Faiblesse (avec Nuit Bleutée) - end

Il y avait dans le monde un endroit parmi tous les autres dans lequel Crocs Nacrés avait longtemps espéré qu'il ne se rendrait plus jamais. Et cet endroit, c'était le territoire du Clan du Tonnerre. Mais lorsque les temps qui couraient étaient noirs à ce point, on ne pouvait pas fuir d'aussi sombres cauchemars. On s'y abandonnait au contraire. On abandonnait tout court.

Crocs Nacrés, pour sa part, s'était mis en tête que le pire était arrivé, et que si sa fille avait disparu, c'était parce que le Clan du Tonnerre était revanchard. Ces terres maudites dans lesquelles le tigré ne se sentait pas chez lui, avant l'hiver, avaient été le théâtre d'une bataille terrible. La mère du guerrier, Tache d'If, principale responsable de ce conflit, avait perdu la vie de ses suites. A cause de cette fameuse Guêpe Sauvage qu'ils avaient essayé de prendre en otage.

Forcément, les écureuils avaient voulu prendre leur revanche. S'attaquer à l'une des leurs. La maltraiter. Nuage d'Alizé.

Il avait l'impression que tout ceci était logique. Cruel, mais fatal. Mais mêler à ce conflit Nuage d'Alizé serait la pire crime que puissent commettre les écureuils. Elle qu'il savait si douce, si serviable, elle qu'il voyait si bien devenir une belle et formidable guerrière. Ils n'avaient pas le droit de s'attaquer à elle. Et c'était stupide. Il essaierait de le leur expliquer.

Malgré tout, cela n'avait rien de bien judicieux pour un Venteux comme lui de franchir tout à fait les frontières de ce Clan responsable de la plupart des blessures qui cicatrisaient sur son corps. Rares étaient les écureuils qui ne prendraient pas cette intrusion pour une provocation ou une menace.

Il eut de la chance, sans doute, que le premier guerrier qu'il rencontre soit Nuit Bleutée. Et seul.

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Après avoir magnifiquement bien évité Boule de Chaleur, à l'aide d'un détournement de tête parfaitement bien réalisé suivi d'une marche rapide mais très silencieuse jusqu'aux lisières du camp, —non pas qu'il n'aimait pas le chaton mais aujourd'hui il ne se sentait pas d'humeur à jouer ou même discuter avec le jeune matou—. Il traversa donc la sortie de son camp, sentier battu par des milliers de pattes à travers les âges, et s'enfonça dans les bois de son territoire, le soleil perçant à travers les feuilles et réchauffant sa fourrure ébène. C'était typiquement le genre de temps que Nuit Bleutée appréciait : le soleil le réchauffait quasiment continuellement, et ça le mettait de bonne humeur à effectuer tout type de tâche (à l'exception de jouer avec Boule de Chaleur, vous l'avez compris).

Soudain son nez le piqua légèrement. Une odeur non familière à la forêt, pensa le matou sombre avant de lever le museau d'essayer de détecter la provenance de cette odeur. C'était proche, très proche même, et ça se dirigeait droit dans sa direction, et donc accessoirement vers son camp. Une autre attaque ? envisagea Nuit Bleutée en se retenant de sortir les griffes. Il devait d'abord avoir le cœur net de ce qui s'approchait de lui. Alors; il contourna sans un bruit la source de l'odeur et sentit son passage à quelques buissons sur sa gauche.

« Un chat. » s'étonna le félin. Cela l'étonna que l'étranger ne l'ait pas senti, mais la forêt était réputée pour être remplie d'odeurs relativement partout. Les chats du Clan du Tonnerre étaient quasiment indétectables dans leur territoire, mais pas à ce point là. Soit il ne l'avait vraiment pas senti et se dirigeait vers le camp pour une raison inconnue, soit il avait quelque chose de bien plus important à faire que de chercher à détecter un chat du Tonnerre. Mais que faisait-il ? Il ne sentait pas d'hostilité.

Quoi qu'il en soit il devait l'arrêter.

- Halte là ! entonna le matou sombre pour faire comprendre qu'il ne plaisantait pas. Il sortit des buissons et se planta droit devant l'étranger la queue battante. On voyait bien qu'il était énervé, à la seconde où il avait reconnu un chat du Vent mais se retenait pour ne pas lui sauter dessus. Chaque félin avait le droit d'être écouté. J'attends une bonne raison de ne pas courir alerter le camp d'une attaque. D'une autre attaque. Nuit Bleutée grogna en prononçant cette dernière phrase.

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" Halte là ! " le héla-t-on, quelque part. Il s'arrêta, crispé, espérant ne jamais avoir à adresser un mot au responsable direct de la disparition de sa fille, et leva une oreille, tourna la tête, pour voir s'approcher de lui un guerrier-écureuil au pelage noir. Ces odeurs étrangères mettaient le tigré bien mal à l'aise. Lui qui dans les landes se situait d'une simple reniflade, dans la forêt, se méfiait de tout. Les mystères étaient nombreux et redoutables, il le savait. " J'attends une bonne raison de ne pas courir alerter le camp d'une attaque. D'une autre attaque. "

Fort heureusement, le Clan du Vent aussi, avait ses secrets. Un guerrier des landes seul et exposé, ce n'était pas forcément bon signe pour un agresseur ou un belliqueux. Nombreux avaient été les ennemis qui, en les voyant fuir, les avaient poursuivis pour tomber dans une embuscade. Désormais, il n'ignorait pas que tous se méfiaient. Celui-là comme les autres. C'était un de ces atouts passifs que l'on gardait précieusement et qui vous aidait bien, lors de face-à-face comme celui-ci.

" Si tu veux partir, vas-y donc. Je viens juste poser une question. " rétorqua Crocs Nacrés, dont le regard comme toujours semblait vide. Sa parcimonie en détails avait quelque chose d'arrogant, ce jour-là. Il se devait de signifier qu'il n'avait pas peur, et qu'il garderait quoi qu'il arrive la tête haute.

" Tu m'as l'air un peu jeune pour pouvoir y répondre par toi-même. " précisa-t-il, trop énigmatique, trop placide, mais sans réelle agressivité dans le comportement.

Parce qu'au fond, il s'imaginait aussi facilement sa fille captive que les menaces qui le ligoteraient peut-être. S'il ne se faisait pas découper en morceaux à cet endroit même.

Les recherches de Crocs Nacrés avaient été longues et frustrantes, car veines. Il n'avait dans cet hiver lointain pas trouvé le moindre signe de vie de Nuage d'Alizé. Et il avait pourtant cherché. Persévéré. Et ce jour-là, sans doute, abandonnait-il un peu, refusait-il de croire qu'elle soit simplement perdue quelque part. Des griffes et des crocs la retenaient. Cette lâche certitude le rendait déraisonnable. Au point de s'imaginer qu'il avait vraiment une chance de convaincre le Vautour de relâcher sa fille, seul en terre ennemie.

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- Si tu veux partir, vas-y donc. Je viens juste poser une question. répliqua le matou venteux.

- Et bien vas-y, pose la m.., commença Nuit Bleutée.

- Tu m'as l'air un peu jeune pour pouvoir y répondre par toi même, le coupa l'étranger. Le guerrier du Tonnerre fouetta l'air de sa queue, agacé. Quelque chose le retenait de sauter sur la gorge du chat pour la lacérer. Et ce n'est pas comme si le comportement détaché, blasé de ce dernier arrangeait les choses. Nuit Bleutée était énervé, bien que cela soit rare.

- Quoi ? Tu vas demander à mon Clan si on est prêts à essuyer une autre attaque ? Non attend, tu vas nous demander si on capture les chatons pour les manger ? Répliqua froidement Nuit Bleutée en repensant à ce que lui avait dit Nuage Gris. Et, sans s'en rendre compte, il venait certainement de faire croire au guerrier qu'il savait quelque chose à propos de Nuage d'Alizé.

Non mais pour qui il se prenait, ce guerrier ? Leur réputation auprès des autres Clans était tellement basse qu'ils étaient convaincus que ils ne savaient plus se défendre en cas d'intrusion ? C'était hors de question. Nuit Bleutée se battait déjà pour que leur réputation de chats malfaisants et dangereux disparaisse (il était prêt à risquer gros pour ça), mais qu'un chat pénètre sur leur territoire pour une question, c'était de la provocation pure et simple.
Sa fourrure se hérissa légèrement et il sortit imperceptiblement ses griffes.

- Soit tu me poses ta question maintenant, soit tu ne la poses à personne et tu déguerpis dans les dix secondes. annonça Nuit Bleutée tout en fixant Crocs Nacrés dans les yeux, lui laissant dix secondes pour faire un choix très simple. Il était trop jeune pour répondre, hein ? Bah tant pis pour lui. Il voulait une réponse ? Il se contenterait de celle du guerrier du Tonnerre.

L'autre, de toute évidence, se sentait insulté et provoqué. Il tentait de lui montrer sa colère, sa désapprobation. Crocs Nacrés était mort d'inquiétude à l'idée de surprendre la moindre lueur narquoise dans son regard, indiquant que peut-être, ce satané noiraud savait exactement ce qu'il s'apprêtait à lui demander. Mais il n'y avait rien. Toujours rien. Pas une piste, pas un indice, rien. C'était à devenir fou.

" Quoi ? Tu vas demander à mon Clan si on est prêts à essuyer une autre attaque ? Non attend, tu vas nous demander si on capture les chatons pour les manger ? " lança finalement l'autre. Et pour la première fois il y eut vraiment quelque chose. Cette ironie qu'il cherchait en espérant ne jamais la trouver. La haine envahissait Crocs Nacrés tout entier, tandis qu'il restait immobile, à se murmurer dans sa tête qu'il fallait qu'il reste calme, et qu'il obtienne plus d'informations.

Ils n'oseraient pas manger sa fille. Ni la tuer. C'était bien trop idiot, même pour ces sauvages. Capturer une apprentie du Clan du Vent, ça revenait à rouvrir les hostilités, ça annonçait probablement une guerre pour le printemps à venir, ce n'était pas un acte anodin. Bouillonnant, peinant à conserver son sang-froid, retournant l'"information" à toute vitesse dans sa pauvre caboche fatiguée, Crocs Nacrés ne faisait rien, alors même que cette passivité lui était insupportable. Rien d'autre que de lever légèrement la tête, et de regarder un peu plus attentivement son odieux interlocuteur.

" Soit tu me poses ta question maintenant, soit tu ne la poses à personne et tu déguerpis dans les dix secondes.
- On va faire autrement, petit. " rétorqua Crocs Nacrés, sûr de lui comme il fallait l'être aux heures les plus graves.

" Vois-tu, je m'appelle Crocs Nacrés. " Il espérait quelque part que ces brutes n'aient pas forcé sa fille à dire de leur clan tout ce qu'elle savait, mais si c'était le cas, on le reconnaîtrait. Tant mieux si on ne le connaissait pas. " Je me laisserai volontiers tuer, par n'importe qui des vôtres, vous pourrez m'humilier si ça vous chante, ou me garder captif, vous pourrez faire de moi ce que vous voulez, je n'essaierai ni de m'enfuir ni de vous tromper. "

Il essayait d'être vendeur, mais au fond, qu'avaient ces sauvages à faire de lui ? Et comment pourrait-il jamais croire qu'ils seraient honnêtes.

" Mais j'exige une chose, c'est que vous laissiez partir Nuage d'Alizé immédiatement. "

Il eut vite, après ces mots, l'impression que son marché était si déraisonnable, que son éloquence était si piètre, qu'il n'obtiendrait jamais ce qu'il voulait. Aussi tenta-t-il d'en rajouter un peu :

" C'est avantageux, pour vous. Elle est jeune et inoffensive. Pas moi. Elle est une bouche à nourrir, et je suis un chasseur. Mais libérez-la vite. "

Il n'était pas convaincant car il était inexpressif. Il se contenait et ne dégageait pas grand-chose. Il restait trop mystérieux, même quand il vous parlait, pour que l'on puisse vraiment croire le connaître. Au fond, il n'imaginait pas une seconde que ça serve à quelque chose de mettre du sentiment dans sa requête. Au contraire, ces monstres risquaient de croire que leur seul crime les mettait en position de force bien plus que n'importe quel échange.

- On va faire autrement, petit. Nuit Bleutée grogna relativement fort. Vois tu, je m'appelle Crocs Nacrés. Je me laisserai volontiers tuer, par n'importe qui des vôtres, vous pourrez m'humilier si ça vous chante, ou me garder captif, vous pourrez faire de moi ce que vous voulez, je n'essaierai ni de m'enfuir ni de vous tromper.

Nuit Bleutée haussa l'arcade sourcilière. Outre le fait que Crocs Nacrés pensait effectivement que le Clan du Tonnerre était un clan de monstres sanguinaires lui donnait envie d'arracher ses oreilles au matou, il semblait maintenant qu'il était réellement déséspéré. Comme si... Comme si quelque chose d'important clochait chez le guerrier. Oh, mais il le savait, Nuit Bleutée, ce qui clochait chez Crocs Nacrés. Crocs Nacrés était assez stupide pour croire qu'il n'était pas capable de l'attaquer sur le champ si il continuait à sous entendre que le Clan du Tonnerre était capable de prendre plaisir à humilier un chat. Non mais c'était quoi son problème, à ce vieux guerrier ronchon à l'égo visiblement un peu trop surdimensionné ? "On va faire autrement, petit." Cette phrase avait beaucoup agacé Nuit Bleutée.

- Mais j'exige une chose, c'est que vous laissiez partir Nuage d'Alizé immédiatement.

Nuage d'Alizé ? C'était qui ça ? Et surtout qu'est-ce que cette phrase signifiait ? Nuit Bleutée fronça le museau en réfléchissant très vite. C'était un test ? Un test pour voir comment il allait réagir, ou voir si il connaissait quelqu'un qui comptait pour Crocs Nacrés ? Peu importe comment se goupillait l'information dans le cerveau de Nuit Bleutée, la conclusion était toujours la même et donnait une raison de plus au guerrier d'attaquer le venteux : Il se foutait de lui et ne le respectait pas, comme tous les Clans avaient fait jusqu'à maintenant à l'égard des siens. Mais à quoi bon chercher le conflit avec Crocs Nacrés ? Si Nuit Bleutée se battait avec le premier venu, cela ne ferait que confirmer les dires des autres Clans, et c'était pour contredire cela qu'il se battait.

- C'est avantageux, pour vous. Elle est jeune et inoffensive. Pas moi. Elle est une bouche à nourrir, et je suis un chasseur. Mais libérez-la vite.

En quoi cela était-il avantageux de capturer un autre chat ? Était-ce effectivement un test de Crocs Nacrés ? Voir si ils étaient vraiment capables de faire ça, voir si Nuit Bleutée était capable de capturer le guerrier pour libérer un autre chat fictif ? Hmpf. Il ferait mieux de l'attaquer sur le champ et de lui enfoncer dans l'esprit que plus jamais il ne dirait du mal du Clan du Tonnerre ouvertement ;

Ou alors ...

Ou alors Crocs Nacrés était vraiment désespéré, au point d'aller demander à ses ennemis directs si ils savaient quelque chose à propos d'un être qui lui était cher, qui avait disparu. Et si c'était le cas, Nuit Bleutée avait sans le faire exprès fait croire au guerrier qu'effectivement, ils savaient quelque chose, et ça ne faisait que confirmer les dires que les guerriers du Tonnerre étaient des monstres.

Mais ça n'était pas vrai. Ils n'étaient PAS des monstres. Sans s'en rendre compte, l'hostilité de Nuit Bleutée s'était dissipée. Sa fourrure s'était dégonflée, et ses griffes étaient rentrées. Crocs Nacrés était un chat dans le besoin. Au diable ce que dirait son clan, même si il était son ennemi, Nuit Bleutée devait au moins lui faire savoir qu'il n'avancerait à rien en étant sur son territoire.
Mais un problème s'imposait: Crocs Nacrés pensait que le Clan du Tonnerre avait capturé cette Nuage d'Alizé, alors que c'était totalement faux.

- Je.. Il devait faire attention à bien choisir ses mots, si il ne voulait pas que Crocs Nacrés se rue dans le camp pour chercher Nuage d'Alizé et provoque une autre guerre. Je n'ai jamais entendu parlé d'une Nuage d'Alizé, et le Clan du Tonnerre ne penserait jamais à capturer un chat d'un autre Clan. Je te le jure, Crocs Nacrés, que nous n'avons rien à voir là dedans. Le “Là dedans” pouvait désigner plein de choses, que Nuit Bleutée ignorait. Il plongea son regard bleuté dans celui vide du guerrier venteux. Je te le promets. affirma-t-il d'un ton solennel et sincère, qu'il était rare de voir chez un félin de son âge mais Crocs Nacrés pouvait-il seulement le croire ? Lui, son plus grand rival ?

L'autre en face avait l'air de réfléchir. Mais qu'il pense, qu'il rigole, qu'il hurle de joie, qu'il se donne un faux air attristé ou même qu'il l'insulte, Crocs Nacrés s'en moquait, et n'aurait, pour rien à monde, décomposé son air imperturbable. Venant de kidnappeurs de chatons et d'assassins, jamais le moindre mot n'aurait pu l'atteindre à cette minute, à l'exception peut-être d'un mot concernant sa fille disparue.

" Je... Je n'ai jamais entendu parlé d'une Nuage d'Alizé, et le Clan du Tonnerre ne penserait jamais à capturer un chat d'un autre Clan. Je te le jure, Crocs Nacrés, que nous n'avons rien à voir là dedans. Je te le promets. " finit par risquer son interlocuteur. Il écoutait, il analysait, il cherchait un indice, un aveu, quelque chose d'involontaire. Et il comprit que ce gamin ne l'aiderait en rien. Jamais.

" Je me doute bien, tu sais, que tu es trop jeune et pas assez courageux pour prendre la décision toi-même. " rétorqua le guerrier, glacial au possible. " Mais mentir comme tu le fais, c'est trop tard, ça ne sert plus à rien, tu as déjà avoué. Alors à ta place, je foutrais le camp et je ferais semblant de ne m'avoir jamais rencontré. Avec un peu de chance, on te croira, qui sait. C'est à ton chef qu'il faut que je parle. "

Crocs Nacrés allait reprendre, sourd, buté, suicidaire, sa marche vers le camp du Tonnerre. Enfin, et pour la première fois, il avait une piste, un indice. Le plus néfaste des signes peut-être, mais quelque chose quand même. Quelque chose qui n'était pas rien. Il était épuisé et ses pattes étaient gelées par cette longue recherche dans l'hiver glacé, mais tous ses efforts aboutissaient.

Son seul regret était en fait de ne pas avoir soupçonné aussitôt les écureuils. D'avoir cherché une journée entière en terres neutres. Que de temps perdu. Que de souffrances inutiles pour sa pauvre Alizé.

" Il doit avoir l'habitude, tu crois quoi. C'est son sport favori, au Vautour, d'enlever les petits. Il était déjà le lieutenant d'Etoile de Suie, à l'époque, hein. On n'oublie pas. Et je me doutais bien que vous ne vous contenteriez pas de me tuer ma mère, de mutiler ma cousine et d'agresser mon apprenti. Je commence à vous connaître. "

Ses blessures multiples, vestiges du combat qui l'avait opposé à Raton Laveur avant l'hiver, en témoignaient assez. Elles parlaient même bien plus que ses yeux vides et sa voix monotone. Oh, la haine, il la sentait, il la redécouvrait, elle le faisait trembler de l'intérieur, mais étonnamment, elle ne s'échappait pas de lui. Elle se contentait de le faire bouillir en profondeur, de provoquer peut-être quelques hallucinations délirantes et de le rendre un peu plus sourd encore à ce monde qui l'entourait.

- Je me doute bien, tu sais, que tu es trop jeune et pas assez courageux pour prendre la décision toi-même. Mais mentir comme tu le fais, c'est trop tard, ça ne sert plus à rien, tu as déjà avoué. Alors à ta place, je foutrais le camp et je ferais semblant de ne m'avoir jamais rencontré. Avec un peu de chance, on te croira, qui sait. C'est à ton chef qu'il faut que je parle.

Nuit Bleutée ferma les yeux et inspira profondément pendant de longues secondes. Crocs Nacrés ne voulait rien entendre. C'était une preuve de stupidité indéniable, il avait entendu UNE seule chose sortir de la bouche de Nuit Bleutée, lors d'une réplique ironique après qu'il ait été "rabaissé". Il allait se baser sur cette unique chose pour retrouver Nuage d'Alizé ? Vraiment ? Alors que Nuit Bleutée lui annonçait avec toute la sincérité et l'honnêteté du monde que jamais ils n'avaient capturé l'apprenti du venteux ? Soit Crocs Nacrés était effectivement stupide, soit il était suffisamment désespéré jusqu'à aller s'accrocher à la moindre lueur d'espoir, prêt à risquer le tout pour le tout sur une théorie basée sur du rien.

- Il doit avoir l'habitude, tu crois quoi. C'est son sport favori, au Vautour, d'enlever les petits. Il était déjà le lieutenant d'Etoile de Suie, à l'époque, hein. On n'oublie pas. Et je me doutais bien que vous ne vous contenteriez pas de me tuer ma mère, de mutiler ma cousine et d'agresser mon apprenti. Je commence à vous connaître.

- Étoile du Vautour est mort. répliqua sèchement Nuit Bleutée, son opinion sur Crocs Nacrés venant de se forger sur l'instant même. Il barra la route au guerrier, une lueur fauve pointant au fond de ses yeux océans, ses griffes sorties, les muscles crispés. Il ne laissa aucune seconde de réflexion au venteux par rapport à Étoile du Vautour et, ses pupilles réduites à des fentes prédatrices, menaca d'une voix qui traduisait parfaitement sa colère le guerrier.

- Tu ne parleras plus jamais de moi et du Clan du Tonnerre ainsi, Crocs Nacrés. Pas tant que tu seras sur notre territoire. Écoute moi bien, le Clan du Tonnerre a un passé très sombre, il est vrai, mais il fait tout pour essayer de changer. Peut-être pas pour chaque chat, peut-être certains n'en-ont-ils absolument rien à battre de l'amour et aiment faire du mal, mais pour moi c'est différent, et jusqu'à ma mort, je serais loyal à ce Clan qui m'a nourri et m'a logé même dans les jours le plus sombres. Et, tant que tu seras sur ce territoire tu ne parleras en aucun mal du Clan du Tonnerre. Lâcha férocement Nuit Bleutée en soutenant le regard de Crocs Nacrés sans une hausse de peur. C'était son cœur, qui parlait. Et tu apprendras que, même un chat "pas courageux" peut se montrer violent si tu insultes ses origines.

Il grogna et montra les crocs, le souffle court. C'était dit. Peut-être pas tout, c'est vrai, mais c'était dit. Il ne supportait pas que l'on dise ouvertement du mal de son clan comme cela. Un autre dérapage de Crocs Nacrés et ça risquait très fortement d'en arriver aux griffes entre les deux guerriers, et dans ce cas là, ce serait à qui rentrerait le premier à son camp pour annoncer que les hostilités reprennent. Et une autre guerre, ça n'était le souhait ni de Nuit Bleutée ni de Crocs Nacrés.

- Je suis prêt à t'écouter, si tu as des requêtes. Mais tu ne les poseras pas à Étoile de Cendre, il a plus important à faire comme réparer le camp d'une attaque.

Il se calma à nouveau. Cela valait-il le coup de laisser une autre chance à Crocs Nacrés ? Il avait clairement laissé entendre qu'il n'en avait rien à faire du Clan du Tonnerre et tout ce qu'il voulait c'était retrouver Nuage d'Alizé.

- Je ne cherche pas le conflit avec toi, Crocs Nacrés. J'aimerais t'aider à retrouver Nuage d'Alizé, si je le pouvais, mais je ne peux pas si tu restes convaincu que c'est nous qui l'avons capturée. Finit finalement Nuit Bleutée. Il avait encore éviter de peu le conflit, préférant à nouveau tenter de raisonner le guerrier, mais tout dépendrait de la réaction de Crocs Nacrés. Allait-il vouloir l'écouter ? Ou allait-il rester bouché et convaincu que le Clan du Tonnerre était des mangeurs de chatons ?

" Étoile du Vautour est mort. " annonça le noiraud, pour le couper.

Ce que ça changeait, Crocs Nacrés n'en savait rien, et surtout, il ignorait comment, pourquoi, quand ce meneur ennemi qui les avait repoussés jadis avait pu trouver la mort. Mais que le kidnappeur soit un vautour un quelconque autre oiseau importait peu. Crocs Nacrés lui reprendrait quand même Nuage d'Alizé.

" Tu ne parleras plus jamais de moi et du Clan du Tonnerre ainsi, Crocs Nacrés. Pas tant que tu seras sur notre territoire. Écoute moi bien, le Clan du Tonnerre a un passé très sombre, il est vrai, mais il fait tout pour essayer de changer. Peut-être pas pour chaque chat, peut-être certains n'en-ont-ils absolument rien à battre de l'amour et aiment faire du mal, mais pour moi c'est différent, et jusqu'à ma mort, je serais loyal à ce Clan qui m'a nourri et m'a logé même dans les jours le plus sombres. Et, tant que tu seras sur ce territoire tu ne parleras en aucun mal du Clan du Tonnerre. Et tu apprendras que, même un chat "pas courageux" peut se montrer violent si tu insultes ses origines. "

Exténué par ses recherches comme il l'était à cet instant, Crocs Nacrés fut tenté d'être cynique. De sourire. De répondre à ce gamin bien naïf qu'il se moquait pas mal de ses doux rêves d'amour et de cette fierté grotesque qui lui donnait ce ton-là. Mais il se souvenait qu'il avait promis à Brise Argentée qu'il protègerait les petites jusqu'au bout, et à côté de cette promesse, quelle importance avaient donc le jeune guerrier-écureuil et ses menaces.

" Je suis prêt à t'écouter, si tu as des requêtes. Mais tu ne les poseras pas à Étoile de Cendre, il a plus important à faire comme réparer le camp d'une attaque. "

Parce que ces brutes venaient encore de se faire attaquer ? Crocs Nacrés n'en avait rien su. Sans doute un coup du Clan de l'Ombre, qui semblait belliqueux depuis quelque temps. Belliqueux au point de s'en prendre à une apprentie guérisseuse. songea même Crocs Nacrés. Heureusement, peut-être, que sa fatigue l'avait guidé jusqu'ici, et pas chez les chats des marais qui étaient des coupables au moins aussi logiques. Il se serait déplacé pour rien.

Et qu'était devenue Nuage d'Alizé, au milieu d'une bataille entre des animaux pareils ? Était-ce parce qu'ils l'avaient tuée que le noiraud niait désormais l'avoir jamais connue ? Anxieux, épuisé, il craignait que ses chances de retrouver sa fille en vie restent bien minces. Bien trop minces.

" Je ne cherche pas le conflit avec toi, Crocs Nacrés. J'aimerais t'aider à retrouver Nuage d'Alizé, si je le pouvais, mais je ne peux pas si tu restes convaincu que c'est nous qui l'avons capturée. "

Le tigré continuait de chercher des signes, des indices, car c'était ce qu'il faisait depuis des heures et des heures, déjà, depuis qu'on lui avait fait comprendre que Nuage d'Alizé n'était pas rentrée pour dormir avec les autres. Et ici, il sentit nettement quelque chose : le noiraud, même s'il essayait maladroitement de le lui cacher, avait bel et bien quelque chose à lui dire. C'était bien pour ça qu'il essayait de le convaincre qu'ils n'y étaient pour rien dans ce crime-là, sans se contenter de le repousser, après tout : pour lui parler.

Parler, parler, parler. Et pendant ce temps, il ne pouvait même pas affirmer que sa chère petite était en vie. Mais comment ne pas parler ? Comment abandonner à un instant pareil ? Il manqua un instant de chanceler sur ses pauvres pattes gelées, mais se ressaisit et reprit vigueur, repoussant provisoirement sa fatigue d'un geste sec de la queue. Il eut l'impression, malgré tout, que sa voix déraillait un peu lorsqu'il reprit :

" Je vais te dire une chose. " une courte toux l'interrompit. Il se sentait affreusement las, et la pensée que sa fille était peut-être loin, ou morte, le rendait malade. " Avant, je connaissais un des vôtres qui aurait pu devenir un guerrier plus vieux que toi : Nuage de Silex. "

Ce nom ne disait sûrement rien au jeune guerrier, qui n'avait probablement pu connaître l'incroyable apprenti que pendant les premières lunes de sa vie.

" Et bien tu me croiras ou tu me traiteras de menteur, ça te regarde, mais s'ils sont morts, lui et sa sœur, ça n'a rien à voir avec nous. C'est ton Clan qui les a trahis et assassinés. " Avec ce qui lui restait d'énergie, il somma d'un regard le jeune guerrier à se taire et à le laisser finir, et ajouta ceci : " Sois sûr que chez nous, quelque chose de pareil, c'est complètement impossible. Nuage d'Alizé, aucun des nôtres ne la trahira jamais, et surtout pas moi. Je te jure qu'il n'y a plus que ça qui m'importe, désormais. C'est ma fille. Que le Clan de l'Ombre vous envahisse si ça leur chante, je m'en fous, je n'aurais jamais de vous une haute opinion même si vous les repoussiez, mais nous, Nuage d'Alizé, on la retrouvera, quoi qu'il arrive. Et ceux qui essayent de nous cacher quelque chose, tu peux être sûr qu'on ne les oubliera jamais. "

Il espérait impressionner son interlocuteur, mais il était si affaibli et si inexpressif en général qu'il doutait fort d'y parvenir. C'était sa fille et il échouerait quand même. Il n'était plus que rage.

- Je vais te dire une chose. Avant, je connaissais un des vôtres qui aurait pu devenir un guerrier plus vieux que toi : Nuage de Silex. Et bien tu me croiras ou tu me traiteras de menteur, ça te regarde, mais s'ils sont morts, lui et sa sœur, ça n'a rien à voir avec nous. C'est ton Clan qui les a trahis et assassinés.

Le poil de Nuit Bleutée se hérissa. Crocs Nacrés n'écoutait donc rien ?! Il venait de lui dire qu'il était au courant du passé sombre, très sombre de son Clan et qu'ils faisaient presque tous tout aujourd'hui pour changer. Était-ce une manie du Clan du Vent, de se baser sur le passé ? Il ne fallait pas oublier l'histoire de chaque clan, mais pour se forger une opinion d'eux mieux valait d'abord découvrir ce que pensaient ou voulaient ses membres, non ? Si ils avaient ça, c'était sur l'ordre d'un chef horrible comme n'importe quel clan pourrait en avoir ! Pourquoi tout se déferlait tout le temps sur le clan du Tonnerre et pas sur les autres ? Ils s'étaient passé le mot ou quoi ?
Alors que Nuit Bleutée allait répliquer, le poil dressé, un regard de Crocs Nacrés lui fit comprendre qu'il devait le laisser finir.

- Sois sûr que chez nous, quelque chose de pareil, c'est complètement impossible. Nuage d'Alizé, aucun des nôtres ne la trahira jamais, et surtout pas moi. Je te jure qu'il n'y a plus que ça qui m'importe, désormais. C'est ma fille. Que le Clan de l'Ombre vous envahisse si ça leur chante, je m'en fous, je n'aurais jamais de vous une haute opinion même si vous les repoussiez, mais nous, Nuage d'Alizé, on la retrouvera, quoi qu'il arrive. Et ceux qui essayent de nous cacher quelque chose, tu peux être sûr qu'on ne les oubliera jamais.

Misère. Crocs Nacrés était persuadé que le Clan du Tonnerre était impliqué dans la disparition de Nuage d'Alizé, désormais. En plus d'énerver particulièrement Nuit Bleutée, cela le rendait mal à l'aise. Le guerrier venteux allait perdre du temps à chercher en vain l'apprentie sur son territoire, alors que quelque chose ou quelqu'un devait déjà être entrain de l'emporter très loin. En plus, le territoire du Vent était parfois survolé de grands oiseaux prédateurs aux griffes acérées. Cela étonna le guerrier que Crocs Nacrés n'y ait pas pensé. Nuit chercha la force de répliquer à son interlocuteur, qui se voulait impressionnant mais paraissait plutôt désespéré, mais il ne la trouva pas.
Tous étaient persuadés que le Clan du Tonnerre était coupable de tout, de toute façon. Si Nuit Bleutée continuait d'essayer de convaincre le guerrier, ça ne ferait que retarder le moment où Crocs Nacrés reconnaîtra la vérité. À quoi bon forcer ? Si ne croyait pas le guerrier du Tonnerre, il croyait forcément en lui. Forcément.

- Alors vas-y, cherche, fit le matou sombre en s'écartant de la voie. Fouille tout de fond en comble, je ne te retiens pas. Si tu sais que Nuage d'Alizé est ici, vas-y cherche. Tu sais quoi ? Si tu te fais trouver par d'autres guerriers assez remontés contre leurs attaquants, tu n'auras qu'à dire que c'est moi qui t'ai laissé gambader sur notre territoire. Lâcha-t-il alors. Seul le Clan des Étoiles pourra te convaincre, à ce que je vois...