Perspectives d'avenir ▬ feat. Nuage d'Epervier - abandon

Voilà quelques jours que Petite Rainette est aux prises du plus grand dilemme de sa vie – aussi courte soit-elle. En effet, son baptême ne devrait plus tarder et la jeune chatte ignore si elle veut devenir une guerrière ou bien une sentinelle, comme ses parents. Cette question n'avait jamais effleuré son esprit jusqu'à ce qu'une reine, le plus innocemment du monde, ne questionne la petite sur ses plans de carrière. La petite chatte a toujours pensé que le choix ne lui appartenait pas, qu’Étoile Tropicale choisirait en fonction de ce qu'il pense être le mieux pour elle. Mais visiblement, elle a son mot à dire, et un choix à faire. Cependant, comment savoir si elle prend la bonne décision ? Est-elle destinée à quelque chose en particulier ? Laquelle de ces deux fonctions est-elle le plus adaptée à ses qualités et ses défauts ? Petite Rainette n'en a pas la moindre idée. Et elle a beau retourner la question dans tous les sens, elle ne parvient pas à trouver une réponse correcte. Elle a bien essayé de questionner sa mère sur la question mais … elle craint qu'Aigle Vif ne soit pas suffisamment subjective pour la conseiller au mieux. Après tout, l'unique souhait d'une mère est de savoir que son enfant est à l'aise dans ses choix. Le souci, c'est que Petite Rainette ne sait même pas encore quel choix elle doit faire.

C'est donc perturbée par cette perspective d'avenir qu'elle fait les cent pas devant la pouponnière, espérant que la solution tombe du ciel comme une goutte de pluie. La meilleure des choses seraient sûrement de questionner quelques guerriers et sentinelles, histoire qu'ils lui donnent leurs avis sur la question. Mais la petite chatte a sincèrement peur de les déranger avec ses questions incessantes. Généralement, les adultes ont mieux à faire qu'écouter les élucubrations sans queue ni tête des chatons. C'est pourquoi, en désespoir de cause, Petite Rainette jette un regard en direction de la tanière des apprentis. Après tout, ils sont les mieux placés pour leur parler d'apprentissage, non ? Forte de cette idée, elle trottine jusqu'au terrier où les novices dorment seulement lors des intempéries. Elle reconnaît néanmoins la silhouette de Nuage d’Épervier à l'entrée du tunnel. Aussitôt, elle le hèle :

• Eh, Nuage d’Épervier ? Tu dors ?

Si le novice est bel et bien endormi, Petite Rainette ne compte pas le réveiller. Elle se doute que l'entraînement doit être épuisant et qu'il ne faut perturber le sommeil des apprentis sous aucun prétexte. Si jamais le chat brun ne peut répondre à ses questions, elle cherchera quelqu'un d'autre. Néanmoins, le matou était apprenti-sentinelle, ce serait vraiment intéressant de connaître ses ressentis quant à sa formation ...

Cela faisait bientôt une lune que le jeune mâle brun avait été autorisé à reprendre les entraînements. Trois lunes auparavant, il avait été condamné et immobilisé afin de se remettre de ses blessures. Puis un peu moins de deux lunes après l'incident, l'animal avait été permis de sortir à nouveau du Camp. Mais c'était une autre délivrance qu'il avait alors attendu : enfin, être autorisé à se promener seul et à reprendre son apprentissage de sentinelle. Et il aurait bien du mal à admettre que la reprise était plus difficile que prévu, et qu'il se fatiguait plus rapidement qu'autrefois. Néanmoins, la féline claire qui prenait en charge ses entraînements avait sans doute compris que son apprenti avait perdu en endurance, si bien qu'elle le ménageait encore un peu. Bientôt, il espérait être nommé sentinelle, lui qui avait déjà pris du retard... Il n'en pouvait plus de ce nom de Nuage qui lui collait à la fourrure.

« Eh, Nuage d’Épervier ? Tu dors ? »

Le novice qui était allongé sur le flanc se dressa, relevant la tête vers son interlocutrice. Il reconnut alors Petite Rainette, l'une des filles d'Aigle Vif et Museau Pâle. Il se leva alors, s'ébrouant.

« Oh non, je somnolais seulement, t'inquiète. »

Il sourit avec sympathie à la tricolore, ne voulant pas l'effrayer. Il avait idée, notamment grâce à Nuage de Mamba, que certains chatons pouvaient être très impressionnés par leur aînés, c'est pourquoi il souhaitait se montrer accessible à la jeune femelle. Il était déjà courageux d'aborder un camarade, à ce stade de la vie.

« Dis-moi ce qui t'amène ici, Petite Rainette. » Il marqua une pause et reprit. « Tu t'ennuies dans la pouponnière, hein ? Bientôt le baptême, pas trop stressée ? »

Il se voûta vers la petite, amical. Il arrivait que des chatons demandent aux jeunes apprentis des conseils, des astuces ou des avant-goûts de la vie d'aspirant. Aucun chaton n'avait encore demandé ce genre de choses au fils du lieutenant, mais il réalisait qu'il serait ravi de pouvoir transmettre un peu de son quotidien à une boule de poils énergique comme on en voyait souvent dans la pouponnière. D'autant plus qu'enseigner à la fille d'une camarade sentinelle serait un honneur !

HRP:

Accroupie devant la tanière des apprentis, la mine soucieuse, Petite Rainette guette le moindre geste de Nuage d’Épervier. S’il ne répond pas à son premier appel, la petite n’insistera pas. Elle ne veut surtout pas le déranger si le jeune matou a besoin de se reposer. Pourtant, la tête du novice pivote dans sa direction, visiblement étonné de la voir, mais pas furieux. C’est déjà ça ! Petite Rainette s’en voudrait sincèrement si elle avait perturbé le repos de son camarade. Néanmoins ce dernier la rassure aussitôt, se levant pour la rejoindre à l’entrée de l’ancien terrier. La jeune chatte recule d’ailleurs de quelques pas afin de lui laisser un petit peu plus de place. Rassurée par le ton avenant de Nuage d’Épervier, Petite Rainette s’assoit face à lui, sa queue touffue venant s’enrouler autour de ses pattes avants.

Tu t'ennuies dans la pouponnière, hein ? Bientôt le baptême, pas trop stressée ?

Stressée n’est pas trop le terme. Impatiente non plus, d’ailleurs. Disons plutôt qu’elle se questionne énormément. Sans vraiment craindre de ne pas être à la hauteur, elle espère simplement ne pas être une perte de temps pour son futur mentor. Petite Rainette veut ce qu’il y a de mieux pour son Clan et, parfois, elle se demande si elle fait vraiment partie de l’équation, si elle n’est pas un zéro inutile coincé entre deux nombres. Elle tient à apporter sa contribution, oui, mais elle refuse de représenter un fardeau pour sa tribu.

En tout cas, Nuage d’Épervier lui paraît bien sympathique et Petite Rainette lui en est reconnaissante. Un autre apprenti l’aurait peut-être chassé sans plus de cérémonie, mais lui prend le temps de la questionner sur ses états d’âme. Ressentant soudain le besoin impérieux de se confier à quelqu’un, la petite chatte tricolore laisse ses doutes et ses incertitudes s’échapper sans même chercher à les retenir :

En vérité, je me demande surtout ce qui m’attend. D’autant plus que j’ignore si je suis destinée à devenir une guerrière ou une sentinelle. Mes parents en sont mais … cela signifie-t-il forcément que je suis faite pour ça, moi aussi ?

Petite Rainette n’est pas du genre à croire que les enfants sont forcément des copies conformes des parents, ou qu’ils doivent forcément marcher dans leurs pas. Néanmoins, elle est d’avis que chaque être vient en ce monde avec un but précis, une mission individuelle que chacun se doit de mener à bien. En d’autres termes, elle croit au destin et est incapable de savoir ce que le sien lui réserve…

Et si … et si je m’engage dans une voie et que je réalise que ce n’est pas la bonne ? Un retour en arrière est-il seulement possible ?

Mais la réponse de Petite Rainette surprit un peu le novice, qui s'attendait à un simple hochement de tête. Après tout, tout chaton était un peu stressé à la veille de son baptême, non ?

« En vérité, je me demande surtout ce qui m’attend. D’autant plus que j’ignore si je suis destinée à devenir une guerrière ou une sentinelle. Mes parents en sont mais … cela signifie-t-il forcément que je suis faite pour ça, moi aussi ? »

L'aîné pencha sa tête sur le côté, vraisemblablement pensif. Il n'avait pas connu ce problème, étant né d'un père sentinelle et d'une mère guerrière. Mais il comprenait -en tous cas, il essayait- la difficulté que pouvait ressentir la tricolore à choisir dans un tel contexte. La petite poursuivit.

« Et si … et si je m’engage dans une voie et que je réalise que ce n’est pas la bonne ? Un retour en arrière est-il seulement possible ? »

Nuage d'Épervier réfléchit. Il ne fallait pas répondre n'importe quoi à la pauvre femelle qui venait de lui confier ses peurs. Il resta silencieux un moment, durant lequel ses yeux semblaient chercher réponse le bleu du ciel. Mais il finit par miauler à sa camarade :

« Tu sais Petite Rainette, je ne crois pas qu'il te faille penser ton avenir par rapport à celui de tes parents. Ce que je vais te dire peut avoir l'air niais, mais je pense que c'est profondément vrai : le mieux que tu puisses faire, c'est d'écouter ton cœur. » Il marqua une pause. « Je crois que c'est ce que j'ai fait lorsque j'étais à ta place. Bien sûr, devenir sentinelle était aussi un prétexte pour impressionner mon père et espérer le rendre fier mais... » Son regard se posa dans celui de la chatonne. « j'avais surtout envie d'être en première ligne pour défendre notre territoire. Et je ne regrette pas ! J'aime prendre mon tour de garde et attendre là-bas, veiller chaque seconde pour mes camarades et pour moi-même. Cela ne me dérange pas. Maintenant... Je sais que d'autres préfèrent chasser, et avoir moins de responsabilités à porter. C'est important aussi, de savoir nourrir son Clan et cela n'empêche pas de savoir se battre. » Il sourit à Petite Rainette alors qu'il s'apprêtait à conclure. « Moi je ne crois pas que l'on soit destiné à l'un ou l'autre. Ce n'est qu'une question de goût ! Les entraînements feront de toi une bonne sentinelle, ou une bonne guerrière. On ne naît pas l'un ou l'autre; on le devient. Et quant à savoir si tu pourras revenir en arrière... Je ne pense pas qu'Étoile Tropicale voudrait d'une guerrière malheureuse ou d'une sentinelle pleine de remords. Pourquoi tu ne pourrais pas changer ? Nuage des Vents est bien devenue apprenti-guérisseuse après avoir été apprenti-guerrière, non ?! »

Son regard s'adoucit, son ton était bienveillant.

Petite Rainette est perturbée. Toutes ces questions qu'elle se pose … Est-ce que tous les chatons passent par là à l'approche de leur baptême ? Ou bien est-elle la seule à l'appréhender de la sorte ? Généralement, cet événement est attendu avec énormément d'impatience par les plus jeunes. Ils ont hâte d'apporter leur contribution, d'apprendre à chasser ou à se battre, de se sentir presque comme des adultes. Pourtant, Petite Rainette ne voit pas les choses ainsi. Elle a bien du mal à s'imaginer capable d'attraper quelque proie que ce soit, et encore moins d'attaquer qui que ce soit. Comme si … comme si elle craignait que tout cela aille forcément de paire avec des choses plus terribles. Elle ne saurait dire quoi exactement, mais cette crainte refuse de la quitter, comme une pierre logée au creux de son estomac. Et elle a beau retourner le problème dans tous le sens, elle est parfaitement incapable de savoir comment le régler. C'est pourquoi il est vraiment important pour d'elle d'aller prendre la température auprès d'autres chats, et surtout d'apprentis. Il y a quelques lunes, ils étaient à sa place, et peut-être se posaient-ils les mêmes questions qu'elle. Ont-ils réussir à passer outre ? A obtenir des réponses avant le jour J ? Sont-ils encore perturbé par les choix qu'ils ont du faire ? Regrettent-ils ?

Le regard bienveillant de Nuage d’Épervier parvient néanmoins à apaiser un peu les craintes de Petite Rainette. Il semble parfaitement disposer à partager son expérience avec elle, et cela la rassure énormément. Pendant un instant, l'apprenti brun semble réfléchir, ses yeux perdus dans l'immensité bleu du ciel, et la petite chatte respecte son silence. Elle l'imite, même, observant les quelques nuages blancs se prélassant dans l'azur comme des moutons broutant un pré d'herbe bleue. Finalement, le novice prend la parole :

Tu sais Petite Rainette, je ne crois pas qu'il te faille penser ton avenir par rapport à celui de tes parents. Ce que je vais te dire peut avoir l'air niais, mais je pense que c'est profondément vrai : le mieux que tu puisses faire, c'est d'écouter ton cœur.

Écouter son cœur ? Petite Rainette baisse les yeux sur sa poitrine, comme si elle pouvait y trouver la réponse à ses questionnements. Puis elle recentre son attention sur Nuage d’Épervier. Il lui tient un discours sincère et rassurant, que la petite écoute sans jamais chercher à l'interrompre. Alors … tout n'est qu'une question de goût ? Elle n'est pas destinée à être l'un ou l'autre : c'est à elle, et à elle seule, de choisir ce qu'elle estime être le mieux pour elle, concernant ses attentes, ses préférences, mais ses peurs aussi. Et si jamais elle fait fausse-route … Elle ne sera pas coincée dans un cul-de-sac. Elle pourra faire marche arrière et choisir un autre chemin. Parce que rien n'est figé et qu'il est possible de tout modifier. Petite Rainette a le droit à l'erreur, elle a le droit de se tromper et de vouloir arranger les choses. Ce n'est qu'en trouvant sa place qu'elle se sentira épanouie, et qu'elle aidera le Clan le plus efficacement. Parce qu'un chat malheureux, à l'étroit dans son cul-de-sac, ne saura regarder l'avenir avec les bons yeux.

Se sentant soudain bien plus légère, Petite Rainette lève ses grands yeux émeraudes vers Nuage d'Epervier. La flamme de la gratitude brille dans ses iris, et elle se sent soudain vraiment reconnaissante. Le Clan du Vent abrite des chats d'exception, la minette calico vient à nouveau d'en avoir une preuve sincère. Et cela lui réchauffe vraiment le cœur.

Merci beaucoup Nuage d’Épervier. Tu as raison … je dois écouter mon cœur. Elle ferme les yeux, songeuse. Mais … il est permit d'avoir peur, n'est-ce pas ? Cela ne fait pas de moi une froussarde, ni une dégonflée, hein ? Je … Je ne veux pas décevoir le Clan. Et pourtant, j'ai l'impression que tout ce qui m'attend me paraît insurmontable. Tu as ressenti la même chose, à mon âge ?

D'après ses dires, Nuage d’Épervier a en partie épousé la voie des sentinelles afin d'impressionner son père. Avait-il donc si peur de ne pas répondre à ses attentes ? Nourrit-il les mêmes angoisses, si prêt de son baptême ? Cobra Royal est-il seulement fier des efforts de son fils ? Et Museau Pâle, là-haut parmi les étoiles, sera-t-il fier de Petite Rainette, qu'importe la voie qu'elle choisi de suivre et les erreurs qu'elle risque de commettre ?

Petite Rainette leva ses grands yeux verts en direction du matou brun, un fond de gratitude dans le regard. Tout de suite, la chatonne parut plus tranquille et soulagée. Le fils du lieutenant se félicita intérieurement d'avoir pu venir en aide à la jolie tricolore.

« Merci beaucoup Nuage d’Épervier. » Il répondit d'un ronronnement enthousiaste. « Tu as raison … je dois écouter mon cœur. » poursuivait la jeune féline en rabattant ses paupières. « Mais … il est permit d'avoir peur, n'est-ce pas ? Cela ne fait pas de moi une froussarde, ni une dégonflée, hein ? Je … Je ne veux pas décevoir le Clan. Et pourtant, j'ai l'impression que tout ce qui m'attend me paraît insurmontable. Tu as ressenti la même chose, à mon âge ? »

Un sourire attendri vint lui élargir les babines. Petite Rainette avait tant à apprendre ! Et il était fier de pouvoir lui enseigner quelques petites choses avant même qu'elle n'entame son apprentissage. Il lui répondit d'un rire léger :

« Bien sûr qu'il est permit d'avoir peur ! » puis de reprendre avec plus de sérieux. « ... Je dirais même que c'est nécessaire. » Il réfléchit, à la recherche des mots justes. « Il n'y a que les idiots qui n'ont peur de rien; ça, et les tyrans ! Tu vois Petite Rainette, si nous n'avions pas peur des blaireaux alors nous serions assez stupides pour les affronter seuls... Tu as déjà entendu les contes des anciens, n'est-ce pas ? Alors tu sais que les blaireaux sont très dangereux et que les chats qui ont réussi à en affronter seul depuis la création des Clans se comptent sur les coussinets d'une patte. Si nous ne craignions pas ces grosses bêtes, nous rejoindrions bien vite le Clan des Étoiles, ha ha ! » Il se laissa aller avant de poursuivre d'un ton empli de bienveillance : il voulait rassurer la fille d'Aigle Vif. « La peur est signe d'intelligence. Les chats courageux ne sont pas ceux qui n'ont pas peur : ce sont ceux qui affrontent leur peur ! Mais, tu te mets trop de pression je crois. La vie est belle Petite Rainette, ne la gâche pas avec tout ce stress ! Tu n'es encore qu'une chatonne, profite de n'avoir aucune responsabilité ha ha ! Lorsque tu seras apprentie, tu verras : tout coule de source et tes aînés t'enseigneront tout ce que tu as besoin de savoir pour être une bonne guerrière. »

Il taquina l'enfant d'une pichenette sur le museau assénée de sa queue. Un doux ronronnement retentit avant qu'enfin il ne finisse.

« A ton âge, je devais encore être un idiot car ce monde ne me faisait pas vraiment peur. Tout ce que je voulais, c'était apprendre à protéger les êtres qui me sont chers. La lande et ses dangers... Je n'y réfléchissais même pas ! Heureusement depuis j'ai eu tout le loisir de les découvrir ! » Il lui fit un petit clin d’œil en désignant la vilaine balafre qui lui barrait la gueule.

HRP:

Pour Petite Rainette, la peur n'est pas quelque chose de mal. Au contraire, si elle existe, c'est pour prévenir des dangers et s'assurer de rester en vie. L'instinct de survie, en somme. Et pourtant, d'après certains, c'est un handicap qui empêche un chat d'être courageux. Elle entend souvent des chats du Clan dire qu'il est important de savoir combattre ses peurs et les éliminer pour ne plus y être soumis. Est-ce qu'elle doit vraiment agir comme ça ? Doit-elle repousser ces sensations instinctives et faire fit de tout danger ? Elle a bien du mal à croire qu'il s'agit là de la meilleure des solutions. C'est pourquoi elle a ressenti le besoin de poser directement la question à Nuage d'Epervier. Ses conseils sont si sages, il saura la conseiller comme il le faut. Du moins, c'est le sentiment que Petite Rainette ressent au plus profond d'elle-même.

Bien sûr qu'il est permit d'avoir peur ! ... Je dirais même que c'est nécessaire. Il n'y a que les idiots qui n'ont peur de rien; ça, et les tyrans ! Tu vois Petite Rainette, si nous n'avions pas peur des blaireaux alors nous serions assez stupides pour les affronter seuls... Tu as déjà entendu les contes des anciens, n'est-ce pas ? Alors tu sais que les blaireaux sont très dangereux et que les chats qui ont réussi à en affronter seul depuis la création des Clans se comptent sur les coussinets d'une patte. Si nous ne craignions pas ces grosses bêtes, nous rejoindrions bien vite le Clan des Étoiles, ha ha !

Petite Rainette hoche rigoureusement la tête. C'est exactement ainsi qu'elle voit les choses. La peur permet aux chats d'être plus prudents. De réfléchir avant d'agir. Certes, personne ne ressent la peur de la même façon et parfois, ce qui effraie les uns n'effraie pas les autres. Mais ça, c'est propre à chacun, tout comme la compassion ou l'affection. Les sentiments, tels qu'ils soient, sont différents pour chacun et c'est ce qui fait de chaque chat un être unique en son genre. L'individualité est une notion très importante pour la petite. Elle aime se dire qu'elle est elle-même et pas quelqu'un d'autre. Qu'elle existe en tant que singularité et que ses sentiments n'appartiennent qu'à elle. C'est bien plus rassurant de se dire que l'on est unique plutôt qu'appartenant à une masse sans personnalité propre – même si, quelque part, il est aussi confortable de s'identifier d'une façon ou une autre à ses semblables. Mais Petite Rainette divague. Alors elle se concentre de nouveau sur les mots de Nuage d'Epervier.

La peur est signe d'intelligence. Les chats courageux ne sont pas ceux qui n'ont pas peur : ce sont ceux qui affrontent leur peur ! Mais, tu te mets trop de pression je crois. La vie est belle Petite Rainette, ne la gâche pas avec tout ce stress ! Tu n'es encore qu'une chatonne, profite de n'avoir aucune responsabilité ha ha ! Lorsque tu seras apprentie, tu verras : tout coule de source et tes aînés t'enseigneront tout ce que tu as besoin de savoir pour être une bonne guerrière.

La petite chatte le sait : elle pourra toujours compter sur les siens pour la tirer vers le haut. Parce que le Clan du Vent est solidaire et droit. Elle ne sera jamais seule et elle trouvera toujours une oreille attentive pour écouter ses soucis. Bien qu'elle préférerait ne pas être celle qui se plaint tout le temps ! Elle espère, qu'en retour, un jour, elle soit celle qui soutien. Mais pour l'heure, elle est bien trop jeune pour que qui que ce soit se sente à l'aise à l'idée de lui partager ses états d'âme. Ce jour viendra. Mais Petite Rainette doit grandir, d'abord.

A ton âge, je devais encore être un idiot car ce monde ne me faisait pas vraiment peur. Tout ce que je voulais, c'était apprendre à protéger les êtres qui me sont chers. La lande et ses dangers... Je n'y réfléchissais même pas ! Heureusement depuis j'ai eu tout le loisir de les découvrir !
C'est un chat qui t'a fait ça ? Tu as eu mal ?

Bien évidemment, la curiosité naturelle revient au galop et elle en oublie tous ses principes de politesse. Pourtant, les reines s'acharnent à lui apprendre la délicatesse et le respect, mais il faut croire que la petite a encore des efforts à fournir avant de parvenir à garder sa langue dans sa gueule. Cependant, Nuage d'Epervier lui a donné une occasion en or pour le questionner sur ce monde extérieur dont elle ignore encore tout. La lande est-elle donc si dangereuse que cela ?! Elle peine à y croire et, pourtant, la cicatrice de l'apprenti est une preuve suffisante. Mais que voulez-vous, elle est encore jeune. Petite Rainette comprendra bien des choses en grandissant, au fil de ses propres expériences de vie.

Tu … Tu n'as pas eu peur en sortant pour la toute première fois ? Tu n'as pas eu peur de découvrir la lande ? Même si je rêve de mettre les pattes dehors … je suis aussi effrayée à l'idée de ce que je pourrai y découvrir !

Aussitôt, l'enfant demande :

« C'est un chat qui t'a fait ça ? Tu as eu mal ?
- Oui, ce sont des ombreux qui m'ont fait ça. » Il marque une pause. « Je devrais peut-être te persuader que je n'ai pas eu mal, mais ce serait un gros mensonge. Oui, j'ai eu mal mais en toute honnêteté, c'est mon ego qui a pris le plus ! Et puis... j'ai eu moins mal que ce que j'aurais pu croire, tu vois. »

Nuage d'Épervier espère que sa bonne foi suffira à convaincre la petite. Lui aussi aurait apprécié pouvoir discuter avec un aîné, à la place de Petite Rainette mais il lui faut garder en tête que la véracité de ses réponses détermine tout l'intérêt de leur discussion. S'il se met à mentir à la tricolore, elle risque de lui en vouloir ou pire encore, de penser qu'elle est douillette ou lâche en comparaison à ses camarades.

« Tu … Tu n'as pas eu peur en sortant pour la toute première fois ? Tu n'as pas eu peur de découvrir la lande ? Même si je rêve de mettre les pattes dehors … je suis aussi effrayée à l'idée de ce que je pourrai y découvrir ! »

Petit Épervier était un chaton très téméraire. Il aimait l'idée de conquérir le monde, et de s'approprier son environnement. Aussi, sa volonté de protéger sa fratrie noyait sa prudence et les craintes naturelles que peuvent avoir les jeunes chats. En y réfléchissant bien, il a eu beaucoup de chance de naître au sein d'un Clan et de se retrouver avec Éclat d'Argent comme guide ! Seul, nul doute qu'il aurait expérimenté par lui-même tous les dangers du monde extérieur... au péril de sa vie !
Nuage d'Épervier s'étonne un peu. Petite Rainette est incroyablement sage, finalement et ne semble pas totalement soumise à la légendaire fougue de la jeunesse. La fille d'Aigle Vif ne serait-elle que prudence ?!

« Je te rassure, les guerriers passent leur temps en patrouille alors il n'y a pas grand-chose à craindre sur nos terres. En plus, tu ne sortiras seule que lorsque tu seras capable de te défendre. Aucun mentor ne laisserait une novice en autonomie pour sa première sortie ! »

Mais il entend ses peurs. C'est vrai, même un matou aguerri peut se retrouver dans une situation délicate et dangereuse voire mortelle. Ces cas sont rares, et puis les chats du Clan du Vent sont sans aucun doute les meilleurs coureurs de Cerfblanc de toute façon. Mais, la remarque de sa cadette n'est pas idiote et même bourrée d'intelligence.

« Tu finiras par connaître la lande par cœur. Et si tu es surprise, n'oublie pas que les guerriers du Clan du Vent sont les plus rapides : je ne connais que les lapins pour galoper aussi vite que nous ! »

Curieuse comme à son habitude, Petite Rainette observe un instant la cicatrice de l'apprenti, se demandant quelle douleur ce genre de blessure peut provoquer. D'après Nuage d'Eperver, il la doit à des membres du Clan de l'Ombre. Quelle bande de bouffeurs de rats ! Ca lui fait tant de peine de s'imaginer que des chats puissent se faire si mal … Pourquoi toujours favoriser la bagarre ? Elle, elle espère ne jamais avoir à se battre de toute sa vie, bien qu'elle contente sincèrement pouvoir y échapper. Bien malheureusement, la guerre rythme la vie des Clans depuis des générations, maintenant. Ce n'est pas maintenant que ça va s'arrêter, au grand damne de la petite. Il y aura toujours une raison pour se battre, quelle soit légitime ou non. Et Petite Rainette déteste ça. Cette paix fragile qui n'augure rien de bon, comme le calme avant la tempête. Parce qu'elle le sait, les grèves sont bien rares et, dès le lendemain, une bataille peut éclater sans crier gare. Elle espère simplement que le Clan du Vent ne soit jamais prit pour cible.

En tout cas, Nuage d'Epervier se veut rassurant. Comme il le dit, les patrouilles régulières garantissent la sécurité de leur territoire et, de toute façon, le jour où elle sortira seule n'est pas encore venu. Jamais elle ne pourra parcourir la lande avant d'être parfaitement formée pour agir en cas de pépin. Si Petite Rainette émet encore quelques doutes, elle accepte pourtant de faire confiance à son aîné. S'il lui assure qu'elle ne risque rien .. alors c'est que c'est bien le cas. Il n'aurait aucune raison de lui mentir, et encore moins de l'effrayer pour rien. Et de toute façon, étant donné le discours que la petite lui tient depuis le début, il doit se douter qu'elle n'est absolument pas du genre à vouloir se sauver à tout va, bien au contraire. Petite Rainette refuse de mettre une patte dehors tant qu'elle n'en aura pas l'âge, parce qu'elle ne veut absolument pas prendre le risque de faire peur à sa mère. Alors s'il est mieux pour elle de rester en sécurité dans le camp jusqu'à son baptême … ainsi soit-il !

Tu finiras par connaître la lande par cœur. Et si tu es surprise, n'oublie pas que les guerriers du Clan du Vent sont les plus rapides : je ne connais que les lapins pour galoper aussi vite que nous !
C'est vrai que l'on court vraiment très vite !

Soudain bien plus joyeuse, elle pose sur l'apprenti un regard rempli d'étoiles, témoignant le respect qu'elle ressent concernant les rapides guerriers du Clan du Vent. Sera-t-elle aussi véloce, à l'âge adulte ? Pour le moment, son corps est encore trop rond et ses pattes trop petites pour lui garantir une vitesse de course impressionnante. Mais qu'à cela ne tienne, elle est certaine qu'elle fera honneur à la réputation de sa tribu, lorsqu'elle sera plus grande.

C'est alors que la tête de sa mère apparaît à l'entrée de la pouponnière, l'appelant doucement. Comprenant qu'il est temps pour elle de rentrer, Petite Rainette se lève et adresse à Nuage d'Epervier un petit signe de la tête en signe de gratitude.

Je vais devoir rentrer. Merci beaucoup pour m'avoir écouté … je crois que j'appréhende pourquoi moi mon baptême, à présent !

Et ni une ni deux, là voilà qui tourne les talons et se presse de rejoindre sa mère. Cette dernière la gratifie d'un petit coup de langue sur les oreilles avant de disparaître dans la pouponnière. Avant de l'imiter, Petite Rainette adresse un dernier regard à Nuage d'Epervier, en espérant avoir l'occasion de discuter avec lui de nouveau, dans le futur ...