Sorbet au poivre (avec Nuage de Crépuscule) - end

Alors qu'il essayait de comprendre l'effet qu'avaient eu ses mots sur la rouquine, le mioche eut la drôle d'impression qu'il était considérable, assez pour la rendre songeuse. Et ça lui suffit. Il se remit à rire, comme si plaisanterie s'était avérée redoutable et fructueuse, et à rire, toujours, tandis que Crépule s'installait autour de lui et l'invitait à s'installer tranquillement. Mais le rire, à force, ça devenait si fatigant qu'il en fermait à demi les yeux. Ce qui ne l'empêcha pas d'entendre son amie reprendre :

" Mais qui te dit que mon cœur n'est pas pris ailleurs ? "

Il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle lui parlait de son cœur, mais supposa qu'il devait encore s'agir d'une plaisanterie rigolote. Une plaisanterie de grands à laquelle tout chaton qui voulait se faire grand devait rire. Son rire fatigué ne se traduisit que par quelques impulsions dans la poitrine, qui cessèrent cette fois-ci très vite. Il n'avait plus de forces.

" Halala... " soupira le mioche, heureux, chaud, froid, excité, épuisé, en enfouissant un peu mieux sa tête dans le poitrail de son amie. Dure, la vie de tout-petit !

" Dans tous les cas, tu vas sûrement te trouver une petite femelle qui tombera folle amoureuse de ton caractère grognon comme pas possible ! " le taquina quand même Crépule, ce qui le força à se secouer un peu, juste pour grogner le rituel : " Mais je suis pas grognon ! "

Ses griffes sortirent un peu du bout de ses pattes toutes froides, pour toucher la peau de Nuage de Crépuscule. Il ne lui faisait pas mal du tout, mais fit comme s'il avait griffé l'apprentie qui venait de le traiter de grognon. Et la... punition... dut lui paraître suffisante, car il ne fit rien de plus. Sinon se rouler dans la neige, comme pour s'enfuir, comme pour s'éloigner d'elle après lui avoir encore joué un tour. Mais il s'était si fatigué, déjà, que sa roulade s'interrompit vite. Il sentait bien qu'il était tout froid de partout et que l'heure de la sieste, redoutée ou pas, approchait fatalement.

Il avait entièrement confiance aussi en son amie, pour le faire rentrer au chaud s'il le fallait, au lieu de l'abandonner dans cette neige froide et humide. Voilà pourquoi il n'hésitait plus vraiment à fermer les yeux, après avoir roulé deux ou trois fois dans la neige, et à se laisser envahir par une drôle de léthargie.

Spoiler:

Le chaton lâcha un soupir, riant encore. Il enfouit son museau dans son pelage enflammé. Nuage de Crépuscule songea qu'il devait bien avoir froid, et qu'il était si maigrichon. Cela la choquait, alors qu'en réalité elle ne mangeait presque rien. Mais sur lui, ce petit être faible auquel elle avait attaché beaucoup d'importance, c'était si triste. Elle retint à grand peine un frisson d'indignation contre la neige. Après tout, la poudreuse les avait beaucoup amusés tous les deux, bien qu'elle ait sûrement crevé Boule de Poivre, qui tanguait dangereusement. Elle n'arrêta pas de le regarder, ayant peur qu'il retombe une fois de plus dans un trou. Faiblement, il se secoua et grommela :
" Mais je suis pas grognon ! "

Elle ne prit pas vraiment la peine de répondre, sachant d'instinct qu'il ne l'entendrait pas. Le noiraud voulut comme s'échapper, et finit rapidement sa course, s'écrasant ridiculement dans le sol trempé. L'apprentie secoua la tête, mi-amusée, mi-exaspérée par la stupidité de la chose. Pourquoi prenait-il le risque de tomber une fois de plus, alors qu'il n'était plus du tout en forme ? Parce qu'il s'agissait simplement du chaton le plus borné qu'elle ne connaisse, et qu'il voulait tout le temps faire son intéressant.

Elle fit quelques pas, et l'observa quelques instants, la tête penchée. Il commençait à fermer ses yeux, pas inquiet le moins du monde. Il ne savait sûrement pas que la neige pouvait lui être fatale, ceci dit. Doucement, elle le tourna, sur le ventre, et souleva le petit corps par la nuque. Si elle n'avait jamais porté quiconque de cette manière, l'instinct maternel qui vivait en elle lui avait soufflé les réponses par évidence. D'ailleurs, il ne remua pas, et chose étonnante, se tut, le temps qu'ils rejoignent la pouponnière.

Pelage de Nuit y était, et Nuage de Crépuscule lui rendit son bien en souriant. Les deux femelles commençaient à se connaître, et la guerrière n'était absolument pas contre que son fils soit entre ses pattes. Ca lui faisait du repos, et il ne s'ennuyait pas ainsi. Et elle n'avait pas besoin de hausser la voix pour qu'il fasse sa sieste. Lui qui se plaignait tout le temps. La rouquine resta quelques minutes dans la pouponnière, et s'effaça, rejoignant sa propre tanière, pour faire sa toilette.