intoxicate me now || +18 || - abandon

La mélasse couvrait le campement, et lentement elle se retirait vers la fin de journée. C’était à cette période de la journée que Brasier Caniculaire s’était décidé à sortir du campement pour profiter de la fraîcheur de l’hiver naissant. Il avait passé sa journée au camp, aidant par-ci et par-là lorsque l’on réclamait son assistance. Il ne disait jamais non, et il ne prenait pas forcément plaisir à ça, il acceptait juste dans un silence constant, hochement de tête et mouvement de queue, il ne donnait jamais son avis, il n’en avait pas. On l’avait éduqué et dressé à donner la patte, à obéir à chaque ordre qu’on lui donnerait, il était l’ombre de Feulement, une petite copie conforme de ce dernier, avec des couleurs bien plus saturées cependant. Il n’en empêchait qu’il gardait au fond de sa tête son caractère de chaton qui n’avait jamais eu la chance de se développer. Non. Maintenant, il n’avait plus le droit de jouer, il devait survivre. Quoi qu’il en coûte.
Alors, de son pas lent et lourd, digne d’un grand félin, il avance en quête d’un peu de calme. Il avait quitté le campement, se dirigeant toute fois près de la frontière avec ces renards du Clan du Tonnerre. Même s’il trouvait du temps pour lui-même, il ne pouvait s’empêcher de remplir ses devoirs de guerrier. Il avait besoin de revoir cette parcelle qu’il avait dérobé à ce clan, ainsi que la vie qui leur avait arraché. Regard de Braise.. Ce nom résonnait encore dans ses oreilles parfois, entre deux phrases, il l’entendait dans le dialogue des autres, il l’entendait la nuit, quand il dormait, il l’entendait parfois dans sa propre tête. Il regrettait son action, et il lui accordait souvent une courte prière lorsqu’il se rendait sur la tombe de Laine d’Alpaga. Est-ce que le Clan du Tonnerre avait retrouvé son cadavre ? Lui avait-il rendu les hommages et enterrer comme elle le méritait ? Brasier Caniculaire ne l’avait connu que dans leur fuite, mais il s’en voulait terriblement, ayant causer sa mort.

Lorsqu’il arrivait enfin à la frontière découpée par la route d’asphalte, il se posa sur son arrière-train. Il était droit, ses pattes avant l’une contre l’autre, le poils de son poitrail s’agitant dans la brise froide de l’hiver. Il semblait porter une couronne de fourrure, similaire à la crinière épaisse d’un lion. De sa trentaine de centimètre au garrot, il semblait être un mini-fauve, perdu dans ces bois épineux. En réalité, il l’était. Il ne savait pas vraiment pourquoi il restait ici, pourquoi il se donnait lui-même autant de difficulté pour survivre alors qu’il pourrait aller se prélasser dans la délicate vie des domestiques. Pourtant, il ne pouvait pas. Il ne voulait pas. Il était rattaché à ces terres, il devait se venger, punir sa mère de l’avoir mis au monde. Il était rattaché ici grâce à Feulement, qui lui donnait le sentiment d’être apprécier pour qui il était. Oui, lui, il appréciait beaucoup son ancien mentor, et le remerciait de lui avoir donner autant d’importance même en vue de son sang pourri.

Désagréable pensée, il redressa sa patte du sol, contemplant son coussinet craquelé par le froid. Désagréable sensation. Sa fourrure est parcourue d’un frisson. Est-ce que c’est son odeur qu’il renifle ? Ce fumet qu’il avait réussit à renifler dans sa fourrure en lui rendant hommage. Est-ce que c’était Regard de Braise qui se frottait à lui comme pour lui sécher ses larmes ? Est-ce qu’elle était un fantôme ? Ou était-ce seulement le fruit de son imagination et la caresse mordante du froid ? Le corps tressaillit par cette émotion perdue, noyé dans le flou de l’inconnu, il rapproche sa queue de lui, tentant de se couvrir lui-même pour se réchauffer. Etait-ce parce qu’il avait froid que son corps tremblait comme cela ? Ou était-ce parce qu’il était terrorisé de ce qu’il y avait après la mort ? Où irait-il ? Lui, fils d’une relation défendue, ayant les pattes couvertes de sang dès sa naissance ? Lui qui portait le nom d’autant de morts sur la conscience ?

Où était Faucon Fugueur ? L’attendait-il dans la Forêt Sombre ? Est-ce qu’un jour il aurait le plaisir de revoir Laine d’Alpaga et Regard de Braise dans le Clan des Etoiles ? Et si son camarade bouclé ne pouvait pas reposer en paix ? Devait-il le venger en faisant répondre Fougue du Léopard à ses actes de lâcheté ? Il tressaillit encore, le poils de sa colonne se hérissant lentement.

Il sentait encore son odeur, mais elle semblait tellement réelle, il ne pouvait l’imaginer. Elle était ancrée dans ses narines. Il tenta un mouvement, craquant les os de ses épaules, pour sortir de sa transe. Brasier Caniculaire tentait de se sortir de ses pensées, de se remettre en place, de reprendre ses esprits. Et du coin de l’oeil, il aperçu ce qu’il cru être du mouvement, entre ces arbres encore décorés par le passage de cette vague infernale. Était-ce elle ? Descendue de la Toison Argentée ? Arpentant les lieux de sa mort en voulant trouver le repos éternel ? Que devait-il faire.. Comment pouvait-il se détacher de tout ces noms, comment pouvait-il les oublier.. ? Pourrait-il, un jour, se repentir ?

Le jeune matou se tenait droit au bord de l’asphalte. Chemin qu’il avait déjà parcouru plusieurs fois pour se rendre sur le territoire adverse, résultant souvent en une suite d’évènements désagréable. Ce soir-là, il s’était juré de rester sur son côté du territoire. Malheureusement, il semblait que le destin soit contre ce choix-là, à chaque fois qu’il se trouvait prêt de cette route, il ne pouvait pas s’y poser silencieusement. Toujours coupé, toujours dérangé. Lui qui cherchait le silence, le calme, la paix, il ne pouvait jamais la trouver. Pourtant, si lorsqu’il était éphèbe, il aurait sauté sur qui l’approchait, il avait mûri, il restait dans son accalmie. Droit comme une cariatide portant une pelisse rousse, il contemplait son œuvre, qui renaissait de ses cendres, comme le phénix de cette mythologie bipède. D’un côté, Brasier Caniculaire leur avait rendu service, il était connu qu’une terre brûlée renaissait plus belle encore. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se sentir blâmable pour la mort de la femelle de charbon.

«  - S'alut ! Hum.... t-tu veux quelque chos'e ? »

Voix cristalline, saupoudrée d’un timbre sombre. Un mâle. Il était jeune, peut-être un petit peu plus vieux que le rouquin. Il semblait.. s’étrangler avec sa propre langue à chaque parole. Et lorsqu’il l’aperçu plus clairement, le guerrier pu comprendre pourquoi. C’était un matou brun, plus petit que lui, mais trapu aux traits carrés. Pourtant, son physique digne d’un prince charmant était faussé. Peinture raté, il était souillé par son visage déformé. Sa mâchoire était bancale, s’enfonçant d’un côté de son visage, laissant apparaître quelques crocs et une langue qui semblait se battre pour survivre entre ces crochets pointues. Il était aussi décoré de quelques cicatrices, sur sa bouche premièrement, ainsi que sur ses pattes, signe qu’il était bien un guerrier.

Le rouquin redressa le museau, glissant sa truffe dans l’air, humant ce qu’il pouvait trouver. Le vent était tombé, et la brume s’évaporait lentement au fur et à mesure que la nuit tombait. Le lendemain serait sûrement moins froid. Pourtant, en dehors de l’odeur âcre de la route, il pouvait sentir ce parfum lointain, cette fragrance qu’il avait connu. Il ne pouvait mettre le doigt dessus, ayant premièrement penser que c’était Regard de Braise, il se dit que c’était sûrement l’odeur du Clan du Tonnerre.

C’était désagréable, Brasier Caniculaire avait l’impression d’être face à un miroir, un félin disgracieux autant qu’il l’était, à la gueule défaillante. Repoussant ? Non. Il se sentait proche de lui, bizarrement, bien plus qu’il ne semblait pouvoir l’être avec d’autres guerriers. Il était déformé, comme lui l’était. Il hocha lentement la tête face au félin, dans un geste de révérence calme. Il ne cherchait pas la guerre, il ne cherchait pas l’affrontement, mais il était dans son habitude de très peu parler. Il agita les moustaches, saluant le félin du tonnerre sans user de sa parole.