A Million Dreams ~ ft Fifou -end

Le cirque est un bout du monde, où chacun y fait le sien.

Une nuit comme une autre
L'automne et la magie
Les feuilles embrasées
Les branches déparées
Et le vent qui soufflait
Les tourbillons de brun
De feu, d'or, aussi
Et le froid léger
Qui s'annonçait déjà

Dans la brise, une silhouette solitaire s'avançait encore, princesse d'eau, de sable, d'écume, perdue en pleine forêt, princesse de lune au milieu des ténèbres; à la voir ainsi, on aurait pu penser qu'elle n'avait pas sa place, mais comme elle aimait la nuit ! Sa pelisse ne lui permettait peut-être pas de se cacher et de chasser aussi bien que d'autres chats, mais elle avait ses propres secrets, différents, et sous le soleil ou les étoiles, la rivière était souvent pareille; quant à errer dans les sous-bois, le soir, que personne n'aie de craintes: la belle guerrière avançait, légère, agile, gracieuse et sûre, déchirant le voile de l'obscurité de ses grands yeux de jade, pas à pas, sans la moindre appréhension, sûre d'elle, pas à pas. Elle avait toujours aimé le calme de la nuit, après la chaleur du jour ensoleillé: peut-être parce que c'était de nuit qu'elle pouvait chuchoter et rêver auprès d'Ombre de Lune - peut-être parce que désormais, pour parler à ses proches, elle parlait aux étoiles. La nuit avait caché ses larmes orphelines, ses abandons, ses choix, ses rêves, ses espoirs, aussi; ce soir-là, la nuit, si froide qu'elle soit, à l'approche de la mauvaise saison, abritait son sourire. Elle avait besoin de ces moments-là, parfois, pour être paisible... Loin de tout, loin du monde. Là-bas, aux terres neutres, elle pouvait rêver, encore et encore, imaginer des choses qui ne se produiraient jamais, et, l'espace d'une seconde, ne plus être lieutenante, malgré sa loyauté.

Aux Terres Neutres, sous le vieil érable près du Chemin du Tonnerre
Aux Terres Neutres, dans les branches d'un des Quatre Chênes millénaires
Vent, Rivière, Tonnerre; des secrets à un arbre ou dans l'eau du torrent
Cachés; mille couleurs, mille défis, des fous rires, des voix-mélodies...
Comme c'était beau. Museau Bleu serait toujours loyale à son Clan
Et pourtant; parfois, elle rêvait, c'était vrai, d'un instant de trêve.
Une alliance comme au temps des Lunar Pods.
Un asile comme lorsque le Blizzard menaçait.
Ils croyaient tous les Étoiles, respectaient le Code
Alors, pourquoi ne pouvaient-ils pas coexister en paix ?
Au fil de ses pensées, et des minutes écoulées, ses pas menèrent la fée des cascades
Aux Terres Neutres, une nouvelle fois; mais ce lieu, nouveau, elle ne le connaissait pas.
C'était une nouveauté, qu'elle voulait observer - et si le jour, c'était le chaos, la nuit...
Tout était calme. Un Bipède faisait une ronde, un peu plus loin. Alors, c'était un camp ?
Curieuse, la jolie vétérane se risqua à s'approcher, un peu plus, de la grande tente rouge.

Elle voulait savoir ce qui se cachait sous le grand chapiteau
Voulait découvrir ce lieu de secrets, coloré et étrange
Mais cette nuit-là, en ce lieu mystérieux pour elle, à cet instant
Qui apportait du spectacle, du bonheur et de la magie aux enfants
Elle allait surtout découvrir que cet endroit renfermait l'extraordinaire.

Un bruissement doux la fit se retourner
Prunelles vertes et mirettes ambrées
En une nouvelle rencontre inattendue
Un nouveau moment d'amitié, une trêve
Elle sourit, heureuse, lumineuse, en un salut
Ensemble, ils créeraient un millier de rêves.

Cause every night I lie in bed
The brightest colors fill my head
A million dreams are keeping me awake
I think of what the world could be
A vision of the one I see
A million dreams is all it's gonna take
A million dreams for the world we're gonna make

Il aurait fallu être un Rusty pour comprendre que le faisceau de lumière, qui oscillait autour du chapiteau, pas à pas, venait en réalité d'une lampe-torche dans la main d'un humain fraîchement pressé dans un habit semblable à celui que portait autrefois le sien.

Coup de Foudre n'était cependant pas un Rusty, alors il vit le phénomène comme suit : alors qu'il s'était assoupi dans un arbre, un matin, un tintamarre avait soudain retentit dans toute la forêt et ne s'était pas tu depuis. Depuis, le jour, sur le chemin du Tonnerre, il pouvait entendre bien bon nombre de Monstres qui chuintaient et qui se hurlaient dessus. La scène l'avait frappé : habitué de voir les Monstres comme des créatures farouches et indomptables qui n'apparaissaient que pendant quelques secondes pendant une course-folle, il avait eu le droit d'assister à un fascinant bouchon de circulation qui les avait tous immobilisés (ou presque) à la queue-leu-leu. Renouveau Printanier avec qui il patrouillait en avait eu le sang glacé, il lui avait tout de suite ordonné de rentrer au campement, mais le Bengal avait vite mis de côté son avertissement pour répondre à sa curiosité.

Il avait longé le chemin du Tonnerre en regardant de très près les monstres et leurs appendices dénués de sens. Où étaient leurs os? Où était leur chair? Tout ce qu'il distinguait vraiment était cette coquille réfléchissante qui lui rappela la "carapace" de certains insectes que Mouche lui avait présentés cette aube-là. Tous les monstres ne se mesuraient pas non plus - certains étaient plus longs, d'autres plus ronds, et certains avaient plus de "pattes" encore que les précédents et leur carapace devait au moins mesurer un tronc d'arbre en hauteur. Lorsqu'il avait tenté d'en grimper un, Nounou était sorti de sa torpeur pour dévaler la côte séparant le chablis de la forêt et la pierre noire du Chemin du Tonnerre et avait du attraper le charcoal par la queue et la lui tirer pour le stopper dans ses jeux.

Ce jour-là.

Mais la nuit, Nounou dormait avec Chouchou dans la tanière des guerriers et Foufou profita des ombres pour se fondre incognito dans la noirceur et suivre, le pas enjoué, l'empreinte étrange que les Monstres avaient piétiné dans le sol en se rendant à leur lieu de rendez-vous. Étrangement, leur assemblée se trouvait près d'où se déroulait les leur, aux Quatre Chênes. Mais plus étrange encore,...

Enfin, pour un Rusty, un chapiteau était une couverture vaste comme les Landes soutenue par des piquets mais pour Coup de Foudre... Il voyait ce qui semblait être un simulacre des Quatre Chênes mais constitué d'arbres venus d'ailleurs, au feuillage lisse et étrange, mi-insecte qui sait, comme l'étaient les Monstres et leurs carapaces. L'air était lourd d'odeurs qui lui étaient complètement inconnues et son coeur de gambler battait vite devant l'opportunité de tout découvrir en ce lieu, et c'est alors que ses yeux croisèrent ceux d'un autre chat au même endroit et ils s'échangèrent un regard, le sien pétillant d'un éclat de malice. Rapidement il pressa l'allure pour aller à la rencontre de la belle Museau Bleu et frotter son nez et sa joue contre la sienne, son cou et toute la fourrure fournie qui lui couvrait les épaules, un long frisson de régal gagnant tout son poil.

— « Ce n'est pas la Rivière, mais...

Après toutes les batailles, la nuance d'écarlate qui parait le tissu de cet étrange nid aurait paru sinistre pour de nombreux claniques; c'était la couleur du sang, la couleur de l'herbe rendue poisseuse par les morts, lors d'une nuit où la lune elle-même, imitant ses enfants, s'était tachée de sang, pour annoncer l'arrivée de la grande faucheuse. La belle sorcière avait, d'un geste léger, fermé les yeux de nombreuses personnes pour l'éternité, et fait naître de nouvelles étoiles, que ce soit ou non l'objectif premier des envahisseurs qui, mettant à feu et à sang la forêt, avaient pourtant illuminé les ténèbres de nouvelles constellations; ils avaient tenté de tuer les quatre clans, mais dans l'ombre des vieux arbres calcinés, de nouvelles pousses voyaient toujours le jour, et la rivière continuait de chanter, insolente, tempétueuse - la vie suivait son cours, et la lieutenante, son cœur. Elle n'avait pas perdu la foi, même si bien souvent, les poids qui alourdissaient son âme, plus gros que les promontoires, plus hauts que les falaises et que la pierre de lune, éclataient en silence pour la laisser, fissurée, dans le noir. Mais elle gardait confiance. En la vie, en l'espoir, en ces moments de féerie qu'on appelait le bonheur. Un bonheur aussi brillant et doux que la lumière dorée qui baignait le chapiteau, en cette nuit d'imaginaire. Un bonheur aussi intense que les étincelles ardentes dans les yeux du Bengal qui la regardait, souriant, charmeur, joyeux aussi. Un bonheur aussi tendre que les gestes qu'il eut, en frottant son nez, sa joue, contre ceux de la fille de la rivière, puis au creux de son cou. Un bonheur aussi fragile que cette rencontre et que leurs jeux, peut-être. Parce que ce n'était qu'un jeu. La seule différence ? Coup de Foudre avait peut-être l'habitude des filles qui, séduites par le charme du prince, lui tombaient dans les bras; Museau Bleu, elle, ronronnant en le saluant elle aussi, était un prince.

« Ce n'est pas la Rivière, mais... »
« Elle sait attendre. On a ce lieu à découvrir, non ? »

Regard malicieux et enthousiaste, brillant de curiosité. Comment décrire cet endroit, qu'ils observaient ensemble, à présent ? Selon les Clans, songea la fille de l'eau avec amusement, les chats ne devaient sans doute pas trouver les mêmes mots, ou voir les mêmes choses... Qui sait, un chat du Vent trouverait peut-être un repère familier dans les étoiles, par l'entrée de la tente rouge et or, ou dans le sable de la piste qui, ivoire, semblait les inviter à la fouler ? Un chat de l'Ombre se fondrait peut-être au milieu des formes des différents jeux et accessoires d'acrobates, se cachant, comme ils en avaient l'habitude, avant de s'intéresser à la lumière ? Un chat du Tonnerre, comme Fifou, penserait peut-être à grimper les pylônes de ce lieu pour défier l'absolu, gagnant en altitude sur ces poteaux de bois aux peintures blanches et rouges et or, ou plus pastels, pour cueillir le projecteur qui, au cœur de la nuit, faisait comme un soleil ? Un chat de la Rivière, enfin... L'œil de la vétérane accrocha un miroir, puis un autre: l'image qu'ils renvoyaient était un peu déformée, mais au contraire des autres clans, qui avaient coutume des reflets bien lisses visibles dans les flaques, elle n'esquissa qu'un sourire à celle qui, identique, lui renvoyait son regard, sa pelisse, sa silhouette, aussi, à travers des troubles semblables aux remous de la rivière, jouant avec son image et son corps. C'était drôle. Elle fit signe à Coup de Foudre de s'approcher aussi, se demandant quelle réaction il pourrait bien avoir, et demanda du même coup, gaie et paisible, cristalline de jeunesse, aussi, loin de tous ses devoirs:

« Alors, quelles aventures, depuis la dernière fois ? »

À vous, mes chers amis, de comprendre les deux sens que peuvent avoir ces mots.
À Coup de Foudre, en revanche, de choisir le sien. Et, de préférence, de répondre aux deux.
Mais déjà, le regard de Museau Bleu s'accrochait sur un autre détail: des formes colorées.
Des sphères énormes, sur lesquelles, sans nul doute, ils pourraient se percher... Comme un défi.
Elle bondit sur l'une d'elle, s'y installa, en quelques pas agiles, pour trouver l'équilibre.
Puis elle éclata de rire, comme une invitation. À lui de la rejoindre, pour une nouvelle danse.

Inutile de s'en faire, ce Prince avait peut-être l'habitude des filles séduites par son charme, il n'était pas au-dessus de se laisser séduire par celui des autres - qu'ils soient à l'huile ou à la vapeur, d'ailleurs.

— « Elle sait attendre, lui répondit Museau Bleu quant à leur promesse de rendez-vous à la Rivière. On a ce lieu à découvrir, non ?
Qu'est-ce que je disais? Charmé.
— Hah! Haha, oui! »

Et c'est bien aussi vite que les deux s'entendirent, d'un regard, à explorer ensemble la curieuse forêt qui se cachait sous le chapiteau, se faufilant à l'intérieur sans capter l'attention de la vigie et la lumière de sa lampe-torche. Coup de Foudre se serait sentit tout à son aise dans cette obscurité si seulement il avait comprit quoi que ce fut de l'étrange disposition des éléments: il vit un reflet de la lune lui découper une surface comme des plateaux qui montaient, mais en la frôlant de la queue ils étaient froids comme de la glace, le faisant machinalement se reculer sur le plancher pour l'éviter.

De son côté la belle Museau Bleu avait trouvé un autre genre de glace, verticale, et se regardait dans des reflets trompeurs; Coup de Foudre entrouvrit sa bouche pour renifler l'air et pister quelque chose mais ici? Ici toutes les odeurs s'entremêlaient. Difficile d'y mettre un sens à vrai-dire, heureusement il avait quelqu'un avec lui pour l'empêcher de s'égarer dans ses réflexions:

— « Alors, quelles aventures, depuis la dernière fois ?

Elle l'invita à se rapprocher, ce qu'il fit, penchant sa tête d'un côté et de l'autre pour voir ces autres chats déformés l'imiter. Le problème c'est qu'il voulut les imiter aussi, question d'entente, avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait que lui et lui seulement et qu'il n'imitait en fait rien du tout- et donc, "qu'eux" non plus.

« ...Laisse-moi me rappeler, il dit, un peu après être sorti de sa transe trans-dimensionnelle à s'observer sous les défauts de tout ces nouveaux angles, l'amenant à réfléchir à des centaines d'autres Coups de Foudre vivant chacun dans leur réalité respective. Il mit la patte sur la glace du miroir, ses pupilles se dilatèrent dans ses yeux (et doublèrent de volume dans le reflet enflé) en songeant que ce Coup de Foudre devant lui vivait peut-être déjà dans la réalité qu'il voulait. Non.

Inadmissible.

Ses griffes crissèrent sur la glace au même instant où se contractèrent ses pupilles, et il fit jogger sa mémoire, tandis que Museau Bleu s'intéressait à d'étranges ...fruits, vu leur couleur et leur forme.

— La Rivière m'a voulu pour elle toute seule, mais Étoile d'Or l'en a empêchée,... C'était la nuit de l'assaut du Clan du Vent, dans notre campement... Ah-- Il se détourna du miroir maintenant griffé pour trottiner à la suite de son amie, et la regarder se familiariser avec les lieux.

— J'ai rencontré Nuage du Vent, il lui dit. Ses yeux brillèrent comme s'il la tenait en otage: Ton Nuage du Vent. ♡ »

« ...Laisse-moi me rappeler. » avait-il soufflé, tout en s'observant attentivement.

Ce geste fit sourire la Muse qui, princesse aux prunelles jade, le détaillait également, caressant d'un regard, subtile et délicate, les motifs sur le corps du Bengal, les petites cicatrices, les oreilles qui bougeaient, les reflets de lumière. Il fixait son image comme s'il n'avait pas pour habitude de se voir, et pour la fille de l'eau... C'était amusant, presque touchant, drôle et pétillant, de voir ce mâle adulte, charmeur, jouer des ondulations et des distorsions d'un miroir, comme le ferait un enfant. Elle riait, tout doucement, ses moustaches frissonnantes d'amusement, depuis son perchoir coloré. Elle riait, parce que le revoir lui faisait du bien, avec toutes ses pitreries, ses griffes éraflant la surface opaline en un étrange défi, tandis qu'il commençait à raconter les derniers pages de son livre. La poétesse l'écoutait, surprise de ce qu'il pouvait lui apprendre, mais conservant son sourire et son attitude attentive, joueuse, s'allongeant sur le ballon qui, immense melon d'eau, lui faisait un trône pour une jolie reine.

« La Rivière m'a voulu pour elle toute seule, mais Étoile d'Or l'en a empêchée,...
C'était la nuit de l'assaut du Clan du Vent, dans notre campement... »

La bataille à laquelle Rosée Nocturne et Nuage du Vent avaient participé.
L'assaut dont la lieutenante avait entendu parler, lors du combat de la cascade.
Le moment sanglant au camp... Au camp. Merde. Au camp.
Les anciens. Les chatons. Les reines. Et puis Fifou.
Museau Bleu le scruta plus attentivement. Il n'avait pas l'air d'aller mal...
Les cicatrices couraient sur sa belle pelisse, oui, mais... Rien de plus. Rien de grave.
Quoique, on ne voyait pas aussi facilement les blessures de la tête. Elle le savait bien.
Tout simplement parce que les trous dans son âme à elle, personne ne les voyait.
Mais une autre phrase l'arrêta court, et stoppa ses pensées. Son cœur manqua un coup.

« J'ai rencontré Nuage du Vent. »

Rencontré. Pas un chat du Tonnerre, donc.
Et à la Rivière, personne ne portait ce nom, elle savait.
Alors... Peut-être qu'à l'Ombre... ? Nuage du Vent ?
Ça ne pouvait pas être lui. Ça ne pouvait pas être son...

« Ton Nuage du Vent. ♡ »

Son fils.

« Mon Nuage du Vent ? »

Elle bondit du ballon pour se trouver à sa hauteur, farouche et douce, fière et tendre, croisant son regard d'or avec plaisir, tout en accompagnant ce regard d'une interrogation muette, une question aussi inquiète qu'aimante, pour lui, pour le petit, aussi. Et au mépris de tous les interdits, elle se frotta à lui, se détachant pour murmurer:

« Dans quelles circonstances ?
Et puis, cet assaut... Tu vas bien ?
Il allait bien ? Et ton Clan ? »

La rivière était calme ou tempétueuse, capricieuse, sérieuse, froide ou joueuse, glacée ou chaleureuse, selon les moments; à bien des égards, la nymphe des ondes, des torrents et des vagues lui ressemblait, et en cet instant, plus que jamais, il dansait dans ses taches bleues comme un reflet de l'eau. À cet instant, la rivière de la muse se faisait caresse, se fit entrelacs de queues, de corps, de fourrures - et ronrons. Des petits ronrons tous doux, amicaux, qui bientôt, se firent rires tandis qu'elle reprenait, malicieuse:

« Au fait ! Mon Nuage du Vent ? Et toi, Coup de Foudre... À qui tu es ? »

— Mon Nuage du Vent ?
— Ton Nuage du Vent ! il répéta avec plus d'enthousiasme maintenant qu'il avait hameçonnée la chatte de la Rivière.

Depuis sa position au sol il trépida sur place, tandis qu'elle descendit de son ballon d'un bond et ils s'échangèrent un regard, fuyant le sien d'un gloussement en se dérobant d'un petit trot pressé pour la laisser s'approcher d'elle-même - ce qu'elle fit immédiatement, l'hameçonnant en retour à l'aide d'un contact plus direct que les précédents en se frottant contre lui.

— « Dans quelles circonstances ? (Il ne répondit rien, suivant son mouvement pour faire durer le frottement) Et puis, cet assaut... Tu vas bien ? (Il tiqua d'une oreille mais sans plus.) Il allait bien ? (Il le lui rendit en se frottant si fort les muqueuses en gloussant que ses babines s'étaient relevées sur l'émail de ses dents) Et ton Clan ?
— Mmhh--mumu_uuse... ♡ ♡ ♡

Elle s'arrêta de marcher et lui aussi, se perdant dans cet épais manteau de poils en la humant avec la rare reconnaissance d'avoir rencontré quelqu'un capable de le dévier de ses propres déviations. Elle les alimentait à bouillons de ronrons et il en oubliait presque la douzaine de Coups de Foudre dans leurs glaces non-loin entrelacés chacun à leur douzaine de Museaux Bleu. Il y avait trop de questions auxquelles répondre, mais les bulles de son ronron éclatèrent en esclaffées, le motivant pour de bon:

— « Au fait ! Mon Nuage du Vent ? Et toi, Coup de Foudre... À qui tu es ?
— Ha ha hah!  Quelle drôle de question!  Mais à qui le veut,  Museau Bleu!

Il se retint de lui mordiller en s'écartant d'elle à contrecœur, veillant aussi à retrouver un peu de son équilibre - un peu ironique, d'ailleurs, qu'il le perde sur le plat du plancher plutôt que n'importe où ailleurs sous le chapiteau...! Et ce n'était pas les jouets qui manquaient ici mais sans rien tenter d'abord il lui tourna le dos, en se déhanchant d'un pas souple, s'approchant des gros ballons et leurs couleurs - le fond parfait sur lequel faire ressortir tous les atouts de la forme de son corps et les sombres marbrures de sa pelisse.

— Je me mets aux enchères! Il miaula,  une seule nuit pour m'avoir, qui dit mieux! »

Dit mieux - dit mieux - dit mieux...

Il s'apprêtait à rire aux éclats comme elle que soudain l'écho d'un rugissement se réverbéra en distance et Coup de Foudre se tut et rondit les yeux et tourna la tête, le souffle court, le cœur battant, tandis que son instinct lui modulait en tête qu'il y avait, ici, un potentiel danger duquel ils devaient tout deux vite s'échapper.

... Son cœur battait vite, il se rendit compte, peut-être aussi vite que lorsqu'il avait eu besoin de se contrôler pour affronter le blaireau avec Nuage du Vent (son Nuage du Vent). Mais ce qui brilla dans ses yeux ne fut pas de la peur, alors en se tournant vers la femelle de la Rivière, tout ses clones dans leur glace firent de même, chacun découpant un angle différent de sa curiosité:

— Oohh ... Tu as de la compétition on dirait ♡ »

Et il prit en otage les réponses à ses questions en partant d'une foulée, s’engouffrant en riant dans les ombres derrière les estrades froides comme de la glace. Il l'invitait à faire pareil - pour une fois que ni elle ni lui n'avaient l'avantage sur l'autre de connaître les lieux! Ils pourraient l'étudier en même temps et en même temps découvrir ensemble tout ses secrets et découvrir qui était ce mystérieux offrant. Une chose était sûre, sans parler de l’acoustique des lieux ici qui faisait rebondir tous les sons autour, il y avait aussi des odeurs très fortes, beaucoup plus fortes qu'en forêt, beaucoup plus puissantes que le musc d'un renard et galvanisé par ses sens à fleur de peau Coup de Foudre se laissait porter par la vague de nouveautés.

Au royaume des illusions, sous cette tente que les bipèdes paraient de magie avec leurs étranges fruits, leurs arbres et leurs soleils colorés, qui illuminaient la nuit d'un arc-en-ciel de féerie et de beauté, la muse et la foudre se côtoyaient, dans les miroirs qui leur renvoyaient des dizaines de reflets et sur ce sol de sable tassé qui, ça et là, portait les décorations d'offrandes laissées par des silhouettes éphémères, enfantines: des papiers de bonbons, aux teintes translucides et pastelles; des perles nacrées, ayant glissé de chevelures; des petits ornements, des dessins, des rubans; des programmes et des lumières; même les batons s'illuminaient... Comment les hommes avaient-ils réussi à faire pousser le soleil ? La lieutenante de la rivière se poserait peut-être la question, un autre jour, un autre soir, mais cette nuit, rien d'autre n'était réel que cette retrouvaille avec celui qui, malgré les Clans et malgré toutes les responsabilités, pouvait mériter qu'elle l'appelle son ami. Il se pressait contre elle, contre son cœur ronronnant - et il le lui rendait, en une caresse, en une affirmation, espiègle, comprenant très bien que par ces mots seuls, il pouvait la happer. Elle se contenta, elle, de l'écouter...

« Ton Nuage du Vent ! »

C'était peut-être ironique après tout, que la nageuse émérite, la guerrière de l'onde par excellence, se fasse attraper, pêcher ainsi, mais on ne contrôle pas les allégeances du cœur... Et de toute façon, auprès du Bengal avec dans les yeux des rayons de miel et de soleil, la fille des rivières et de la lune ôtait les manteaux de règlements pour de nouveaux masques et des ailes - jeux, théâtre, liberté. Elle parlait de son fils du Vent avec un chat du Tonnerre, bien loin de sa Rivière, et rien n'importait. Parce qu'en cette nuit sous le grand chapiteau, la toile écarlate garderait les secrets...

« Mmhh--mumuuuse... ♡ ♡ ♡ »

L'intéressée rit, arrêtant quelque peu de mêler leurs fourrures pour le laisser répondre.
Et, comme pour la taquiner, il répondit, bien évidemment, à la dernière question. À qui tu es ?

« Ha ha hah! Quelle drôle de question! Mais à qui le veut, Museau Bleu! »

Les perceptions se faisaient trompeuses, au Cirque, et la magie existait, entre réalité et rêve, le monde de Morphée leur ouvrant grand les bras, non pas pour dormir, mais pour y cacher des visions enchantées... Les illusionnistes montrant leur numéro, ils faisaient disparaître les tabous et éclore l'audace, en une de ces nuits qui semblent irréelles. Oh, bien sûr, les loyautés de la belle reine l'empêchaient d'offrir son cœur, sa couronne et son corps à celui qui la taquinait ainsi, mais elle souriait malgré tout, en reconnaissant l'invitation, un sourire qui s'élargit bien davantage en le voyant s'approcher de l'ancien perchoir de la femelle pour en voler les couleurs, dont il décorait l'espace derrière lui. Le tout pour miauler, l'air de celui qui hèle les passants pour un popcorn, une barbe à papa, ou une autre friandise...

« Je me mets aux enchères! Une seule nuit pour m'avoir, qui dit mieux! »

Ils jouaient les équilibristes, loin des regards étrangers, loin des tabous, loin des codes, loin des jugements, sur un fil de conscience délicat, la jolie vétérane dansant au milieu des rêves et sous les étoiles, en riant jusqu'à ce que le jour se lève, dans ce Pays des Merveilles qui n'était qu'à eux. Funambule, elle marchait, virevoltait, fée des eaux, sans craindre la chute - de toute façon, et c'était peut-être le problème, si elle tombait, elle tomberait entre ses pattes... Cependant, un autre numéro se préparait déjà, et en absence de quiconque pour l'annoncer, il s'annonça lui même, chassant la ballerine et le clown qui la faisait tant rire; un rugissement noya les deux voix. Un rugissement au dehors, qui fit battre leurs cœurs et un instant se couper leurs souffles. Un rugissement comme un appel, qu'elle voulait découvrir, curieuse, sûre d'elle, et, quoique prudente, très heureuse et espiègle. Son sourire illuminait les ténèbres, quand elle le rendit au prince de toutes les ombres. Celui-ci souffla alors, amusé:

« Oohh ... Tu as de la compétition on dirait ♡ »

Un éclat de rire, un mouvement, une course folle. Le cœur battant d'un rythme nouveau, un chant d'allégresse s'élevant dans la nuit tandis qu'elle le suivait, les deux félins se précipitèrent dehors, dans la lumière de la lune qui baignait de grands nids de métal froid où étaient enfermés - la muse s'arrêta. Au pays des merveilles, des rêves, de l'irréel, là où tous les songes et tous les impossibles prenaient corps et transcendaient les mondes pour apparaître dans cette réalité, c'était une des plus grandes légendes des quatre Clans qui s'offrait à leurs yeux. Le Lion. Le Tigre. Le Léopard. Quelques uns éveillés et d'autres endormis, ils restaient là, sous la curiosité des regards de ceux venus les contempler, force, et grâce, et majesté. Museau Bleu, dont les prunelles vert jade scintillaient au moins autant que leurs ancêtres dans les constellations, bondit sur un support, près des cages - mais hors de portée des grands chats. Et là, malicieuse, l'air de celle qui pose une question, alors qu'il s'agissait davantage d'un défi et d'une proposition, elle souffla, profitant de l'occasion pour un nouveau jeu:

« Allons, tu ne comptes pas tenter de les courtiser, si ? ~ »

Coup de Foudre s'enfuit comme un voleur avant de se rendre compte que son mystérieux offrant ne se trouvait pas ici. Qu'à cela ne tienne, entre deux gloussements il entrouvrit sa gueule, renifla l'air, cherchant dans cette puanteur le fil conducteur qui le mena au pied de la paroi de peau du chapiteau. Il la poussa du pied, rencontra une résistance, recula la tête sur un rebond requinqué et s’aplatit au sol en y plongeant le nez.

La toile était tendue mais il parvint à s'en extirper jusqu'au dehors, ou un coup de vent fit valser un assaillant directement sur son nez. Brusquement le Bengal se cabra - comment aurait-il pu savoir qu'il ne s'agissait que d'un détritus de plastique, un rebut de friandise qui avait décidé de se coller à ses moustaches? Il secoua sa tête et trépida sur place tandis que la Belle Museau Bleu s'extirpait du Chapiteau à son tour, esquivant expertement tout assaillant du sol en contournant le pauvre bengal qui aplatit le sien en vengeance, expiant son air par le nez maintenant qu'il pouvait respirer, pivotant une oreille et se tournant à demi pour ne rien manquer de la chatte qui découvrait son - ou plutôt ses - mystérieux offrant(s).

La lune éclaira les palissades de glace noire qui encadraient chacun un périmètre, au nombre de trois, chacun fermé à l'ouverture du ciel au-dessus. Coup de Foudre s'avança mais à peine leva-t-il sa patte que l'emballage contre lequel il s'était démené s'y était collé, aussi il se mit à la secouer en l'air sans toutefois ne rien manquer de ce que refermaient les cages. En effet, dans la nuit noire (et le désagréable froissement de plastique contre sa patte qui s'agitait) l'éclat anis de la paupière nictitante des trois Légendes reluisit que quelques secondes en donnant un contexte à ces gros organismes non-identifiés au souffle visible.

— « Allons, le nargua Museau Bleu, comme elle se rendait compte que le Bengal avait pointé des oreilles, entrouvert sa bouche d'admiration tant il était bouche-bée devant l'apparition, tu ne comptes pas tenter de les courtiser, si ? ~ »

Le Bengal tiqua d'une oreille, d'une commissure, agita sa queue d'un geste et se rassembla en levant les yeux vers sa complice de lune et d'écume qui s'était perchée sur une branche artificielle, un peu en hauteur.

— Mais quelle excellente idée... ~ »

Et juste ainsi le jeu était lancé. Il s'étira bien sûr, car à passer autant de temps à soigner son corps il n'allait pas se priver de le montrer, ignorant Tigre et Lion pour s'avancer, poignets roulants, vers le Léopard, tout ronron, profitant que ce-dernier soit allongé dans sa cage pour faire du zèle.

— « J'allais vous dire " vous venez souvent ici? " mais comme je n'ai jamais vu Votre Assemblée avant aujourd'hui... Il se coula tout près des barreaux de glace noire, penchant sa tête, cherchant à accrocher du regard celui du Léopard.

...

Mais rien.

...Il relança Museau Bleu d'un signe du menton.

Les moindres mouvements d'un être peuvent laisser transparaître ce qu'il pense, d'autant que le compagnon d'une nuit de la belle muse des eaux était, à n'en pas douter, très expressif, oreilles mobiles, commissures joueuses, sa queue dansant dans l'air et son corps ondulant comme les reflets de la rivière - quoique, en réalité, sa fourrure rappelât davantage les ombres, et ses yeux, éclats de topaze, les crayons avec lesquels dessinent gentiment les petits de Bipèdes. Pelisse de ténèbres et prunelles de lumière, ce Coup de Foudre ressemblait bien à un éclair, se relevant vers le ciel plutôt que de tomber, pour répondre à son amie, bien au-delà des considérations de lieutenante et guerrier. Il aurait pu ne rien dire que la belle bleutée, sable et écume marbrées, aurait quand même compris - son corps, lui, criait presque, soufflait ses sortilèges, et un demi-sourire étirait ses babines comme il faisait de ses muscles, s'approchant en roulant d'un de leurs trois ancêtres.

« Mais quelle excellente idée... ~ »

La fille de l'onde, sœur d'étoiles, eut un mouvement de moustaches amusé avant de le suivre, curieuse de découvrir de quelle manière le beau Bengal allait jouer le jeu. C'était drôle, ces défis - il lui rappelait Matin Embrasé, pour le côté plaisantin voulant la courtiser, lui rappelait ses lunes d'enfance, dans cette manière de s'amuser, et en même temps, à ses côtés, elle dansait entre ombres et lumières, dans une sorte de gage loin de ses responsabilités. En deux mots, elle respirait. Parce qu'elle aimait son Clan, de tout son cœur, mais parfois, comme les enfants, elle avait juste besoin de couleurs et de rires, de magie, de sourires, de douceur et d'affection, de malice et de liberté, de vœux sous les étoiles comme de lueurs colorées. La princesse des flots chérissait ces escapades, qui au fond, vous en apprennent chaque fois sur vous-mêmes; alors, reportant ses perles de jade sur les félins d'antan, elle contempla, muette, cette jolie métaphore. Après tout, d'une certaine manière, ils rencontraient leurs légendes, leur histoire, leurs ancêtres...

Et j'ai proposé à Coup de Foudre qu'on leur fasse du charme. Décidément, sourit la dame de lune.

« J'allais vous dire " vous venez souvent ici? " mais comme je n'ai jamais vu Votre Assemblée avant aujourd'hui... » Il se coula tout près des barreaux de glace noire, penchant sa tête, cherchant à accrocher du regard celui du Léopard.

...

Pas un mouvement. Clan des Étoiles, ça c'était concluant !
Réprimant un éclat de rire, la féline rendit son regard à son ami.
D'un mouvement de la tête, il l'invita alors à tenter elle aussi...
Un clin d'œil, un sourire; Museau Bleu s'amusait, à cet instant.
Et alors, gracieuse et mélodieuse, elle s'approcha du léopard.
Susurra, d'une voix cristalline:

« D'où venez-vous ? D'une légende, d'un rêve ? Qui vous mena ici ?
En tout cas, si votre force vaut votre beauté, vous êtes à coup sûr le prince de ces bois ! »

Le léopard leva paresseusement la tête pour les regarder. Pas le plus grand triomphe, mais tout de même une petite victoire qu'elle savoura; celle-ci avait un goût sucré, celui du miel, de la pomme d'Eden, de la grenade d'Hadès. En un mot, cette nuitée avait tout d'interdit - et pourtant, la reine à la robe de de sable et d'eau, frangée d'écume, restait... Ses iris verts glacés sous la lune, mais emplis de soleil et de flammes malicieuses trouvèrent les orbes de miel du mâle non loin d'elle. Il fallait qu'il réponde, à présent, lui aussi...

Sa queue balança vivement de droite à gauche aux éclats de rire qu'elle retint car qu'elle ne croit pas qu'il ne l'ait pas entendue! Il pressa le pas pour la rejoindre mais un clin d’œil suffit pour le pacifier et lui faire pousser un soupir avec sourire, frottant docilement sa tête à la chatte qui prit sa place près des barreaux de glace noire en la titillant d'un joli coup de croupe au bout. Il s'assied pour ensuite observer sa technique.

— « D'où venez-vous ? Fit-elle en enchaînant sa question à lui. D'une légende, d'un rêve ? Qui vous mena ici ? Oh, belle torsion! En tout cas, si votre force vaut votre beauté, vous êtes à coup sûr le prince de ces bois !

Dix sur dix pour la flatterie, il ronronna pour encourager la belle Museau Bleu avant de tourner la tête vers le vrai juge de cette soirée. Dans l'obscurité de la nuit, tout ce qui se mouva, dans cette cage, fut l'ombre d'une large tête sur un cou pas aussi musculeux que prévu ; le léopard les considéra tous les deux avec ses yeux, l'air las, et Coup de Foudre trottina vite vers la chatte pour se rapprocher et la rejoindre, mais...

Ils s'échangèrent un regard, mutuellement malicieux par le jeu, mais aussi mus de la même perplexité.

... Est-ce que d'autres chats avaient tentés de séduire le Léopard avant eux? Il se frotta contre son amie, pour se remotiver d'une bonne bouffée dans son manteau de poils, puis il s'écarta pour plutôt aller se frotter le nez, la joue, l'épaule et tout le profil de son corps contre les barreaux de glace noire histoire d'attirer son attention au fauve derrière.

— C'est le froid qui vous noue la langue? Je peux entrer vous réchauffer, si vous le voulez ♡ »

Les barreaux étaient peut-être trop étroits pour y faire passer un léopard mais qu'en était-il d'un chat de type bengal? Il jeta un œil à sa complice, à côté, la toucha du bout de la queue et après s'être frotté la face contre un barreau (lire: y avoir écrasé le museau jusqu'aux gencives) il chercha à, lentement mais surement, se faufiler dans l'interstice quitte à se torde le cou, le dos - car ses moustaches passaient! Et si les moustaches passaient...