Un Bon Chat [feat. Coeur de Mimosa] - end

Et la distraire de son malheur il fit, nouant un lien de plus avec Mimosa, cette toute nouvelle amie, qui, contre toute attente, connaissait Muguet. Ce quand elle s'exclama:

— « Tu connais Muguet ? Et les plantes ? Toi aussi ?! Rusty ne savait plus à quoi répondre:
— J-juste un peu!

Le millefeuille pour les chattes enceintes (?), Le jus de baie de sureau pour les plaies ouvertes (?), Enfin c'était à prendre du bout des dents, il n'oubliait pas que de son vivant, la Fée des Étoiles n'avait pas toute sa tête et qui sait ce qui se passait entre les oreilles de ses pensées! Et par le fait même il ne connaissait Muguet mais pas tant que ça, "juste un peu" pour la considérer sa famille...

Mimosa poursuivit:

— « Muguet est mon amie, mon amie de plantes ! Elle est devenue guerrière, tu sais ?
Bouquet de Muguet, qu'elle est !
— Quel joli nom!

— Et elle a des petits - que j'ai aidés à naître !
— Elle est maman !? »

Rusty eut mal au coeur car il lui semblait que ce-dernier venait de grandir deux, trois, quatre fois dans l'espace de sa cage thoracique et qu'il venait de se heurter contre l'os, privé d'espace pour croître davantage et menaçant d'exploser. Muguet (il s'était mis à ronronner) la toute petite Muguet qui était maintenant grande, était devenue maman? Puisqu'il avait aidé Muguet (et son frère Crocs) à naître, avec Madame Fée, il les considérait un peu comme sa famille, même s'ils ne se voyaient jamais. L'offre avait toujours été là - si jamais il leur arrivait des problèmes, son verger était leur verger ; sa construxion humaine avec Trash était leur construxion humaine avec Trash. Elle avait des enfants...

... Que Mimosa avait aidé à faire naître! Il était content pour elle, pour toute les deux. La dernière fois qu'il avait parlé à Muguet (quand les Landes du Verger étaient encore couvertes de neige) elle lui avait fait part qu'elle craignait son Clan, qu'elle craignait les autres guerriers, vraiment, il était soulagé de savoir qu'elle avait réussi à nouer une si forte amitié avec Mimosa, et il pensa à celle qu'il avait nouée avec Monsieur Houx, inspirant l'air frais de l'aube.

— « Il est d'où, ton ami ? Et puis... C'est qui ?
— Ahha, il est du Clan de l'Ombre, comme toi et Muguet! Et Monsieur Serpent, et Crocs, et Madame Fée - j'ai beaucoup d'amis au Clan de l'Ombre dis-donc...

Il prit un air soucieux, et un sourire prit place à ses babines en se rappelant un autre "Soucieux" qu'il connaissait (un certain chat pressé comme un Espresso) mais il préféra répondre à la question de son amie, plus jeune, qu'il sentait comme renouvelée à passer la matinée à s'entraider et à échanger.

— Il s'appelle Monsieur Houx! Feuille de Houx.

Comment aurait-il pu savoir?

Il n'était qu'un domestique ou désormais qu'un solitaire qui vivait et chassait avec son meilleur ami. Il n'avait jamais vraiment compris tout ce qui se passait dans les Clans - et Madame Fée ne le lui avait jamais vraiment expliqué. Les seuls soucis de Rusty étaient de regarder des deux côtés avant de traverser la rue - pour ne pas finir comme Sugaar. De surveiller ce qu'il mangeait - pour ne pas finir comme Madame Fée. De ne pas trop insister envers les chats claniques - pour ne pas se retrouver avec trois nouvelles griffures sur le poitrail. Il savait que la vie des Clans s'avérait différente, mais,...

« Tu le connais? »

HRP:

Monsieur Rusty semblait avoir perdu ses mots, tout à coup, tandis que Mimosa au contraire retrouvait les siens, se bousculant sur sa langue, dans sa tête et dans ses prunelles de soleil, d'or, de miel. Le printemps refleurissait, et, extatique l'espace d'une seconde, dans cette montagne russe qui, une descente achevée, ne faisant que monter, la jeune fille emplie de gaieté, et d'amour pour son amie ainsi que pour les petites, emplie de souvenirs, de mélodies et de fous rires, sentait son cœur battre, très, très fort. Pour Muguet, pour les enfants, pour sa famille, son Clan, pour Rusty et presque pour l'univers. Pour l'univers parce qu'après tout, le monde était beau: la nature renaissait, en cette saison, en cette aube. Et Mimosa, elle, dans son royaume de plantes, dans son château mental, palais des rêves et jardin de la mémoire, retrouvait sa place, faisait ses premiers pas depuis un moment sans avoir l'impression de fouler des sables mouvants.

« J-juste un peu! » avait dit monsieur Rusty.

Et c'était suffisant, entre eux.

Il fallait bien commencer, juste un peu
Cueillir des plantes, juste un peu
S'entraîner, juste un peu
Apprendre, juste un peu
Encore et encore
Se découvrir et se redécouvrir, juste un peu
Se lier, famille, amitié, juste un peu
Se parler, juste un peu
Vivre, rire et pleurer
Encore et encore

Juste un peu.

Parce qu'un peu, c'est mieux que rien du tout - et qu'on n'atteint pas le ciel autrement qu'en montant une à une les marches de l'escalier d'arc-en-ciel. Et c'est peu à peu que l'on s'élève, peu à peu que l'on apprend le langage des fleurs et les vertus des plantes, peu à peu que l'on apprend à cueillir les rayons de soleil et de lune, à parler aux étoiles. Juste un peu, c'est déjà beaucoup - parce que c'est le début de tout. Alors, juste un peu, c'est suffisant - et parfois, c'est bien plus encore. Parce que monsieur "juste un peu" Rusty avait aidé à faire naître deux jeunes chats, deux jeunes vies; et parce que Mimosa se sentait "juste un peu" moins triste, aussi.

Monsieur Rusty, en revanche, semblait très heureux, pour Bouquet de Muguet.

« Quel joli nom! »

Heureux, aimant, fier, et immensément surpris, aussi.

« Elle est maman !? »

La brunette aux yeux d'ambre hocha la tête, submergée par un petit fragment de passé tout récent, qui n'était autre que celui de cette nuit où la toute nouvelle guerrière avait eu à nommer d'autres silhouettes, minuscules futures guerrières, celles-là. Il est des choses que l'on oublie jamais, des choses dont on se souviendra dans un jour, un mois, un siècle, une éternité peut-être: pour elle, cette naissance inattendue, inespérée, lumière dans les ténèbres, couleurs après la pluie, ce doux moment au goût d'interdit, était de ces choses-là. Oui, Bouquet de Muguet, son amie, de pouponnière, de plantes, de vie, était maman, et Mimosa chérirait toujours cette nuit-là, qui avait l'air d'un rêve malgré les insomnies.

« Nuage de Mimosa, Bouquet de Muguet a besoin de toi. Tout de suite. »
« Allez, tu sais bien que rien ne te résiste. »
« Elle est déjà aussi chiante que toi ... »
« À croire que la forêt veut garder le même nombre de vies.. »

Les voix tourbillonnaient dans sa tête;
Celle d'Embrasé, de Crocs, de Muguet
Et puis la sienne, aussi.
Ensuite se pressèrent les noms
Dans ses pensées et sur ses lèvres.

« Elle a eu quatre chatons, quatre petites filles !
L'aînée, c'est Aile. Ensuite, il y a Lavande, puis...
Oui, c'est ça, il y a Gingembre et Digitale.
Je crois qu'elles ont ces noms pour madame Fée, d'ailleurs...
Un clin d'œil à son nom, et d'autres à ses leçons ! »

La conversation se déroulait toujours plus, les rails de cette étrange montagne russe suivant les fils du destin dans l'air frais et humide de rosée du matin, tandis que la pierre pâle des falaises s'illuminait après une longue nuit. Nuage du Mimosa, qui s'était rassise, plus posée en apparence malgré les petits frémissements qui, parfois, agitaient sa queue, ses pattes ou ses oreilles, et surtout les commissures de son sourire, contemplait le spectacle, étourdie par tant de magie, tant d'émotions... À bien y réfléchir, en revanche, tout ça était trop beau - elle était presque en apesanteur, montait vers les nuages, nids de coton tout doux, dans ce wagon féérique. Jusqu'à ce que la montagne russe si calme, soudain, au rythme de son cœur, s'emballe.

« Ahha, il est du Clan de l'Ombre, comme toi et Muguet!
Et Monsieur Serpent, et Crocs, et Madame Fée -
maintenant que j'y pense j'ai beaucoup d'amis au Clan de l'Ombre... »

Un looping.
Qui cela peut-il bien être ?
Ils étaient emportés par l'élan, désormais.
Toujours plus vite, toujours plus haut.
Jusqu'à rire au nez de l'impossible.
Jusqu'à défier le cosmos.
Jusqu'à la fin.

« Il s'appelle Monsieur Houx! »

Une vrille.
Alors on peut avoir des amis solitaires !
Rusty et Mimosa virevoltait de concert
Et les notes s'envolaient, les mélodies avec.
Le tempo allegro, vivace, presto.
Les nuances délicates, intenses.
Les instruments riaient.
Et soudain
Ils pleuraient.

« Feuille de Houx. »

La descente en piqué.

Les sentiments se bousculaient encore, soulagement et joie, surprise et colère, dans l'âme de l'apprentie prisonnière du Code et de son interprétation, comme d'une roncière. Feuille de Houx lui avait toujours appris, tout le monde lui avait toujours appris, à respecter les Étoiles, et leurs lois - à se tenir à l'écart des autres Clans et des étrangers, à ne pas s'en faire des amis. Et ce, même si certains suggéraient d'écouter son cœur, aussi. Elle avait du arpenter à l'aveugle une voie qui ne lui parlait pas, et maintenant, quoi ? Finalement, ces amitiés, elle en avait toujours eu le droit ? Était-ce cela ? L'autre possibilité - celle des mensonges de son oncle - était bien trop amère. Mais de toute façon, elle en était persuadée, si elle le questionnait, alors il répondrait, et il ne lui mentait jamais - alors il dirait la vérité; oui, quand elle rentrerait au camp, ils pourraient en parler.

« Tu le connais? »

Mimosa s'apprêtait à répondre dans un éclat de rire et un ronron joyeux que, oui, bien sûr, elle le connaissait ! Que le monde - enfin, non, le monde était immense -, que la forêt était petite décidément, et que Feuille de Houx, monsieur Houx, c'était son oncle, à elle ! Le frère de sa maman Papillon de Lune ! Mais le constructeur de cette étrange montagne russe qu'était sa destinée avait du mal calculer les angles, les virages, et le dénivelé, il avait du vouloir créer une œuvre trop risquée, parce que, soudainement, le wagon venait de dérailler, et la novice sentit un poids immense tomber sur ses épaules comme son cœur plongeant dans sa poitrine. Un poids qui l'oppressait, un poids qui ne pouvait même plus exploser en sanglots et se fondre en larmes - Mimosa avait la banquise dans le cœur, et les glaces, cette fois, paraissaient éternelles... Le poids s'appelait Papillon de Lune, et "Feuille de Houx a connu le même sort"; le poids l'empêcha de souffler davantage que cette toute petite, mais si terrible phrase:

« Oui, c'est... C'était mon oncle. »

Et la conjugaison n'avait jamais fait si mal.
Parler n'avait jamais fait tant souffrir.
Alors Mimosa se tut, très pâle;
Du reste, qu'y avait-il dire ?

Qui sait si c'est parce-que la nuit sans sommeil l'avait terrassé, ou que l'espoir d'attendre l'avait nourri de trop bonne foi qu'il lui demanda:

— "Était" ?

Il y avait, dans son ton, cette curiosité et cette inquisition, rapprochant sa tête de la sienne en voyant son amie comme s'affaisser sous un poids invisible. Est-ce qu'elle aussi, comme lui, était fatiguée? Peut-être que quelque chose s'était produit dans sa famille qui avait enlevé à Monsieur Houx son titre "d'oncle"? Quelle triste histoire, il se rappelait Monsieur Houx lui dire que pour lui, sa famille comptait plus que tout. Que c'était pour ça qu'il était devenu chasseur - pour eux, pour subvenir à leurs besoins à eux. ...Rusty trouva que, malgré la douleur, il ferait du bien à Mimosa d'en parler, comme elle lui avait dit le nom de sa mère pour l'ajouter à sa prière, et c'est pourquoi il l'encouragea à développer sa pensée:

— Pourquoi il ne l'est plus?

Mais en lui posant sa question, il se rendit compte que son amie s'était raidie davantage et avait baissé la tête, et les yeux, et qu'ils s'étaient voilés, et étaient devenus vitreux. D'un seul coup il se sentit comme alerté, et il dressa hautes ses oreilles sur sa tête en s'empressant d'avancer une patte:    --Mimosa??...

Quand monsieur Rusty, poussé par la curiosité, avança la tête vers celle de sa cadette, en répétant un des mots de sa phrase, aux échos éloquents et délicats de pourquoi, Mimosa eut l'impression de se trouver quelques minutes face à un miroir - enfin, un miroir plus clair qu'elle, blanc et caramel, avec des prunelles de turquoises polies et emplies d'incompréhension; un miroir par l'attitude, dans lequel elle voyait le reflet de la chatonne qu'elle avait été et ne serait plus jamais. Monsieur Rusty, cependant, évoquait le spectre de cette fillette brune aux prunelles d'or et de miel, minuscule fleur de soleil. Et il soufflait:

« "Était" ? »

Parfois, la parole vous libère, vous ôte un poids;
La parole peut permettre de respirer, enfin
- De se confier, de se relever, d'être aidé, pourquoi pas.
La parole peut permettre de vivre, et d'être plus serein.
La parole peut guérir - la parole peut chasser les mauvais souvenirs.
Mais parfois, la parole ne peut rien faire de cela;
La parole peut blesser, sans le vouloir
- Plus sûrement que des griffes - juste une petite voix.
La parole peut noyer dans un grand désespoir.
Alors Mimosa ne voulait pas dire à monsieur Rusty l'amère vérité,
Parce qu'elle ne voulait pas lui faire de mal - encore moins le briser.
Et pourtant... C'était probablement ce qui allait arriver.

« Pourquoi il ne l'est plus? »

Non, non, non, non...

« Mimosa??... »

L'intéressée secouait la tête si vite qu'elle laissait presque derrière elle, comme une comète, une sorte de lumière - mais, supposait-elle amère, dans toute l'obscurité de ces nouvelles, on ne la verrait pas. Elle ne voulait pas parler, pas le blesser ! C'était tellement injuste... L'apprentie des fleurs baissa ses yeux où une brume de tristesse avait envahi tous les coins, se raidit - un mouvement trop vif de l'Abyssin, qu'elle n'avait pas vu venir, la fit bondir en arrière et coucher les oreilles, en parfait contraste avec son attitude. Mimosa n'aurait rien voulu d'autre que de se cacher dans un nid de mousse et de plumes qu'elle décorait de petits trésors et de jolies fleurs, au creux de la pouponnière, contre maman Papillon de Lune, contre Aulne, Violette et Lys, comme avant; elle n'aurait rien voulu d'autre que de jouer avec Ouragan et Muguet, et de n'avoir d'autres soucis que le nom des plantes, son rôle de petite aide-guérisseuse avec Nuage du Corbeau, les mélodie de la pluie et les parties de cache-cache dans l'antre de papa Étoile Maudite. Elle n'aurait rien voulu d'autre, mais... Le monde n'est pas une usine à exaucer les vœux. Alors, elle souffla, d'une toute petite, toute petite voix:

« Je suis tellement désolée, monsieur Rusty... »

... Il y avait cette intonation qui venait de la boîte à sons, parfois, pendant les soirs de mauvais temps. C'était un son comme il n'y en avait pas dans sa vie de solitaire, un son qu'il n'entendait plus du tout que dans les oreilles de ses pensées lorsqu'il lui arrivait de se rappeler de sa vie d'avant. C'était comme un bruissement de feuilles qui s'agitaient trop vite - qui prenait de l'ampleur ; qui enterrait le silence ; toujours le même. Un bruit-blanc de fin de programmation qui se mit à croître dans ses oreilles en entendant Mimosa s'excuser.

« Je suis tellement désolée, monsieur Rusty... »

Et Rusty entrouvrit sa bouche, car ses oreilles s'étaient affaissées et un pincement à la joue, bien trop familier, fit se distordre un sourire à ses babines comme une grimace de douleur qui le força à rentrer le menton dans le cou en s'efforçant à reprendre son souffle - il s'entrecoupait sur une série de sanglots muets, mais pas seulement : il y avait aussi, derrière toute cette souffrance, l'éclat de ses dents qui transparaissait au travers des gargouillis d'un rire. Il lui était arrivé de rire, une fois, après qu'on lui ait révélé la mort de son tout premier ami Monsieur Sugaar. Une siamoise de la Forêt [avait] laiss[é] ses plantes derrière pour foncer réconforter un abyssin de la Ville, et un abyssin de la Ville [avait foncé] pour éviter à une siamoise de la Forêt de perdre ses plantes.

Le rire qui l'agitait aujourd'hui n'était pas le même - il n'était pas celui d'un malaise, il ne vivait pas le malaise que Mimosa ait pu vivre la même peine que lui, car pour lui ce fait n'avait rien de malaisant.

Mimosa avait non seulement perdu sa mère mais son oncle et lui son ami, mais la seule chose qui fit hoqueter Rusty d'autant de sanglots que de petits gloussements fut une réalisation qu'il avait probablement du faire au milieu de la nuit, mais à laquelle il n'avait (bien sûr) accordé aucune importance. Par la simple raison qu'il était Rusty - et à cet instant? Il se maudit d'être Rusty:

— « Putain   de   merde.








Pourquoi j'me retrouve toujours à attendre comme un con???