L'ordre vacille (avec Chant de l'Alouette) -end

Ces derniers temps, Chant d'Alouette relâchait la pression qui pesait sur les épaules de Nuage de Glace, son apprenti.
Alors que, jusqu'à présent, elle avait fait preuve de sévérité à son égard et était venue l'éveiller chaque matin sans reporter aucun de leurs entraînements, puisque celui-ci touchait maintenant à sa fin, la guerrière dorée trouvait presque qu'elle le laissait trop sur la touche.
Pourtant, elle contenait son sens de la perfection, bien décidée à laisser quelques temps à Nuage de Glace pour souffler. Après cela, ils leurs faudrait reprendre, avec acharnement, pour peaufiner l'ensemble des techniques du félin bicolore en vue de l'évaluation finale.

Alors, elle en profitait pour se détendre, rejoignant le matin une patrouille de chasse calme et fructueuse, puis l'après-midi son fils, chassant également. Retrouver aussi souvent Poils de Suie ne pouvait faire plus plaisir à la fière mère qu'elle était ; quand ses yeux d'or se posaient sur lui, son poitrail se gonflait légèrement devant le guerrier qu'il était finalement devenu, envers et contre tous.

— Il y a quelqu'un qui dors, là-bas ...

Leur après-midi touchait à sa fin, le soleil disparaissait dors et déjà à l'horizon.
Poils de Suie lui désigna un amas de poils de sombre, roulés en boule au pieds de buissons. Le cœur de la belle guerrière eut un étrange sursaut, sans qu'elle comprenne vraiment pourquoi, en reconnaissant Feuille de Houx, le guerrier très poli avec lequel elle avait partagée une patrouille.

Elle fit signe à son fils de réveiller le félin, un peu attendrie mais sans rien en montrer par le spectacle ; elle découvrait subitement son camarade sous des trais bien plus fragiles.

— Joli travail ! Je crois que je m'étais endormi... je pensais pas qu'on me trouverait ici... Mais c'est pas possible ! Il fait déjà nuit ?

Ses yeux passaient doucement de Poils de Suie à Feuille de Houx, amusés. Ce dernier ne parvenait pas à dissimuler l'expression de gène qui imprégnait son visage et ses gestes, quand bien même se mit-il à lécher vigoureusement son pelage, tête basse.
Puis, il leur demanda s'ils chassaient, certainement inquiété à l'idée de ne rien ramener.

— Poils de Suie rentrait, justement. Moi, je pense poursuivre un peu. Te joindrais-tu à moi ?

Chant d'Alouette venait tout juste de revoir ses plans, ce qui était plus que visible par les yeux ronds et barbouillés d'incompréhension que son fils posait sur elle.

— Tu ferais mieux de rentrer, mon Suie ... N'importe quel vétéran peut te solliciter dès demain matin ! Ne t'en fait pas, je trouverais bien le temps pour chasser de nouveau avec toi.

Maternelle, elle poussa légèrement son fils de la queue, lui indiquant la direction du campement. Le jeune salua respectueusement Feuille de Houx, plus intimement sa mère, et s'éloigna.

Elle le suivit du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière un buisson touffu, prête à faire demi-tour pour repartir à la chasse. Poils de Suie venait de prendre les quelques proies qu'ils avaient tous deux attrapés plus tôt afin de les amener au campement. Elles n'étaient pas vraiment nombreuses puisque la partie de chasse était plus une excuse pour se retrouver qu'autre chose.

La voix du chat noir l'empêcha de partir au trot, retenant son attention de mère aimante. Les compliments qu'il énonça lui allaient droit au cœur ; en temps normal, elle était bien plus habituée à recevoir des critiques, en particulier au sujet de son fils.

- C'est bien, tu restes près de lui mais tu lui fais quand même confiance, et tu peux. C'est un brave gosse.

Chant d'Alouette hocha la tête doucement, sans qu'aucune parole ne s'échappe de sa gorge ; contente mais gênée, elle ne savait que répondre. Alors, elle se contenta de l'observer, un sourire timidement accroché aux babines. Il était visiblement assez tolérant, ne voyant pas le handicap de son fils comme un empêchement à être au moins un "brave gosse", d'après ses propres paroles.

- Il tardera pas à se trouver une chérie, je pense.

Moins sûre tout à coup, Chant d'Alouette afficha une moue songeuse, lèvre coincée entre deux canines. Le clan regorgeait de chats bien plus forts et bien mieux portants que Suie, pourquoi une femelle se perdrait entre ses pattes ? Néanmoins, l'idée lui semblait séduisante ; cela donnerait bien du bonheur à son fils. Alors, elle imagina.

- Ce serait une bien brave enfant, pour l'aimer sans le juger. Mais... c'est tout ce que je souhaite pour lui, en tant que mère. Elle marqua une petite pause, avant de reprendre. Et toi, comment va ta famille à présent, Feuille de Houx ?

À présent que la paix était revenue sur les terres des clans, à présent que la mort de Nuage Nerveux s'éloignait.

Chant d'Alouette, elle, allait de mieux en mieux, s'ouvrant tout doucement aux autres félins du clan. Beaucoup de travail restait à faire et sa relation avec le chat noir était des plus privilégiées de son point de vue, ce qui montrait bien sa limite. Néanmoins, il suffisait de voir sa précédente discussion avec Petit Ouragan pour se rendre compte du progrès. Avant, elle serait simplement partie sans même le regarder.

Ce regain de bonheur n'était apparemment pas partagé par tout le monde au sein du clan. Le clan de l'ombre semblait pourrir quelque peu de l'intérieur, attaqué par quelques cancers invisibles. Feuille de Houx, par exemple, avait, semblait-il, bien besoin de vider son sac. Chant d'Alouette ralenti son rytme de marche pour rester aux côtés du chat sombre, les oreilles grandes ouvertes. Elle se faisait attentive, prête à écouter les malheurs de son camarade. Leur partie de chasse n'était toujours pas entamé, mais n'avaient-ils pas toute la soirée ?

Chant d'Alouette leva les yeux vers le visage de Feuille de Houx. Il commença par énoncer des banalités, l'informant entre-autre que Papillon de Lune, qu'elle se rappela subitement être la sœur du chat noir, les chatons de cette dernière, nés quelques temps plus tôt, et Nuage Gelé, son jeune frère et apprenti, se portaient tous bien. Sa famille, assez étendue, semblaient être pour lui une source permanente d'inquiétude. La belle reine d'or, dont la seule famille était son fils, l'admirait de se soucier de chacun d'eux.

- Ma mère, en ce moment, c'est quelque chose, par contre. Je fais ce que je peux pour qu'on ne parle pas trop d'elle dans le camp, mais là, elle a fait fort. Je comprends pas ce qui la pousse à coller Dernière Danse de cette façon... une vraie manie... Et elle fait comme si Nuage Nerveux n'avait jamais existé, alors pour la réconcilier avec Nuage du Léopard... laisse tomber...

Elle, elle avait coupé les liens avec ses parents bien des lunes plus tôt, restant sur un rapport cordial de camarade à camarade. Évidement, elle les respectaient et leur étaient redevable pour l'éducation qu'ils lui avaient inculqué. Mais, aucun d'eux ne se mêlait de sa vie sentimentale et maternelle. Chant des Coquelicots, en revanche, semblait du genre à vouloir contrôler la vie entière de sa progéniture, plus ou moins de gré ou de force. Sans oublier qu'elle était, tout comme son fils, fille unique. Chant d'Alouette ne sut donc pas réellement quoi répondre, n'ayant jamais vécue cette situation.

Alors qu'un silence pensif envahissait les passiflores, une douce odeur de volatil arriva jusqu'à elle. D'une série de signe de la queue, Chant d'Alouette afficha son soutient envers Feuille de Houx puis son intention de partir en chasse. Discrète et agile, elle s'approcha sans mal de la grive, celle-ci ne se doutant pas même de sa présence, et bondit pour l'achever. Saisissant le fruit de sa traque parfaite, elle retrouva la compagnie du félin.

- Peut-être... que tu ne devrait pas chercher à tous les réconcilier ? C'est dur à penser, je sais... mais... on ne peut pas forcer deux personnes à s'entendre. Et ça ne t'empêche pas d'être proche des deux, non plus !

Chant d'Alouette creusa un trou assez profond pour enterrer la grive, juste au pied d'un buisson rougissant assez simple à repérer. Déposant le petit corp avec délicatesse, elle le recouvrit de terre, se tournant de nouveau vers Feuille de Houx. La femelle ne voulait aucunement imposer sa vision des choses et encore moins énerver son camarade.

- Enfin c'est juste mon avis... même si c'est assez triste. Précisa Chant d'Alouette d'une petite voie.

Timidement, elle baissa les yeux, gênée. Surtout, Chant d'Alouette ne voulait qu'il s'imagine qu'elle lui faisait un reproche. La ténacité de Feuille de Houx envers sa famille était exemplaire, ravivant l'espoir que la tigrée avait perdu malgré elle dans les mâles. Il prenait soin des siens, veillait à leur bonne santé autant que possible. Il aurait fait un bon père et Chant d'Alouette était heureuse de pouvoir le compter dans ses amis. Elle releva la tête, captant le regard songeur mais calme de son camarade. Il ne semblait pas avoir mal pris son commentaire et même, au contraire, l'écoutait sérieusement.

- Tu as peut-être raison... Mais ce qui m'embête c'est que je suis sûr qu'au fond, ils sont tous les deux malheureux... , lui expliquait-il. Ils ont leurs défauts, mais... je suis sûr qu'ils ont besoin de moi.

Elle s'amusa des paroles du félin noir, pouffant discrètement. Il avait l'air important, soudainement, comme investi d'une grande mission. Chant d'Alouette cessa de rire, un sourire tendre apparaissant sur son museau. C'était une importance assez bien placée, au vu de ce qu'elle avait entendu de la famille de Feuille de Houx. Plus grand monde ne s'y parlait et le félin semblait être le seul à passer outre son égo et celui de chacun pour tenter de les raccommoder. Il était sans doute le moins caractériel, le plus tranquille, de toute cette famille agitée. Et malgré tout le temps qui passait, il n'abandonnait pas.

- C'est vrai. Tu es une sorte de pont...

Bon, elle ne les connaissait pas vraiment non plus, n'ayant même parlé à aucun membre de la famille de Feuille de Houx, exception faite de Nuage Gelé, brièvement.

Ils sont un peu comme Poils de Suie, ils n'ont jamais eu de père... Enfin... Ils en ont sans doute un, mais il n'a rien à voir avec le mien.

Une haine froide lui noua le ventre, autant en pensant au géniteur de Poils de Suie qu'en pensant au Serpentaire. Si elle n'avait jamais attendu de chatons de ce dernier, cela avait été de l'ordre du possible. Chant d'Alouette aurait aimé les chatons du plus profond de son cœur, évidemment, mais rien que cette pensée lui donnait la nausée. Elle détourna la tête, preuve que les cicatrices n'étaient pas refermées.

- Toi aussi il doit bien y avoir quelqu'un que tu te sens chanceuse d'avoir connu...
- À part Suie ? Mes parents peut-être... , puis, à voix basse. Au final, il y a plus de gens que j'aurais préféré ne pas connaître...

Lui, le chat qui l'avait mise enceinte, alors qu'elle en était éperdument amoureuse, sans rien assumer ensuite. Et lui, menaçant la survie de son fils pour sa simple satisfaction et pour se prouver sa toute-puissance. Et eux, tous ceux qui avaient rabaissé Suie, simplement parce qu'il était différent. Et également ceux-là, ayant soutenu l'immonde dictateur. Ça faisait pas mal de monde, finalement. Voilà pourquoi elle était si seule.

- Je sais que j'ai fait au mieux pour mon fils, pourtant... J'espère bien qu'il ne s'aplatira jamais comme je l'ai fait. Ni lui, ni aucun des autres enfants que j'aurais.

De toute façon, Feuille de Houx ne savait pas vraiment de quoi elle parlait. Pourquoi insister ? Tête basse, elle accéléra.

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