire une sieste ici, une toute petite... Ronchonna-t-il, la tête enfoui dans son faux lit. On est encore à dix queues de souris de l'arrivée ?

Destination finale, le clan du vent ! Se rouler dans la chaleur réconfortante de son nid, parler à Museau Pâle de ses problèmes et discuter avec Nuage d'Aigle pour la prochaine journée alors qu'ils jouaient ensemble… Oui, imaginer tout ça, c'était bien beau, rêveur, mais est-ce que tout allait être pareil ? Peut-être certains avaient-ils succombés à leurs blessures pendant la marche, ou alors étaient tout simplement morts lorsque Nuage du Vent avait quitté les lieux. Quand il sentit son ventre se tordre avec angoisse, il hocha la tête pour soi-même: ce n'était pas le temps de resasser ses images de traumatisme. D'ailleurs, le tricolore à ses côtés ne semblait surprenamment pas si choqué que cela par la bataille; cachait-il tous ses sentiments sous son air bizarre, ou… Ou quoi ? Nuage du Vent se mit à fixer sans gêne le tonnerreux, comme si celui-ci avait un bout de viande sur son visage. Il avait plus l'air écœuré..

Le soleil continuait son ascension dans le ciel dégagé, sortant de derrière les branches des hauts Quatre Chênes pour se hisser bien au dessus du drôle de duo que l'assaut la veille avec drôlement uni.

Rassasiés du lapin, Coup de Foudre s'était couché comme Nuage du Vent à côté, suivant des yeux et du nez ces phénomènes rares qui traçaient le ciel parfois d'une ligne blanche. Il s'entendit pousser un soupir de bien être : l'herbe leur prodiguait un peu d'ombre, un peu de moiteur, et ses coussinets ne brûlaient plus sur la terre noire du Chemin du Tonnerre. Après sa nuit-- après la nouvelle de la mort de Mirage du Désert, après la longue marche et l'arrivée impromptu d'un blaireau... Il avait hâte de rentrer, mais il ne s'interdisait pas de le respirer cet air frais, pour une fois. Ils le méritaient.

— « Pourquoi on peut pas faire une sieste ici, une toute petite.. Nuage du Vent le faisait rire, il avait tellement de réactions aux moindres petites choses... Il avait des questions pour tout. Tous les apprentis étaient un peu pareils - ou du moins tout ceux de cet âge, de cette génération, ceux qui n'avaient pas affronté les Lunar Pods ou possédés par la Lune Rouge. On est encore à dix queues de souris de l'arrivée ?

— De souris? Non. »

Coup de Foudre sortit de ses songes et lâcha le ciel du regard pour le baisser juste en dessous, sur la lande dégagée derrière les arbrisseaux qui la protégeait. Ils s'étaient installés dans l'herbe à la jonction entre le premier Chemin du Tonnerre et le second, en traverse, mais il n'avaient qu'à marcher de l'autre côté de la bande pour s'y rendre. Ce lapin n'avait, après tout, pas surgi de n'importe où, et en reniflant un peu l'air (ce que le Bengal fit), on pouvait sentir les odeurs des dernières plantes qui se fanaient dans la Lande en automne. ... Enfin, si on les connaissait, et il se dit que Vent tâcherait vite de se rendre compte de la proximité de leur destination.

— « ... Elle a pas l'air si mal, ta Lande. ♡

Son regard toujours plongé dans le visage entremêlé du mâle, le petit s'évertuant à essayer de séparer le vrai du faux dans ce qu'il y voyait, il remarqua que Coup de Foudre s'apprêtait à parler, décochant de sa voix mélodieuse une parole.

— De souris? Non.

Un peu brouillon. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Ces trois mots eurent au moins l'effet de détacher l'attention de Nuage du Vent du visage du mâle, plongeant ses deux perles dans le vide, regardant un peu partout et nul part. La journée avait été fatiguante, la soirée aussi, tout en général; et ce fait commençait à le rendre lourd, faisant naviguer le bateau de ses pensées vers une rivière où vivait une jolie maman. Comment allait-elle ? Sentait-elle, quelque part au delà des étoiles et de toutes ces choses, que son enfant de cœur allait mal ? Qu'il rejetait ses idées derrières sa tête comme on chassait des poussières de ses doigts, priant pour ne pas les voir tant qu'elles ne seraient pas incrustées dans ses yeux ? Se mettre la tête dans la terre et avoir des remords -- mais pour plus tard. Peut-être que le tonnerreux avait une technique pour ça, tien, mais allait-il avoir la chance de lui demander avant qu'il ne s'évapore comme toutes les personnes qu'il aimait ? Il le regarda, remuant ses oreilles. Peut-être le recroiserait-il un jour, mais en attendant, ils avaient encore de longues minutes à glander dans cette herbe…

— ... Elle a pas l'air si mal, ta Lande. ♡

Le cerveau du rouquin fit un tour dans son crâne, l'électrisant et l'injuriant de tous les noms alors qu'il commençait à comprendre. Ah ! Clan des étoiles, était-il devenu un blaireau écrasé, lui aussi ? Car, derrière le pelage et la végétation foisonnante se trouvait un énorme territoire recouvert de quelques buissons et d'ajoncs, brillant devant ses yeux comme une récompense du clan des étoiles.

— Ma lande ! Rajouta-t-il comme un enfant devant un cadeau.
Il se leva maladroitement, s'avançant à petits coups hésitants de pattes pour venir se mettre droit devant elle. Le cœur empli d'une chaleur nouvelle, il l'observa longuement sans rien dire, ses yeux se plissant pour empêcher le soleil de gâcher sa vue. Je ne lui en veux pas. C'est les personnes qui la peuplent qui me tirent vers le bas ou vers le haut et qui la font vivre. C'est pour ça que je ne pourrai jamais la quitter... Du moins, tant que ceux que j'aime sont encore en vie. Glissa-t-il pour lui-même, l'esprit troublé pendant un instant. J'mégare ! Merci, Coup de Foudre, je pense que je serais mort au moins cinq fois si tu n'avais pas été là. Il s'approcha de lui pour poser avec douceur sa tête vers son épaule, comme l'aurait fait un apprenti avec son mentor. T'es plutôt gentil, comme chat.

— « Ma lande !

Cette admiration véritable. Ces grands yeux ouverts qu'il n'avait pas besoin de révulser manuellement les paupières pour imiter la surprise, ce sourire - inégal, joint à cette chaleur qui tira sa souche à son cœur pour se ramifier et se propager dans tout son corps. Famille, Amis, Devoirs. Et puis il y avait lui.

— Je ne lui en veux pas. Mais Vent parlait de la Lande. C'est les personnes qui la peuplent qui me tirent vers le bas ou vers le haut et qui la font vivre.
— Elle ne vous a pas choisi, lâcha le Bengal sans poursuivre.
— C'est pour ça que je ne pourrai jamais la quitter... Du moins, tant que ceux que j'aime sont encore en vie.

Le trait dans le ciel s'étirait et s'étirait et Coup de Foudre ne le quittait plus des yeux, ennuyé par cette montée d'amour chez son comparse. Tiqué, voire, la fatigue grugeant sa contenance.

— « J'mégare !

Il baissa le nez comme Vent était en train de revenir sur ses pas. Merci, Coup de Foudre, je pense que je serais mort au moins cinq fois si tu n'avais pas été là. Et puis le geste - Nuage du Vent, l'ennemi du Clan du Tonnerre, l'ennemi de l'orage et de la Foudre venait de poser sa tête sur son épaule avec le poids d'un pétale - soufflant doucement son air, confortable, reconnaissant, reconnaissant à un chat qui se tendait de plus en plus et dont le blanc des yeux sortait par pure incompréhension:

« T'es plutôt gentil, comme chat. »

...Étoile de Suie ne lui avait jamais donné d'apprenti - c'était parce-qu'il n'était pas digne de confiance, trop électron libre, trop dénué de morales (sa queue se mit à s'agiter tandis qu'il butait les syllabes) impie, dangereux

« Q-qu-- »

Mais de vivre le geste - qui témoignait d'un grand respect - de la part d'un de ceux qui l'avait originellement pensé comme un ennemi... Coup de Foudre sentit un point de chaleur lui brûler à l'épaule là où était posée la tête de Vent alors pour éviter de la lui mordre il s'assied droitement d'un à-coup, levant une patte, saccadée, en rentrant vite les griffes pour la coller dans le dos de son apprenti et le rapprocher de lui, pour sentir tout son corps respirer-- toute sa gratitude contre lui, comme ça s'il l'oubliait au moins son corps s'en rappellerait.

— T-... Aucune formule ne pouvait l'aider en ce moment. Il lisait l'air mais il n'y lisait rien, démuni. ... T'es pas mal non plus. »

Il le repoussa (mais gentiment), pour se lever, lassement s'étirer, et lui pousser la croupe du nez vers sa lande.

— « Allez.

Va me faire traiter cette épaule, tu veux?

— T-… Un silence qui parlait pour eux.
... T'es pas mal non plus.

Les paroles, sorties par la bouche d'un mâle qui était par loyauté des codes son ennemi pour toujours, enclanchèrent un petit quelque chose au fond de son être meurtri. Ce n'était pas un sentiment qu'il avait déjà ressenti auparavant, ni un remous qu'on ressentait sur la surface physique de son corps; plus bas, plus profond, il allait chercher de ses yeux d'éclairs un fragment de son cœur entaillé. Et comme pour le réparer, Coup de Foudre vint appuyer sa patte derrière le dos du jeune, les renouant pendant un instant qui parut éternité — et comme un seul être, il sentit leurs cœurs battre une fois à l'unisson. Une.

boum
un battement
deux clans
un sentiment
merci

— Allez.

Nuage du Vent se retira avec une douceur nouvelle, aussi léger qu'une pétale de fleur qui caressait les nuages.

Va me faire traiter cette épaule, tu veux?

Il hocha avec difficulté sa tête, un nœud dans sa gorge l'empêchant de parler. Ce n'était pas de la tristesse, non — il avait été ravi de faire la connaissance de ce félin —, mais une étincelle de compassion. Le rouquin tourna finalement ses talons, les oreilles molles alors qu'il traversait en boitant la surface brûlante qui agressa ses coussinets et qui, métaphoriquement, consuma le lien qui les unissait dans un bref crépitement. Un souffle, deux, trois, il était rendu de l'autre côté et il s'immobilisa un instant, un petit instant, alors qu'il se retournait vers son compagnon.

son ami.

On aurait dit qu'il vivait son émotion pour deux - en se retenant autant de rire que de pleurer, en hochant la tête de façon aussi succincte que maladroite. Et en le voyant partir, sa queue haute, signe de sa bonne humeur, le Bengal miroita sa position pour s'avancer- il hésita. Nuage du Vent se rendit de l'autre côté, mais il s'était tourné et ils s'échangèrent un regard, chacun de leur côté du Chemin du Tonnerre et c'est précisément à cet instant que Coup de Foudre le relança:

— ...Vent!

Si tu ne peux pas quitter la Lande car tout ceux que tu aimes y sont...

Qu'est ce que tu ferais, si tu te retrouvais à aimer tout le monde?

Car aimer tout le monde rendait dangereux, imprévisible, car chercher à les comprendre était un tabou, le rendait aveugle, car son corps valait mille fois mieux que ses pensées mais seulement en tant que guerrier, pas en tant qu'amant, mais ce chat du vent - cet ennemi de son clan - son apprenti avait trouvé dans le blizzard de sa tête ce qui se trouvait être un flocon de gentillesse.

Au travers de rien, il avait vu quelque chose.

HRP:

— ...Vent!

Dans les flammes brûlantes du lien qui avait été coupé, une petite étincelle. Une germe qui s'entrelaçait dans la douleur du feu rouge, qui prenait sa force de la difficulté de cette relation que les étoiles déviaient, qui poussait doucement, mais indéniablement, renforcé par le long regard que les deux s'échangèrent et par le mot que Coup de Foudre cria, puis;

Si tu ne peux pas quitter la Lande car tout ceux que tu aimes y sont...

Qu'est ce que tu ferais, si tu te retrouvais à aimer tout le monde?

Nuage du Vent lui rendit son regard, accrochant ses deux prunelles ambrées dans celles électriques de Coup de Foudre, une myriade de sentiment s'entrechoquant au plus profond de ses iris. Puis, un rire — un seul, comme le battement de cœur, qui s'éleva dans les airs pour s'évaporer dans le vent, comme un secret qu'il lâchait aux bourrasques; un rire.

Alors c'est la lande qui me quittera, Coup de Foudre ! C'est la lande !

il lui offrit un dernier cadeau - son sourire
un jour, le matou des forêts comprendrait
que sa réponse ne se cachait non pas dans les questions

mais dans le rire du vent