Flurry [feat. Nuage de Braise] - end

Le ciel complètement noir à cette heure faisait s'endormir beaucoup de chats plus tôt dans le campement. C'était le début de la mauvaise saison - pas encore les grands froids, mais pas loin.

En automne, une nuit où les feuilles tombaient encore, le Clan du Vent avait lancé un assaut sur leur campement pour les asséner d'un gros coup. Il avait appris d'une source fiable que plusieurs étaient morts dans la bataille (dont la coqueluche du Clan, Mirage du Désert, qui avait fini par casser sa pipe après s'être faite cassée les pattes en été avant la Bataille de la Lune Rouge) mais pas que. Le Clan du Vent leur avait aussi enlevé une guerrière, Guêpe Sauvage, qui n'était revenue qu'il y a très peu. Guêpe Sauvage, nièce de l'illustre feu Étoile de Guêpe, il se rappelait (et l'idole de Feu Étoile de Suie), était revêche et dure d'approche, mais depuis son expérience aux Landes,... Le Clan du Vent avait attaqué, tué et pris en otage l'un des leurs - s'il comptait allier tous les clans, il allait devoir trouver un terrain d'entente avec tous ces vifs petits chats. Son amitié avec Nuage du Vent ne suffirait pas.

Coup de Foudre perdit une seconde son train de pensée lorsqu'un fin flocon lui fondit sur le nez. Puis une ombre se mouva dans un coin de son œil et il tourna la tête vers la clairière vide à cette heure-ci, où il vit de l'agitation sans toutefois bien la distinguer mis à part de gros nuages de neige qui volaient un peu au-dessus du sol. Il renifla l'air, cligna des paupières au déclic et se dirigea, d'un petit trot sautillant, vers le phénomène en secouant doucement sa tête, en claquant de la langue à la responsable:

— « T-t-t, ça va, tu t'amuses bien? ~

Pas étonnant qu'il ne puisse pas la voir - voilée comme lui par les sombres marbrures de son pelage, Nuage de Braise passait presque complètement inaperçue dans le paysage. Après un petit rire, le guerrier roula sur son épaule et étira toutes ses pattes et rejoignit l'autre bengale dans sa danse des neiges en guise de premier contact avec elle. Il la savait plus physique que Bec (et plus stupide, aussi...) mais qui sait si elle s'était assagie en vieillissant un peu.

— ... C'est froid. .. Directe, d'accord. Mais ça brûle. Euh-- Mais c'est froid et c'est drôle et ça fait mal et je c o m p r e n d p a s. »

Coup de Foudre se redressa pour protéger Boule de la pluie de flocons dans ses yeux qui larmoyaient maintenant et étira de force un sourire en se rendant compte que non. Non, elle ne s'était pas assagie du tout en vieillissant, contrairement à Roux qui s'était complaît dans son indépendance, ou Bec qui malgré son auto-dérision avait quand même réussi à devenir suffisamment débrouillard pour masquer ses lacunes, et (encore aucune idée pour Ardent.)

Mais Boule était encore toute aussi directe, toute aussi irréfléchie et si peu sage. Il ne pouvait pas lui en vouloir, c'est autour du même âge qu'il avait souffert du blizzard et c'est autour du même âge qu'il avait été nécessaire de se reprogrammer... --Une oreille du bengal tiqua comme il penchait sa tête.

— « Tu as dit que ça brûle?

Il s'assied, tendit sa patte en la glissant au dos de Boule, puis il la tira contre lui dans une étreinte au chaud, dans l'un de ces câlins qu'il savait qu'elle aimait tant. En recourbant sa queue, il essuya les larmes à ses yeux.

— ...Et que ça fait mal? Il leva une patte et l'épaule pour qu'un flocon aille se poser doucement dessus. Ce n'est pas sensé faire mal, Boule. Décris-moi ce que tu ressens. Comprenons ça ensemble.

Hah, la carte du "ensemble" pesait toujours beaucoup mais il doutait avoir besoin de jouer de cartes quelconques avec quelqu'un comme sa fille. Elle semblait si peu se soucier des apparats, contrairement à Bec, et elle ne jouait pas des émotions d'autrui comme le faisait Roux... C'était à se demander s'il y avait un angle quelconque dans cette petite tête ronde, similaire à la sienne.

La bengale répondit positivement à l'étreinte en enfouissant ses pattes dans la chaleur de son poil, se resserrant contre lui, acceptant autant sa présence que son aide.

— « ... Quand mes pattes sont... Dans la neige. La neige fait tout drôle et humide et ensuite c'est froid et ça va mais après ça devient froid froid froid CHAUD?
C-comme quand je touche un caillou qui est tout chaud du soleil.
— ... An han, les oreilles de Coup de Foudre tiquaient, mais l'avis de sa Boule de Câlins et son expérience comptaient pour lui alors il dut faire l'effort (en plissant les paupières bien sûr) de décortiquer ce qu'elle lui disait. Il avait la désagréable impression de parler à Mouche à l'instant:

— Et ça pique-picotte comme les aiguillons que j'ai dans la gueule quand j'essaie de manger des baies dans un buisson, sauf que là c'est pas dans ma gueule, c'est dans mes pattes, et il y a pas d'aiguillons.
— .... »

Coup de Foudre hocha la tête malgré la confusion qui lui fit raidir les épaules de malaise, sans toutefois révéler quoi que ce soit derrière la douceur de son sourire et la proximité de leur étreinte. La neige - ou plutôt, le froid de la neige, la "pique-picottait" comme des aiguillons, et elle comparait la douleur à une expérience de sa vie où elle avait effectivement mordu dans des aiguillons. Sans trop s'arrêter là-dessus -- car de quoi aurait-il s'agit? d'un Porc-épic? d'un Hérisson? -- ... sans trop s'arrêter là-dessus, il réfléchit plutôt à d'où lui venait cette "douleur". Et aussi pourquoi insistait-elle tant au sujet de la sensation de "brûlure" -- du cèdre?? Peut-être qu'elle avait mordu dans du cèdre??

— « --Boule, il tordit une oreille vers l'arrière, crispant ses commissures de plus en plus irrité par ses pensées intrusives. Faisons une expérience.

La neige et le froid ne le brûlaient pas, lui, mais était-il vraiment une bonne référence? Jeune, il avait passé toute une nuit sous le blizzard et sa tête endommagée y était peut-être pour quelque chose. Sans certitude, il préféra tester son hypothèse : il abaissa la patte qu'il avait levée pour la mettre dans le dos de sa petite, la rapprochant de lui, écartant ensuite les phalanges en appuyant ses coussinets dans son poil d'une pression de plus en plus forte.

— Dis "arrête" quand ça te fait mal.

Il avait entendu comme un fantôme d'hésitation dans la voix de l'apprentie mais honnêtement il en fit peu de chose - lui comme Boule voulaient comprendre le curieux phénomène qui leur échappait. En appuyant sa patte, elle réagit tout de suite d'un ronron - normal (enfin non qui sait mais il aurait fait pareil), puis il pesa dessus. Et très rapidement, alors que sa pression avait été légère pourtant, Boule s'abaissait et écartait les cuisses et s'aplatissait en lordose dans le tapis de neige en s'étendant de tout son long sur le ventre et c'est elle qui voulait s'échapper avant de crier :

— « AÏE!! TU M'AS FAIT MAL!! »

Coup de Foudre ôta sa patte d'un soubresaut mécanique, cillant pour chasser un ou deux flocons, les yeux baissés sur la bengale qui avait souffert au "supplice". Il fronça les sourcils. Réaction sincère ou interjection spontanée? Contrairement à Bec, Braise avait au moins le mérite d'être honnête - franche to a fault, incommodant parfois le Clan par ses maladresses en disant tout haut tout ce qui lui tentait (il n'y avait qu'à la voir pendant les assemblées, les directives se confondaient mais elle se tuait à les respecter du mieux qu'elle le pouvait). "Tu m'as fait mal" n'étaient donc pas des mots à prendre à la légère -- Non, il faisait erreur, il restait un autre facteur à l'expérience capable de perturber l'équation.

Coup de Foudre tiqua de son oreille guérie et se coucha machinalement dans la neige, à côté de Braise, pour lui jeter un regard en biais et la diriger:

— « ... Essaye avec moi. Je dirai "arrête" quand j'aurai mal.

Après quoi ils n'auraient qu'à comparer les résultats. Mais quelque chose d'autre le tiqua, alors il choisit de l'interroger en déguisant ses questions derrière la conversation:

— « Braise, est-ce que tu aimes la cérémonie de partage? Personne ne te fais mal ?

Il avait appelé le sujet par son nom - quelque chose qui les amadouait plus facilement, d'habitude. Il l'avait fait par habitude - s'il pouvait mettre à profit ses froides observations pour simplifier la vie de sa fille, ça ne ferait pas de lui un bon "père" ? Ça n'impressionnerait pas Roux? Une pierre deux coups.

Boule -- ... "Braise" avait posé sa patte sur lui maintenant qu'il s'en était fait son sujet mais elle l'ôta aussitôt qu'il ouvrit la bouche en appréhendant un "arrête", qu'il ne dit jamais. Après quoi, elle dut se concentrer sur sa question. Il tourna la tête, la voyant cligner des yeux, puis lever ces-derniers à la douce tombée des flocons en se plongeant dans sa réflexion.

— « Oui, j'aime beaucoup! Répondit-elle en émergeant.
— « Ta patte, il la prévint pour poursuivre l'examen.
— Tout le monde se dit bonjour avec sa langue, c'est très bien! Ça fait pas mal du tout! ...

"Pas mal du tout", il nota dans un coin de sa tête, à côté du "pique-picotement des aiguillons", et Braise poursuivit:

Sauf quand Bec décide de trop dire bonjour et lèche beaucoup trop fort et même des fois je suis sûre qu'il utilise ses crocs!
— Ses crocs! »

Ah. Ceci explique cela - Bec n'avait pas la capacité d'utiliser ses crocs en léchant à cause de sa malocclusion dentaire (à la pensée Coup de Foudre claqua distraitement ses dents ensemble en se soulageant de la droiture des siennes). Sa langue débordait de sa bouche, aussi à chaque lapée elle devait même les couvrir. Mais dire "c'est impossible" ou expliquer la logique derrière son raisonnement à Braise l'irraisonnée serait un gaspillage énergétique, alors Coup de Foudre sauta directement à la conclusion - ou plutôt, l'aida à marcher avec lui vers celle-ci:

— « Tu es sûre? Tu as déjà vu Bec les sortir? Car en pesant ma patte sur toi, je n'ai vu aucune marque de crocs.

Et maintenant qu'il la regardait, la "douleur" qu'il lui avait suscitée de sa patte semblait avoir été complètement oubliée, tout comme la "brûlure" de la neige sous ses coussinets. Des "pics" de douleur intenses, qui s'amoindrissaient ensuite. ... Et lui? Il ne pouvait même pas dire si Braise avait encore sa patte sur lui, et il ressentait à peine le froid de la neige sur son ventre ou les flocons sur son nez...