Wax & Wane prio Coup de Foudre - abandon

Mouche laissa échapper un cri et son passager à plume alors qu'il perdait contact avec le tangible sous ses pattes.

Un instant, il se sentit suspendu dans l'air comme si les milliards de petites molécules étiraient des milliards de petits fils argentés. Il était retenu comme une marionnette immobile, juste avant que le rideau ne se lève et que le spectacle commence.
Il sentait les photons du Soleil qui venaient caresser sa fourrure, la respiration des feuilles qui vibrait autour de lui, il entendant le grondement de la sève qui circulaient sous l'écorce comme des milliers de petits soldats qui tapaient en rythme avec leurs pieds, il goûtait les minuscules gouttes d'eau qui s'échappaient des stomates des feuilles.
Mouche cligna des yeux, mais c'était chacun de ses sens qui était stimulé. Il n'était plus lui, individu avec un mur de chair qui le séparait du reste du monde, il était maintenant lié à chacun des organismes sur cette Terre, il appartenait à l'univers tout entier.

Puis les fils se brisèrent. Uns à uns d'abord, puis tous en même temps.

Son cœur se souleva alors qu'il chutait, descendant deux fois plus vite la distance qu'il avait si laborieusement montée.
Il ferma les yeux, s'imaginant à chaque instant heurter une grosse branche, ou le sol. Que se passerait-il alors ? Éclaterait-il en morceaux ? Ou finirait-il comme tous les autres, inerte, rigide puis enfoui dans le sol ?

Mais rien de tout cela ne se passa. Mouche fut réceptionné par une surface molle qui se fléchit sous l'impact.
Il rouvrit les yeux pour voir l'Oiseau arriver à toute vitesse. Il avança la nuque, ouvrit la gueule et la referma sur une patte du bout des lèvres pour limiter les dégâts.
Cette précaution n'empêcha pas le volatile de hurler de plus belle.
S'il criait, c'était qu'il allait bien.

Mais son sauveur lui n'allait pas bien.

« FFfff--... »

« FFffais le taire... »

Étrangement calme malgré sa chute et la tension tout autour de lui, Mouche considérait ses options. Il ne voyait pas trop ce qu'il pouvait faire. Il sentait les muscles de Foudre contractés par l'effort sous lui et l'Oiseau lui griffait le visage de sa patte libre et de son aile valide. Ses coups de becs étaient assez douloureux eux-aussi.

« ...Fais le taire, Mouche, fais qu'il se taise, je ne veux pas l'entendre, quand je l'entends tout revient et pour une fois que je veux oublier...

Il pouvait le lâcher. La bête se débattait tellement qu'il allait finir par le laisser tomber de toute façon. Son corps pendait à moitié dans le vide. Il était estropié. C'était comme si il était à moitié mort.

« TAIS-TOI, BORDEL, JE SAIS QUE TU ME COMPRENDS !! »

La voix de Foudre lui fit comme un électrochoc. Mouche planta ses griffes dans la chair de son dos, escaladant le guerrier pour se stabiliser sur la branche. Complètement aveuglé, il fut soulagé lorsqu'il sentit le bois noueux sous ses griffes. Il baissa la tête pour déposer délicatement l'oiseau près de la base de la branche.
Le sang coulait sur son museau, dans sa gueule et dans ses yeux. Il se retourna vers Foudre qui essayait de se hisser lui-aussi.
Il l'empoigna par la peau du cou, et tira avec toutes ses forces pour l'aider à monter.

Puis il se laissa tomber plus qu'il s'assit sur la branche. Et poussa un gros soupir.

Il y avait de la sève sous ses pattes. Il y avait des griffes dans son dos. Dans ses oreilles pianotaient ses larmes sur les branches en dessous. Il voulut les ravaler, tirant une désagréable grimace en distordant ses muqueuses - c'est que les griffes tricotèrent dans sa chair, le forçant à crisper davantage les extenseurs à ses pattes pour se stabiliser sous le mouvement de Mouche qui marchait son dos jusqu'à une branche. Lorsqu'il enleva sa dernière patte et l'épargna du reste de son poids, le bengal ne sentit plus rien.

Pas la douleur qui lui lançait l'échine, ni celle qui lui scindait les tendons des avants-mains, ni ses poils collés dans la sève ou l'écorce du sycomore qui lui grattait la peau. Il était comme engourdi - c'est sans compter sur l'aide de Mouche qui plongea son museau dans sa nuque pour le tirer, autrement il se serait laissé tomber. Ce n'était pas la première fois qu'on trimballait ainsi son corps en dehors du danger (sa mémoire motrice lui fit se rappeler les eaux particulièrement capricieuses de la Rivière, un soir d'automne il y a quelques cycles). Mais c'était la première fois qu'il était encore conscient.

La branche sur laquelle Mouche le tira ploya avec l'ajout du deuxième poids, puis se redressa, faisant bruisser ses feuilles. Et Mouche poussa un soupir.

...Un frisson prit Coup de Foudre qui sentit ses oreilles s'abaisser sur sa tête. Il se hâta de monter une patte à ses yeux et à son museau pour tout essuyer et soudain ses oreilles pointèrent et ses yeux croisèrent ceux de l'oiseau, les plumes hérissées, le moignon d'aile en joue et l'autre ayant cessé de battre et son regard s'accrocha au sien. Son dos se tendit - mais Coup de Foudre contracta ses pupilles ensemble et retrouva la couleur de son iris, dans lequel reluit les derniers rayons du soleil, qu'il regarda se coucher ensemble avec ce devait bien être le dernier chat du Clan du Tonnerre à pouvoir le comprendre. C'est vrai quoi, il avait souvent critiqué Mouche sur son appétit, ou de sa façon étrange de construire des néologismes, ou de son entêtement à refuser de se conformer au soi-disant "décorum" du Clan, mais il avait été là. Deux fois, il avait été là les deux fois, pendant ces jours hors-temps où il perdait tout. La première fois avec Étoile de Suie, qu'il avait idolée, qui l'avait fasciné, et la seconde...

--Sa gorge se noua.

Il lâcha l'oiseau ("Oiseau") des yeux, allant donner un mou petit coup de tête à l'épaule du guerrier devenu grand (il préférait s'abaisser), se perdant le front dans son poil hirsute avec un soupir. Il inspira, se décidant à lever une patte, qu'il prit pour rapprocher sa tête au plus jeune et lui donner un ou deux coups de langue au museau histoire de le nettoyer de ses blessures dont il était indirectement responsable. Parfois, il lui rappelait Braise - peut-être que c'était pour ça que sa mort, durant la canicule, ne l'avait pas autant affecté qu'à Bec ou Roux...

— « Merci...

D'avoir fait taire l'oiseau (à Mouche)/ De t'être tu (à l'oiseau (qui le comprenait)).

Il revenait peu à peu à lui. Conscient du monde qui l'entourait, conscient d'être à plusieurs mètres au-dessus du sol, conscient du vent qui venait agiter son épais pelage et qui faisait tanguer la branche sous ses- sous leurs pattes. Conscient de ce coup de tête sur son épaule.
Mouche tourna la tête vers Foudre qui avait l'air redevenu lui-même.

Il sentit la langue râpeuse de son beau père venir laver ses griffures. Elles le brûlaient maintenant, il y porta la patte pour enlever ce qu'il restait de sang frais.

Merci...
Merci. répondit-il, souriant avec la voix.

Il ne savait pas trop pourquoi il était remercié au juste. Mais il était content d'entendre son beau-père s'exprimer à la place du bouquet d'éclairs tantôt.
Foudre semblait bien, mieux que bien. Il ne suintait plus la tristesse et la désespérance comme avant, il avait l'air un peu moins cassé, un peu plus calme, comme si la lumière était entrée à travers une fracture pour en illuminer l'intérieur.

Mouche sourit davantage.

On voit bien le Solaire d'ici. commenta t-il alors que l'astre tombait derrière l'horizon.

Ce n'était pas exactement ce qu'il avait imaginé, mais ça lui convenait.

— Merci. »

D'avoir arrêté de le pourchasser, d'avoir utilisé ses mots, d'avoir épargné Oiseau.

Coup de Foudre inspira - l'air qui entrait ne tombait plus dans sa gorge pour grogner, et il enchaîna d'un soupir, la tête versée contre son fils adoptif, le nez et la joue dans ses longs poils ennoués. Après s'y être frotté de la longueur des moustaches, il se mit à y passer la langue, lui débutant une toilette. Ce n'était pas l'heure du partage mais qu'à cela-ne-tienne, autant s'anti-conformer jusqu'au bout.

— « On voit bien le Solaire d'ici, lui dit Mouche, et Coup de Foudre tiqua d'une oreille, perplexe par l'origine de cette réflexion, avant de suivre du regard celui du guerrier et s'arrêter sur la lisière de lumière au loin.

Il fut vite distrait et tendit une patte sur le guerrier pour le rapprocher de lui afin de l'aider dans ses mouvements, car il dut retirer à chasse-pattes des coquilles vides d'insectes qui étaient restées enfouies dans son poil. ...Sans parler des branches ou des feuilles du Sycomore qui s'étaient emmêlées dedans.

— ... ... ... ...C'est vrai.  C'est pour Le voir que tu voulais--, Coup de Foudre s'interrompit dans son mouvement, s'immobilisant, la langue sortie sur une motte de fourrure, tirant ensuite le noeud des dents pour le défaire autant que son blocage: ...que tu voulais "ascencionner" ?

Ce n'était pas seulement les rayons obliques du soleil couchant qui lui faisaient fermer les yeux, mais aussi les coups de langues réguliers de Coup de Foudre.
Un ronron monta progressivement dans sa gorge.
Il n'avait plus mal maintenant.

Il se sentait redevenu chaton, au chaud avec ses frères, protégé par les câlins de Vent du Désert.
C'est drôle.
Il voulait tant voir le soleil et maintenant il avait les yeux fermés.

... ... ... ...C'est vrai.  C'est pour Le voir que tu voulais--

Il ne le voyait pas mais il le sentait sur sa peau. Coup de Foudre interrompit ses coups de langues et Mouche ouvrit les yeux pour le regarder.

... que tu voulais "ascencionner" ?

Mais Mouche ne regardait plus le soleil. Il regardait Foudre.

Je n'ai pas souvenance... Elle n'a jamais effectué ça je crois.

Elle n'avait jamais été là pour le guider nous plus. Ou pour juste l'écouter. Pour lui dire ce qui était bien ou mal. Pour pleurer leurs morts avec lui. Ou juste pour regarder le soleil descendre avec lui.
Mais Foudre.. Foudre semblait pouvoir faire ces choses avec lui.
Mouche passait à travers la vie comme un insecte, sans emmener personne avec lui, sans

Pour la première fois, Mouche sentit le poids de la solitude. Il passait à travers la vie sans vraiment se rendre compte qu'il était différent, un peu à part du Clan. Mais il était seul aussi.
Seul avec ses souvenirs des êtres aimés.
Seul avec ses amis bestioles qu'il capturait.
Seul parmi un Clan plein de gens.

Que Foudre soit là seul avec lui, qu'il l'attire à lui pour prendre soin de lui, qu'il essaie d'utiliser ses mots lui procurait un sentiment doux et agréable.

— Je n'ai pas souvenance... Il ne se souvenait pas pourquoi il avait voulu grimper l'arbre?

— Elle n'a jamais effectué ça je crois.
— Elle?

Ne l'avait-il pas désigné comme "Le" solaire? Peut-être que le genre du Solaire n'avait aucune importance. Coup de Foudre ne s'était jamais demandé si l'oeil de feu dans le ciel eut un genre, car c'était un oeil. Non - il faisait fausse piste... Une sorte de sourire tira le coin d'une babine en se penchant pour couver Mouche d'un regard doux.

— Oh...   À moins que tu n'aies encore suivi le cours de tes pensées sans m'inviter. »

Mouche était... particulier. Il avait une façon de s'exprimer qui était différente, et il avait une façon de penser qui était différente, et il avait une façon de se comporter - bref. Tout chez Mouche était différent mais loin des conventions sociales, tout en haut du Sycomore, obscurcis peu à peu dans les dernier rayons mourrants du soleil, Coup de Foudre et lui étaient pareils. Et Coup de Foudre poussa légèrement la tête de Mouche de la sienne (il ne manquait pas l'apaisement chez le gros guerrier à son contact, alors qu'il ne manque pas le sien à pouvoir se serrer contre quelqu'un) le relançant à nouveau, sincère dans son voeu de le comprendre.

— « Quand tu dis "Elle", tu parles de qui? Je n'ai pas compris ce qu'Elle n'a pas "effectué", Mouche, peux-tu... peux-tu m'expliquer?

Sa voix était encore rauque, ses yeux encore bouffis de larmes, mais il avait étouffé toute trace de chaos émotif dans la fourrure de plus en plus lisse de son fils.

Mouche ne réagit pas à la première phrase de Coup de Foudre, perdu dans le fond de ses pensées. Puis ce dernier le poussa d’un coup de tête. Ils échangèrent quelques electrons dans un fiizzz et Mouche tourna finalement la tête vers lui avec ’impression d’atteindre la surface d’une eau sombre.

De ça. s’exclama t-il. Et joignant le geste à la parole, la joue de Coup de Foudre se para d’un grand coup de langue mouillé.

il sourit à son père adoptif, amusé par ses yeux humides et son air un peu perturbé.

C’était plutôt Désert qui s’enchargait. Mais Petit Ver lui faisait des bisous aussi, donc ça ne le gênait pas. Et Etoile de Suie lui faisait de toute manière plus peur qu'autre chose.

Elle était apeurante tout de même.... mais Foudre n'avait pas peur d'elle. Foudre l'aimait, il l'avait vu. Mais avec toi, elle était, elle t'appeurait pas toi ?

— « De ça - et Coup de Foudre eut un sursaut, prit d'une décharge suivant le grand coup de langue à sa joue qui souleva son poil d'électricité statique.

Il tourna d'yeux ronds à Mouche, et fronça les sourcils à la vue de son sourire car selon lui la situation ne se prêtait ab-so-lu-ment pas à un sourire, mais Mouche était déjà loin, loin dans le cours de ses pensées, et Coup de Foudre peinait à le rattrapper, embourbé dans le sien.

— C’était plutôt Désert qui s’enchargait.

Mouche ne lui parlait plus du Solaire - il lui parlait de Désert. Vent du Désert, devenue Mirage, rappelant au bengal un ou deux ou trois souvenirs de feue la coqueluche du Clan du Tonnerre, feue la compagne de leur Tyran. Désert s'en chargeait - de quoi?

Et le bengal mis sa patte sur sa joue mouillée et se rendit compte que Mouche avait déjà répondu à sa question. Quel imbécile - il en oubliait presque la négligeance dont souffrait Mouche, que les fourrures hirsutes l'étaient avec raison, que les langues y étaient allergiques et que maintenant il se laissait probablement toiletter par un corbeau. Ses deux oreilles tombèrent de chaque côté de sa tête.

— « Elle était apeurante tout de même.... Il ne lui parlait pas de Désert, cette fois. Coup de Foudre détourna les yeux. Mais avec toi, elle était, elle t'appeurait pas toi ?
— ...

Le premier réflexe était de dire non. Dire non, Étoile de Suie ne lui faisait pas peur, parce-que -- parce-qu'elle n'avait rien d'effrayant? Ou plutôt parce-qu'il ne ressentait pas la peur, ou du moins pas exactement comme eux? Ou alors il faisait complètement fausse-route et c'était de la peur, il avait peur, il était terrifié, et c'est cette "terreur" qui l'avait rapproché d'elle et lui avait donné envie de la piquer et de la provoquer et de voir, de ses yeux vus, jusqu'où elle [aurait pu] aller? ... Non, même cette définition ne ressemblait pas à de la peur, et ses paupières se plissèrent, les yeux secs, le souffle creux, le dos en compote et les pattes moites. Le contrebas était loin sous leurs pattes, et une brise agita le feuillage de leur branche - si haut dans le sycomore il se sentait comme détaché - ou, ou réattaché, car pour l'instant il arrivait à réfléchir, malgré les eaux boueuses de ses pensées.

L'effort fut considérable, mais:

— ... C'est ce que j'aimais, je pense.

Roux - Roux lui avait demandé, par le passé, s'il avait aimé Étoile de Suie. Peut-être pas la chatte dont la patte s'infectait chaque jour un peu plus, peut-être pas la chatte qui avait su faire chavirer son coeur à Mirage du Désert (il n'avait jamais compris comment toutes deux s'étaient retrouvées ensemble, ne s'y était à vrai dire jamais intéressé), mais qu'en était-il du portrait qu'en avait peint les rumeurs? Lui-même n'existait qu'au travers d'elles - très peu de chats savaient qui il était outre ce qu'un petit oiseau leur disait.

— À une époque, le Clan du Tonnerre, c'était elle.

Le soleil mourrut derrière la ligne de l'horizon, et l'éclat dans les yeux du bengal disparut, et son ton, qui avait pourtant vibré sur l'émotion, s'était aplati avec sa tête qu'il laissa retomber dans la fourrure de son fils adoptif.

— ... Et puis les corbeaux l'ont mangé. »

Il avait fermé les yeux, et c'est comme si la nuit l'avait englouti.

"Ça ne l'aurait pas ennuyé"

"...Ce qui était très ennuyant".

— ... C'est ce que j'aimais, je pense.

Mouche plissa les yeux, il failli ne pas entendre, pas certain que ces derniers mots soufflés après un long silence lui étaient vraiment destiné.

À une époque, le Clan du Tonnerre, c'était elle.

Le Clan du Tonnerre c'est elle, songea Mouche. Son règne assoiffé de pouvoir s'était terminé dans un bain de sang. Ses ambitions avait coûté au mâle brun tous ceux qu'il aimait. Et sa fin tragique avait rendu ceux qui restaient tristes.
Mouche tourna la tête vers l'intéressé.

Le soleil fut happé par la ligne d'horizon au même moment où son beau-père appuya sa tête contre lui. Mouche chancela un peu, puis raffermit sa prise pour soutenir ce poids. Il ferma les yeux à son tour, laissant les ténèbres l'envelloper tout à fait.

C'était donc l'Etoile de Suie fière, conquérante et féroce qu'aimait Coup de Foudre ? Celle-la même qui le terrorisait, car même s'il ne savait pas pourquoi, elle savait qu'elle le désapprouvait. Mais n'ayant pas eu trop d'ambitions pour lui, elle l'avait laissé tranquille, ignoré, le laissant vivre dans une solitude plutôt subie que choisie que Mouche meublait de bogue remplies d'insectes. Il avait créé un petit univers et il s'y sentait bien. Bien mieux que dans celui dans lequel Petit Ver était mort, Vent du Désert était mort, Boule Brûlante était morte, Nuageux Pénombre était mo—

Il eut un sursaut qui le précipita un peu plus contre Coup de Foudre. Il rouvrit les yeux, et le monde extérieur était un peu moins obscur que derrière ses paupières.
Il aimerait inviter Coup de Foudre dans son monde. Son univers paisible où ceux qu'on aime ne disparaisse pas.
Mais le lieutenant allait bientôt devenir chef. Il ne pouvait pas se permettre un tel luxe.
Mouche ouvrit la gueule, la referma, ne sachant que dire devant la peine du matou. Il raffermit juste le contact, pour lui faire savoir qu'il était là, lui.

Le silence et le calme revenus, la corneille jugea sûr de revenir sautiller autour de ses pattes, s'approchant en même temps du bengal.

O-Oiseau est désolé. commença Mouche, même si ce dernier n'avait probablement rien à voir avec l'évenement étant donné qu'il n'était pas né à cette époque. Tu lui pardonnes ?

Si Coup de Foudre avait pu entendre ses songes, il lui aurait répondu que Non. Qu'à un moment, le Clan du Tonnerre est devenu plus qu'Étoile de Suie, plus que son désir de s'auto-détruire et d'emporter la forêt avec elle (et lui de la laisser faire et d'admirer les flammes, se complaisant dans leur chaleur). Le Clan du Tonnerre, c'était Graine de Tournesol et le renard qu'ils avaient chassés, c'était Oeil du Tigre et sa fâcheuse tendance à s'emmurer dans sa tête, même il irait jusqu'à dire que c'était Raton-Laveur, et ce malgré tout ses faux pas, et puis pendant longtemps c'était --

--incapable de penser à son nom, mais il la voyait, il la voyait avec ses sourires et il l'entendait raconter (même, lui raconter!) ses longues histoires à dormir debout sur les proies qui lui avait échappées. La faute revenait aux proies, tout le temps, jamais à elle, et il l'entendait plus claire que jamais au sommet du Sycomore, un après midi, sous le feuillage, réchauffant au soleil.

Quand il rouvrit les yeux le soleil avait disparu, ils baignaient dans l'ombre d'une Lune Cachée et il n'y avait pas trace de son amie à ses côtés. Juste de son fils - son fils à lui, qui, outre Bec, s'agissait du dernier vestige de ses gènes à Étoile de Suie. Il n'avait pas aimé Étoile de Suie pour qui elle était mais pour ce qu'elle représentait, et c'est ce qui l'avait propulsé à planter les griffes dans le Clan, à monter les échellons comme il savait si bien le faire d'un arbre mais maintenant qu'il y était - Raton Laveur l'avait nommé Lieutenant, non? Maintenant qu'il y était mais qu'il n'y avait plus personne avec qui célébrer la place lui semblait dénuée de sens.

Peut-être autant que la décision en elle-même.

— O-Oiseau est désolé.

Le bengal souffla par le nez, s'efforçant à redresser ses deux oreilles, et dans ses deux oreilles il entendit les petits grattements que firent les serres de la corneille en s'approchant en sautillant. La noirceur de la nuit le voilait complètement, lui aussi, et donc il n'y avait plus aucun stimulus visuel pour provoquer une autre montée de colère. Coup de Foudre regardait Oiseau sans le voir (et c'était tant mieux) et ne voyait plus qu'un vague mouvement dans l'ombre, trop intangible pour attaquer.

— Tu lui pardonnes ?
— Non.

Sans équivoque. Lourd et inutile et engourdi et le brouillard de son esprit remontait par ses pattes, réveillant des petits fourmillements dedans.

— C'est à moi de m'excuser, à vous deux.

D'habitude on ajoute qu'on a "jamais voulu [vous] faire de mal" mais c'aurait été mentir, du moins à moitié. Il avait voulu faire du mal, mais ni à Mouche ni à Oiseau, personnellement. Juste un mal général, une façon de se décharger de toute la frustration et du chagrin qui lui pesait.

Il cilla, après un moment - c'est vrai. Rien qu'évoquer le besoin de s'excuser n'était pas une excuse, alors il tâcha de remédier au problème:

— Mouche, Oiseau, je suis désolé. »

À contre-coeur, il enleva sa tête de la fourrure du plus jeune (il l'avait lissée et peignée du mieux qu'il l'ait pu en une seule session), lui redonnant un peu d'espace personnel. Le recul se fit lourdement, cependant, et sa tête alla toucher le tronc du sycomore, et le bengal poussa un lourd soupir. Il était lieutenant et il était furieux mais et maintenant quoi?

En levant son nez vers la Toison Argenté - plus brillante que jamais, sans Lune pour la cacher, Coup de Foudre sentit comme des griffes se refermer autour de ses boyaux, de son coeur, de sa tête, et il sortit les siennes en réflexe, et ce sans baisser le nez de la cîme:

— « ...Hey, Mouche. Je t'ai jamais demandé.

Tu penses quoi des Étoiles?