[Canicule] She's gone | ft Léopapard - end

She's gone (29)


Je ne pouvais rester longtemps dans ce camp où on avait accueilli la dépouille de ma jumelle, ma double, ma Braise. Voir ses yeux sans l'étincelle habituelle, ses babines dénuées de sourire et..sa... gorge. J'en eu un haut - le - cœur rien que d'y penser. On était donc en sécurité nulle part. Le chat carbonisé qui l'avait ramenée.. J'en frissonnais encore ! On ne savait pas trop d'où il venait, enfin, on savait que tout ça, venait de l'incendie. Réveillé par l'odeur de brûlé, par les cris de la découverte du corps de... Je dormais contre Panda Roux, comme si nous étions seuls au monde, mais à part fermer l'oeil.. je ne rêvais pas, le sommeil ne venait pas. Comment le trouver après tout ? Dans le silence alors, cette nuit là, je me levai et parmi la queue basse faire un tour sur le territoire. Je devais me fatiguer. J'eus un compatissant signe de tête du garde de notre tunnel. Normal quand on croisait le frère d'une défunte. Une fois sorti, je ne savais pas trop où aller. Puis, l'idée morbide de voir là où ma jumelle avait peut - être périt me traversa l'esprit. Etait - ce une bonne idée ? Je ne pouvais pas non plus éviter cet endroit de la forêt éternellement après tout.. Autant me vacciner dès le début, souffrir d'un coup une fois, et tout digérer auprès de mes proches les lunes qui allaient venir.

L'endroit n'était pas dur à trouver, avec son odeur de brûlé et ses couleurs noires. Lentement, je m'avançais dans ces bois morts. Je ne reconnaissais plus nos terres, j'étais perdu physiquement et mentalement. Seul dans cet enfer éteint, je laissai tomber mon arrière train. Je respirais profondément, avant d'expirer dans un sanglot, et commençais à totalement me laisser aller, à pleurer comme j'avais pleuré à sa veillée, comme la nuit où je m'étais blessé. Car blessé, je l'étais à nouveau.

Boule est

Boule était un peu comme

Il lui arrivait de penser que Boule,...

...Il faisait trop chaud pour réfléchir mais ce n'était pas seulement ça. Il n'avait - il n'avait jamais donné d'éloges, avant. Il n'avait jamais vraiment veillé un corps, non plus - pouvait-on considérer qu'il avait veillé celui d'Étoile de Suie après avoir attendu qu'elle ne se relève? Boule --Braise n'était pas cheffe, elle n'avait pas de vies à revendre, signifiant qu'elle était morte pour de bon.

« C'est ta fille, et tu ne dis rien? » Ce n'était pas parce-qu'il se retenait. C'était qu'à cause de sa condition, toute émotion négative était tellement émoussée que c'était comme s'il ne ressentait rien. Braise était morte et c'était un fait autant qu'était celui de dire que Tiens il pleut, ou que Tiens, une partie de la forêt a brûlé (?). Mais si avant il pouvait aisément passer à autre chose la mort causait, chez ceux qui ressentaient, une sorte de latence, une sorte de ralentissement qui les plongeait dans un état de deuil, état qui, comme rire et comme pleurer, se devait d'être vécu avant de pouvoir seulement tenter de le surpasser. Si la mort de Braise ne lui fit pas grand-chose par son fait, elle lui fit quelque chose par la causation d'une peine sans pareille chez Roux (et il aimait Roux, il allait donc de soit qu'il n'aimait pas le voir triste) et quasi dévastratrice chez Bec.

« Mes condoléances », on lui dit, mais ce n'était pas à lui qu'il fallait les dire. Lorsque le pic de chaleur descendit avec la mort lente du soleil et la venue du soir, Coup de Foudre réussit à sortir de son engourdissement forcé (fourrure foncée oblige) pour voir Bec se dérober de la tanière des guerriers. Et si une part de lui lui dit qu'il valait mieux à Bec de vivre tout seul sa peine et de l'expulser comme il se devait, une autre fit descendre aussitôt son regard aux "rayures" inscrites dans ses pattes et voilà que Coup de Foudre se mit (encore) en filature. Il le fit par les arbres, car les arbres suaient de la rosée et lui raffraîchissaient le dos, rendant la température presque supportable. Ses pattes suivirent aisément le réseau d'où les branches se croisaient.

Là où Bec s'était assied, là où Bec pleurait, le feu avait calciné les feuilles et les débris au sol et avait noirci les environs et tout grisaillé de sa fumée. Là au soir ce qui étaient autrefois de grands arbres robustes n'étaient plus que des restes d'écorces et des arbrisseaux dénudés de leurs feuilles, s'effritant au vent - soudain on entendit quelque chose se casser, puis une série de crrRRRAC, et tomba de sa hauteur le bengal qui n'eut pas le temps de se réceptionner - il roula boula dans la cendre et les restes en finissant la croupe en l'air, la queue recouverte de poussière, le dos comme tordu et une patte étendue dessous son ventre, les yeux ronds.

Il - pourtant, à cet endroit, les branches étaient solides, mais toute la mémoire motrice du monde n'avait pas réussi à lui faire comprendre que toute une carte sensorielle de la forêt lui était maintenant proscrite maintenant qu'un feu l'avait rasé de la réalité.

She's gone (29)


Les larmes s'écrasaient sur le sol pour immédiatement se faire aspirer, comme si la nature chipait toute l'humidité qu'elle pouvait trouver pour renaitre. Elle en avait de la chance. Quand j'avais pleuré dans la fourrure de Braisou, elle n'avait rien absorbé, elle n'était pas renée. Ça avait été dur de quitter son pelage qui refroidissait, mais comme beaucoup me l'ont dit, il fallait la laisser partir. La laisser partir ? Je l'avais imaginée s'éloigner de nous, comme tous les adultes faisaient, parce qu'elle aurait eu une compagne ou un compagnon, et qu'il ou elle aurait eu la chance de l'avoir à ses côtés toute sa vie. Mais sa compagne était dorénavant la Toison Argentée. Plus possessif que n'importe quel chat, elle ne me donnera pas l'occasion de la revoir.. Ma soeur.. Ma J-jumelle... Une nouvelle vague de larmes vint, il fallait que je l'extériorise. Et une fois vidé, je pus de nouveau respirer normalement, sans m'étrangler sur un sanglot. Je baissais les yeux sur mes pattes devenue noires par les cendres. Noires comme celles de ma soeur. J'aurais pu encore me laisser entraîné lorsqu'un bruit sourd me fit sursauter.

BOOM

Tous mes poils hérissés, je me retournais vivement. Le tueur noir était de retour sur les lieux de son crime ?? Une grosse masse noire était derrière moi, effectivement, mais dans une position très peu flatteuse, témoignant une belle chute. La panique fut vite éclipsée par les taches reconnaissables de mon paternel. Ma fourrure retomba et je rentrais mes griffes dans leurs étaux. Je laissai le chat qui a chu se relever, admirant ses joues dénuées de larmes. Comment faisait - il pour ne pas être atteint par cette tragédie ? Mais après vingt lunes de coexistence, et dix à réfléchir Roux et moi à comment notre parent réagissait, nous avions conclu qu'il avait des émotions cassées, comme moi, ma mâchoire était cassée. Je faisais avec, il faisait avec, et tout le clan nous cassait les pattes avec ça. Donc je n'allais sûrement pas ressasser ça. Je n'allais pas lui parler comme un autre chat du clan, mais comme son fils. Et il me vint cette phrase que seul un de ses premiers enfants pouvaient savoir.

" Tôt ou tard, nous mourrons " articulais - je la voix lourde de tristesse.

Je regardais mon père dans les yeux, faisant face à cet allié qui m'avait effrayé, non, terrorisé durant mon enfance avec cette même phrase.

" Tu t'attendais à c'e que l'un de nous meurt, tu l'as toi même dit il y a des lunes de c'ela. " Je déglutis avec peine. " J-j'ai tant prié pour que c'e ne s'oit pas moi mais.. Les larmes revinrent de plus belle. " Pas elle. "

« NNghh » il parvint à se relever non sans un peu de mal, le dos d'abord, l'avant ensuite, s'ébrouant de long en large maintenant que sa tentative de discrétion avait superbement été fauchée par sa chute impromptue. Il en oublia presque sa venue ici (Bec) car il vit l'état des lieux et.

Et dans ses yeux le souvenir de la forêt verdoyante se juxtaposa à ce qu'il restait de cette section, fronçant légèrement les sourcils en tiquant de l'oreille comme s'il faisait face à une illusion, à une dissonance, avançant même la patte où il savait qu'une souche se trouvait pour seulement passer au travers et ne la ressentir qu'en fantôme. Il se pencha et essaya un coup dans le vide, passant au travers d'un écran de poussière, en rien de plus. Il observa ses griffes, ses coussinets, et subitement une oreille se pivota sur le côté car il entendit la voix de Bec articuler:

— « Tôt ou tard, nous mourrons.
— ...!

Le bengal tourna lentement sa tête vers son fils, qui lui rendit la pareille, et son regard s'accrocha au sien avec cette complicité qu'ils partageaient à la triste réalité qu'ils étaient éphémères. Comme la forêt. Coup de Foudre reposa sa patte par-terre, sans le mot, laissant une traînée de poussière suivre son mouvement comme il se tournait à demi pour faire face à son fils et le regarder sans cligner:

— Tu t'attendais à c'e que l'un de nous meurt, tu l'as toi même dit il y a des lunes de c'ela.

Ses oreilles s'abaissèrent un peu. Il leur avait dit cette réalité à l'époque où ils étaient chatons et n'avaient pas même de griffes pour s'agripper à leur propre identité. Il leur avait dit car c'est ce qu'il pensait - aurait-il mieux fait d'être plus doux? De ne jamais leur en parler? D'attendre? La mort ne les attendait pas, elle, et pouvait les surprendre au détour de n'importe quoi. Il eut un déclic : est-ce que la peine de Bec (et celle de Roux) était comparable à la sensation de la perte de cette partie de la forêt? Qu'au lieu d'une Souche c'était Braise qu'il s'attendait de toucher avec sa patte? Que la sensation de jamais plus pouvoir le faire lui manquait...? Sa chute lui semblait bien symbolique, soudainement.

— J-j'ai tant prié pour que c'e ne s'oit pas moi mais.. Quand ses yeux s'embuèrent de larmes il comprit davance ce qui accablait son fils: Pas elle. »

Et il savait qu'un sourire ou de la philosophie n'avait pas sa place, ici, et il baissa les yeux sur le côté, et suivit la terre à ses pattes, et sortit les griffes pour les y enfoncer, impuissant, avant de les rentrer, de s'asseoir et de lentement soulever sa patte pour la lui tendre, vide de toute confusion, de tout jugement aussi, miroitant exactement à Bec ce qu'il voulait:

— Approche... »

... À défaut d'avoir les mots, en ce moment, il lui donnerait son soutien avec son corps, à l'aide d'une étreinte.

She's gone (29)


Le léopapard ne devait pas s'attendre à la disparition de cette part de la forêt, ou ne la pensait pas si conséquente. Le bois calciné l'avait absorbé un moment, mais pour le plus grand plaisir de mon cœur meurtri, son attention revint vers moi lorsque je me mis à parler. Il réagit à mes paroles, se souvenait - il du moment où il les avait dites ? Moi, elles étaient gravées dans ma mémoire comme le fait qu'un chat a pu me considérer comme non viable. L'information avait presque été digérée, diluée dans tous les événements que j'avais vécu mais là.. Je fus brusquement ramené à la réalité. On était mortel. Le sujet de discussion fit baisser les oreilles du Bengal et après avoir balayer le sol avec ses yeux et sa patte, il me la tendit, invitation tacite à venir chercher du réconfort. Tacite jusqu'à ce qu'il confirme ses gestes avec un simple mot. Et je m'exécutai. Je prenais tout le réconfort physique que l'on m'offrait dorénavant que ma plus grande source de câlins était partie. Les pattes presque trainantes, je glissai mes épaules sous la patte tendue et terrai mon visage contre le torse du grand guerrier. Contre ses poils sombres, cette nuance spécifique à lui et sa fille décédée. Mais les yeux pressés contre lui, je ne voyais plus, je ne voulais plus voir en ce moment, plus réfléchir. Ne pouvais - je pas dormir jusqu'au jour où j'irai mieux ? Là, j'étais bien, enfin, un tout petit peu. Je me sentais comme un chaton dans les pattes de son père. Nos rapports de taille y contribuaient grandement. Mais.. c'était un peu ce qui m'avait manqué, pendant ma tendre enfance.

Toujours collé contre son torse, je réussis à articuler :

" Dés'olé, Bec Habile n'a pas bonne mine en c'e moment.. eh.. "

Je reniflai et balayai mes larmes du revers de ma patte. Vu comment mon œil me piqua après cela, et la noirceur humide de ma patte, je devinais que j'ai du m'être refait une beauté à la cendre. Je libérai mon visage du pelage de mon père, mais restai contre lui. Pas trop envie de me retrouver seul. De par terre, mon regard fut happé par le firmament. Je relevai la tête et contemplais nos ancêtres. Je priais toujours pour leur protection. Cela marchait - il ? Braisou n'aviat - elle pas prié ? Je ne lui avais jamais demandé, peut - être aurais - je du insister sur ce fait ? Mes oreilles s'abaissèrent. La foi était quelque chose de compliqué, et là, en moi, je la sentais un peu vaciller.

" Les' Etoiles ne préviennent - elles pas d'habitude, avant un feu ? C''était toujours comme ç'a dans les vieilles croyanc'es. "

Les Etoiles, nos ancêtres, nos morts.. Mort ? Comme Regard de Braise ? Je scrutai avec un peu plus d'énergie et de désespoir le ciel, à la recherche d'une nouvelle Etoile.

" Elle doit être là - haut maintenant. Quelle Etoile ? C'ette gros's'e là, qui brille fort ? Brais'ou brillait toujours de mille feux, ç'a ne doit pas avoir changé, même dans le Clan des' Etoiles. "

Imposante, adorablement ronde, brillante, c'était ma Braisou, c'était mon Etoile. Était - ce fou d'espérer qu'elle me voyait désormais ? Était - elle heureuse ? Ne voulait - elle pas revenir ? Aaah, trop de questions encore. C'était ce que son absence me faisait subir. Ré-apprendre à vivre sans elle sera dur. Mais la vie de guerrier était dure non ? Je reniflai une nouvelle fois. Tout comme d'anciens malheurs de ma vie, ça passera, peut - être..

Bec prit l'offre à coeur joie (figurativement) et alla marcher entre les pattes du Bengal. Une fois tout près Coup de Foudre referma sa patte contre son fils, sortit le bout des griffes et lui gratta le dos tout en l'étreignant, tout en ronronnant, cherchant à enterrer le son de ses pleurs et ses sanglots dessous celui de toute cette vibration.

— « Dés'olé, Bec geignit, le nez dans son poitrail qu'il mouillait de ses larmes. Bec Habile n'a pas bonne mine en c'e moment.. eh..
— T'excuses pas pour ça. »

Il n'avait pas à s'excuser car il n'avait rien à excuser. Il pleurait et c'était normal, c'était naturel! Mais Bec voulait toujours tellement bien faire il faut croire, qu'il avait du mal à se laisser aller comme il se devait. Il était avec le chat le plus à même de comprendre l'égoïsme - qu'il le soit! Il s'essuya les yeux et son père le regarda faire sans s'interposer, sans se douter une seconde de ce qu'il allait lui sortir par la suite.

Ce qui était stupide.

Car il aurait du s'en douter.

Il aurait du se douter que comme ils étaient devenus leurs propres chats, ses propres enfants pouvaient aussi choisir ce en quoi ils croyaient, et où diriger leur foi:

— « Les' Etoiles ne préviennent - elles pas d'habitude, avant un feu ? Immédiatement le bengal plaqua ses oreilles sur sa tête. C''était toujours comme ç'a dans les vieilles croyanc'es.
— ... Ce qui est vieux n'est pas immuable, grommela le bengal, ramenant Bec contre lui, applatissant son menton sur le sommet de sa tête sans n'oser lui faire voir l'indice de colère qui avait brillé dedans comme le tison d'un feu.

Mais Bec se distança (Coup de Foudre claqua de la langue) pour regarder le ciel et les étoiles qui commençaient à transparaître dedansl. Il n'y avait plus la canopée pour les couvrir, on les voyait nettement (peut-être même trop) et Coup de Foudre s'en sentit un instant malaisé, mais... Bec était plus important que son malaise. Son malaise était de toute manière hypothétique, et il tendit l'oreille pour écouter la suite de ses mots, car Bec avait besoin d'être écouté, en ce moment:

— Elle doit être là - haut maintenant. Quelle Étoile ?

Il n'eut d'autre choix que de lever le nez aussi, et de scanner le ciel en grimaçant légèrement à la vue de tous ces astres dont qui sait combien de milliards d'années-lumières de la Terre ils se trouvaient. Mais Coup de Foudre n'était qu'un chat, et il était la norme, pour les chats, de croire que dans le Plafond du Ciel s'accrochaient les chats défunts qui avaient respecté le Code du Guerrier.

— C'ette gros's'e là, qui brille fort ? Brais'ou brillait toujours de mille feux, ç'a ne doit pas avoir changé, même dans le Clan des' Etoiles.
— ... »

Le même Clan des Étoiles qui torturait Fifi sans discriminer? Est-ce que désormais, Regard de Braise en faisait partie? Il détourna le regard, soufflant par le nez, affichant une moue contrite avant de redonner un coup de front à son fils qui venait tout juste de renifler.

— « Tu préfères un mensonge doux ou la vérité crue? Ses oreilles s'étaient aplaties comme les siennes, et il les entourait tout deux de sa queue, la petitesse de son fils le lui permettant. Cette fois je te laisse le choix.

She's gone (29)


Les ronronnements et l'étreinte de mon père me calmèrent. Il insista aussi sur le fait que pleurer n'était pas grave, mais j'avais quand même préféré sortir du camp pour le faire. En plus d'être le plus petit guerrier, je ne voulais pas qu'on me prenne pour un enfant pleurnicheur... Même si là, techniquement, c'était ce que j'étais. L'ambiance était protectrice et rassurante, surtout quand Coup de Foudre posa son menton sur mon front. Cette façon de faire me rappelait Panda Roux lorsque j'allais mal. Au fond, nous avions pris des habitudes du bengal. Si des questions ne me taraudaient pas l'esprit, je serais bien resté comme ça. Mais l'avenir de ma soeur parmi les astres prenait tout mon esprit en ce moment. Tant bien que je m'éloignai des pattes de mon père, ce qui le fit claquer de la langue. Il me donna son avis, que ce n'était pas parce qu'une chose était vieille qu'elle était forcément toujours vraie. Je le regardais du coin de l’œil, tournant légèrement ma tête, et puis passai au sol, fronçant le nez dans un geste qui disait "Ce n'est pas faux". Il y avait de vieilles croyances dont j'avais la chance qu'elles soient vieilles et déjà oubliées, comme les pensées eugénistes d'Etoile de Suie. Mais tant d'anciennes traditions, comment démêler celles qui étaient encore vraies et les autres déjà fausses ?

Avec moins d'espoir que moi, Léopapard me laissa le choix entre la dure vérité -que je connaissais- ou un doux mensonge. Mes yeux restèrent accrochés au ciel un moment, encore brillant des précédentes larmes qui y avaient coulé, réfléchissant la brillance des Etoiles. Songeur, je miaulai :

" Même s'i c''est rêver, je préfère l'imaginer dans'er dans le c'iel et câliner à tout va que de la s'avoir froide et incomplète dans les' entrailles de la terre. "

Je me décrochai enfin de la Toison Argentée, appelé par le coup de front de Coup de Foudre. Mes oreilles se relevant un peu de curiosité quand je vis celles tout écrasées de mon père. Il avait un air embêté dans le regard. Sa queue nous entourait tous les deux. La mienne ne faisait que la moitié de la sienne -tout était proportionnel dans le fond- mais je l'accompagnais tout de même dans son geste. Le bengal était un terre à terre. De toutes les lunes où j'ai appris à la connaitre, jamais il n'avait parlé du Clan des Etoiles. Pourtant nombreux étaient les enfants qui avaient eu leur foi de leur parent. Ne voulant pas d'un sujet à sens unique, je reposai le haut de mon crâne sur son épaule, regardant dorénavant la forêt brûlée. On était là, bien différent quoique relié par le sang et le plaisir de charmer. Sauf que là, rien était charmant. Qui trouverait la mort charmante ? Pour moi, elle était horrible et effrayante. Je soupirais à nouveau, comme pour sortir mes idées noires.

" Tout ç'a... ç'a ne te fait pas peur ? Tu n'as pas peur de mourir à ton tour ? Trop s'ubitement ? Trop brutalement ? "

Il ne sentit pas de regard accusateur de la part de Bec, alors il se permit de lui jeter un coup d'oeil, rapide, constatant qu'il avait encore le nez en l'air à regarder les Étoiles. Le bengal se renfrogna dans l'étreinte, grommelant bruyamment, ne cachant plus à Bec son malaise.

— « Même s'i c''est rêver, je préfère l'imaginer dans'er dans le c'iel et câliner à tout va que de la s'avoir froide et incomplète dans les' entrailles de la terre.

Alors il savait...

Son ton s'atténua, et l'ombre d'un sourire parut aux babines du bengal. C'était une façon... intéressante, de voir les choses. Si il détestait les Étoiles pour tout ce qu'elles avaient fait subir à leurs guérisseurs (à Fifi) et à leurs guerriers (à Raton, au début, en lui faisant croire que sa liaison avec une chatte d'ailleurs était interdite sous prétexte que c'était "contre leurs valeurs"), Bec lui faisait part du second aspect de ces croyances : l'aspect qui rassurait que, à condition de suivre le Code (on en reparlera...), toute famille perdue serait à nouveau retrouvée. C'était beau - ça avait son charme, de penser qu'après avoir perdu quelqu'un, on le retrouverait dans la mort, qu'un cinquième Clan les attendait dans une réalité Métaphysique de l'autre côté de la Glace où ils vivaient tous en harmonie.

Mais cette croyance suscitait trop de questions. Est-ce que ça voulait dire que tout les chats étaient encore vivants ailleurs? Combien de places restait-il dans le Clan des Étoiles? Si on remerciait le Clan des Étoiles pour ses chasses, est-ce que c'est parce-que les Étoiles chassaient des Étoiles de Proies et le cycle s'inversait? C'est à dire qu'à chaque proie qui mourrait dans la toison argentée, une autre proie naissait dans la forêt? Et plus il se triturait l'esprit avec ces questions moins il comprenait cet entêtement qu'avait le Clan (les Clans?) à le forcer à vivre par le Code.

"Même si c'est rêver", lui dit Bec. "Même si c'est croire quelque chose d'impossible". "Croire quelque chose de naïf". Ça le rassurait, et Coup de Foudre comprenait l'attrait dans sa croyance. C'est vrai qu'en freinant le cours de ses pensées il pouvait, brièvement, s'imaginer Boule, avec qui sait combien d'autres chats déchus, à juste se câliner. Une vie de rêve! ...Une vie à envier. Une vie que plusieurs était prêts à se battre pour obtenir. Enfin, une "vie", plutôt une après-vie, quoi que c'eut signifié.

Là serrés avec autant de passion que deux amants, Bec glissa sa tête sur l'épaule de son père, et ce-dernier ferma ses yeux en poussant son air par le nez, d'un long souffle, comme pour se dégonfler de tout cet hypothétique malaise qui lui grouillait sur la peau comme des insectes.

— « Tout ç'a... Les insectes se dispersèrent, il entrouvrit ses yeux dans l'obscurité de la nuit, qui les raffraîchit juste un peu, juste assez pour pouvoir échanger: Ç'a ne te fait pas peur ? Tu n'as pas peur de mourir à ton tour ? Trop s'ubitement ? Trop brutalement ?
— ... La question lui fit verser sa tête sur le côté, frottant sa joue contre la nuque de son fils.
C'est ton cas à toi, n'est-ce pas, Bec? M'enfin, c'est logique d'avoir peur de mourir...

Il ronronnait encore.
— À condition d'avoir peur. »

She's gone (29)


Je sentis mon père se détendre. J'avais bien choisi mes mots. Nos souffles se calmèrent, nos sourcils cessèrent de se froncer, vers le haut pour ma tristesse, vers le bas pour l'embêtement du Bengal. Un moment de silence portèrent nos réflexions, notre confusion. Mais je n'arrivais pas à garder mes milles peurs en tête, et décidai de les partager avec ce chat qui avait promis d'échanger ses secrets et ses connaissances. Je laissai mon poids s'appuyer contre lui, mon oreille calée contre son corps entendait tout ce qu'il s'y passait. Pouls, respiration.. La vie. Petits bruits rassurants, si je savais m'endormir sur mon propre coeur pour m'assurer qu'il battait encore, je le ferais. Mais je me contentais de celui de Panda Roux. Enfin, contenter. C'était déjà énorme, encore plus depuis qu'il est devenu ma seule fratrie. Oh, bien sûr, il y avait la portée de Nuit Hivernale, cependant, Roux était Roux. Léopapard était Léopapard, et les liens étaient spéciaux entre nous. Spécial, comme ses gestes, comme celui qu'il vient de faire, penchant sa tête sur mon crâne et le caressant en ronronnant.

Mon cas ? Totalement, ma bête noire dans la vie, c'était la mort. J'y avais échappé une fois grâce -ironiquement- à la guerre. Je la fuyais comme je pouvais, grâce à la protection du camp. Mais la mort de ma soeur me montrait que ce n'était pas assez.. Coup de Foudre rajouta qu'il était normal d'avoir peur... enfin, si on avait peur. Comment ça ? J'avais donné mon explication sur les Etoiles, mais je pense que c'était à son tour de me donner son explication sur la mort.

" A condit'ion ? Enfin, tous' n'ont pas peur de mourir ? C'a fait mal, ç'a donne froid, ç'a nous arrache à c'e monde... Tu... tu dus ç'a car.. t'as pas peur, toi ? "

Cela m'étonnerait - il vraiment ? Quand on était un grand bengal bien en muscle et en bonne santé, est - ce qu'on craignait vraiment la mort, vu qu'on avait aucune raison qu'elle vienne nous faucher ?

— A condit'ion ? Enfin, tous' n'ont pas peur de mourir ?
— Je ne sais pas pour tous, mais...
— C'a fait mal, ç'a donne froid, ç'a nous arrache à c'e monde... Tu... tu dis ç'a car.. t'as pas peur, toi ?

Bec était un grand garçon et il comprit aisément ce qu'il avait voulu lui dire.

Le bengal lui passa un coup de langue sur l'épaule pour confirmer son soupçon et se lova davantage contre lui, hissant son dos pour l'étirer, remuant le bout de sa queue, une sorte d'énervement le gagnant. Ils s'étaient promis de s'échanger leurs secrets et de partager en toute sincérité, mais son regard lut les environs, puis l'horizon (avec lui, les restes de l'incendie, la poussière et la cendre qui se donnaient un ballet dans les airs, bercées par le vent) et il tourna sa langue dans sa bouche pour se la mordre légèrement comme il savait que ce qu'il lui dirait n'avait rien de délicat:

— ...Moi, je suis curieux de mourir. »

Il souffla son air contre son fils en se distançant un peu pour lui redonner juste un peu de sa bulle personnelle, conscient que ce qu'il disait était non seulement aberrant mais au vu des circonstances, mal choisi, aussi: « Je veux voir de mes propres yeux ce qu'Étoile de Suie a vu quatre fois avant de s'y faire emmener pour de bon. Étoile de Suie mais aussi Vaillante, Maudite, et le géant bleu de la Rivière - je ne me souviens plus de son nom -.

Au final, ils ont tous eus droit à un petit aperçu de ce qui nous attend.

Il recula la tête pour lui décocher un sourire carnassier, brillant d'espièglerie mais aussi d'auto-dérision:

— ...Pas très noble comme motivation, hein? ~

Mais bon, l'étaient-ils vraiment, au Clan du Tonnerre?

Étoile de Suie avait prit la place d'Étoile de Lion après l'avoir prétexté "disparu" dans le blizzard, Étoile de Vautour avait aussitôt prit sa place après l'avoir laissée mourir pendant son exécution, et il avait nommé, par népotisme, son propre frère Busard Cendré, qui était devenu Étoile de Cendre lorsque la maladie avait arraché son aîné à la vie. Comble de l'ironie il avait ensuite nommé Raton-Laveur, non seulement son ex-meilleur ami mais aussi le chat avec qui il le confondait tout le temps comme Lieutenant. Ses chances étaient plus maigres que jamais d'accomplir son rêve - de concrétiser sa Vision (et de la gaspiller légèrement histoire de sacrifier une vie offerte "juste pour voir".)

— ...J'ai entendu des chats comparer l'orgasme à une "petite mort". C'est si mal d'avoir envie de tester la grande? »