L'Encore-Aveugle (avec Oreilles Noires) - Abandon

▬ Guerrier

Depuis peu, Souffle Poivré mangeait moins et chassait plus. Une joie insoupçonnée le rendait moins égoïste. Il croyait se rapprocher chaque jour davantage de ses lunes de soleil. Il se sentait à un poil de concrétiser ses projets. Cette excitante impatience ne le rendait pas tellement moins arrogant, mais d'une certaine façon, ses airs dégoûtés se faisaient moins viscéraux, on percevait peut-être que dans son habituelle nervosité, il devenait moins méfiant que d'ordinaire, plus distrait. Mais qui pouvait vraiment comprendre son état d'agitation ? Son anxiété n'était plus celle, adolescente, des timides qui se sentent incapables d'agir, mais plutôt celle, adulte, des responsables qui se demandent quelle est la meilleure façon de franchir ce qui leur reste de chemin.

Il était tout propre, tout sec, il se sentait tout beau. Pourquoi pas maintenant ? - Non, pas maintenant, il faut que j'essaye de lui ramener quelque chose d'incroyable, un trophée. - Alors j'y vais.

On le regardait marcher. Il ne semblait pas si différent que d'habitude, à ne s'intéresser à personne, à ne faire aucun effort pour être sympathique avec qui que ce soit. Il sentait encore. Il puait même. Des guerriers ricanaient, mais il avançait.

J'y vais.

Sorti du camp, il songea qu'il pourrait mieux trouver quelque chose d'inhabituel dans un lieu de chasse inhabituel. Les Pierres Sentinelles ! Les ricanements lui avaient pénétré la tête, ils lui envinaigraient le cœur, ils l'effrayaient. Il continuait de marcher, et il se rendit compte qu'il serrait les crocs si fort qu'il aurait pu les faire grincer. Mais il tenait un cap, pour une fois, il ne pouvait pas se laisser tétaniser par le premier obstacle. Il s'arrêta, respira, se força à se détendre. Il chasserait sa proie comme il s'offrirait au Crépuscule : sûr de lui et généreux.

J'y vais.

Il se trouvait au bout de la plaine, la roche était là. Il se rendait rarement dans les Pierres Sentinelles, car les sentinelles s'y relayaient inlassablement. Les frontières étaient en général si impeccablement entretenues qu'il n'avait même pas besoin de faire sa ronde très consciencieusement dans les environs. Il doit y avoir de beaux oiseaux, par ici...

Souffle Poivré ralentit le pas et marcha contre le vent, particulièrement doux ce jour-là. Il surveillait attentivement le moindre mouvement aux alentours. Il espérait qu'une magnifique proie viendrait s'offrir à lui, mais ce fut l'odeur d'une sentinelle qu'il discerna d'abord.

Il en fut bien déçu. Elle a tout effrayé dans le secteur, je parie... songea-t-il en localisant Oreilles Noires. Le vent portait son odeur jusqu'à lui, il lui faudrait chercher de l'autre côté, plus loin. Il avança tranquillement. Il n'avait pas envie d'attirer l'attention de cette calico un peu "louche", mais il avait besoin de passer devant elle, s'il voulait trouver son cadeau ce jour-là.

J'y vais.

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♯ Sentinelle

Oreilles Noires avait l’habitude de se rendre sur ces rochers. C’était d’ailleurs l’un des lieux qu’elle fréquentait le plus et qu’elle préférait. Couchée sur une des masses de pierre, elle avait une vue dégagée sur son territoire. C’est donc facilement qu’elle discerna une masse grise se mouvoir en contre-bas, devant elle. Le vent soufflant dans son dos, elle ne sentait donc pas l’odeur de ce félin, mais native du clan, elle reconnut rapidement son confrère guerrier.

Interloquée par sa présence, la sentinelle descendit de son poste, prévenant d’un regard ses camardes sentinelles qu’elle s’absentait. Elle descendit habilement la roche et de par la trajectoire de Souffle Poivrée, elle se mit à penser que le chat essayait de la contourner. Que faisait-il dans le coin ? Oreilles Noires capta enfin l’odeur caractéristique de son confrère et se posa sur un rocher plus petit que le précédant, longeant le chemin du mâle.

Souffle Poivré ! le héla-t-elle pour le faire tourner la tête vers elle. Que fais-tu ici ? lui demanda-t-elle, utilisant un ton sans réel émotion, gardant la distance habituelle entre elle et ses interlocuteurs.

Son camarade semblait assuré, voir même pressé. Avait-il une mission à leur transmettre, ou allait-il voir quelqu’un en particulier ? Ce n’était pas vraiment un poste de chasse fréquenté et pour ce qui était des patrouilles, les sentinelles s’en sortaient très bien, d’où l’interrogation d’Oreilles Noires.

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▬ Guerrier

Il avait essayé de l'éviter, mais bien maladroitement. Les sentinelles savaient se placer là où on ne pouvait rien leur cacher. Souffle Poivré n'ignorait pas qu'elles ne surveillaient pas que l'extérieur, mais qu'il était aussi de leur responsabilité d'empêcher quiconque qui venait de l'intérieur de trahir le Clan du Vent, surtout en période troublée. Il avait entendu dire que le Tonnerre et la Rivière magouillaient ensemble : non seulement cela ne l'avait pas enchanté, mais en plus, la nouvelle avait sûrement mobilisé encore plus les sentinelles. Elle va me casser les coussinets, je le sens d'ici.

" Souffle Poivré ! " l'intercepta-t-elle. Forcément.

Il serra les crocs une fois de plus. Tout ceci était normal, protocolaire, mais il n'avait pas le cœur à perdre du temps. Non sans mauvaise grâce, il s'avança vers Oreilles Noires, pour pouvoir lui parler sans trop de difficulté.

Elle s'approchait, elle aussi, bondissant de rocher avec une aisance indéniable.

" Que fais-tu ici ? " questionna-t-elle.

Son expression n'était pas rassurante pour un sou. Souffle Poivré n'avait jamais vraiment cerné la personnalité de cette chatte qu'il connaissait pourtant depuis sa naissance. Il se souvint que lorsqu'ils étaient apprentis, elle lui avait vaguement laissé l'impression d'être d'une nature hypocrite... Du genre à jouer aux réconciliatrices au milieu d'une foule mais à n'avoir pour lui, en face à face, pas plus de considération qu'un bloc de glace faussement incommodé par l'odeur.

Ah ça oui, elle va me les casser. songea Souffle Poivré, mécontent. On le devinait déjà hérissé, à l'intérieur. Il ne répondait pas, mais il semblait crier " De quoi j'me mêle ? ".

D'autant plus qu'il n'avait pas envie de s'expliquer. Qu'il cherche ou non à offrir une belle proie à sa belle, ça ne regardait personne d'autre que lui, et surtout pas une sentinelle un peu louche qui ne manquerait pas de tout répéter.

" Je prends l'air, j'ai encore le droit... " ronchonna-t-il, désagréable comme il l'était souvent.

L'agressivité n'était pas toujours très convaincante, et en l’occurrence, il n'était pas difficile de deviner que Souffle Poivré mentait. Il en était conscient, mais il espérait qu'en jouant aux durs, il parviendrait à retrouver la paix dont il avait besoin pour chasser.

Il regardait la partie de sa "zone de chasse" qu'aucune odeur de chat n'était encore venue polluer. Il attendrait que la sentinelle se soit éloignée avant de reprendre sa marche, ce serait inutile de la laisser le déranger. Mais forcément, ça rendait sa posture encore plus suspecte. On devinait qu'il attendait quelque chose avant de reprendre sa marche.

Oreilles Noires n'eut pas l'air de comprendre qu'il voulait la paix, aussi changea-t-il de technique pour la dissuader de l'ennuyer :

" Tu attends déjà la relève ? Ils seront surpris, si tu n'es pas à ton poste. " ironisa-t-il, façon d'insinuer que cette sentinelle manquait de professionnalisme. Il n'en pensait rien, mais il espérait qu'en la vexant un peu, il la dissuaderait de lui chercher des poux dans la tête.

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♯ Sentinelle

Souffle Poivré mit longtemps à répondre à cette question des plus banales, et la réponse ne rassasia pas Oreilles Noires. La femelle ne demandait pas la lune au mâle, mais il réagissait bizarrement, tentant de la contourner à son arrivée. En plus de cela, son non verbal signifiait clairement à la sentinelle qu’elle le faisait chier. De quoi donner encore plus envie à la calicot de savoir le pourquoi de sa présence.

Je n’ai jamais dit que tu n’avais pas le droit de te balader. dit-elle froidement pour reprendre la patte sur la conversation.

Le comportement de son congénère énervait quelque peu Oreilles Noires, mais elle n’affichait néanmoins aucun comportement agressif, gardant un corps statique et un visage dénudé d’émotion.

Ne t’inquiètes pas pour moi, on est bien assez sur ces rochers que pour que je ne vienne inspecter par ici.

Souffle Poivré ne voyait certainement pas les autres félins de son groupe, mais ils étaient bien là, les entourant en hauteur. Ils ne pouvaient néanmoins certainement pas capter les bribes de leur conversation, les deux félins ne parlant pas excessivement fort.

Par ces paroles, Oreilles Noires stipulait avec légèreté et sans aucune condescendance qu’elle avait le contrôle des lieux. Que c’était donc elle qui posait les questions et lui qui y répondait, et pas l’inverse.

Et toi, on est en pleine journée et tu prends l’air ? Étrange pour un guerrier. Ils seront surpris, si tu n’es pas à ton poste. elle fit une pause et s’assit, adoptant un non verbal plus ouvert. Après, je ne suis pas une guerrière, je me trompe peut-être. admit-elle.

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▬ Guerrier

" Ne t’inquiète pas pour moi, on est bien assez sur ces rochers que pour que je ne vienne inspecter par ici. " rétorqua-t-elle, indifférente à tous les efforts qu'il faisait pour ne pas lui donner envie de s'attarder sur son cas.

Génial, elle va bien faire exprès de tout faire pour m'énerver... songea Souffle Poivré, qui sentait peu à peu s'éloigner sa chasse, son trophée, son avenir doré. Ce retard n'était que provisoire, mais il se trouvait si lent, tellement lent... A croire qu'il avait tout le clan contre lui, en permanence, pour lui pourrir son bonheur dès qu'il ouvrait un semblant de fenêtre. Peut-être que son impatience le rendrait dingue avant qu'il ait jamais pu s'offrir.

Si elle était impassible, d'une tiédeur insupportable, il était, lui, mi-bouillant de rage, mi-glacé de peur. Il trépignait à moitié, on le sentait hérissé, fiévreux, furieux, mais en même temps, il entrevoyait l'humiliation que lui vaudrait une confrontation prolongée avec cette sentinelle, et derrière, les risques, les dangers. Humilié, qui pouvait-il espérer défendre ?

" Et toi, on est en pleine journée et tu prends l’air ? Étrange pour un guerrier. Ils seront surpris, si tu n’es pas à ton poste. " Il adressa un regard noir à la curieuse, et s'apprêtait à cingler quelque chose de très désagréable, mais elle reprit : " Après, je ne suis pas une guerrière, je me trompe peut-être. "

Elle se voulait finalement conciliante, et ça se sentait. Souffle Poivré avait beau faire sa brute très spontanément, il n'était jamais insensible à ce don qu'avaient certains chats pour se rendre sympathiques dans des moments où pourtant, il avait des reproches à leur faire. Éclat de Crépuscule lui avait fait ce coup-là plusieurs fois, et ça avait toujours marché. Un coup bien senti de fausse modestie, et ce piètre rhéteur de Souffle Poivré devenait incapable de maintenir son agressivité. Purée, elle est forte. songea-t-il pour lui-même. Il reprit, brusquement tout à fait gêné, plus comme pour implorer que pour prétendre quoi que ce soit :

" Bon, écoute... J'aimerais juste profiter un peu, comme j'ai déjà fini ma patrouille ce matin... J'ai du temps pour moi... " Il ne savait pas comment il pouvait s'y prendre pour lui dire ce qu'il ne voulait pas lui dire. Il hésitait, bafouillait, tâtonnait. Il détestait plus que tout se retrouver dans cette posture, où il ne se sentait plus maître de rien. Il se sentait tout honteux.

Finalement, sa propre incapacité à parler finit par l'énerver, et il eut un sursaut d'orgueil. Énervé, mordant, en retrouvant toute sa froideur, il reprit sèchement : " J'aurais aimé être seul, un peu, mais bon, si je ne peux pas, tu m'autoriseras à rebrousser chemin. "

Au pire, je ferai le tour par l'autre côté, et puis c'est tout, fini les questions, elle va me laisser tranquille. prévoyait-il. Il dévisagea Oreilles Noires avec un peu d'insolence, pour voir si elle allait retourner à son poste, et après une brève hésitation, il se décida à faire demi-tour. " Allez, salut. " cingla-t-il en revenant sur ses pas.

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♯ Sentinelle

Souffle Poivré sembla se calmer le temps d’une phrase pour reprendre de plus belle la suivante, comme honteux de son comportement. Oreilles Noires l’observa avant qu’il ne tourne les talons. Son camarade avait réellement si peu de motivation ? Elle ne lui avait même pas barré la route, juste posé une question. Bon, elle avait répondu à sa provocation, mais la femelle restait un être vivant, elle n’était pas parfaite.

J’ai vu un beau corbeau non loin d’ici. C’est dommage que tu t’en ailles… le clan aurait été ravi de recevoir un ravitaillement de la sorte. dit-elle assez fort pour qu’il l’entende alors qu’il rebroussait chemin.

Oreilles Noires ne savait pas vraiment pourquoi elle partageait cette information avec lui, mais les projets de Souffle Poivré l’intriguaient. Le mâle, en arrivant, n’avait clairement pas une démarche “détendue”. Il était pressé et motivé. Comme un chat chassant une proie, ou un cadeau… Qui savait ?

Après, je comprendrai si tu voulais être tout seul tranquille. Mais si tu veux tout savoir, il se baladait sur les rochers par là… dit-elle en pointant du bout de sa queue une ribambelle de rocs sur sa droite. La dernière fois que je l’ai vu.

Même pendant une petite pause elle pouvait être utile à son clan, non ?

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▬ Guerrier

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Souffle Poivré n'était pas mécontent de s'être détourné, car les paroles de la sentinelle le troublèrent beaucoup. Comment c'est possible ? Comment a-t-elle pu dire une chose pareille ? Il n'avait jamais rendu publiques ses intentions, il ne croyait même pas que jusque là, un seul membre du Clan le connaissait assez pour deviner la cause de son attitude inhabituelle.

" Eh bien amusez-vous avec, ça vous entraînera à chasser tous seuls. " lança-t-il sans un regard, pour masquer son trouble derrière un écran de fanfaronnade.

C'est Poil de Cyclone, qui a compris ? se demanda-t-il. Il ne s'était jamais vraiment confié à lui, mais son ami gris avait parfois su viser juste. Ou bien, peut-être, c'est Crépule qui a deviné ? Peut-être qu'elle s'attendait un peu à ce qu'il s'apprêtait à faire... Après tout, il s'était annoncé, il s'était promis... Mais comment Oreilles Noires peut-elle être au courant ? Non, c'est impossible. Aucun de ces deux-là ne lui aurait jamais dit une chose pareille... D'ailleurs, pourquoi l'auraient-ils fait ?

Souffle Poivré réfléchissait en marchant. Il s'éloigna d'abord du poste des sentinelles, puis il entreprit de les contourner par l'extérieur, très loin. Il n'était pas vraiment au courant que depuis leur poste, les sentinelles voyaient tout.

La seule explication possible, c'est qu'elle parle sans savoir. Elle a peut-être un peu deviné. Sans doute que j'avais déjà l'air de chercher une proie, sans m'en rendre compte. se rassura-t-il. Puis il repensa au corbeau. Incroyable, quand même. On verra ce que je trouve, si je trouve quelque chose. Tant qu'on me fout la paix.

Cette rencontre l'avait déconcentré. Il avait perdu un peu d'aisance, un peu de certitude. Le doute l'assaillait, ce qui ne lui réussissait jamais vraiment. Il se força, en continuant sa marche, à retrouver toute la résolution, tout l'enthousiasme, toute la générosité qu'il était parvenu à réunir en lui à la pensée d'enfin s'offrir à sa belle.

Ce fut laborieux, mais ce ne fut pas vain. Arrivé là où il n'avait pas souhaité être suivi par Oreilles Noires, il se disait à nouveau : j'y vais.

Et cette fois, le vent ne portait plus jusqu'à lui les odeurs des sentinelles. Mais son odeur à lui était portée par le vent jusqu'aux sentinelles... Il s'en moquait. L'important était de surveiller toute la zone "tranquille" que le vent lui offrait. En bon chasseur, il avançait d'abord lentement, tous ses sens en activité. Silencieux comme la neige, il espérait faire sa découverte. Ces rochers, autour de lui, étaient un décor de chasse inhabituel... Il pourrait se venter d'avoir manqué de s'y casser le cou. Etait-ce judicieux ? Non, peut-être ferait-il mieux d'aborder sa belle, une proie entre les crocs, en la laissant simplement poser des questions, et en répondant modestement.

Cela serait un bon moyen de provoquer une conversation inhabituelle... Il se voyait, sérieux, mûr, grave... Il lui parlerait sincèrement, il pèserait ses mots... Elle comprendrait tout de suite qu'il ne se moquait pas d'elle.

J'y vais.

L'impatient ne savait pas vers où il se précipitait, mais il avait hâte, si hâte, de quitter enfin cette ombre qui l'étranglait. Il hésita en localisant une odeur forte. Ce serait... Il avançait tout doucement, méfiant. Souffle Poivré, en tant que guerrier, chassait tous les jours, mais il découvrait ce jour-là l'odeur particulière qui enveloppait les belettes mâles, en début d'été. J'espère que ce n'est pas un blaireau... songea-t-il, plus méfiant encore. Il n'avait jamais connu de belette qui sentait si fort.

Mais c'était son heure. C'était pour réaliser un exploit qu'il était venu jusqu'ici.

J'y vais.

Finalement, la proie n'était qu'une belette imprudente. En la découvrant, Souffle Poivré n'eut ni le temps d'être déçu ni le temps d'être rassuré, car il dut l'empêcher de se cacher, et pour cela, courir. Sa course fut folle, il dut bondir deux fois par-dessus des petites pierres, il dut ruser aussi car l'animal tentait de virer à gauche, vers une cachette. Il bloqua le chemin pour cette belette, qui dut s'enfuir tout à fait dans l'autre direction.

Et voilà que désormais, Souffle Poivré poursuivait une belette qui se rapprochait justement de l'endroit où il avait laissé Oreilles Noires. Il courait à une vitesse remarquable, car cette belette, il le sentait, serait la bonne. Celle qu'il offrirait à Éclat de Crépuscule, le jour où il lui avouerait ses ambitions secrètes.

Il la coinça finalement. La bête le mordit fort, couina, griffa, se débattit à toute vitesse, mais il ne s'amusa pas avec elle, elle était trop précieuse. Une fois qu'elle fut égorgée, il s'autorisa un soupir de contentement. Et puis un deuxième, et puis un ronronnement. Aujourd'hui, chères Étoiles, c'est pour la première fois du fond du cœur que je vous remercie. L'euphorie le gagnait, il ne faisait plus attention à rien. Il léchouilla la plaie de sa belette, pour la nettoyer. Et il la renifla passionnément, comme si derrière sa forte odeur, il devinait déjà le doux parfum du Crépuscule.

Il faut que je lui apporte vite. songea-t-il. Pendant qu'elle est encore chaude.

Cela raviverait de beaux souvenirs... Ses premières chasses avec sa belle lui avaient fait découvrir la saveur des proies fraîchement tuées. C'était tellement meilleur... Même si sa belle manquait souvent d'appétit, elle apprécierait forcément ce cadeau-là... Et de toute façon, il y prendrait garde. Quand on s'offrait à une guerrière, ce n'était pas pour la laisser s'affamer !

Il rêvassait encore, tout béat, lorsqu'il commença une petite toilette pour se rassurer. Mais il s'interrompit très brusquement en remarquant qu'Oreilles Noires était apparue, non loin. Il ne l'avait même pas entendue s'approcher, puisqu'il n'avait pas détaché son regard de la proie... Depuis combien de temps le surveillait-elle ainsi ? Désorienté, il gronda, aussi méchamment que sa surprise le lui permettait :

" Encore toi ? "

Pourtant, d'eux deux, c'était bien lui, dont le comportement était peu explicable. Ça doit bien se foutre de ma gueule, chez les Sentinelles... se crispa-t-il malgré lui. Il se sentait toujours mal vu par les autres.

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Sujet: Re: L'Encore-Aveugle (avec Oreilles Noires) - Abandon 29.06.20 22:53

Le membre 'Souffle Poivré' a effectué l'action suivante : Don des étoiles

'Chasse - Collines' :

L'Encore-Aveugle (avec Oreilles Noires) - Abandon Belett10

♯ Sentinelle

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Souffle Poivré pensait sérieusement que les sentinelles avaient le temps de chasser ? En soi, Oreilles Noires avait bien le temps de suivre discrètement le guerrier d’au-dessus des rochers, alors pourquoi pas de traquer une proie ? La réponse apparue à la femelle lorsqu’elle observa son camarade poursuivre cette belette. Son corps lourd ne lui aurait jamais permis de suivre l’animal comme l’avait fait le mâle.

Les sentinelles et les guerriers n’avaient décidément pas la même formation. Comme elle s’en doutait, un de ses camarades sur les rochers finis par s’intéresser par les allers et venus d’Oreilles Noires, mais encore plus par le bruit de la chasse. Un mâle vint rapidement se placer aux côtés de la femelle, en rigolant ouvertement face au comportement de Souffle Poivré. Il n’avait jamais été heureux ou quoi celui-là ?

Retourne à ta place, je m’en occupe. dit-elle en lançant un regard froid à la sentinelle.

Oreilles Noires entreprit ensuite de descendre discrètement sur la roche, mais le guerrier la repéra vite. Il ne semblait toujours pas content de la voir.

Oui, excuse-moi, j’étais intriguée par ce que tu faisais. dit-elle avant de regarder la belette qu’avait attrapé son camarade. L’exécution avait été parfaite, c’était à peine si la sentinelle voyait du sang sur les rochers. Très belle prise, en tout cas ! le complimenta-t-elle en souriant légèrement devant la proie.

Elle entendit soudain son confrère se remettre à rire, au-dessus d’eux. Oreilles Noires se retourna et lui jeta un regard noir. Elle se permettait cela, car la sentinelle en question était plus jeune qu’elle, bien qu’elle ne soit pas la meneuse de cette patrouille. Le mâle en question retourna à son poste, le corps toujours secoué par quelques soubresauts.

Ne fais pas attention à lui. C’était une très belle chasse. termina-t-elle, redevenant stoïque.

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▬ Guerrier

" Oui, excuse-moi, j’étais intriguée par ce que tu faisais. " fit Oreilles Noires. Bizarrement, il la sentait moins froide, moins hostile, moins méprisante. Cela lui paraissait louche. Elle avait quelque chose en tête, sans doute. Il en fallait beaucoup, pour convaincre Souffle Poivré qu'on était sincère.

Lui-même n'était pas du tout à l'aise. Sa chasse et son euphorie l'avaient tellement fasciné qu'il ne s'était même pas aperçu qu'il s'était rapproché des sentinelles, il ne savait même pas depuis combien de temps, là-haut, on s'amusait à le regarder... Il s'était même comporté, sous leurs yeux, avec une certaine indécence. Il s'était laissé transporter par quelque chose qu'il avait toujours préféré dissimuler aux foules et à leurs rires.

" Très belle prise, en tout cas ! " reprit la femelle calico. Souffle Poivré voulait la croire bien intentionnée, il voulait se dire qu'elle parlait parce qu'elle était impressionnée, peut-être, ou reconnaissante, ou honteuse. Mais il n'était pas convaincu. Il était comme ça. Il se disait souvent que les gens feignaient une certaine sympathie quand ils étaient seuls avec lui, mais que tout ceci n'était que poudre de perlimpinpin, pour le duper, pour endormir sa méfiance, pour lui donner de faux espoirs et mieux le décevoir ensuite.

Elle veut juste pouvoir dire à ses copains que je pue encore plus que ce qu'on raconte.

Un rire gras lui hérissa le poil. Ce n'était pas celui d'Oreilles Noires, mais il confirma ses angoisses. " Ne fais pas attention à lui. C’était une très belle chasse. " faisait une voix, mais il n'entendait plus.

Il en avait assez, il se sentait devenir fou. Il tremblait de colère, il ne se contenait plus.

Cette bande d'hypocrites allait trouver dans sa quête un sujet de plaisanterie cocasse. Ils rentreraient au camp, et ils riraient, ils riraient avec leurs proches, à chaque fois qu'ils se répèteraient l'histoire, ils ajouteraient un détail fantaisiste, ils exagéreraient toujours un peu plus la puanteur du chasseur, sa ridicule fierté, l'indiscrétion de sa proie... Et ce deviendrait une humiliante perspective, pour Éclat de Crépuscule, que de s'encombrer d'un bouffon dans son genre, qui ne pouvait rien faire sans déchaîner les moqueurs.

Ils allaient le pourrir, le pourrir, le pourrir, le pourrir. Sa belette, son cadeau qui aurait pu lui ouvrir la clé du ciel, elle ne valait plus rien, elle devenait ridicule, sale, encombrante, toxique. Il pouvait avoir des idées, il pouvait se battre, il pouvait tout faire pour suivre son cap, ils le feraient toujours dériver à l'opposé. Il pouvait vouloir, il pouvait se démener, il ne faisait que s'enfoncer toujours plus dans le ridicule. Une sorte de rage impuissante le fit pleurer. Il se hérissa davantage, fit face à la sentinelle, et feula de toutes ses forces, aveuglé, inondé de violence, de désespoir et de paranoïa :

" Mais jamais, jamais, jamais vous ne pourrez me laisser seul tranquillement ! Jamais vous ne me ficherez la paix ! Jamais vous n'en aurez marre, de votre hypocrisie ! Mais je vous emmerde ! "

Pour peu, il les lui taillerait en pièces, ses oreilles noires, il lui écorcherait ses coussinets et lui crèverait ses foutus yeux calmes. Souffle Poivré s'était souvent battu avec des membres de son Clan sans que personne ne comprenne en général pourquoi. Il était de notoriété publique qu'il perdait facilement son sang-froid, mais ce qu'on ne concevait même pas, c'était la cause de toute sa hargne.

Car Souffle Poivré, au fond, était surtout jaloux. Depuis son plus jeune âge, il s'était toujours senti injustement ridiculisé, injustement harcelé, injustement moqué. Il divisait le monde en deux catégories : il y avait d'une part ceux à qui on foutait la paix parce qu'ils étaient protégés, et d'autre part, ceux qui, livrés à eux-mêmes, espéraient qu'à force d'endurer les brimades, ils finiraient par devenir assez coriaces pour accéder au petit nuage des gens tranquilles.

Et quand vous aviez une mère idiote pour vous nommer Boule Poivrée, pour faire croire au Clan tout entier que vous puiez, vous pouviez bien être dix fois plus propre que les autres, vous ne quittiez jamais la seconde catégorie. Il y avait quelque chose qui systématiquement, semblait l'empêcher de pouvoir un jour jouir de cette tranquillité qui, pour tant d'autres, était naturelle.

" Bouffez-la donc, cette saleté, ou laissez-la ici, je n'en veux même plus. Si vous voulez me faire plaisir, étouffez-vous avec ! " cria Souffle Poivré en désignant le corps de la belette d'un signe de tête.

Son corps, depuis le bout de chacun de ses poils soyeux jusqu'à la vibration de ses cris écœurés, vibrait d'un sourd désespoir. Ses beaux jours attendraient encore, mais combien de temps pourrait-il tenir ainsi ?

Je lui trouverai quelque chose de mieux, j'irai chasser en terres neutres, dans un coin tranquille... Il faut que j'y parvienne, de toute façon... Pour moi, c'est le soleil ou rien.

Et cette idée du "rien" était son pire cauchemar.

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