How to save a life? [Ft Rusty] - abandon

 
Des pépiements d'oiseaux joyeux, un tas de gibier relativement rempli, tout dans le camp de l'Ombre montrait qu'il s'agissait d'un beau jour, même pour la saison des feuilles nouvelles. Les anciens doraient leur fourrure au soleil, certains sommeillaient, d'autres discutaient entre eux. Devant la pouponnière, des chatons jouaient, probablement ceux de Bouquet de Muguet. Ceux de feu Chant d'Alouette étaient pour l'instant sans doute trop jeunes. Il devrait aller les voir, après tout ces orphelines étaient ses nièces, et il devait bien leur montrer qu'elles avaient une famille. Jouer le rôle d'une figure paternelle pour elles en quelque sorte, comme Feuille de Houx, leur défunt géniteur l'avait fait pour lui, Museau Gelé et Nuage Nerveux. 

Cependant, il ne sentait pas capable de mettre un masque pour le moment, et il n'était pas question de leur montrer le visage d'un oncle défait. De toute façon, il ne ferait pas illusion, sa fatigue se lisait sur son faciès. Ainsi, il se faisait refuser dans la majorité des patrouilles qui en le voyant, lui recommander plutôt d'aller se reposer. Le tacheté savait que ceux-ci étaient sans doute un peu inquiets pour lui, ou alors ne voulaient pas se trimbaler un chat qui semblait tenir debout grâce à une opération sacré du clan des Etoiles. Et il comprenait cela. Mais ils ne les écoutaient pas. Car il savait très bien que le sommeil dans lequel il s'enfoncerait une fois couché serait loin d'être un repos saint et récupérateur. Non, loin de là. Il ne ferait que plonger dans un abysse sombre où seul l'attendrait le néant et la culpabilité et de temps en temps, le fantôme d'un de ses proches, ou alors celui de ce solitaire, qui disparaîtrait dès qu'il l'atteindrait. Ce cauchemar récurent le hantait, lui faisait comprendre l'expression "avoir ses démons intérieurs" et "être son propre ennemi". Il avait l'impression de retourner en enfance, quand il était un chaton qui ne voulait absolument pas dormir, qui finissait fatalement par tomber, rattrapé par ses besoins naturels. Et il savait pertinemment que cette fois-ci non plus, il n'y échapperait pas, qu'il échouerait, qu'il retournerait dans ses rêves obscurs et il le redoutait. 

C'est pour cela qu'il essayait de s'occuper en permanence, de patrouiller, de chasser depuis quelques temps. Il dépassait ses limites et il sentait bien que son corps était contre cela. Cependant, comme personne ne l'acceptait avec lui, il quitta le clan seul, et marcha, ignorant sa raison. A présent que son apprenti était devenu un guerrier, il avait moins de responsabilités, à son grand regret, alors qu'il les fuyait peu auparavant.  Il aperçut une souris, mais fut tellement lent dans ses gestes que celle-ci s'échappa bien vite, avant même qu'il se mette en position de bondir. Il soupira et continua d'avancer, reprenant son habitude qui avait suivi la mort de Papillon de Lune: l'errance. Celle qu'il l'avait mené à rencontrer Cœur de Givre, cette guerrière du Tonnerre. Il reprit le même chemin, ses pas semblant toujours le mener au même endroit. Mais cette fois-ci, il ne s’arrêta pas avant. Il continua, trop occupé à regarder ses pattes, à leur ordonner d'avancer pour se préoccuper d'autre chose. Ainsi, il ne remarqua pas que le sol passa d'herbe à terre.

Mais un bruit strident le ramena à la réalité, et il releva la tête pour voir arrivé sur lui un monstre, mais pas assez pour réagir comme il l'aurait fait en temps normal. Il resta figé.

Est-ce que Nuage de Violette avait ressenti la même chose que lui à cet instant? Probablement  non, elle avait surement eu une peur qui l'avait clouée sur place tandis que son instinct avait hurlé dans sa tête. Ce n'était pas son cas. C'était comme une brume recouvrant ses yeux, inhibant cette voix de la survie, qui l'empêchait de voir le danger arrivait, bien qu'il pressentait que quelque chose n'allait pas. 

Mais au final, l'issue possible de cette situation était-elle si déplaisante que cela? Ne la méritait-il pas, après tout?
 

N^ON

Sans équivoque. Personne ne méritait un sort pareil - personne ne méritait d'avoir sa vie fauchée sans pouvoir y faire quoi que ce soit.

Oh mais ça arrivait, et Rusty le savait, car Rusty en avait fait les frais, avait souffert des lourdes pertes que la vie lui avait issue pour pas grand plus de raison que « elle s'est étouffée », ou « il est parti », ou « un accident l'a fauché », mais il y avait dans le coeur de cet abyssin une rage de vivre qui brûlait comme un feu et qui lui permettait toujours (ou presque) de se remettre de ses blessures. De se relever quand il tombait. De se réceptionner quand sa planche faisait TOC! et le désarçonnait carrément pour le propulser sur la chaussée. Rusty tentait de tout prévenir - prévenir le Clan de l'Ombre d'attaquer Muguet et son frère, Trash de manger tout ce qu'il trouvait, ou Monsieur Houx de traverser l'autoroute sans regarder des deux côtés.

Mais ce qui brûla dans son coeur à cet instant fut plus fort que le feu de sa survie personnelle ; ce qui brûla dans son coeur à cet instant le transforma en véritable Éclair Cannelle - enterré sous le klaxon de la voiture qui approchait à grande vitesse, ses griffes claquetèrent contre l'asphalte et tout son corps se propulsa par en avant dans une prodigieuse allonge ; il ouvrit la bouche (ses poumons se prirent une bouffée d'air chaud et de gazoline) et il referma solidement ses dents dans la nuque du malheureux qui allait se faire frapper. Contact des pattes au sol - il sortit le dos - noua ses dorsaux - rondit la nuque et tira de tout son soûl en se poussant sur ses postérieurs. Il n'eut assez de force dans son élan que pour soulever leurs deux corps hors du chemin du véhicule (qui eut de toute façon le mouvement de tenter de les éviter d'un crissement vers le centre de la chaussée) avant de relâcher sa prise, le contre-poids l'envoyant valdinguer dans l'herbe sèche, tout près du fossé qui séparait l'accotement de la frontière des Terres de l'Ombre. Mais le feu de son coeur le fit tout aussi sèchement se relever sur ses pattes, faire volte-face, haletant, le blanc des yeux sorti, son regard troublé par l'émotion à la recherche de l'autre pour s'assurer qu'il allait bien, il fut vite forcé à retomber sur l'arrière train, courbant la nuque et sortant la langue.

La brûlure ne tarderait pas à remonter ses veines et ses articulations, Rusty coucha les oreilles mais les redressa au rebond comme deux grands satellites pour les pivoter vers le chat, affalé non-loin, revêtant une pelisse à pois comme il n'en avait jamais vu mais ce n'était pas important. Ce qui était important, c'était qu'il était encore vivant, alors Rusty, à bout de souffle, lui miaula d'une voix éreintée pour s'enquérir de son état:

— Hr'Est-...  une plainte lui échappa, il ferma les yeux (ils lui piquaient après le passage de la fumée du pot d'échappement), est-ce que ça,  haff,    _haff,      ça va??...

 
 Alors que la brume ne se dissipait toujours pas, que ses pattes restèrent planter là elles étaient, un autre esprit comprit la situation pour lui, d'autres membres se propulsèrent pour le porter hors du danger. 

Tout allait trop vite, beaucoup trop vite. Fougue du Léopard sentit des crocs s'enfonçaient dans sa nuque, et par pur réflexe -il n'y avait plus que ça qui semblait vouloir répondre chez lui- lâcha un gémissement sous l'effet de douleur surprise qui n'était rien face à celle qu'il aurait ressenti lors de l'impact. Mais ça, il ne le saurait pas. Il se fit tirer, tel la poupée de chiffons qu'il était à cet instant, hors de la trajectoire du monstre qui allait le faucher, celui-ci ayant fait un ultime écart qui aurait vain sans l'intervention de ce mystérieux inconnu, de cette force qui l’entraînait avec elle, sans qu'il en sache la provenance. 

Il ne comprenait toujours rien, et ce ne fut qu'après avoir roulé dans l'herbe du bas-côté et s'être arrêté que ses pattes semblèrent vouloir enfin lui répondre. Il sentait qu'il pouvait les bouger, mais il était là, avachi sur son flanc et sans savoir pourquoi, il n'avait pas une once d'envie de se relever. Il était resté trop longtemps débout, et c'était comme si maintenant, il ne pourrait plus jamais l'être. Et il aurait pu. 

— Hr'Est-... est-ce que ça,  haff,    _haff,      ça va??...

Il entendit une voix, mais la brume était encore un peu là dans sa tête, alors dans un effort qui lui semblait être ultime, il s'appuya sur ses membres avant, pour se retourner, pour voir qui lui parlait. 

Et c'est là qu'il le vit. Qu'il la vit. Car à cet instant, il ne contemplait pas son sauveur, un solitaire altruiste. Non. A ce moment, il voyait en lui, en cette fourrure brune, celle de sa sœur, Nuage Nerveux. Stupéfaction. Mais surtout, joie. Une joie immense qui éclata dans son cœur. Toute fatigue oubliée il se releva d'un bond.

"Ner...!"

Et il s'interrompit subitement, prenant pleinement conscience de la situation. Ses griffes se plantèrent dans le sol pour arrêter sa course vers celui qui était un inconnu pour lui. Un inconnu qui l'avait sauvé.

Et ce fut un brutal retour à la liberté. L'illumination qui avait traversé ses yeux n'étaient maintenant plus qu'un pâle souvenir dans ceux à présent ternes. A se demander si elle avait eu lieu. Car ce chat n'avait rien à voir avec Nerv, si ce n'est la couleur de son pelage, qui l'avait fait rêvé. Il était bien plus grand que la dernière qu'il l'avait vu. Peut-être aussi grand qu'elle l'aurait été si il  avait été là pour elle, car il aurait du. 

Et il n'était donc pas au Clan des Etoiles près d'elle, près de Houx, de Papillon. Non, il était encore là, parmi les vivants, alors qu'il n'en était lui-même plus vraiment un. Comment avait-il pu croire être au milieu des astres? Il avait du SANG sur les pattes. Celui de ce solitaire, celui de ses proches qu'il n'avait pas aidé. 

Et maintenant, on avait sauvé sa vie, on avait risqué la sienne pour lui! Alors qu'il ne méritait rien! 

"Merci."


Rares étaient les fois où il avait été si peu sincère. Ou pas. C'était un peu son lot quotidien en ce moment. 

Mais il n'y avait pas de gratitude à avoir. Du moins, il n'aurait pas du faire ça. Il ne le méritait pas! 

Et puis comment? COMMENT? 

HRP:

 

Son feu prit aux pattes du chat à pois qui se redressa d'un bond, le visage illuminé d'un sourire, Rusty se dit de reconnaissance, peut-être? Il avait raison, l'autre chat s'était bien relevé en reconnaissant quelque chose chez lui mais Rusty n'aurait jamais pu comprendre quoi.

— « Ner...!

Il pointa très haut des oreilles en rondissant les yeux, emporté par l'enthousiasme de son interlocuteur. Mais son interlocuteur sortit les griffes pour se freiner et s'immobiliser devant lui, et tout son enthousiasme déguerpit de ses yeux comme la voiture sur la route.

Rusty abaissa ses oreilles, confus, déçu, peiné car bientôt il lut dans les yeux de l'autre chat un sentiment qui ne lui était pas tout à fait inconnu : un faux espoir.

Un faux espoir si puissant qu'il l'avait porté sur ses quatre pattes prêt à affronter n'importe quoi, mais trop puissant, trop brûlant, car maintenant l'autre chat avait été entièrement consummé et il se tenait debout devant ce qui n'était plus qu'un pauvre domestique - un pauvre solitaire au poil en bataille qui haletait dans l'herbe.

Le chat n'était plus que les cendres laissées derrière le feu de son faux espoir:

— Merci. »

Et Rusty se reconnut douloureusement dans ce regard terne. Et tout aussi douloureusement, il s'efforça à étirer les commissures de ses babines en sourire, cordial, qui se distordit en grimace, ses yeux se mouillant déjà au reflux de larmes qui montaient. Il n'était pas celui que l'autre chat voulait voir, et ce sentiment, il était le plus à même de le comprendre.

— « Je suis dés_olé... !    il hoqueta, retenant le sanglot d'un rire en se sentant bizarrement à la fois reconnaissant, compatissant et compréhensif à sa peine.

Il était désolé d'être juste Rusty et pas l'autre chat qu'il voulait voir. Il était désolé d'avoir interrompu le Clanique dans ses pensées en l'indisposant de ses dents dans sa nuque. Il était désolé de sa perte - de son faux espoir - il était désolé de le comprendre qui sait, peut-être que ce chat était orgueilleux et préférait vivre sa souffrance tout seul sans se faire déranger par des Rusties qui passaient? Ou peut-être que s'être immobilisé au milieu de la chaussée n'avait pas été fait au hasard et que,--

Quand quelqu'un vous sauvez la vie, on le remerciait chaleureusement, on était empli de gratitude à son égard. Surtout quand il avait pris un risque pour la sienne. Quand une personne assez altruiste pour vous éloignez du danger tout en s'y exposant, avec assez d'abnégation pour mettre en priorité un autre inconnu avant soi, apparaissait dans votre vie, il y avait de quoi se dire chanceux. 

Mais ça, chanceux, Fougue du Léopard ne réalisait pas de l'être. Tellement enfoncé dans son malheur, dans ce faux espoir, dans les souvenirs de ses proches qui ne reviendraient pas. Qui, eux, n'avaient pas été aussi chanceux que lui. Alors qu'eux le méritaient. Eux auraient su remercié le solitaire comme il le fallait, pas le rendre désolé comme il le faisait lui. 

"Je suis dés_olé... ! "

Le tacheté, à ces mots recroisa le regard du brun. Qui était au bord des larmes. Par sa faute. Décidément, il ratait tout. Au fond de lui, sous une couche de désespoir, il se sentait outré. Une partie de lui voulait réagir, offrir à ce chat un grand sourire, rempli de sincères remerciements, rire de son inattention. Mais ce lui d'autrefois, était trop loin, déchiqueté, bâillonné par la peine, les deuils. 

"Tu n'as pas à être désolé. "

Une faible sourire. Tout ce dont il avait la force. 

"Tu m'as sauvé la vie, après tout." Rire nerveux.

Oui, sauver. Sauver. Ce que lui n'avait jamais su faire. Jamais. Et c'était l'incompréhension dans son esprit. Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi lui n'avait jamais réussi? Qu'avait-il fait de mal? Ou que n'avait-il pas fait? 

Qu'est ce que j'aurais du faire? Qu'est ce qui ce serait passé si...?

Toujours les mêmes questions, qui revenaient en boucle, martelant sa tête dès qu'elle n'était pas fixé sur autre chose. 

"C'est juste que..." Il tourna le dos au solitaire. Leva sa tête vers lui, l'observant d'un oeil. "Je comprends pas." Avant de laisser retomber, rompant le contact visuel. 

Comment? Pourquoi? C'était si pathétique, si ridicule. Lui n'avait rien pu faire faire, avait vu ses proches tombaient comme des mouches, et l'autre arrivait comme ça, et? 

Si ridicule. 

Il se mit à rire. D'abord faiblement, dans sa fourrure. Puis plus bruyamment, jusqu'à le faire aux éclats. Un rire de fou. Un rire qui emplit l'espace, un long moment, afin d'enfin se taire. Un rire aux larmes. Car il pleurait. 

"Fiouuuu... T'y crois, ça?" Un rapide coup d'oeil vers l'autre en reprenant son souffle. "Moi, j'ai jamais, jamais, réussi à les sauver. J'ai toujours foiré. J'te jure, c'en est risible. D'abord Nerv. Là, j'ai rien vu, en grand frère stupide que j'étais. Puis, Houx. Là j'ai pas compris. Et Papillon. Tuée, partie, aussi. D'un coup comme ça, ils sont plus là. Et moi j'y suis encore. Je m'étais dis que je les protégerai! Que c'était ma famille! Mais je suis qu'un incapable, j'ai jamais réussi. Et toi t'arrives la..."

Griffes sorties, il plante sa patte dans les poils de sa tête, enfonçant plus profondément. Mais la douleur, ce n'était rien. Rien face au martyre qu'il vivait. 

"Raaaaaaaah" Il laissa glisser sa patte, s'entaillant la joue, se blessant lui-même. Les gouttes de sangs perlaient, le sang qu'il avait laissé couler. Et c'était comme une libération, une explosion. Une formidable colère qui l'envahit à l'instant, une rage inégalable contre lui-même. 

"Et toi t'arrives, tu me connais pas. Et tu me sauves, comme ça, alors que moi j'ai jamais rien  FOUTU!" Mépris. "Mais qu'est ce que j'ai pas COMPRIS? Qu'est ce qui va pas dans ma TETE?" Colère. "Qu'est ce que j'ai fait de mal? Pour mériter ça? Eux? Ils n'avaient RIEN demandé, jamais RIEN FAIT! " Désespoir et incompréhension. "Et moi qui suis un putain de connard, je me fais sauver par le premier chat venu, qui me connait même pas." Nouveau rire. C'était si ridicule, si ironique! "Aloors..."

Il se retourna subitement, d'une vitesse effarante pour quelqu'un d'effondré auparavant. Il se trouvait maintenant nez à nez avec le brun, qu'il observait, les yeux fous, trempés de larmes, où tout son trouble apparaissait. 

"COMMENT?"

Et maintenant, il se vit dans le regard de l'autre, et gémit, reculant en arrière, s'asseyant en tombant, toute la rage s'effaçant, ne laissant que le pur désespoir tandis qu'il releva ses yeux vers le solitaire, détruit de l'intérieur, le cœur broyé, brisé, ultime question pleine de détresse infinie.

"Comment on fait pour sauver quelqu'un?"

— « Tu n'as pas à être désolé.

Sous le soleil du printemps qui s'achevait le chat (et ses pois) eut pitié de son sauveur. Il eut un sourire, mais ce n'était pas un sourire chaud comme l'été. Il était nerveux, faible, éreinté.

— Tu m'as sauvé la vie, après tout.
— -- Mais, commença Rusty mais l'autre chat, éreinté, faible et nerveux avait déjà passé à autre chose.

Ou, ou plutôt, il n'y arrivait pas. Il n'arrivait pas à passer par-dessus - non pas sa presque fin de vie au pare-choc d'une voiture, mais, avant, peut-être même bien avant ce jour-ci et le jour d'avant et la semaine dernière et la dernière lune ; le chat et ses pois était plongé dans le Passé, ou plutôt, les yeux et les oreilles de ses pensées ne se trouvaient pas au même endroit que tout le reste de son corps (sur le bord de la chaussée, devant un abyssin qui ne lui avait jamais vraiment rien demandé personnellement. Spécifiquement.) Rusty n'était qu'un chat, il ne voyait pas la manie nourrie par la peine qui brilla un instant dans les yeux de son interlocuteur, qui lui fit dos, les yeux (et l'esprit)
ailleurs:

— C'est juste que... Je comprends pas.

Q-qu'est-ce que ce pauvre chat n'avait donc pas compris? Pourquoi la voiture était venue? Car les voitures roulaient sur l'autoroute (ou la départementale) naturellement, et qu'elles suivaient la direction des lignes qui étaient marquées dedans. Enfin, il supposait, car rares étaient les voitures qui allaient en contre-sens de leur voie! Ou du moins, Rusty ne l'avait jamais vu! Ou peut-être qu'il n'avait pas compris comment il s'était retrouvé, euh, sauvé? Rusty craignait de lui dire qu'il avait mis ses dents dans sa nuque - une insulte (?), entre chats mâles (?), du moins peut-être que les claniques pensaient comme ça! (pour les Claniques, même observer des buissons était une insulte, alors...)

Et le chat et ses pois se mit à rire.

Et là, ils furent deux, à ne pas comprendre. Et Rusty tenta de rire avec lui? Qui sait, peut-être que cet autre chat avait seulement besoin d'un ami? Mais ce qui se fit petits gloussements devint de bruyants barrissements et l'abyssin avait complètement plaqué ses oreilles sur son crâne, sortant le blanc de ses yeux, dévisageant l'autre chat avec une distance respectable en craignant désormais que ce-dernier, instable, ne décide soudain de lui marquer le corps au fer de ses griffes.

Lorsqu'il le vit pleurer toutefois, il s'en émeut. Pourquoi cet autre chat vivait une incompréhension puis le bonheur de rire, puis le chagrin de pleurer? Comment, plutôt? Il se risqua un pas vers lui mais lorsque l'autre chat tourna sa tête comme d'un coup de fouet en sa direction, pour agriper son regard, l'abyssin se statufia sur place en sentant ses pupilles se contracter dans ses yeux.

— « Fiouuuu... T'y crois, ça?

Encore une fois, aucune idée de quoi il parlait, et l'abyssin crispa un sourire en haussant tout aussi raide ses épaules comme quoi « je suis désolé monsieur je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler alors je ne puis dire si j'y crois ou pas », ou dans ces lignes.

— Moi, j'ai jamais, jamais, réussi à les sauver. J'ai toujours foiré. J'te jure, c'en est risible. D'abord Nerv. Là, j'ai rien vu, en grand frère stupide que j'étais. Puis, Houx. Là j'ai pas compris.

L'abyssin eut un sursaut.

— Et Papillon. Tuée, partie, aussi. D'un coup comme ça, ils sont plus là. Et moi j'y suis encore. Je m'étais dis que je les protégerai! Que c'était ma famille! Mais je suis qu'un incapable, j'ai jamais réussi. Et toi t'arrives là...

Sa... famille. Rusty sentit comme unepatte nue - une main lui caresser le poil, et le poids de cette sensation fantôme lui tordit les boyaux du chagrin non seulement qu'il ressentait chez cet autre chat mais aussi du sien. Certes il avait une belle vie désormais, à vivre au verger, dans un construxion d'humains, avec Trash, la perte d'êtres chers ne s'atténuait pas rapidement. Il fallait du temps, et même après tout le temps du monde ce genre de pincement, qui réveillait souvenirs, peine, douleur, regrets, ne s'effaçait jamais complètement.

Famille, avait dit le chat à pois. Et Rusty se rappela de son humain. Et en se rappelant de son humain il vit la souffrance du chat à pois qui se couvrit le visage d'une patte, et qui se griffa le visage, et le sang qui perla au travers de sa blessure lui retourna l'estomac davantage et il ouvrit la bouche sur un nerveux piaillement - il fallait désinfecter cette plaie!

— Et toi t'arrives, tu me connais pas. Et tu me sauves, comme ça, alors que moi j'ai jamais rien FOUTU!
— ...
— Mais qu'est ce que j'ai pas COMPRIS? Qu'est ce qui va pas dans ma TÊTE?
— .........
— Qu'est ce que j'ai fait de mal? Pour mériter ça? Eux? Ils n'avaient RIEN demandé, jamais RIEN FAIT!
— ................
— Et moi qui suis un putain de connard, je me fais sauver par le premier chat venu, qui me connait même pas.
— ..........................
— Aloors...

Et l'autre chat se tourna et put enfin voir l'abyssin, tendu, les larmes coulant de ses yeux le sourire triste et désolé et aussi nerveux que le sien et confus et blessé et qui se recula d'un pas, prêt à détaler, mais aussi incapable de laisser un chat comme lui souffrir autant sans oreille pour l'écouter.

Et des oreilles, il en avait deux, et elles étaient larges.

— COMMENT? »

Toute la colère du chat retomba. Et sa nervosité, et son incompréhension, et son mépris, et Rusty se calma à son tour et son poil retomba peu à peu au même titre que l'autre chat s'éteignait comme son humain soufflait sur le feu d'une chandelle.

— « ...Comment on fait pour sauver quelqu'un?

L'abyssin devant le chat à pois laissa retomber sa peur. Il s'en défit, en fit un pas en avant, foulant l'herbe de ses pattes assombries par son color point, son poil cannelle plus rêche qu'auparavant, plus épineux, grisaillant légèrement au niveau marquant quelques traits de sa vieillesse. Il avait la voix aîgue, Rusty. Il avait cette façon de parler candide. Mais il n'était pas un enfant - pas au même titre que l'était celui qui était devant.

— ..................................... On saute.

Comme il avait sauté de la benne du pick-up truck de son humain pour suivre l'odeur de poubelles, rencontrant Toucan au lieu de Trash.

...

On, on l'attrape de toutes ses forces.

Comme il avait été déterminé de l'aider quitte à laisser le pickup-truck partir (et, ultimement, ne jamais revenir...)

Et on, on le tire.

Il avait choisi d'amener Toucan au refuge.

Et, et on accepte l'aide des autres...

Le refuge s'était chargé de Toucan.

...Et même avec tout ça, des fois, on y arrive pas.

Et Toucan était mort quand même - et son Humain était quand même parti - Madame Fée s'était étouffée-- Rusty secoua sa tête pour vite se détacher de cette spirale dans laquelle les oreilles de ses pensées aimaient s'égarer. Était-ce le cas pour l'autre chat?

... Alors on recommence. »

L'habitude devenait une aptitude. Rusty haussa les épaules, détournant le regard, baissant les yeux et la queue qui frôla ses jarrets, sans retenir à une larme de couler de ses yeux. Il l'essuya d'un frottement de patte.

— « Tu connaissais Monsieur Houx?...