All I Did was Ask Questions [Feat. Étoiles] - end

Par mimétisme (et, avouons-nous-le, incompréhension) il rondit ses yeux comme les siens en retrouvant la couleur de ses iris. Elle éclata de rire ; il se mesura d'un rire confus, presqu'inaudible comparé au barissement qui fut envoyé dans l'air et dans ses deux oreilles, qu'il dut pivoter toutes deux vers l'arrière.

— « À QUOI CROIS-TU QU’ON SERT ?!
Il cligna des yeux, un sourire prenant ses babines devant le fou-rire qui secouait la (petite) chatte Blanche et Noire.

— POURQUOI TU CROIS QU’ON EXISTE, COUP DE FOUDRE ? AHAHAHHHHHHHHHHHH
— Ha ha  hah?... »

Il fit mine de regarder ailleurs, étirant ses commissures sur un sourire de plus en plus malaisé, bizarrement témoin de cette explosion dont IL semblait en être la racine. Il chercha à se contenir. Autant ses questions que son expression, reculant la tête en fermant les yeux pour redonner à la guérisseuse l'intimité de pouvoir se calmer sans se sentir épiée.

Mais suivant les bruyantes esclaffées et la saccade de son souffle qu'elle tentait de reprendre, son oeil s'entrouvrit sur la chatte qui venait de tomber dans une position ni vraiment assise, ni vraiment couchée. Elle semblait épuisée. Il ne s'en rendait pas compte mais il l'était aussi.

— « T’as pas l’air au courant qu’on a des règles. Et parmi elles, celle de ne jamais laisser un chat qui a besoin d’être secouru, quel que soit son Clan ou ses origines. Même la dernière des crevures de la forêt. La preuve.
— Hmm...

— Pourquoi t’as fait ça ? -- « Sinon quoi?

Il l'interrompit malgré lui, mais la question était sincère. Et il se demanda si elle ne lui mériterait un nouveau fou-rire.

— Vent du Nord, c'est ça?   Qu'est-ce qui vous arrive si vous laissez un chat qui a besoin d'être secouru.

Surtout si c'est "la dernière des crevures de la forêt".

— On termine notre vie en devant porter le poids de notre crime sur les épaules, et une fois crevé on passe une éternité ou deux dans la forêt sombre à se dire qu’on aurait pu empêcher ça.

C'est tout? Forcés à une vie sans écart sans quoi ils passaient l'éternité à souffrir? Ça ne lui semblait pas bien différent de ce qu'ils vivaient aux Étoiles - enfin, pas "vivaient", mais la précision des mots m'échappe, ainsi qu'à Coup de Foudre, qu'on couvrait de reproches:

— C’est pas bien compliqué de l’éviter — maintenant, si tu voulais bien arrêter de répondre à mes questions par des questions : pourquoi t’as fait ça ? Pourquoi est ce que tu l’as baisée quitte à la condamner à errer en enfer pour toujours ? Me fait pas croire que t’es con au point de pas connaître les règles, et surtout pas celle ci. Et si tu étais effectivement ignorant, ça m’étonnerait qu’elle ne t’ai rien dit.

Toute chaleur disparut de ses yeux. Qu'est-ce qu'elle croyait? Qu'il allait sagement lui raconter unes à unes les journées de sa vie et la lente évolution de ses émotions et de ses sentiments pour sa meilleure amie, sa compagne, deux fois mère de ses petits? Il n'avait eu qu'à sortir les griffes pour voir sa sauveuse se hérrisser et l'entendre lui feuler dessus, et maintenant elle se salissait la langue d'insultes. Lésé, il en fit autant:

— ...Qu'est-ce qui te dis que les Étoiles n'essayaient pas de me retenir dans un rêve pour me laisser suffoquer?

Il fut pris d'un rire, lui aussi. Faible et essoufflé, qui fit à peine rebondir ses épaules. Ses soupirs étaient contagieux et il l'imita avec le même flegme, mais il ne la regardait plus, tournant sa tête direction les Quatre Chênes, car il aurait besoin de marcher toute la distance qui séparait les Hautes Pierres de leur Forêt Tonnerre. Ou peut-être qu'un Monstre Généreux,--

— Qu'est-ce que t'en as à foutre. »  Elle remplissait déjà sa bouche de mots, souhaitait-elle le voir s'étouffer dessus?

— La façon dont t’en parles, j’ai l’impression que toute cette histoire a été causée par deux ados un peu cons qui voulaient jouer les rebelles et montrer qu’ils étaient au dessus de tout. Mais c’est pas comme ça que ça marche.
— Ha ha ha.

Car bien sûr, elle, elle savait comment ça marchait. C'était bien une guérisseuse - c'était presque nostalgique de se faire faire la leçon par l'une d'elles à nouveau mais il balaya sa... qui sait, "bienveillance" d'un geste de la queue. La douleur à sa tête s'amenuisait (tant mieux), sa gorge était sèche, et il devait rentrer, mais sa patte lui lançait encore.

— Ce que vous avez fait, que vous le voulez ou non, ça vous concerne pas que tous les deux.
— Ah non.
— Ça concerne tous les Clans.

Il lui jeta à peine plus qu'un regard en biais, pivotant une seule oreille vers elle, signe qu'il la lui prêtait mais... pas pour longtemps.

Pourquoi penses-tu qu’on a des règles si strictes ? Hm ? Si elles étaient juste là pour décorer et ne servaient à rien, ça ferait longtemps qu’elles n’existeraient plus. Je sais qu’elles sont difficiles, crois moi.

Et puis soudain elle lui raconta sa vie. Il revenait d'un voyage dans l'abstraction de ses pensées, on lui sauvait la vie alors qu'il aurait du mourir seul et dans la poussière, et non seulement on lui gavait la bouche de mots (et il se tuait à le dire mais il y avait mieux) maintenant elle lui remplissait les oreilles de son histoire:

— Je ne voulais pas devenir guérisseuse quand j’étais petite. Je voulais devenir cheffe et avoir une famille un jour, mais la vie va pas toujours comme on veut. J’ai déjà pensé à transgresser les interdits — c’est normal, on nous enlève pas nos envies et nos sentiments quand on débarque à la Pierre de Lune.

Non, ça, c'était le Blizzard qui le faisait. Enfin dans son cas, il lui avait enlevé l'une de ces deux choses et avait amplifié la seconde.

— Mais c’est pour ça que les autres sont là. Ils nous aident à supporter tout ça. Peu importe si elle les voulait, ces chatons, tu aurais du lui refuser. Tu aurais— ....... T’es pas le seul à souffrir de tout ça.

Ce que vous avez fait... lève un peu la tête, regarde les autres. Il ne le fit aucunement. Toute la souffrance, c’est qu’une petite partie des conséquences.
— Tires-en tes propres conclusions. »

Il sortit à nouveau toutes ses griffes, mais pour s'agripper au sol, chercher de la terre entre toutes ses pierres, et verser son poids dans les trois pattes en soulevant la quatrième au repos. Il l'agita un peu, tiquant de la langue en se rendant compte que l'irrigation n'était pas complètement revenue dedans.

— « Je l'aimais et elle est morte.

Il se distança de Vent du Nord d'un coup de queue en lui chassant les moustache du mouvement, rentrant le menton dans le cou. Puis il claudiqua sur deux pas.

— Je ne sais pas de quels "autres" tu veux parler. Outre mes enfants, je n'ai plus personne à qui me confier.

Ni Suie, ni Vipère, ni Taupe, Ni Cerf, ni Tournesol, ni Museau Bleu, ni Firmament - Étoile Masquée cherchait désespérément son approbation mais il ne l'aurait plus jamais. Au final, il ne lui restait que ses enfants, ainsi que ceux de la nouvelle portée.

Elle parlait de conséquences.

Elle ignorait quel genre de conséquences débrider la Foudre aurait sur le reste de Cerfblanc, mais son coeur battait à la mesure de ses pas, même maladroits, et il ressortait de la Grotte de Vie comme orné de nouvelles marbrures. De nouvelles convictions qui lui venaient de lui-même, et qu'il n'imitait de personne d'autre.

« Ton amour l’a jamais rendue immortelle. »

Il n'avait jamais pensé le contraire. Ni n'y avait prétendu - qu'est-ce qui poussait tant cette étrangère à vouloir le dernier mot sur la "dernière crevure de la forêt"? Ce n'était que de belles paroles, gaspillées dans les oreilles d'un chat qui s'en allait sur trois pattes - un instant, il se demanda si elles lui étaient vraiment adressées. N'avait-elle pas cherché à lui faire croire qu'elle le comprenait? Qu'elle n'avait jamais tenu à devenir guérisseuse - que quelque chose avait du se passer dans sa vie pour la forcer sur cette voie? Il s'éloigna de trois pas de plus, et elle s'affaira à on ne sait quoi. Il constata que la lune était haute. Avait-il passé toute la nuit dans la grotte? Le temps lui filait entre les griffes et il avait du mal à se repérer dans l'altitude des hautes pierres, mais il avait l'avantage de pouvoir faire fi de son malaise.

— « Le monde tourne pas autour de toi, grommela la guérisseuse. Et Coup de Foudre ne s'arrêta pas dans sa marche, alors elle dut se planter devant pour lui tendre une nouvelle boule de mousse. Le bengal recula la patte, puis la tête, mettant une seconde son poids sur sa patte au repos en le regrettant d'un froncement du nez (ça piquait!). Je parlais des guérisseurs, qui sont normalement condamnés à la solitude. Maintenant bouffe ça et attend que ça fasse effet.
— "Normalement"...

Il ne ramassa pas la boule : lorsque Vent du Nord se distança, il poursuivit son chemin sans plus d'obstruction.

— Gardes tes soins, Vent du Nord.

Tu n'es pas  ma  guérisseuse.

Ses pas le menèrent dans un air de nostalgie, repensant à Nuage du Firmament qui avait du tout faire pour le convaincre de la suivre à l'antre de Nuit Hivernale, à l'époque, suivant ses ébats un peu mouvementés avec Étoile de Suie. Le souvenir encore frais. L'air aussi. Mais il ne respirait pas encore très bien, et une autre toux lui prit, battant d'une oreille comme s'il avait déjà passé à autre chose... ...Jusqu'à ce qu'il ne sente ses moustaches le tirer vers l'arrière, et, alors qu'il faisait complètement dos à la guérisseuse, une patte au repos, il s'immobilisa, une question serrée entre ses dents. En déglutissant il la ravala - tout ce qu'il disait irritait la petite chatte blanche et noire, mieux valait ne plus insister.

— ... Allez,  salut --   oups-

Un geste de la queue, las, faible (et qui le fit maladroitement s'avancer en le déséquilibrant) et il passa son chemin. Les Étoiles souffraient encore et les guérisseurs aussi: à quoi servait se plier à tous les codes si la fin était toujours la même?

"Normalement". Comme si c'était normal de condamner des chats à être seuls au sein d'une communauté grégaire. Comme si c'était normal de séparer des familles et des amants sous prétexte qu'un des côtés avait "fauté".

HRP: