[Canicule] She's gone | ft Léopapard - end

She's gone (29)


Mon père ouvrit la bouche mais pas pour me répondre. Juste pour un coup de langue sur l'épaule. Juste mais agréable. Il s'allongea pour m'enrober au dessus du dos. Il se posa sur moi et j'affaissais les épaules pour accompagner le mouvement du poids qui s'ajoutait sur moi. La réponse tardant, j'allais l'interpeller, mais.. il miaula un truc insensé à mes oreilles.

Curieux de mourir ?

Je me relevai vivement, mouvement heureusement anticipé par le Bengal qui me laissa un espace. Il lisait toujours aussi bien les réactions des chats. Espace suffisant pour que m'éloigne et que je le fixe. Mes questions n'eurent pas le temps de fuser car Coup de Foudre avait tout prévu. Les chefs mourraient, mais revivaient au moins huit fois par après. Pour les croyants, c'était les vies des Etoiles, pour les non croyants, c'était aberrant. Je fronçais les sourcils. Voir les autres mourir lui avait donné envie d'essayer ? Son père allait se suicider ? Je commençais à paniquer. Il me donna un regard malicieux. Noble, motivation ? Je fronçai aussi le museau, mon visage accompagnant ma réflexion. Les chats claniques motivés, c'était souvent à.. devenir chef. Je souris, un peu nerveusement.

" Tu veux être chef ? Pour mourir ? "

J'écrasai ma patte sur mon visage et me mis à rire. Quel chat, mon père ! C'était une drôle de motivation effectivement. Chef, avec neuf vies. Rêve de tous les chatons, il avait été le mien aussi. Mais je ne m'étais pas voilé la face, pourquoi un chat petit comme moi serait nommé lieutenant déjà ? Je finis mon rire.

" S'i je pouvais être chef, c'e s'erait pour ne pas mourir jus'tement. "

Je regardais la forêt consumée.

" Mais aucun de nous n'a bon, être chef, c''est s'acrifier s'es vies pour les' autres. C"est pour ç"a qu'ils s'ont chefs non ? Car c'e s'ont des héros qui n'ont peur de rien..

Je jetai un regard vers mon père qui disait n'avoir peur de rien. Ah, un point pour lui. Je grimaçai.

" ... Si t'es chef et que tu veux perdre une vie, donnes la moi, au moins. C'e s'era utile comme ç'a tu ne crois pas ? "

Donner sa vie pour les autres, si j'en avais plusieurs, l'aurais - je fait ? Aurais - je sauté dans les flammes pour sauver Regard de Braise ? Depuis que mon regard s'était détaché de mon père pour fixer le cadavre des arbres, il se perdait de cendres en cendre. Ma patte jouait dans la poussière jusqu'à ce qu'elle butte sur un cadavre de braise, charbonneux.

" L'aurais - tu donnée à Braise ? "

— « Tu veux être chef ? Pour mourir ?

Le sourire nerveux de Bec s'entrouvrit sur ses dents croches et il eut tôt fait de se couvrir le visage d'une patte avant de s'esclaffer. Coup de Foudre répondit à cette réaction en fermant les yeux, en souriant, éhonté et en se contentant de hausser les épaules.

Bien sûr qu'il savait que c'était stupide - pour n'importe quel autre chat vivant la peur de mourir, même, la peur tout court, ce genre de voeu quasi-suicidaire était carrément stupide, mais il y tenait, à son voeu stupide! Et puis il ne s'agirait que d'une seule vie sur neuf (1/9) c'était par la Rivière à Boire. (Même s'il n'aurait pas été contre de boire un peu de la Rivière, en ce moment...!)

— « S'i je pouvais être chef, c'e s'erait pour ne pas mourir jus'tement.
— Naturellement.

Il suivit le regard de son fils vers les cendres et les arbrisseaux asséchés, cassant sous les coups de vent plus forts maintenant qu'il n'y avait plus grand chose pour les couvrir.

— Mais aucun de nous n'a bon, être chef, c''est s'acrifier s'es vies pour les' autres. C"est pour ç"a qu'ils s'ont chefs non ? Car c'e s'ont des héros qui n'ont peur de rien..
— Justemeeent ~, et Bec comprit aussitôt ce qu'il venait de lui sous-entendre.
— ... Si t'es chef et que tu veux perdre une vie, donnes la moi, au moins. C'e s'era utile comme ç'a tu ne crois pas ?
— Pas bête. Je n'ai pas envie de me faire invectiver davantage par les Étoiles si je "gaspillais" une vie pour rien. Pour "voir". »

Il n'avait jamais vraiment pensé à "donner" sa vie à quelqu'un d'autre. Pour quelqu'un d'autre.

Il s'était toujours dit que sa vie n'avait de valeur que ce qu'il lui donnait - et il avait appris très tôt que ce à quoi il accordait de la valeur, les autres chats, surtout ceux qui s'ammourachaient du Code, s'en battaient très franchement l'entre-jambe (quels qu'ils soient). Se diviser était plus important que se rapprocher pour eux, et Coup de Foudre n'avait jamais vraiment compris pourquoi. Mais Bec, Bec avait de la valeur à ses yeux, alors quand il demanda, après avoir jeté un petit coup de patte dans la poussière:

— « L'aurais - tu donnée à Braise ? Coup de Foudre répondit aussitôt, sans mesurer ses mots:
— ...Si j'avais su ce que la perdre t'aurais fait, bien sûr que oui. »

Il était comme malaisé, pivotant ses oreilles vers l'arrière, observant son fils qui regardait ailleurs et heureusement car venait de transparaître, dans les yeux du bengal, un rare aperçu de tristesse. La tristesse n'était pas entièrement la sienne mais elle fit se déconfire sa carrure sans défaut, et légèrement pencher la tête et donner un coup de museau contre le front du plus petit guerrier.

She's gone (29)


Le Léopapard ne s'offusqua pas trop de ma légère moquerie, qui été réellement une incompréhension face à son souhait de mourir, rien qu'une fois -même si pour la majorité des chats, on ne mourrait qu'une fois-. L'envie était saugrenue, certes, mais on pouvait effectivement faire un marché qui nous arrangeait tous les deux si jamais une telle extrémité devait arriver : il pouvait sacrifier une de ses vies pour sauver la mienne. Comme ça il mourrait comme il le souhaitait, sans qu'on lui fasse la morale, et moi je vivrais, comme je le souhaitais. J'étais à deux doigts de pattes de ronronner si ma jumelle n'était pas décédée la veille et n'hantait pas mes pensées. D'ailleurs, je ramenai le sujet à elle. Facile de dire à un vivant qu'on ferait tout pour lui, mais à une morte ? Puis, Coup de Foudre n'avait jamais été fort proche de ma sœur. Sans doute était - elle trop simple pour lui, alors qu'à mes yeux, cela faisait tout son charme ? Sa réponse me fit tout de même redresser les oreilles. Il l'aurait fait, mais indirectement pour moi.

Mes babines se détendirent et sourirent. Je me tournais vers celui qui endossait dorénavant bien mieux le rôle de père, car au début, ça avait été compliqué pour lui et nous. Il mimiqua la tristesse que je devais laisser transparaître. Je me laissai aller et ronronnai enfin. A quoi bon s'entêter d'être triste alors que la famille aidait du mieux qu'elle le pouvait ?

" Merc'i, ç'a me touche beaucoup que tu donnerais une vie pour c'elui s'ur qui tu n'aurais pas parié à la nais's'anc'e. "

Je lui tirai la langue avec une pointe de mélancolie. Qu'on ne se mente pas, je savais que c'était comme ça, dans le temps. Après tout, j'étais le malade de la portée. J'allais me caler contre lui avant d'appuyer mon poids sur lui pour me permettre de me hisser sur mes pattes engourdies par la tristesse. J'avais extériorisé mes peines du passé et du présent déjà passé, il me fallait être en pleine forme pour pouvoir sourire le lendemain. D'un signe de tête, je lui proposai de rentrer.

Je nous laissai marcher un peu jusqu'à ce qu'une idée débile, mais surtout drôle, me passa par la tête. Je ronronnai, et entrecoupa parfois le moteur avec un rire.

" Bon, s'érieus'ement. S'i un chat à neuf vies est près à les' utiliser pour moi, ç'a 'intéres's'e beaucoup ! Faut jus'te que tu s'ois lieutenant pour ç'a. ... Il faut jus'te que tu prennes la plac'e de Raton Laveur ! Aha !! Demain, je crie " Léopapart Lieutenant !!" dans le camp jus'qu'à c'e qu'Etoile des C'endres c'ède ! " plaisantais - je en essuyant une nouvelle fois la salive qui survenait quand j'accumulais les S.


Ou ne plaisantais - je pas ? L'idée d'un papa lieutenant puis chef était tout de même très réconfortante.

— « Merc'i, ç'a me touche beaucoup que tu donnerais une vie pour c'elui s'ur qui tu n'aurais pas parié à la nais's'anc'e.

N'importe qui se serait senti piqué par les mots mais de voir son fils lui tirer aussi impunément la langue arracha un sourire au bengal, qui échappa un rire en réponse.

— PfhHA HA HAH !

Il tenta vite d'essayer de se taire - la situation ne s'y prêtait pas! - en repliant une patte à sa bouche mais même sur le chemin du retour ses épaules s'agitaient encore. Le rire et les blagues lui venaient bien plus facilement que la tristesse et Bec Habile venait de perturber sa concentration à rester sérieux. Ce devait être signe qu'il allait mieux. Pas tout de suite, pas complètement, mais il le ferait, pas à pas, marchant un chemin en laissant derrière lui ses empreintes et celles de (feu) sa soeur.

— Je suis content d'avoir eu tort, tu sais, il lâcha après un moment.

Content d'avoir eu tort que le moins à même de survivre faute de ses déformations avait été celui qui s'était accroché le plus. Celui qui brillait par son sens de l'humour et son intelligence émotionelle, le mettant au même niveau que Roux. Bec était une donnée aberrante, un pourcentage qui n'avait (hypothétiquement) aucune chance et pourtant toute son habileté avait fait de lui un florissant guerrier.

Et lui, il était son père, c'est à dire qu'il le regardait, l'encourageait à l'aide de mots, lui partageait ses secrets d'un rapprochement plus comparable à celui d'un ami que celui d'un parent. Sous le couvert des arbres, délaissant derrière cette partie calcinée de la forêt, ils rentrèrent ensemble au campement tout en échangeant:

— Bon, s'érieus'ement. S'i un chat à neuf vies est près à les' utiliser pour moi, ç'a 'intéres's'e beaucoup ! Faut jus'te que tu s'ois lieutenant pour ç'a.
— "Juste", grommela le bengal en roulant les yeux vers le dessous des branches, au-dessus.
— ... Il faut jus'te que tu prennes la plac'e de Raton Laveur !
— Ahh, le rêve...
— Aha !! Bec se redressa dans la marche et sa courte queue se hissa au-dessus de sa croupe, son père l'imitant, et ils avaient plus l'air de deux commères qu'un père et son fils accablé par le deuil.
— Demain, je crie " Léopapart Lieutenant !!" dans le camp jus'qu'à c'e qu'Etoile des C'endres c'ède !
— Tssk, si seulement c'était si facile! renchérit le bengal en jouant le jeu, prenant cette voix lasse. Sauf toi et Roux, mes seuls supporters seraient des chats d'autres Clans. T'imagines le scandale?

Sinon il faudrait que Raton me choisisse comme Lieutenant, mais je ne veux PAS penser à un futur où ce type aurait le pouvoir de faire ce qu'il veut du Clan...!

Il feignit du dégoût, crispant sa face dans une grimace avant de donner à Bec un petit coup de coude et lui glisser un sourire de connivence. Un "merci". Un "ch'te tiens". Un "tu m'as bien eu". Un "tu peux compter sur moi" qui, venant de la part d'un guerrier réputé à ne pas être fiable dans le Clan, marquait un développement conséquent dans sa relation avec son fils.

Bec n'avait peut-être plus les empreintes de Braise à côté des siennes, mais il avait celles de son père, maintenant, et on le vit marcher dans ses pas une seconde pour se pencher et donner un coup de langue sous l'oeil de son fils, histoire de lui nettoyer une bonne fois pour toute la marque cendre qu'il s'était par accident barbouillée au visage.