[ canicule ] Putting holes in happiness - abandon

Elle ferma les yeux au contact de son corps contre la paroi rocheuse. Un frisson lui parcourut l'échine. La fraîcheur de la pierre s’immisçait dans sa fourrure pour pénétrer jusqu'à ses os. Un effet délicieusement rafraîchissant paralysa son corps quelques instants.

Mais bientôt l'effet s'estompa et il ne restait plus qu'Etoile Dansante pressée seule contre les murs de sa tanière. Elle se donnait un peu de courage avant d'affronter la chaleur écrasante du camp. Elle voyait les vagues de chaleur onduler sous le soleil brûlant du camp brûlant dans ce monde brûlant.

Elle avait décidé de rendre une petite visite à ses enfants aujourd'hui, et à Maudit par la même occasion. Elle se préoccupait beaucoup de ce que les autres pensaient d'elle, et encore plus maintenant qu'elle était devenue Etoile, autour de laquelle les autres gravitaient.
Il lui fallait donc jouer la pièce de la mère aimante et de la famille heureuse. Une comédie à laquelle probablement personne ne croyait.
Ce n'était pas grave. Elle était bonne actrice.

Toutes lui avait dit- quand elle se traînait avec son corps difforme, attendant de subir les douleurs de la mise bas- qu'elle les aimerait au premier regard et serait prête à tout pour eux. Ce n'était pas le cas. Les élever dans leurs premiers mois n'avait été qu'une corvée qu'elle effectuait à contre coeur. N'était-ce pas irrationnel d'aimer inconditionnellement un être dont elle ne savait rien, simplement parce qu'il était sorti de son corps ?

Dés que les petits avaient commencé à s'intéresser à la viande, elle les avaient refilés dans les pattes de la première reine venue. Elle ne savait pas si Terre Fine s'était prise d'affection pour eux ou si elle les confiait parfois à d'autres reines.
N'était-ce pas mieux pour eux ? Elles avaient plus d'expérience et elles avaient le fameux instinct maternel qui lui faisait manifestement défaut. Elle ne se sentait pas particulièrement proche d'eux pour l’instant. C'était les chatons du Clan plus que les siens.
Elle les aimerait quand ils en vaudraient la peine.

Maintenant qu'ils avaient un peu grandi et qu'ils savaient aligner plus de trois mots sans geindre, c'était peut-être le moment pour voir s'ils valaient le coup justement.

Elle entra dans la pouponnière et fut immédiatement assaillie d'une odeur de lait et de bébé qui lui fit plisser le nez. De songer que le même phénomène se produirait avec l'odeur d'ancien quand elle irait voir Maudit la fit carrément grimacer.
Ses pupilles se dilatèrent en deux sphères le temps qu'elle s'accoutume à l'obscurité. Elle n'eut pas à chercher bien longtemps avant de tomber sur Petite Mite :

— Où sont tes soeurs? Et ton frère ?

Le regard bleu, teinté d'incompréhension que le petit lui renvoya lui rappela qu'il ne l'entendait pas. Fine Terre le pensait sourd, et c'était souvent le cas des petits blancs qui gardent leurs yeux bleus. Etoile Dansante pinça les lèvres de frustration, avant de renoncer à errer dans la pouponnière à la recherche de ses enfants.

Sa longue queue vint effleurer le petit, l’entraînant dehors avec elle. Elle siffla, en espérant que les autres remarqueraient sa présence et la rejoindrait. L'atmosphère lui était pesante - toute en moiteur et cette chaleur, bon dieu - et elle préféra s’asseoir près de l'entrée pour patienter.

Ce n'était pas parce que Petite Mite était sourd qu'il serait inutile au Clan. Il faudrait qu'elle lui trouve un mentor patient qui apprendrait à se faire comprendre de lui et vice versa.

Seul le bout de queue d'Etoile Dansante dépassait de la ligne de lumière qui délimitait l'entrée. Elle tapotait distraitement le sol en attendant que les autres arrivent.

— Allez, on va aller voir papa. C'est pas bon de rester enfermer toute la journée dans le noir, même s'il fait chaud dehors.

Sur ce, elle se leva et pour se faire avaler par le halo de lumière.

Cela faisait maintenant x lunes que la petite et sa fratrie passaient avec leur nourrice et les autres reines. La chaleur, à l’extérieur, était si écrasante que Fine Terre ne les avait pas laissé mettre le museau dehors depuis des lustres ! Patte de Velours avait alors dû supporter la compagnie de ses frères et de sa soeur sans broncher. Patiemment, elle avait dû faire mine de s’amuser en jouant à leurs jeux puériles et sans intérêt tandis que le soir, elle s’endormait tout en pensant aux histoires des clans qu’on racontait aux jeunes de son âge. Elle s’imaginait guerrière, la tête haute, le poitrail bombé, et son père, là, à ses côtés. Un matou puissant et fier. Un père aimant.

Patte de Velours ne supportait plus de rester cloîtrée dans la pouponnière ; elle qui n’était encore qu’un chaton, voyait déjà le monde en grand et souhaitait plus que tout sortir de cet endroit, découvrir de nouvelles choses et, par dessus tout, revoir les magnifiques billes émeraudes et emplies d’amour, de ce matou tigré.

La petite n’avait cessé de tenter de soutirer des informations sur lui à leur nourrice. Malheureusement pour elle, sans grand succès. Bien qu’elle l'eût plus d’une fois relancée entre les différentes séances biberonnage, divertissement et toilettage, Fine Terre ne leur avait donné que son nom et son ancienne fonction : Oeil Vert, ancien meneur du respectable Clan de l’Ombre. La nourrice n’avait cessé de lui répéter qu’elle était bien curieuse et qu’elle en apprendrait plus sur son père en temps voulu. Et on y était. Ce temps était enfin venu.

Car, oui, tandis que la petite Patte de Velours s’était prise à rêvasser, assise dans un coin de la pouponnière, fixant un petit trou de lumière au plafond, Étoile Dansante avait fait son entrée.

Ah, sa mère..
Mère qui, sans même se souvenir des problèmes de surdité de son propre fils, venait de se mettre à lui parler comme si de rien n’était.
La voix de Dansante avait fait sortir Velours de ses pensées et, désormais, elle jetait un regard accusateur -comme savent si bien le faire les enfants- à la chatte qui venait de se rendre compte de sa bêtise.
Puis un sifflement se fit entendre et Dansante embarqua Petite Mite à l’entrée de la tanière.

Venait-elle réellement de siffler ses petits ? Sa propre progéniture ? Le fruit de ses entrailles ?
“Mais quelle mère fait-elle ?!”
C’est approximativement ce que se serait dit Velours au vu du comportement de cette pseudo meneuse si elle avait été plus âgée. Mais, pour l’instant, elle n’était encore qu’un chaton. Et tout ce qui lui vint en tête fut un revêche : “C’est pas toi la cheffe, ici, maman !” accompagné d’une mine bien grincheuse… puis elle entendit la suite et son expression changea radicalement.

- Allez, on va aller voir papa. C'est pas bon de rester enfermer toute la journée dans le noir, même s'il fait chaud dehors.

“Papa” ? Elle venait de dire “papa” ?
Loin de là l’idée de critiquer le vocabulaire que Dansante venait d’utiliser. Au contraire. Ce terme ravit la petite demoiselle qui, sans attendre, se mit à rejoindre sa génitrice dans une petite foulée joyeuse et rythmée ; queue bien dressée, oreilles droites, yeux clos et un petit sourire aux babines.

Bien que d’un point de vue extérieur, elle sût contrôler ses émotions explosives de chaton, en son fort intérieur, la petite féline trépignait d’impatience. Elle allait enfin sortir, découvrir son clan et, surtout, découvrir son père. Et tout ceci dans la même journée. C’était inespéré !

Une fois arrivée au niveau d’Étoile Dansante, la petite Princesse, à quelques queues de souris d’elle, lança un docile et poli :

- Bonjour, mère.

Il n’y avait aucune émotion dans son ton. Aucun amour. Seulement un aimable brin de voix, probablement le reflet d’une bonne éducation. Elle suivit ensuite Dansante tout en gardant ses distances. La terre sur laquelle elle mit les pattes n'était pas désagréable. Le soleil, par contre, lui fit subir une intense bouffée de chaleur et agressa ses rétines. La petite ferma donc un instant les paupières pour s'habituer à la lumière et, quand elle les rouvrit, le superbe camp s'offrait à elle. Elle s'y attarda quelques secondes, ralentissant le pas.

Le spectacle était appréciable, certes. Mais pas aussi grandiose que celui qu'elle allait enfin rencontrer après tant de lunes passées à l'idéaliser. Velours repris de plus belle sa démarche et, tête haute, yeux mi-clos, telle la fière Princesse qu'elle était, elle se mit presque à devancer les pas de sa génitrice, impatiente d'atteindre son objectif.

HR:

La chaleur était étouffante. Je restais à l’abri dans ma tanière, sans même arriver à m’endormir. Je ne voulais pas sortir pour le moins du monde. Au moins il faisait moins chaud qu’au soleil. J’essayais tant bien que mal de trouver une position confortable mais rien ne l’était par ce temps. La vie du clan semblait un peu ralentie à cause de cela, mais ça n’empêchait pas les guerriers de chasser, ils n’avaient pas le choix. Je me sentais tout de même coupable de ne pas pouvoir les aider, mais à présent je n’étais qu’un fardeau, bon à prier les étoiles mais plus à accomplir mes anciennes tâches. Enfin, je pouvais être fier d’au moins une chose, j’avais donné au clan des enfants, et rien de mieux que des chatons pour rendre une tribu forte et puissante. Mes derniers nés étaient encore des chatons, mais ils deviendront tous de grand chasseur. J’avais tout de même un peu peur pour Petite Mite – je n’aimais pas particulièrement ce nom, mais Etoile Dansante à choisi le nom de ses enfants – le pauvre chaton était sourd et il avait peu de chance de devenir un guerrier accompli. Cependant je gardais espoir, avec un entrainement spécial il pourra trouver sa place. D’ailleurs, j’entendais au loin la voix de la meneuse accompagné de petit bruit de pas de chatons. Ils venaient me rendre visite ?
J’ouvrais l’œil et cherchait du regard mes invités. Ils se dirigeaient effectivement vers moi. J’étirais mes pattes avant et mon dos et je m’assis en les attendant. D’un grand sourire je lançais à tous :

« Bonjour mes petits, vous venez voir votre vieux père ? Bonjour Etoile Dansante. »

J’inclinais la tête en signe de respect pour la meneuse.

Le chaton blanc ne la lâchait pas d'un poil, ronronnant comme s'il avait avalé tous les autres de la pouponnière et qu'ils ronronnaient tous à l'intérieur de lui. Elle leva sa patte, surprise quand sans prévenir le petit se frotta contre elle.
Cette marque d'attention la toucha. Le petit avait l'air visiblement content de la voir, alors qu'elle n'était que peu présente dans sa vie et qu'elle n'avait pas particulièrement tissé de liens avec eux tous.
Elle ne peut s'empêcher de penser qu'en plus d'être sourd, il devait être un peu simplet. L'affection qu'elle éprouvait envers lui quelques instants auparavant se mua en pitié.

Bonjour, mère. Patte de Velours fut la première à les rejoindre. Son ton excessivement poli, surtout pour son âge fit frémir les moustache de Dansante d'amusement.

La petite promettait de lui ressembler plus tard. Etoile Dansante se vit des saisons plus tard, abîmée et amère, regarder sa fille qui elle serait une jeune guerrière rayonnante et qui ferait tourner les têtes. Ce serait comme se voir dans le passé.

Son frère les rejoignit en dernier, la saluant de la même façon un peu guidée. Cette fois elle haussa un sourcil. Ce n'était pas elle qui leur avait appris à être aussi respectueux.
Tant pis si ces enfants étaient un peu coincés.

Elle traversa le camp en direction de la tanière des anciens.
Patte de Velours abordait à sa suite une démarche fière, alors qu'elle était haute comme trois queue de souris et avait probablement la rétine en feu à cause du soleil ardent. Danse lui aurait bien proposé de marcher sous son ventre, mais elle aurait sûrement eu trop de fierté pour accepter.
C'était bien sa fille.

Bonjour mes petits, vous venez voir votre vieux père ? Bonjour Etoile Dansante.

Maudit semblait sincèrement heureux de cette visite. Il méritait amplement sa retraite à se la couler douce au fond du camp. Il était devenu moins aigri et lui paraissait moins malheureux.

Tu ne pensais pas que tu allais les éviter jusqu'à ce qu'ils soient des anciens quand même ? Elle s'assit, prête à rester un peu. Tu as vu comme il te ressemble ? d'un geste du menton, elle indiqua Petit Veilleur.

Puis elle s'adressa à ses rejetons. Ils s'en était bien tirés pour la traversée du camp, étant donné le soleil et la chaleur. Au moins ça leur avait évité de courir partout et fouiner n'importe où. Ils auraient bien le temps pour ça plus tard.
Décidant de briser la glace, elle fit les présentations :

Les enfants, c'est papa. N'hésitez pas à aller le voir lui, il reste au fond du camp et il fait rien toute la journée.