Cette sale gamine de Nuage de Muguet se trouvait face à un guerrier qui tentait de lui enseigner un semblant de respect qu'elle devrait manifester toute sa vie du long, et elle, elle gardait à chaque instant le culot de le prendre de haut. Comme si d'eux deux c'était en fait lui le gamin. Ce n'était pas seulement du culot, c'était de la témérité. De la témérité stupide et particulièrement dangereuse lorsqu'on vivait en Clan. De la folie. Oui, elle était folle.
" Justement Feuille de Houx, pourquoi je parlerai bien à quelqu'un qui n'est pas mon ami ? "
Feuille de Houx se souvenait bien de sa jeunesse. De son temps où les apprentis qui manquaient de respect à leurs supérieurs hiérarchiques ne recommençaient jamais tant ils étaient punis sévèrement. Fallait-il en revenir à ça ? Fallait-il vraiment un connard de Serpentaire pour dresser cette racaille ? Par sa présence, Nuage de Muguet allait-elle finir par rendre nécessaires à nouveau ces mutilations qui avaient pourtant été proscrites par Étoile Maudite ?
Il regardait Muguet d'un air mauvais, vraiment mauvais. Celle-la, elle allait s'en prendre, des coups sur la figure. Il y avait intérêt. Et il serait bien faible de ne pas commencer lui-même. Si la gamine commençait à se sentir impunie... ce serait encore pire pour elle et pour les autres. Il cracha par terre, agacé d'être dans cette situation et regrettant qu'il n'y ait pas avec lui un autre guerrier pour prendre en charge la Peste en personne.
" Eh, Petite Feuille ! " s'exclama-t-elle alors.
Inquiet brusquement, comme toujours lorsqu'il était question de sa nièce, il tourna la tête dans la bonne direction vers la petite femelle tigré qui se rapprochait de Muguet. " Nuage de Muguet !! "
Elle semblait tellement petite à côté de l'autre. Et tellement proche en plus de ça. Cette image mit Feuille de Houx profondément mal à l'aise. C'était le souvenir de ces énormes Lunar Pods qui lui revenait en mémoire à travers ça.
" Feuille de Houx... Faut pas te fâcher comme ça ... Tu me fais peur quand tu es comme ça... On... On est désolée... On voulait pas te vexer hein... " s'exclama la cadette, penaude et légèrement effrayée aussi. Il ne fallait que ça bien sûr pour que le cœur de Feuille de Houx se mette à bondir, mais il ne pouvait pas céder aussi facilement devant l'autre, ce poison de Muguet qui risquait de lui influencer sa nièce comme ses parents avaient probablement tué sa sœur et Croc de Brume.
Il essaya de garder une mine sévère, mais ça devenait dur. La tristesse brusquement dépassait la colère, et la peur, aussi. Il ne voulait pas que tout ça recommence. Il voulait que Petite Feuille ait la chance de vivre à l'abri de ces traîtres sournois, impudents et impudiques, qui ne pourraient l'influencer qu'en mal.
Il se força à ignorer le regard sans doute ironique de Muguet pour consacrer toute son attention sur Petite Feuille, qui méritait bien davantage. Son ton était tendre au début, affecté, réellement :
" Écoute, Petite Feuille, qu'on fasse des farces, c'est très bien quand on est chaton. Mais les apprentis ont du travail, eux. Des devoirs. Des missions. On essaye de faire d'eux des guerriers obéissants et compétents, et ça se fait à un certain prix. Tu verras quand ce sera ton tour, mais Nuage de Muguet a fait une erreur très grave. Et elle ne l'ignore pas, ce qui est encore plus grave. "
Oui, oui, ne fais pas trop la maligne. Peu à peu, il avait recentré son attention sur l'insolente, et son ton était devenu sec. Il revint à Petite Feuille, plus nuancé :
" Elle sera punie tout à l'heure, mais d'abord, je vais te raccompagner à la pouponnière. Tu n'aurais jamais dû sortir toute seule sans un guerrier pour t'accompagner. "
C'était là l'erreur dont il pourrait facilement se plaindre auprès de n'importe qui. Cette farce n'était qu'une farce, et le comportement de l'insolente n'était un secret pour personne, malheureusement. Mais le fait qu'elle ose mettre en danger des chatons qui n'avaient rien demandé... Là il y avait quelque chose de vraiment sérieux. Je te tiens, ma grande. songeait-il, sans rien en dire. Il jouait un double-jeu, pourtant, qui était de nature, il en était sûr, à faire disparaître de la tête de Muguet cette expression insupportable bien assez vite.
" Allez ma puce, viens avec moi. " lança-t-il, joyeux, mais assez ferme, en montrant de la tête et de la queue la direction du campement.
Car ça ne coûtait rien aux chatons de voir ce langage gestuel qui était celui des patrouilles silencieuses du Clan de l'Ombre.