On n'en fait plus, des comme-ça (avec Nuage d'Emeraude et Nuage du Renard) - end

La nuit est noire, mais la lune – bien ronde dans le ciel – éclaire suffisamment le camp de la Rivière pour que Nuage du Renard voit plus loin que le bout de son museau rose. Une patrouille est partie aux Quatre Chênes un peu plus tôt dans la soirée, emportant avec eux les guerriers les plus disposés à disputer les apprentis tapageurs tels que Nuage du Renard et Nuage Gris. C'est pourquoi le rouquin n'a pas hésité une seule seconde à mettre en place une toute nouvelle bêtise : enquiquiner le premier apprenti qui va entrer ou sortir de leur tanière. Pour se faire, les deux frères se sont dissimulés dans les ténèbres du camp, suffisamment proche de la tanière pour y avoir les aller et venu de leurs camarades mais assez loin pour ne pas que leur odeur les trahissent. Accroupi dans la pénombre, le regard brillant, la queue du rouquin s'agite dans son impatience. Il a encore passé une journée entière à faire ses corvées d'apprenti, il a désormais plus que hâte de s'adonner à son activité favorite : les bêtises en tout genre. Et en compagnie de son acolyte de toujours, bien évidemment. Les farces n'ont pas la même saveur sans Nuage Gris.

Il ne saurait dire pourquoi, mais lorsqu'il traîne avec son frère, Nuage du Renard a l'impression d'être le plus fort, le plus intelligent. Sentiments qu'il ne ressent pas en compagnie du reste de sa fratrie, et surtout avec Nuage Orangé qui semble prendre un malin plaisir à toujours le prendre de haut. Mais qu'à cela ne tienne, la petite reine ne restera pas perchée sur son trône bien longtemps. Nuage du Renard compte bien lui prouver qu'il la surpasse en tout et qu'il vaut bien mieux qu'elle. Mais pour l'heure, concentrons-nous sur cette nouvelle bêtise. Elle risque d'être grandiose !

On attaque le premier qui passe, hein ? Et... Tu prends les oreilles ou la queue ?

Les oreilles ! Comme ça tu le prends de revers et il ne va rien comprendre !

Tu penses que le prochain qui passe, il va entrer, ou sortir ?

Je dirais qu'il va sor- Nuage d'Emeraude ! A l'attaque !

Ni une ni deux, Nuage du Renard bondit hors de sa cachette et se plante devant sa camarade de tanière, lui donnant aussitôt un coup de patte amicale à l'oreille – les griffes rentrées, bien évidemment. Son but n'est pas de mutiler l'apprentie, seulement de lui faire la peur de sa vie ! La chatte rousse a beau être son aînée, ce n'est pas ce qui compte arrêter le vilain garnement. Bien au contraire même, il semble prendre un malin plaisir à tourmenter les plus âgés, afin de leur montrer qu'il a plus qu'un tour dans son sac. Nuage d'Emeraude ne va sûrement pas apprécier leur petite embuscade mais à deux contre un, que compte-t-elle faire, mise à part réclamer leur grâce ?

Nuage d'Émeraude eut juste le temps d'entendre un discret À l'attaque ! avant qu'un éclair roux n'envahisse son champ de vision et lui attaque gentiment l'oreille. Coupée dans l'élan de sa marche, l'apprentie se stoppa net et émit un grognement, à la fois surprise et énervée que quelqu'un vienne entraver son seul souhait : aller dormir. Elle avait encore passé la journée à s'entraîner durement ; l'imminence de son baptême de guerrière la stressait et elle redoublait d'efforts afin d'être sûre d'être prête le jour J. Elle ne décevrait personne, et surtout pas elle-même.
C'est pourquoi il n'y avait pas de place pour le moindre écart dans sa routine, qui se composait basiquement de manger, de s'entraîner, parfois de passer un peu de temps avec Fierté du Blaireau, et de dormir. Quoi qu'il en soit, il n'y avait aucun espace pour Nuage Gris et Nuage de Renard, les deux frères insupportables, dont le baptême d'apprentis n'avait pas changé l'attitude. À croire qu'à six lunes passées, ils conservaient leur mentalité de chaton de deux mois.
Lassée par avance du temps perdu que les deux garnements allaient lui imposer, Nuage d'Émeraude déclara d'un ton las :

« Qu'est-ce que vous me voulez, encore ? »

Elle avait l'intention d'écourter cette rencontre au maximum ; mais connaissance les frérots, et particulièrement le gris, qui l'avait provoquée alors qu'il n'était encore qu'un chaton, ce ne serait pas une mince affaire.

La queue haute, les moustaches frémissantes, Nuage du Renard semble prendre un plaisir presque malsain à tourmenter sa camarade de tanière. Pourtant, cette dernière n'a pas vraiment l'air ravie de leur attaque combinée et se contente de leur demander ce qu'ils veulent. Quelle question ! L'embêter, bien sûr. Pourquoi les autres apprentis oublient à quel point il est important de s'amuser, même une fois sortie de la pouponnière ? Le jeu n'est pas une activité seulement réservé aux chatons. D'ailleurs, cela leur permet d'améliorer un peu leurs compétences de combat sans pour autant se mettre en situation de bataille. Ce que Nuage du Renard cherche en enquiquinant Nuage d’Émeraude, c'est voir de quoi est capable une apprentie plus âgée que lui. Selon la logique, son entraînement est plus avancé et elle devrait avoir des réflexes qu'il n'a pas encore. Or, s'il est capable de gagner contre elle, ce serait la preuve qu'il est plus fort encore que les apprentis plus expérimenté ! Bon, Nuage Gris est là en soutien, mais Nuage du Renard compte bien faire le travail tout seul. Son frère peut le comprendre ça, n'est-ce pas ?

Rends-toi ! Rends-toi et dis-nous que... Que t'es tellement pas forte que même les poissons je suis sûr ils te font peur !

Ouai ! Et que tu es faible face à nous ! Rends-toi !

Aplatissant son torse contre la terre meuble du camp, Nuage du Renard prend appuie au sol avant de bondir sur l'apprentie, cherchant à atterrir sur son dos afin de la renverser au sol. Bien évidemment, il fait en sorte de ne pas faire mal à Nuage d’Émeraude. Son but n'est pas de la blesser, seulement de la mettre hors d'état de nuire. Un jeu idiot de chatons tout aussi idiots, mais qui a dit que Nuage Gris et Nuage du Renard étaient matures ? Ils ont beau avoir dépassé les six lunes, ils restent deux garnements toujours prêts à faire les quatre cent coups au sein du camp. Pour le plus grand malheur des membres du Clan de la Rivière !

Il ne fallut pas longtemps à Nuage d'Émeraude pour comprendre ce que tramaient les deux frères. À vrai dire, il fallait être idiot ou tout à fait aveugle et sourd pour ne pas comprendre ce qu'ils avaient en tête. Depuis leur naissance, ils trainaient toujours ensemble, et c'était toujours pour se jouer des autres. Oh, ils n'avaient pas un fond méchant, loin de là ; il valait mieux avoir deux Nuage Gris et deux Nuage de Renard qu'un seul Griffe de Tigre, celui dont les légendes racontaient l'ascension néfaste. Mais s'ils n'étaient pas foncièrement mauvais, Nuage Gris et Nuage de Renard étaient sincèrement agaçant, voire épuisants, terme que la rouquine n'avait pu comprendre qu'en les côtoyant au quotidien. Elle bénissait chaque journée qui la tenait éloignée d'eux, et maudissait les circonstances du destin qui l'en approchait. Ce jour-là, semblait-il, était un jour à maudire.
Tandis que Nuage Gris aplatissait sa queue au sol et lui dégotait un coup d'épaule qui, s'il ne la fit pas vraiment chanceler, l'agaça au plus haut point, son frère, le rouquine tigré, Nuage de Renard, s'abaissa avant de sauter sur son dos. L'attaque ne fut ni virulente, ni vraiment surprenante - Nuage d'Émeraude arrivait à la fin de son entraînement et était très douée dans ce qu'elle faisait - mais le poids de l'apprentie la fit tout de même vaciller, et le fait que Nuage Gris maintienne sa queue au sol la désarçonna l'espace d'un instant, comme si elle ne savait plus se tenir debout. Mais l'agacement, la vexation et l'envie d'en finir avec ces deux insupportables matous furent les plus fortes.

Dans un excès d'adrénaline, elle bondit et se libéra d'un coup de l'entrave de Nuage Gris sur sa queue et du poids de Nuage de Renard sur son dos. Elle vit le petit lâcher sa prise et l'autre s'éloigner légèrement d'elle, craignant sans doute une récidive : la dernière fois que Patte Grise était venu se frotter à elle, il n'en était pas vraiment sorti victorieux. Sans doute le Nuage Gris qu'il était désormais s'en souvenait-il encore.
Une fois libre de ses mouvements et pas moins furieuse, Nuage d'Émeraude se planta devant les deux petits apprentis et, le pelage gonflé, prêt à se hérisser, elle cracha, un grondement menaçant s'échappant de sa gorge.

« Je n'en peux plus de vous deux ! Si vous souhaitez rater votre entraînement parce que vous préférez brasser du vent au camp, grand bien vous fasse ! Mais laissez-moi vivre en paix ! Ne vous approchez plus de moi ! »

Elle aurait donné n'importe quoi pour que les deux garnements ne s'approchent plus d'elle, l'ignorent, fassent comme si elle n'existait pas. Quelles plaies ils représentaient !
Pour s'assurer qu'ils la laisseraient bel et bien tranquille, elle lança un coup de patte dans leur direction, qui se stoppa net devant leurs deux museaux. La griffe bien acérée, elle voulait ainsi leur signifier qu'un mouvement de plus contre elle, et ils se verraient infliger une sérieuse griffure sur la truffe - de celles qui étaient douloureux et difficilement soignables.