Allons-y doucement, jeune padawan ! ft Nuage Poivré - end

La rouquine prit une petite minute pour se réveiller. Elle avait passé la nuit dans la tanière des guerriers, et n'avait pas été appelée pour une quelconque activité extérieure, parce qu'elle avait réservée sa journée à son nouvel apprenti. Oui, désormais, elle était mentor, et pas de n'importe qui ! De Nuage Poivré, le chaton avec qui elle s'était liée d'amitié, lors de ses régulières visites à la pouponnière. Si son caractère … Spécial et très grognon ne lui avait pas plu au départ, ils avaient su s'apprivoiser au fur et à mesure, pour désormais qu'ils deviennent presque inséparables. Tous les jours, elle se hâtait d'aller lui raconter ses parties de chasse, et lui, lui contait à sa façon ses rêves, en exagérant encore et toujours ses propos.

Elle était heureuse d'être son entraîneuse, et se promit au fond d'elle de faire de lui le meilleur guerrier du clan. Oh, bien sûr, elle n'avait pas l'expérience de leur chef par exemple, ou même de Pelage Strié, qui lui avait forgé un caractère de gagnante. Malgré tout, elle avait été surprise quand Etoile Tropicale lui avait annoncé, en privé, qu'elle serait mentor. Elle s'était demandé si c'était à cause du comportement du noiraud qu'il lui avait donné, sachant qu'elle s'entendait bien avec lui. Finalement, elle avait cessé de s'interroger et avait juste savouré l'instant. Quand les yeux jaunes du chaton s'étaient écarquillés en la voyant, elle avait été si heureuse !

Le baptême s'était passé comme dans un rêve, et aussitôt après, il lui avait littéralement bondi dessus, l'harcelant sans relâche pour aller se battre, chasser, et patrouiller. Malgré son envie aussi pressante de lui faire découvrir les lieux qu'elle affectionnait tant, elle lui lança un regard sévère, et secoué la tête, avant de lui ordonner joyeusement d'aller se coucher pour être en forme aujourd'hui. Malgré ses rechignements, elle n'avait pas laissé tomber, et avait grandement savouré sa nouvelle autorité de mentor.

Elle se leva d'un bond, et s'étira longuement avant de s'élancer gaiement dehors. La lumière lui fit cligner des yeux, bien que les nuages cachaient le soleil. Dans un grognement, elle se demanda si la pluie tomberait, et espéra franchement que non. Parce que malgré tout, déjà qu'une journée à courir partout alors qu'on est pas habitué à faire des courses hors du campement, c'est dur, alors quand on est trempé, c'était catastrophique. Ses iris ambrées parcoururent le campement rapidement, et, ne distinguant pas la silhouette de Nuage Poivré, elle s'élança dans la tanière des apprentis, ce lieu qu'elle connaissait très bien. Le petit corps se soulevait doucement, mais elle ne sut pas s'il dormait ou s'il faisait semblant. Evitant adroitement les autres apprentis, en leur souriant, elle se pencha sur lui, et murmura à son oreille :
"Si t'es pas dehors dans dix secondes, tu passeras ta journée à enlever les tiques des anciens pendant que j'irai chasser ! "

Sans prendre le temps de savoir s'il s'était réveillé, elle disparut aussi rapidement qu'elle était arrivée, et s'assit, à l'entrée du camp. Sentant quelques instants plus tard sa présence dans son dos, elle reprit la parole, tout aussi enthousiaste :
"Bon, mon p'tit gars, aujourd'hui on va aller patrouiller un peu, pour que je te montre un peu les plaines du vent, puis ensuite on ira peut-être chasser, si tu es pas trop fatigué. Ca te va ? De toute façon, si ça te va pas, bah ça change rien ! C'est parti !"

Eclat de Crépuscule l'invita à passer le premier d'un coup de queue.

Nuage Poivré, son nom d'apprenti, lui faisait encore l'effet d'un vêtement trop neuf mais ne tarderait pas à devenir, il l'espérait, la plus confortable des demeures. Sourd à l'accueil pas toujours aimable des autres apprentis de sa nouvelle tanière, le jeune mâle avait eu bien du mal à se résoudre à y dormir. L'attente de ses premiers entraînements l'avait rendu impatient, insoutenable, inarrêtable, à un tel point qu'il avait presque fallu qu’Éclat de Crépuscule l'envoie dormir pour qu'il daigne seulement chercher une place au milieu des novices. Le plus loin possible de son frère et de sa sœur avec qui enfin il n'avait plus rien à partager.

Et une fois posé, le sommeil n'était venu que bien tard, car le jeune apprenti avait tout fait pour le repousser. Comment était-il possible de penser à dormir alors que l'on s'apprêtait à entrer enfin dans le monde des guerriers ? N'était-ce pas normal de veiller, lorsqu'on changeait de nom ? Il avait passé la moitié de la nuit à trifouiller le sol puis à enlever de son pelage la poussière qu'il y trouvait, en songeant qu’Éclat de Crépuscule, qui était, ça l'avait ravi de le découvrir, son mentor, lui avait promis qu'elle s'occuperait de lui dès l'aube. Et l'aube venait si lentement ! Lui se voyait encore au soir, au crépuscule ! Et même lorsqu'il ouvrit un œil fatigué il eut l'impression que quelques minutes à peine s'étaient écoulées depuis qu'il était entré dans la tanière des apprentis. Comme s'il n'avait pas du tout dormi. Alors qu'en réalité, il avait un peu dormi. Pas assez sans doute, puisque quelque chose le réveillait, mais... il fut tout déboussolé de voir le soleil du matin et mit un moment à comprendre que son mentor lui parlait, ou plutôt, lui chuchotait à l'oreil :

" Si t'es pas dehors dans dix secondes, tu passeras ta journée à enlever les tiques des anciens pendant que j'irai chasser !
- Hein ? " s'exclama le petit en réponse, avant que dans sa tête, tout ne revienne par une violente série d'inférences. Crépule ! Mentor ! Entraînement ! Aube ! La sensation de la lumière du petit matin acheva de le faire bondir, et il courut sans plus attendre hors de la pouponnière, écrasant au passage la queue d'un paresseux qui dormait ENCORE alors que c'était l'heure d'être debout !

" Sssss " sifflait-on dans la tanière à laquelle il tournait le dos sans plus de considération, car il s'éloignait jusqu'à la rouquine.

Sa mine un peu fatiguée était bien piteuse, on voyait du premier coup d’œil qu'il n'avait même pas pris le temps de se toiletter, et on le sentait, aussi. Car Nuage Poivré était ainsi fait, son odeur était curieusement persistante et forte, et davantage encore lorsqu'il ne faisait pas l'effort d'être très propre. Mais il ne s'en rendait absolument pas compte, et doutait même que les remarques parfois désagréables des autres grands sur son odeur soient vraiment fondées.

" Voilà voilà ! s'exclama-t-il, tout joyeux, tout impatient, à peine remis de tous ces sursauts qui l'avaient précipité jusqu'ici.
- Bon, mon p'tit gars, aujourd'hui on va aller patrouiller un peu, pour que je te montre un peu les plaines du vent, puis ensuite on ira peut-être chasser, si tu es pas trop fatigué. Ça te va ? " Ils allaient... Wouaaaaaah ! Patrouiller et chasser ! C'était carrément mieux qu'un rêve ! " De toute façon, si ça te va pas, bah ça change rien ! C'est parti !
- AH Mais si mais si ça me va ! " se précipita-t-il de répondre, le regard encore brillant d'un excès de motivation.

Et elle, elle lui demanda d'un signe de passer devant, ce qu'il fit avec plus que du plaisir ! Et il se mit à trottiner sans perdre temps vers la direction que son mentor était en train de regarder avant de tourner la tête vers lui pour lui parler. Il n'était pas tellement conscient qu'on l'attendait peut-être à un endroit précis, et de toute façon, ne s'autoriserait pas la moindre espèce d'hésitation tant que la guerrière serait derrière lui à le regarder ! Après tout si c'était lui qui devait aller devant, ça voulait bien dire que c'était à lui de décider où il fallait aller !

Il allait d'un pas un peu trop rapide, à un rythme qu'il ne pourrait sans doute pas tenir très longtemps, et même s'il essayait d'aller tout droit, son sens de l'orientation pas encore développé le fit dévier progressivement de sa trajectoire sans même qu'il ne s'en rende compte. Pas au point de lui faire faire totalement demi-tour, mais assez tout de même pour que son trajet soit considérablement et inutilement rallongé. La simple marche devrait s'apprendre, les seules "patrouilles" auquel il avait assisté jusque là ayant été les petits voyages journaliers vers la mare où buvaient les chatons du Clan du Vent, tout près du camp.

Spoiler:

La rouquine s'étant à peine effacée, le vilain garnement s'élança, tout à fait satisfait du programme qu'elle lui proposait. Si elle n'était pas vraiment à l'aise sur ce qu'elle pourrait lui faire faire, elle avait choisi de commencer son apprentissage sur une base simple, tout comme l'avait fait Pelage Strié. Et elle regretta bien d'avoir aussi peu écouté la femelle qui lui avait tout appris, insouciante qu'elle était. Surtout que connaissant son apprenti, elle se doutait qu'il l'harcèlerait de questions, et pourrait bien faire d'énormes bêtises, juste dans le but de lui clouer le bec, de lui prouver qu'il était plus fort qu'elle. Ces six lunes promettaient d'être explosives !

Elle secoua la tête en souriant, et se mit carrément à rire en voyant l'allure du noiraud, qui savait à peine mettre un pas devant l'autre. Ses pas étaient raides, mal assurés, et elle se promit intérieurement de lui apprendre à courir sans devenir la risée de tous les autres chats du clan. S'il avait une réputation à tenir, elle aussi ! Et il se serait pas très agréable d'entendre les moqueries des autres sur Nuage Poivré, qui était désormais sous sa responsabilité. Eclat de Crépuscule le suivit joyeusement, de son trot chaloupé, qui était lui aussi très particulier. Au lieu d'aller tout droit, là où elle s'attendait qu'il irait, il dévia lentement mais sûrement la direction, sans vraiment s'en rendre compte.

Les minutes passaient en silence, tandis qu'ils se rapprochaient de la rencontre. Leur patrouille était rythmée par les exclamations étouffées du sombre alors qu'il manquait s'écraser le museau contre le sol, et par les rires silencieux de sa mentor, qui commençait à être désespérée par lui. Cela promettait d'être très très long. Alors qu'ils se rapprochaient dangereusement d'une frontière, celle des chats de la Rivière, ce qui prouvait leur changement de direction, elle observa attentivement le jeune matou. Qui s'apprêtait à traverser la ligne invisible sans s'en rendre compte. C'était un test, pas prévu, certes, mais intéressant. Prenant peur pour lui, et à cause de l'odeur d'une patrouille récente du côté des chasseurs de poisson, elle accéléra, et s'assit à côté de lui, juste après l'avoir forcé à reculer un peu. Pour ne pas prendre de risques et se faire accuser à tort. Après s'être raclée la gorge, elle prit la parole, tout à fait sereine et joyeuse, comme à son habitude:
Bon, mon coco, on va pas aller plus loin. Déjà, je doute que tu puisses rentrer sur tes quatre pattes si marches encore comme ça pendant quelques minutes, et parce qu'on allait rentrer sur les terres de la Rivière. La frontière est à trois chats de nous, là. Inspire profondément, et sens-moi cette odeur pour qu'elle reste imprimée dans ta tête. Prends tout le temps qu'il te faut.

Elle recula, pour ne pas le laisser se déconcentrer, et lécha pensivement ses coussinets. Ses yeux étaient cloués sur l'herbe, donc elle ne put dire s'il avait pris au sérieux ses conseils, ou s'il faisait son idiot, pour ne pas changer. Le frottement de ses pattes contre l'herbe lui indiqua qu'il la rejoint, et elle lui lança un regard mi-intrigué, mi-heureux. Pour l'encourager à continuer, bien qu'il devait mourir de fatigue, malgré la petite distance, elle se mit à côté de lui, et le regardait en souriant. Il se satisfaisait de pas grand chose, en général, pour le requinquer. Elle s'exclama, les yeux pétillants, plongés dans ses iris jaunes si perturbantes qu'elle avait appris à connaître :
Cette fois, tu me suis, et on va réellement aux plaines du vent ! Au fait, si on parlait pas tout à l'heure, c'était juste pour voir où tu nous emmenais. Si tu as des questions, n'hésite pas, hein ! N'aie pas honte de ne pas savoir tout.

Malgré son jeune âge et son inexpérience en la matière, la rouquine prenait son rôle très au sérieux. Elle sentait que cette découverte du mentorat allait la faire mûrir précocement, et que cela allait être rythmé par les hauts et les bas, avec Nuage Poivré ! Ses discours lui venaient facilement, sans qu'elle ne réfléchisse trop, un instinct, en quelque sorte.

L'entêtement faisait partie de ces énormes défauts qui parfois, faisaient rire ou forçaient l'admiration. Ainsi, s'étant mis en tête qu'il faudrait qu'il montre à son mentor à quel point il marchait vite et il était sûr de ne pas se perdre, Nuage Poivré s'obstina-t-il à maintenir son rythme trop rapide pour traverser sans réfléchir le territoire du Clan du Vent riche en odeurs nouvelles et inconnues. Il commençait déjà à fatiguer, mais refusait d'en montrer quoi que ce soit, au moment où la rouquine le rattrapait, l'arrêtait, et le faisait même reculer un peu.

" Bon, mon coco, on va pas aller plus loin. Déjà, je doute que tu puisses rentrer sur tes quatre pattes si marches encore comme ça pendant quelques minutes.
- Hein ?! " s'indigna le presque-chaton dans un superbe élan de mauvaise foi. Mais la guerrière reprenait, souriante :
" Et parce qu'on allait rentrer sur les terres de la Rivière. La frontière est à trois chats de nous, là. Inspire profondément, et sens-moi cette odeur pour qu'elle reste imprimée dans ta tête. Prends tout le temps qu'il te faut. "

Il se détendit alors, parce qu'on lui demandait de sentir. C'était l'occasion de reprendre son souffle en faisant semblant de ne pas du tout être fatigué. Il s'imaginait encore un peu stupidement qu'il pourrait tout au long de son apprentissage cacher sans mal toutes ses faiblesses à son mentor et même la convaincre qu'il était au moins aussi fort que trois guerriers réunis. Bref, son temps, il le prit, mais pas trop. Il se donna l'air de renifler un peu partout mais on devinait bien qu'il en profitait surtout pour se détoxifier les poumons et les remplir à nouveau d'un air plus sain. Enfin, sain, façon de parler, car les odeurs corporelles de très nombreux chats étaient présentes, elles aussi. Pire que quand les chatons faisaient pipi dans la pouponnière.

Il fit un peu la grimace, et comme Éclat du Crépuscule avait l'air de s'attendre à ce qu'il remarque quelque chose, il se dépêcha de prendre un air beaucoup plus sérieux, comme si bien entendu il comprenait tout ce face à quoi il se trouvait. Et ça eut l'air de faire l'affaire, car la guerrière se mit à côté de lui. Étouffant un ronron pour garder sa mine professionnelle, il se souvint à ce moment-là à quel point il avait été heureux que son mentor soit elle, et pas quelqu'un d'autre.

" Cette fois, tu me suis, et on va réellement aux plaines du vent ! Au fait, si on parlait pas tout à l'heure, c'était juste pour voir où tu nous emmenais. Si tu as des questions, n'hésite pas, hein ! N'aie pas honte de ne pas savoir tout.
- Tout-va-bien, hein ! " se hâta-t-il d'assurer, avec un petit sourire confiant. Ces mots deviendraient bientôt son slogan, sa chanson, sa parade, sa fuite. Mais il ne le réalisait pas encore, car pour l'heure, l'espoir l'habitait pour de vrai. Les difficultés ne semblaient vraiment pas exister. D'un signe de la tête il montrait qu'il était prêt à suivre, et il agita même ses pattes pour indiquer sa grande forme.

Mais durant la suite de leur marche, la rouquine prit son temps. Et lui, derrière elle, avait l'impression qu'elle en faisait exprès parce qu'il était là, et que d'habitude, les vrais guerriers (ça faisait partie de ces choses étranges qu'on se mettait dans la tête sans raison lorsqu'on était petit) passaient leur temps à courir, sans jamais se fatiguer, à toute vitesse dans toute cette herbe verte qui ne semblait faite que pour ça. En fait, il avait dû voir quelques apprentis partir du camp en courant avec leurs mentors, d'où cette déduction un peu abusive que les grands couraient tout le temps.

Et lui bien sûr, il fallait qu'il ait l'air grand. Aussi ne manqua-t-il pendant la marche de cogner sa tête contre les pattes arrières de la rouquine, comme pour lui faire remarquer qu'elle était un peu lente.

Eclat de Crépuscule était étonnée par la hargne du chaton, même si elle se doutait légèrement qu'il voulait juste l'impressionner. Toujours il avait eu cet esprit de compétition depuis qu'elle le connaissait, et si cela risquait de lui amener des ennuis, elle en était fière. Sans objectif dans la vie, on n'arrive pas à grand chose. Il lui annonça que tout allait bien, alors qu'il haletait comme un renard. Elle ralentit le pas, pour lui permettre de suivre son rythme sans qu'il ne s'en rende compte. Il n'arrêterait pas de bouder, sinon, et elle ne le voulait pas vraiment. Cette journée d'entraînement, la première, restait vraiment gravée dans les esprits. C'était juste le passage de l'enfance à l'adulescence, à l'apprentissage de la vie.

La rouquine sentit qu'elle se faisait pousser par derrière. Nuage Poivré la bouscula, alors qu'elle voyait son poitrail s'abaisser rapidement. Elle roula des yeux, tout de même amusée par cette audace qu'il avait de la remettre en place. Mais il ne devait pas non plus oublier qu'elle était sa mentor, et donc son aînée, et qu'il lui devait respect. Mais ce mot ne devait pas exister dans le vocabulaire du petit garnement, qui croyait que tout le monde était au même stade, voir qu'il était au-dessus. Elle se promit un jour de lui parler du respect, puis décida qu'une petite leçon ne lui ferait pas de mal.

Elle partit ventre à terre, le laissant seul, abandonné tel un chaton qui sort à peine de la pouponnière. Elle le laissa ainsi, juste pour qu'il comprenne que si elle allait doucement, ce n'était pas une raison. Elle fila deux ou trois centaines de mètres, sentant que l'apprenti peinait à la suivre, à sa plus grande joie. La petite féline s'arrêta, et se lécha négligemment la patte, donnant une agréable sensation d'ennui, pour le faire réagir. Elle attendit qu'il arrive et le regarda, les yeux ronds.
Alors mon p'tit gars, que tu me pousses est une chose, mais que tu me suives en est une autre. Si tu t'estimes capable d'être plus rapide que moi, alors ne te prive pas et passe devant. Mais ce n'est pas le cas. Inverserais-tu nos rôles ?

Malgré son air sérieux, ses yeux pétillaient joyeusement. Elle était heureuse de lui inculquer les valeurs de la vie, qui ferait de lui un génialissime guerrier. Et elle comptait bien l'emmener au sommet, si il ne l'oubliait pas en échange. En même temps, comment omettre une amie comme elle ? Elle était simplement unique en son genre ! Cette idée la fit sourire. Néanmoins, elle préféra attendre qu'il reprenne son souffle avant de repartir, et l'observa, cherchant une trace de fatigue. Cela se voyait qu'il mourrait d'envie de s'allonger et de dormir toute la nuit. Eclat de Crépuscule reprit, toute enthousiaste, en désignant un bout gris de rocher qui apparaissait à l'horizon :
Bon, alors tu vois, là-bas ? C'est les Pierres Sentinelles. C'est là-bas que les sentinelles, donc, se postent pour surveiller les frontières. On va repartir plus doucement, pour les atteindre, et quand on y sera, je te montrerai comment chasser. Ca te va ?

Elle lécha affectueusement la joue du petit, et l'encouragea à se relever d'un coup de museau. Elle se posta à côté de lui et posa sa queue sur le dos du noiraud, alors qu'ils reprirent la marche. Au pas, cette fois. Leur folle course avait un peu essoufflé la rouquine, alors elle n'osait pas imaginer l'état de Nuage Poivré. Mais cela montrait une fois de plus sa détermination.

Lorsqu'il vit que la guerrière commençait à vraiment se lancer, Nuage Poivré ne se sentait plus de joie. Enfin, ça commençait ! Comme un petit fou il se jeta à ses trousses, vite, du moins, autant que ses jeunes pattes pas bien exercées et ses forces plutôt maigres le lui permettaient à ce moment-là. L'effort physique qu'il y avait dans un sprint, de toute façon, était elle que ça ne pouvait pas durer longtemps. Et en effet, en quelques secondes à peine, Nuage Poivré se douta qu'il ne pourrait jamais rattraper la guerrière. Et d'ailleurs, ça l'étonna : comme elle courait vite ! Peut-être ne se rendait-elle pas compte qu'il ne pouvait pas la suivre. Si c'était le cas il fallait l'arrêter.

" Eh ! " glapit-il en vain. Il ne comprenait pas pourquoi elle se sauvait soudainement, de cette façon. Mais il détestait cette impression qu'il avait brusquement d'être une sorte de boulet trop lent qu'on devait traîner derrière soi. Car jamais il ne pourrait courir, ça lui semblait évident, aussi vite que la guerrière. La rattraper était parfaitement impossible. Et être confronté à l'impossible, ça l'effrayait drôlement.

Éclat de Crépuscule n'était plus qu'un petit point orange à l'horizon lorsqu'elle eut l'air de s'arrêter. J'y serai jamais avant le soir... C'était décourageant de penser seulement à marcher jusque là-bas, et plus encore lorsqu'on se disait qu'elle allait peut-être courir encore s'il se rapprochait. Un instant démoralisé, il eut envie de s'arrêter en signe de protestation.

Protester pour dire quoi ? Que le rythme des guerriers était trop rapide pour lui ? C'était ridicule ! Il eut un soubresaut qui lui donna la force de se mettre en chemin. Mais fatigué comme il l'était, il se rendait compte que même si sa nullité à lui était ridicule, elle n'en était pas moins réelle. Et ça le troublait. Il avait même envie d'en pleurer. Lui qui s'était toujours dit qu'il ferait un apprenti parfait, il était en fait à la ramasse, et dès le début.

Il rejoignit Éclat de Crépuscule en trottinant, puis en marchant, car il avait mal aux pattes à force de se dépêcher et il lui fallait retrouver son souffle, son sang-froid. Malgré cela, il eut tout de même l'air tout déconfit lorsqu'il retrouva enfin son mentor, et à voir sa façon de s'assoir puis d'éviter de la regarder tout à fait, on comprenait sans mal qu'il avait honte de lui.

" Alors mon p'tit gars, que tu me pousses est une chose, mais que tu me suives en est une autre. Si tu t'estimes capable d'être plus rapide que moi, alors ne te prive pas et passe devant. Mais ce n'est pas le cas. Inverserais-tu nos rôles ? "

Il ne comprenait pas tout à fait encore le reproche qu'on lui faisait, mais se doutait malgré tout qu'il ne fallait pas faire la mariole à un moment pareil. Aussi se tut-il, et son air piteux devint une sorte d'angoisse lorsqu'il se mit à redouter d'avoir contrarié la guerrière. Comment savoir s'il ne l'avait pas déçue, si elle n'essayait pas de rester souriante que parce qu'elle était trop gentille pour se mettre vraiment en colère ?

" Bon, alors tu vois, là-bas ? " Elle lui montrait quelque chose qui se trouvait... tellement loin ! " C'est les Pierres Sentinelles. C'est là-bas que les sentinelles, donc, se postent pour surveiller les frontières. On va repartir plus doucement, pour les atteindre, et quand on y sera, je te montrerai comment chasser. Ca te va ? "

Se plaindre à voix haute ne serait plus dans ses habitudes, s'était-il promis. Bizarrement à cette seconde il s'en souvint et se retint de rétorquer que là-bas, c'était trop loin pour lui et qu'il voulait rentrer. En plus, Eclat de Crépuscule se comportait d'une façon si charmante, elle semblait si lumineuse, si motivée... Nuage Poivré était tout simplement forcé de jouer le jeu, et même, de faire comme si ça ne lui semblait pas difficile. Il ne résista même pas une seconde après que son mentor lui ait posé la question, pour céder en riant, comme si on l'avait chatouillé :

" D'accord ! "

Mais il était encore assis, et d'ailleurs, il n'était pas certain d'avoir vraiment envie de se remettre sur ses quatre pattes. L'herbe était tendre et fraîche... La rouquine dut lui léchouiller la joue et le titiller de quelques coups de museau pour le remettre en marche. Mais cette fois, ils marchèrent doucement, et ce ne fut pas lui qui pressait le pas.

" C'est bizarre ! T'as pas mal, toi ? " lança le jeune naïf pendant leur avancée. Il avait observé sans rien dire la démarche d’Éclat de Crépuscule, et s'étonnait de tant d'aisance alors que lui découvrait après sa première véritable course ses premières véritables courbatures.

Le jeune apprenti se fit un peu attendre avant de redémarrer. Il ne semblait pas pris de cette infatigable énergie qui l'avait tant fait vibrer, songea la rouquine avec étonnement. Puis, elle se rappela qu'elle venait de lui faire courir un sprint, et qu'il avait voulu en faire des tonnes, comme quoi il était fort, très fort, et qu'il ne pourrait pas s'arrêter. Mais il avait bien oublié qu'elle était guerrière, et pas lui, et que c'était très dur au début. Cependant, il repartit, après un rire joyeux et une affirmation déterminée, mais il s'adapta à son rythme directement.

Eclat de Crépuscule fut ravie qu'il ait compris la leçon, et se dit que finalement, elle n'était pas si mauvaise mentor que ça. Mais si elle n'avait pas eu Nuage Poivré, elle n'aurait peut-être pas pris autant de décisions, sachant que lui approuvait tout ce qu'elle faisait. Il avait appris à l'apprécier, puis à respecter ses choix et à l'écouter quand il le fallait, même si elle devait parfois hausser la voix. Et elle comptait bien profiter de son apprentissage, ou du moins le début, pour pouvoir lui faire du chantage s'il le fallait. Bientôt, il serait plus grand qu'elle. Cette idée lui serra le cœur. Le petit chaton qu'elle avait presque vu naître commençait à se développer, à se transformer. Oh, bien sûr, il pourrait devenir un beau matou tout musclé, et cela la ravit. Il saurait bien vite se trouver une compagne, s'il calmait ses ardeurs. Il ne sera plus à elle tout court. Son cœur faisait des bonds, avec lui, pensa-t-elle en riant toute seule !
" C'est bizarre ! T'as pas mal, toi ? "

Sa petite voix fluette ramena la rouquine à la réalité. Après un certain temps de réflexion, elle lui lança un regard interrogateur, et aperçut sa démarche raide. Cela devait être à ça qu'il faisait référence. Elle sourit avec indulgence, et haussa les épaules. Elle aussi avait dû passer par les courbatures atroces qui la réveillaient quand elle remuait la nuit, par les nuits courtes pour aller patrouiller. Mais c'était ça qui forgeait leur caractère, leur montrait ce que devait endurer un guerrier. Mais l'apprentissage était aussi synonyme de liberté. Ils pouvaient, les jeunes, partir en patrouille de chasse ou se balader un peu, dès que l'occasion se présentait. Ne plus être collé aux basques de sa mère sans arrêt.
Ahah ! Ca va passer, au fil des lunes. Mais je te garantis que tu vas bien dormir cette nuit ! Dans quelques jours, tu te seras habitué au rythme, et ça ira mieux. T'inquiète pas !

Elle se demanda ensuite quoi dire. Un mentor plus expérimenté lui aurait sûrement donné des conseils pour s'étirer à la suite d'une séance, mais elle n'avait aucune idée des exercices à lui proposer. On ne lui avait pas beaucoup expliqué quoi faire, dans ces moments de blanc, et elle aurait bien aimé suivre un guerrier pour voir ce qu'ils faisaient. Sa petite caboche bien vide de propositions, elle reprit, comptant sur son instant pour parler à sa place :
Pendant qu'on se repose, je vais te parler de la chasse. Tu n'es sans doute pas sans savoir qu'on mange principalement des rongeurs, souris et mulots. Est-ce que tu sais quelques trucs par rapport à la chasse? Du style ta position, une technique quelconque ? N'hésite pas, même si tu ne sais pas grand chose !"

Les Pierres Sentinelles se rapprochaient bien trop lentement au goût de la rouquine. Mais elle savait bien que le noiraud ne tiendrait pas jusqu'à la fin de la journée, et elle ne comptait pas le laisser s'écrouler, sachant bien qu'elle devrait le tirer jusqu'au campement, comme un chaton. Et il méritait bien, malgré tout, quelques minutes de marche. Vu son allure, il devait avoir les muscles sacrément endoloris ! Elle fut heureuse pour ses coussinets qu'il marchaient dans l'herbe, et non pas sur de la terre sèche, avec des cailloux. Ce n'était pas très agréable pour un guerrier, alors pour un apprenti tout juste sorti de la pouponnière, n'en parlons pas !

Elle était très intriguée par les propos qu'il pourrait lui répondre. Elle-même ne savait presque rien de la chasse, quand elle avait commencé, mais savoir les bases de Nuage Poivré lui permettrait de lui en montrer davantage là où il voulait étaler ses connaissances. Elle qui commençait à le connaître savait bien qu'il ne retenait que ce qu'il voulait, et, à la fin de cette journée, elle voulait qu'il se souvienne de deux trucs ou deux. Elle pouvait aussi bien lui montrer les positions de chasse ou lui faire une démonstration. Mais encore fallait qu'une souris ou deux pointent le bout de leur museau !

Le drôle de regard perplexe qu'eut la guerrière à ce moment-là inquiéta Nuage Poivré plus que de raison. Il avait peur d'être mal fichu, doté d'un corps qui ne serait jamais capable de le faire performer autant que les grands et qui le lui signifiait par ces douleurs désagréables. Non, hein ! s'étranglait-il silencieusement en fermant les yeux, alors qu'Eclat de Crépuscule commençait à rigoler :

" Ahah ! Ca va passer, au fil des lunes. Mais je te garantis que tu vas bien dormir cette nuit ! Dans quelques jours, tu te seras habitué au rythme, et ça ira mieux. T'inquiète pas !
- Pff ! " soupira Boule de Poivre avec un sourire qui s'entendait et qui signifiait qu'il ne laisserait personne insinuer qu'il s'inquiétait.

Mais pourtant, il continuait de se demander si elle ne lui disait pas ça que pour lui faire plaisir. La rouquine était tellement gentille, peut-être l'était-elle trop. Après tout, Nuage Poivré était bien forcé d'admettre que génial ou pas génial, il avait l'impression que son corps était récalcitrant à ces courses qui pourtant constituaient le quotidien de tous les guerriers et qu'il n'avait vraiment vraiment pas l'air d'égaler son mentor, alors même qu'il était devenu apprenti. Pourquoi ça devrait forcément changer, au fond ? Eclat de Crépuscule devait être sacrément talentueuse si on avait tant chanté ses louanges au moment de son baptême... Sûrement qu'elle avait cassé la figure à toute une bande de chats des marais...

Sa réflexion fut interrompue :
" Pendant qu'on se repose, je vais te parler de la chasse. Tu n'es sans doute pas sans savoir qu'on mange principalement des rongeurs, souris et mulots. Est-ce que tu sais quelques trucs par rapport à la chasse ? Du style ta position, une technique quelconque ? N'hésite pas, même si tu ne sais pas grand chose ! "

La chasse... Il en rêva silencieusement jusqu'à leur arrêt commun, et alors, prit tout son temps pour s'étendre paresseusement, un flanc par terre et l'autre à l'air, et sentir peser sur lui le regard de son mentor avant d'enfin formuler une réponse, inspirée peut-être des fous récits auquel il avait eu droit dans la pouponnière :

" Ça court vite les mulots et les souris mais, mais on les rattrape quand même ! Et les lapins ? T'arrives à les poursuivre, toi ? Mon papa il y arrive. " détailla-t-il d'un air savant. Dans son idée un peu simpliste, les chasseurs ne faisaient rien d'autre que se précipiter à toute vitesse sur les proies qu'ils rencontraient.

Comme c'était la pause et qu'il se disait que l'évocation de son père impressionnerait peut-être Eclat de Crépuscule, l'apprenti qui sentait fort entreprit à ce moment quelques gestes de toilette.

Elle s'amusa de voir l'apprenti s'affaler de tout son long, sans aucune retenue sur le sol. Elle s'assit à son tour à côté de lui, attendrie par cette quiétude qui le caractérisait. Il n'était plus du tout aux aguets, même s'il ne l'était pas souvent, alors qu'elle était, quant à elle, attentive aux environs. Ce n'était pas la crainte d'une attaque, non, simplement elle voulait trouver une proie. Tant qu'à faire, si leur période de chasse se déroulait ici, ça n'irait pas déranger Nuage Poivré, qui mourrait littéralement de fatigue. Ses yeux jaunes se posèrent sur elle, animés par une vantarde lueur. Bon, il devait au moins savoir quelques trucs, sinon, il aurait fait profil bas.
" Ça court vite les mulots et les souris mais, mais on les rattrape quand même ! Et les lapins ? T'arrives à les poursuivre, toi ? Mon papa il y arrive. "

Eclat de Crépuscule remua les moustaches. Elle avait remarqué depuis leur première rencontre l'amour fier que portait le noiraud à son père, Puissant Guépard. Et si elle doutait que tout ce qu'il disait sur lui n'était pas vraiment la vérité, il fallait avouer que c'était un excellent guerrier. Mais elle aussi savait chasser des lapins. Elle n'était pas si nulle que ça ! Sauf que là, une autre occasion se présentait. Le bruissement discret d'ailes parvint à sa délicate oreille. La rouquine aperçut dans la direction qu'elle regarda un beau petit oiseau. Une grive ! Un léger sourire vint se dessiner sur le coin de ses lèvres. Mais elle savait qu'elle n'avait pas le choix. Si elle loupait son coup, son honneur serait perdu !

D'un battement de queue et d'un coup d'œil sévère, elle intima à son apprenti de se taire. Elle espérait qu'il comprendrait ce code qu'elle n'avait pas le temps de lui apprendre, mais il n'était pas trop bête, donc ce ne serait pas un problème. Sauf s'il se mettait à brailler comme un imbécile. Il en était capable, en plus. Toujours à arriver au mauvais moment. Comme s'il avait un instinct pour se fourrer dans les pires situations, et pour gâcher les objectifs des autres. D'un pas de loup, elle s'approcha de sa proie, sa pupille de jais formant un cercle parfait. Le volatile ne se doutait de rien, picorant dans le sol, sans doute à la recherche de vers. Lui qui cherchait à manger serait mangé très bientôt. Que la vie était dure !

Elle calcula son coup, et bondit puissamment sur la grive. Qui, après avoir lâché un piaillement de terreur, poussa son dernier souffle. Satisfaite de son coup, elle observa la victime de sa journée. Une minime tache de sang luisait sous sa tête, là où ses canines avaient porté le coup fatal. Elle murmura des remerciements au clan des Etoiles, puis rejoint Nuage Poivré. Il n'avait pas bougé depuis qu'elle était partie. Elle déposa sa proie devant lui, et tapota le cou de l'oiseau, tout doucement, presque tendrement. La féline, ôtant son costume de redoutable chasseuse, redevint elle-même, une sympathique femelle prête à rire de tout, et lui expliqua sereinement :
"Tu as vu comment j'ai fait ? C'est là qu'il faut porter le coup fatal. Comme ça, c'est rapide, et la proie ne souffre pas. Et elle n'a pas trop le temps de crier pour donner l'alerte, donc s'il y en a d'autres dans les environs, c'est le principal. Tu peux m'expliquer comment je me suis débrouillée? Essaie d'imiter ma marche, ensuite."

Elle s'assit, et lécha sa patte ensanglantée. Tout naturellement, elle prenait son nouveau rôle de professeure. Elle ne cherchait pas ses mots, et s'amusait même de partager ses savoirs avec les autres. Surtout s'il y avait de la qualité en face, et qu'elle pourrait faire quelque chose d'eux ! Elle souhaitait que le noiraud détaille sa technique de chasse afin qu'il comprenne les raisons de son allure. C'était pour elle logique d'être un mentor qui ne donnait pas toutes les réponses, mais plutôt un entraîneur qui faisait réfléchir. Selon elle, on apprenait mieux en parlant et en échangeant qu'en écoutant. Et puis, c'était un excellent cobaye, lui qui était si bavard ! Et elle voulait aussi voir s'il avait un sens de l'observation, ou s'il s'était contenté de bailler aux corneilles pendant qu'elle nourrissait son clan. Sans doute qu'il avait été captivé. Ou du moins, elle espérait l'avoir impressionné !

Le membre 'Eclat de Crépuscule' a effectué l'action suivante : Don des étoiles

---

'Chasse Vent' :