ET CETTE FEUILLE QUI S'ETIRAIT || pv. Esprit Soucieux - end

Et cette feuille qui s'étirant de toute sa longueur pour se languir sur la terre..

Petite Braise la regarda doucement s'effondrer dans l'air, avec une lenteur hypnotique. Voilà seulement quelques semaines qu'il avait ouvert les yeux, et déjà il s'ennuyait en mourir. Sa petite sœur, enfin, ceci n'était peut-être plus vrai, se reposait contre le ventre de Fine Terre, qui fixait méchamment le petit brun. Elle ne l'aimait pas, à ça ! Elle le détestait sûrement, même. Cela rendait triste le jeune mâle, qui lâcha un lent soupir, avant de se détourner de l'entrée de la pouponnière pour regarder les autres félidés présents ici. Il y avait Petit Pin, fils de Rivière Silencieuse, c'était un chaton presque aussi arrogant que Petite Braise. Le matou brun se demandait comment serait leur relation s'ils osaient s'adresser la parole. Il y avait aussi sa sœur, Petite Ronce, rudement chiante aux yeux de Petite Braise. Ainsi que Petit Cerisier, le neveu de Nuage d'Hermine, dont le nom de cette dernière lui fait de l'ombre. Et enfin, Patte d'Alpaga, un matou qui a l'air très gentil mais trop simplet et inintéressant pour Petite Braise. Les chatons comme ça, c'est eux qui meurent avant de devenir apprenti. Petite Braise n'aime pas les gens comme ça. Ils sont faibles, et ils ralentissent les forts.

Après avoir fait l'inventaire des chatons et des reines présents dans la pouponnière, le petit félidé brun s'approcha de Fine Terre, qui lâcha un grondement discret mais menaçant au petit. Petite Braise comprit qu'il n'avait toujours pas le droit de venir près d'elle. Heureusement qu'il s'était repu plus tôt dans la matinée, quand elle a bien voulu lui laisser quelques secondes de répits pour se délecter de son lait maternel. Maintenant, le jeune chaton devait se trouver une source d'attrait. C'était si calme dans ce moment de la journée, c'était entre le matin et le midi, où les patrouilles étaient déjà parties ou se relevaient, il ne savait pas trop, il ne connaissait pas vraiment les complexités de la vie de clan.

Alors qu'il essayait de perdre son regard dans le flou du vide, une petite plume semblant être tombée d'une litière attrapa son attention. Sans réfléchir, le petit se jeta dessus pour valser avec elle. Ses petits coups de pattes frappaient la pauvre plume sans lui donner aucune chance. Il plongea ses crocs dedans, avant de secouer la tête lorsque la plume fit une réaction avec la bave du petit. Cette dernière collait, mais ça ne l'arrêta pas, il continuait à la lacérer et essayait de la finir avec toute la rage d'un animal sauvage. Pourtant, derrière lui, un bruit s'élevait.

Et cette feuille qui s'étirant de toute sa longueur pour se languir sur la terre..

N’ayant pas vu arrivé l’oriental dans la tanière, le petit fauve embrasé torturait encore cette petite plume innocente, toute blanche et toute pure. Elle n’avait rien demandée, mais elle prenait ce qu’elle méritait ! Ses petits coups encore mous et lourds semblaient s’affiner de jours en jours, plus vifs, plus rapides, plus précis et plus puissants. Ses griffes en aiguilles glissaient entre les barbes de la plume, découpant les vexilles de cette dernière qui se refermaient en même temps, il ne pouvait pas découper une plume, pas comme ça. Ses coups passaient dans le vent, et ne portaient aucune atteinte à l’objet pure.

« - Bouffe pas ça, kiddo. »

Cette voix rauque, agacée et monotone le fit mettre sa bataille en pose. Il se redressa, se retournant pour découvrir Esprit Soucieux, qui se tenait.. vraiment très près de son visage. Il le regardait, détaillant le corps poilu du petit rouquin, dont le duvet était encore présent. Esprit Soucieux avait ce regard froid, synthétique, limite typique du guérisseur. Il voulait savoir si le petit était en bonne santé, si il allait survivre ? Non. Si il allait mourir.

« - Tu manges assez ? »

Est-ce qu’il voulait vraiment savoir si Petite Braise épuisait inutilement Fine Terre ? Une blague ! Elle ne s’occupe de lui que par obligation, il n’a jamais eu de rab, et n’en aura sûrement jamais. Il survivrait ! Que ce soit jusqu’à la fin de la saison des feuilles mortes, celle des neiges et même les autres saisons qui viennent après !

« - Au fait, tu sais si ta mère voulait vous baptiser ? »

Sa mère.. Qui ? C’était la question. Celle que se posait le chaton à chaque fois qu’il se levait et à chaque fois qu’il se couchait. Il ne savait pas.. Mais Faucon Fugueur lui avait dit de taire ses questions, de taire ce secret et de la jouer fine. Esprit Soucieux parlait-il de Coeur de Tournesol ? Sûrement.. La pauvre femelle.. Petite Braise ne l’avait pas connu, il n’avait aucun lien avec elle et pourtant il devait répondre à son nom en temps que fils. Se baptiser ? Mais qu’est-ce que c’est ? C’était sûrement ça, dont Fine Terre parlait à Petite Cendre. Cette histoire que Petite Cendre avait sembler apprécier, mais qu’il n’avait pu écouter.

« - Me baptiser ? Qu’est-ce que c’est ? »

Demanda le petit rouquin, en redressant de gros yeux intrigués vers l’oriental gris. Il penchait la tête sur le côté, délicatement, en même temps qu’il questionna le vieux guérisseur. Petite Braise avait cette tête adorable, ses deux pupilles arrondis qui semblaient engloutir le bleu de ses prunelles, qui sembler commencer à se tenter d’ambré autour de ces dites pupilles. Comme si un Incendie commençait à s’attaquer au Ciel.

Et cette feuille qui s'étirant de toute sa longueur pour se languir sur la terre..

Esprit Soucieux fixait le Rejeton des Flammes, il avait ce regard insistant, et cette manie à se mettre beaucoup trop prêt pour discuter. Il était.. oppressant. C’était le mot. On voyait très bien dans ces prunelles pistaches qu’il n’aimait pas Petite Braise, pire encore, il le méprisait. Il roula des yeux, ces pupilles qui glissaient dans cette herbe verdoyante qui lui servaient d’iris, sans un bruit. Ses longues oreilles étaient placées hautes, elles étaient triturées et meurtries, c’était effrayant, imposant. Ce guérisseur, c’était le genre de matou à qui tu ne voulais tenir tête, tu ne pouvais tenir tête. Il avait cette aura, cette puissance, qui ferait courber l’échine à n’importe qui, même à Étoile du Serpentaire. Il était impossible de faire face à ce regard inquisiteur et ces oreilles similaire à l’épée de Damoclès, prêtes à fendre l’air pour s’abattre sur nous. Il avait l’air illuminé, mais il avait surtout l’air d’avoir une longueur d’avance sur tout le monde, quoi que l’on fasse. Esprit Soucieux se baissa, pliant ses longues pattes de héron, pour se mettre à la hauteur du petit rouquin. Il était effrayant, mais pourtant, Petite Braise n’avait pas l’air tétanisé par la peur, il était curieux, il se sentait bien avec ce vieux fou, il était obnubilé par la science qu’il allait recevoir.

« - Le baptême, kiddo, c'est une manière de te présenter aux étoiles. » Il se rapprochait, encore et encore. Il était oppressant, mais amusant. « - Pour qu'elles te connaissent bien, que tu rentres dans leur famille. »

Les étoiles ? Mais elles sont si lointaines ! Et pourtant.. Il voulait les connaître, les rencontrer, être près d’elle, peut-être serait-il plus apte à trouver sa mère si il était aussi haut ? Mais qu’est-ce qu’il y avait si haut ? Pourrait-il respirer ? Marcher ? Courir ? Vivre ? Tellement de questions, et si peu de connaissance. Ses petites prunelles bleutées se posèrent dans celle du guérisseur aigri. Il voulait les connaître, il voulait être baptisé.

« - Je veux être baptisé ! Mais.. Je ne connais pas les étoiles ? Parle-moi d’elles.. »

Il était mignon, et avait soif de connaissance. Il voulait apprendre à les connaître, avaient-elles des noms ? Était-ce elles les guerriers d’antan ? Tellement de question que le Rejeton des Flammes se posaient. Est-ce que Coeur de Tournesol était là-bas ? Et sa mère .. où est-elle ?

Et cette feuille qui s'étirant de toute sa longueur pour se languir sur la terre..

Le rejeton buvait les paroles du chat maigre, il le regardait avec ces yeux flamboyants, avec une grande insouciance et une soif d’apprendre semblant infinie. Les étoiles qui brillaient dans ses yeux auraient été telles que celles qui chassent sur la toison argentée. Le grand gris se posta près du petit rouquin, son corps craquant comme la glace quand il se penche. Dire que le grand Esprit Soucieux s’intéressait à Petite Braise le comblait de reconnaissance et de joie. Le rejeton des flammes n’avait lui-même pas conscience de son sang pourri, mais le grand guérisseur savait tout. Et pourtant, il acceptait de bénir le petit par sa présence et sa parole. Les paroles de l’ombreux berçait le petit rouquin comme une histoire sans fin. Il voulait en apprendre le plus possible, le plus longtemps possible. Il pouvait rejoindre le rang de guérisseur pour en apprendre plus sur ces guerriers d’antan ? Mais ce serait s’interdire de réaliser son propre rêve. Il voulait devenir lieutenant pour perpétuer la gloire du Clan de l’Ombre, avoir l’honneur de le guider dans le temps et dans la Forêt de Cerfblanc. Si seulement le petit savait qu’avec son sang impur, il lui était impossible de prétendre à ce poste. Le petit pouvait voir aux travers des yeux sombres du guérisseur une ferveur infinie envers ses ancêtres, des galaxies sans limites et des étoiles brillantes, ce savoir digne des plus grands sages. Les Étoiles.. Petite Braise se plongeait dans un sujet qui le fantasmerait toute sa vie, sans le savoir. Il buvait ce savoir, presque à s’en noyer. Il était rare de voir un petit si affamer de connaissances. Les Étoiles savaient tout, et le petit impur aurait aimer tout savoir sur elles, lui aussi. Pourtant.. Il se découvrit une peur envers elles, ces étoiles avaient tout les pouvoirs, et il se sentait si petit face à elles. Le petit chaton se tenait droit, sur ses pattes, avec de grands yeux ronds, il voulait en savoir plus, pourquoi les récits d’Esprit Soucieux se stoppait là ? Il devait continuer de parler, en dire plus, le rouquin voulait en savoir plus. C’était un besoin. Le rejeton des Flammes fit onduler sa queue, en demandant plus.

« Dit-moi en plus ! Je veux apprendre à les connaître autant qu’elles me connaissent ! Je veux devenir comme toi, être proche d’elles ! Baptise moi ! Raconte moi tout sur elles, Esprit Soucieux ! »

Le petit avait cette voix aiguë, si peu délicate aux oreilles mais bouillonnante d’excitation. On pouvait voir, entendre et comprendre qu’il avait vraiment envie de les connaître, il avait soif de ça, il semblait vivre pour ça. Il assenait des questions en respirant le moins possible, il n’avait pas le temps pour ça, il n’avait que le temps pour en apprendre le plus. Sa petite tête pouvait exploser de ces histoires, ça n’en serait pas assez à son goût.

Son voisin avait cette aura incroyable, qui rassurait mais effrayait aussi le chaton roux. Il était.. mystique. Petite Braise le voyait comme un envoyé du ciel, esprit perdu sur Terre. Esprit Soucieux le jugeait de son regard d’émeraude, essoufflé par l’âge, signe d’une vieillesse grandissante. Les deux pierres ne brillaient presque plus, elles perdaient leurs lueurs, aussi belles qu’elles avaient pu être.

« - Devenir comme moi, c'est dur, kiddo, eh puis, ça ne se choisit pas. Ce sont les Étoiles qui te choisissent, puis tu n'as plus qu'à abandonner tes idées de femelles et batailles. Mais même ceux qui ne sont pas élus doivent se tenir à carreaux. »

L’envoyé des étoiles posa sa lourde patte sur le crâne du chaton roux, couvrant ses yeux, cachant les misères, protégeant le monde du mensonge qu’il incarne. La forme fantomatique servant de guérisseur soupira, encore, toujours, comme essoufflé de vivre. Le petit le fatiguait-il ? Sa lourde patte étoilée de cicatrices s’étalait sur le front du petit, d’un geste las, fatigué, vieux.

« - Ancêtres, je vous présente ce petit. Puissiez vous le guidez dans le dédale de la vie, que jamais il ne perde de vue votre lumière. Ne l'égarez pas, et indiquez lui le chemin. »

Et alors qu’il fermait les yeux, c’était un océan d’étoiles qui s’étala dans son esprit, son imagination façonnait un monde sombre, mais lumineux en même temps. Il s’imaginait le Clan des Etoiles, et le territoire de la Toison Argentée. C’était beau, agréable, et reposant. Il se sentait naître, renaître, mourir. Petite Braise était noyé et sauvé par les vagues qu’émanaient de ce lieu. Redescendre sur terre fut difficile, l’ancre que la patte du prêcheur représentait l’abandonna, se déchirant de son front. Quand ses deux prunelles s’ouvrirent de nouveau, ce fut comme un océan de flammes dansantes. Il se sentait vivre, à sa place. Il avait trouvé le chemin, il n’était plus perdu. Enfin.

« - Petite Braise ! »

La voix crissante de sa sœur lui grimpa aux oreilles, l’arrachant de ses rêves. Descente sur Terre, chute des cieux. Le rouquin se retourna dans un geste vif, gonflant son pelage en feulant sur sa sœur qui l’interpellait un peu plus loin dans la pouponnière. Leur relation s’effilait, tissu fragile. Avec le temps, elle craquerait, et il serait impossible de la tistre de nouveau. Le rouquin porta un regard à l’esprit fatigué qui venait de le faire naître, et d’un geste amical, le salua de la tête, le remerciant d’un ronron vif, et fuyant vers sa sœur. Il lui plongea dessus, roulant avec elle sur cette terre qu’il foulait, nouveau né, enfin retrouvé. Puis perdu de nouveau.