Les derniers instants d'un chef. - Libre - END

Les Derniers Instants d'un Chef

TONNERRE
LUNE 46

La journée était froide, et elle avait été appelée à patrouiller, c'est à dire marcher beaucoup trop lentement à son goût, ce qui faisait que ses pattes prenaient froid encore plus. Coup de Foudre avait beau lui avoir fait comprendre que la neige ne brûlait pas réellement, et que force était de constater que ses coussinets ne présentaient jamais des traces de brûlures, il restait que la neige était fréquemment désagréable, voire douloureuse, surtout quand elle ne pouvait pas courir et jouer autant qu'elle le voulait. C'était à se demander comment elle faisait pour chasser et traquer ses proies - mais elle avait appris à utiliser les arbres à son avantage, et pour éviter de se geler les pattes. Malheureusement, elle ne pouvait pas faire ses patrouilles du haut des arbres, ou en tout cas, pas lorsque c'était Patte Noire qui guidait la patrouille. Autant dire que la ronde n'avait pas été des plus amusantes, et qu'elle était bien contente de rentrer au campement pour que Nuage de Bec lui réchauffe les pattes.

Mais pourtant, à peine entrée dans la tanière des apprentis, pour voir si son frère y était, qu'elle dû en sortir: on appelait une assemblée. Busard Cendré, le lieutenant, s'y tenait, avec la mine encore plus sombre qu'à l'habitude (ce qui était déjà difficile à battre). À l'exemple de ses compatriotes, Nuage de Braise s'assit bien sagement, ou du moins, autant qu'elle le pouvait, considérant qu'elle devait piétiner sur place pour redonner un peu de chaleur à ses extrémités. Elle arrêta pourtant bien sec tout mouvement lorsque Busard Cendré laissa tombé le verdict: Étoile du Vautour les avait quitté. Où était-il parti? Ça semblait être quelque part de loin, et pour longtemps, si tout le monde était aussi triste. Car maintenant, ce n'était plus seulement le lieutenant qui l'était: tout plein de cris jaillissaient de partout, des lamentations, de la tristesse. Comme quand Nuit Hivernale était également partie, sauf qu'il n'y avait pas de colère dans les voix, cette fois. Peut-être qu'Étoile du Vautour était partie la rejoindre - et s'excuser de lui avoir dit de partir en "exil".

Ce n'est que bien longtemps après, lorsqu'on amena le corps du meneur à l'extérieur, que Nuage de Braise comprit qu'il n'était pas vraiment "parti", qu'il était encore ici, mais que, comme Mirage du Désert, il allait dormir pour toujours. Son sommeil lui amenait évidemment moins de peine que lorsqu'elle avait comprit que la femelle dorée qui était si drôle et gentille ne se relèverait pas, puisque Étoile du Vautour n'était pas drôle (mais elle ne savait pas s'il était gentil), mais son coeur demeurait lourd. Comment continuer à vivre, si du jour au lendemain, des êtres disparaissaient comme ça sans prévenir? Un jour ils étaient là, et l'autre, ils dormaient, ou s'exilaient, ou se faisaient enlever, ou trouvaient quelque chose de mieux à faire et ne revenait plus jamais. Évidemment, dans le cas du chef, tout le monde avait vu les signes avant-coureur, car le Mal Vert n'avait pas manqué de l’affaiblir. Mais pas elle, jamais elle. Il finissait par devenir épuisant de tout apprendre à retardement, lorsque tout était finit, lorsqu'il était trop tard, et qu'elle devait voir la peine sur le visage de tout le monde avant de comprendre que quelque chose n'allait pas. Alors pour l'une des rares fois de sa vie, elle préféra se retirer à l'extérieur du campement, le coeur gros.