Confession nocturne [PV Vent du Nord] - Abandon

Depuis l’incendie, l’état de Pelage de Boue avait été de mal en pis. D’abord, la vieille chatte s’était mise à tousser, à cause de la fumée qu’elle avait respirée en trop grosse quantité. Puis, une fois la saison des neiges définitivement installée, la vieille chatte avait été atteinte par le Mal Vert. Dès les premiers symptômes, elle avait été transportée dans la tanière de Vent du Nord. Mais la chatte brune savait. Elle savait qu’elle n’y survivrait pas, peu importe les efforts de la jeune guérisseuse.

La vieille chatte passait beaucoup de temps à dormir. Elle se rappelait les souvenirs de jeunesse. Elle repassait sa vie en boucle dans sa tête tout simplement. Elle réfléchissait à ce qu’elle aurait aimé pouvoir changer, pour réduire ses nombreux remords. Puis, la femelle ouvrit les yeux et se redressa dans une quinte de toux. Elle pouvait au moins faire quelque chose pour une chatte qui lui était plus chère qu’elle n’avait jamais cru.

- Vent du Nord ! Vent du Nord … Viens ici … S’il te plait ! J’aimerais te parler… Et te demander… Une faveur…

Parler, c’était difficile. Sa gorge lui faisait mal à force de tousser, la fièvre lui obscurcissait les pensées, délirant par courte période. Mais la femelle ne voulait pas quitter cette terre sans avoir lester son cœur d’un poids. Parce que si elle ne se confiait pas, elle avait l’impression de ne pouvoir jamais se pardonner, elle pensait que jamais on lui pardonnerait. Elle n’était même pas sûre de mériter du pardon. Mais, elle savait qu’elle devait le faire. Leur lieutenant était pire que ce qu’ils pouvaient penser. Elle devait les mettre en garde.

Pelage de Boue décida de se redresser, pour parler. Tenant difficilement debout, à cause de sa faiblesse apparante et des courbatures, la vieille chatte décida de s’appuyer contre la parois de terre, glissant légèrement, mais tenant plus ou moins assise malgré tout. Lorsque la guérisseuse vint devant elle, la vieille le regarda de ses yeux verts fièvreux, avant de parler.

- Je dois te dire quelque chose… Sur Tache d’If. Le Cob- quinte de toux- Le Cobra vous a mentit… Sur les raisons de sa mort…

Tenant à peine assise, la vieille chatte avait vu Vent du Nord s’éloigner. La jeune chatte était partit chercher de la mousse, elle entendait quand même sa tante parler. Et elle entendit aussi la révélation de la chatte brune. La jeune guérisseuse fut si choquée qu’elle en lâcha sa mousse. Crachant un énième glaire, l’ancienne attendit que la jeune chatte revint pour parler. Cependant la jeune chatte ne revint pas seule. Sur sa tête était perché un oiseau d’une noirceur sans nom.

Depuis que la chatte brune avait plongé ses crocs dans le frêle cou de l’ancienne meneuse pour la déloger de Cobra Royal un peu trop brutalement, lui brisant la colonne, l’oiseau hantait ses rêves et ses pensées. Au début, sous la forme d’un petit moineau perché sur sa tête, chantant tous ses impairs à son oreille, il avait grandi en même temps que le remord de Pelage de Boue, à présent, il avait pris la forme d’un corbeau noir comme la nuit. Il se tenait souvent sur son dos, ses serres plongés dans son corps jusqu’à son cœur qu’il empoignait avec force. Ainsi, Pelage de Boue ne pouvait plus le déloger. Et aujourd’hui, Vent du Nord avait trouvé l’oiseau et l’avait ramenée avec elle.

- V-Vent du Nord… Sur ta tête… L’oiseau !

L’oiseau noir s’envola de la guérisseuse pour se poser sur les épaules de la chatte qui s’affaissait sous le poids de l’oiseau. Un corbeau pouvait-il vraiment peser aussi lourd ? Ou bien le corps de la guerrière était-il devenu trop frêle pour supporter son poids ? L’oiseau commença à grimper sur la vieille chatte avant de lui pincer l’oreille, y croassant quelques mots.

« Tu vas lui dire la vérité, n’est-ce pas ? »

La femelle fit un faible hochement de tête qui la fit dangereusement chanceler. Mais, elle se rattrapa grâce à ses pattes. D’un petit mouvement raide de la queue, la vieille invita sa nièce à se rapprocher d’elle.

- Lorsque que Guêpe Sauvage s’est enfuie du camp, j’allais chasser avec Tache d’If… On l’a tout de suite prise en chasse… On l’a vu cheminant avec… Cobra Royal. Ta-tache d’If s’est jeté sur Guêpe Sauvage et Co-cobra Royal s’est retourné contre elle.

« Non, non, non. Tu mens. »

Les yeux vitreux, Pelage de Boue revoyait la scène, un air horrifié sur le visage. Elle voyait sa sœur se jeter sur Guêpe Sauvage, accroché à son dos malgré sa maigre carrure. Puis, Cobra Royal se retourna contre la chatte la mordant à l’épaule, l’arrachant à sa victime tandis que le ciel couvrait de nuage noir et menaçant, une tempête se préparant. Avait-il plu, ce jour-là ? Elle se souvint d’avoir entendu Tache d’If jubiler. Elle avait proférer une menace de mort à l’encontre de Cobra Royal, tandis qu’ils s’échangeaient des coups.

- Il, Il l’a attaqué avec sauvagerie… Elle lui rendait ses coups et…

« N’essaye pas de changer l’histoire. Il n’était pas seul… »

La chatte vit les blessures que s’infligeaient les deux guerriers, Tache d’If emprise d’une férocité et d’une haine sans égale pour le matou bicolore. Finalement, Cobra Royal, au terme d’un échange de morsures, se jeta sur Tache d’If, la fit basculer et l’étouffa à l’aide de la fourrure de son poitrail. Puis, la chatte tricolore fit par cesser de se débattre et ses pattes tombèrent inertes au sol, ses yeux devinrent deux pierres dorés et de l’écume apparu au bord de sa gueule.

- Co-Cobra Royal a renversé Tache d’If et l’a étouffé avec son pelage… Puis, il a permis à Guêpe Sauvage de s’échapper… En échange de son silence… Mais quand nous sommes rentrés au camp… Il l’a accusée du meurtre de Tache d’If…

« MENSONGE ÉHONTÉ ! »

La vieille chatte sursauta lorsque le corbeau sauta de son dos pour se poster devant elle. La femelle baissa la tête pour observer le corbeau. Devant, le vent forcissait, l’orage grondait et bientôt la foudre se mit à tomber, s’abattant près de la renardière, le vent s’engouffrant en rafale hurlante, huant la vieille chatte pour son mensonge.

« Souviens-toi ! Souviens-toi ! Dès que Tache d’If est devenue lieutenante, tu en es devenue jalouse ! Tu l’a huée ! »

La vieille chatte revint bien longtemps en arrière. Étoile Vaillante était sur le Promontoire, annonçant la nomination de Tache d’If. Griffe de Boue avait senti la jalousie et l’envie lui ronger le cœur, crachant sur sa propre sœur.

« Tu l’a haïe ! »

Elle se revoyait, partageant un lapin avec Cobra Royal et Rose Noire. Elle avait darder son regard vert envieux sur Tache d’If. Puis, les Lunar Pod étaient arrivés et avait plongé la tricolore dans un profond désarroi. Les patrouilles avaient été augmentée, les entraînements se faisaient plus fréquents, les Sentinelles avaient été chargées de protéger le territoire. Et elle, elle lui avait craché dessus, se moquant ouvertement de la tricolore. Griffe de Boue s’était rapproché du Cobra et de sa sœur, tous trois voyant d’un mauvais œil la nouvelle lieutenante. Discutant de comment l’évincer.

« Tu l’a trahie ! »

Et là, la femelle brune revit vraiment la scène. Elle revit avec exactitude comment Tache d’If avait été tuée. Griffe de Boue et sa sœur s’étaient lancées à la poursuite de Guêpe Sauvage. Elle était avec Cobra Royal, et Tache d’If s’était jeté sur la chatte brune, qui attaqua pourtant la première. Puis, Cobra Royal s’était jeté dans la mêlée, griffant sa cheffe au flanc, et écartant la Tonnerreuse du combat. Puis, Griffe de Boue s’y mêla, attaquant Tache d’If sur l’autre flanc. D’abord surprise, la chatte fut peinée, lâchant un pourquoi silencieux. La chatte brune n’y avait pas répondu, elle ne l’avait pas voulu. Elle avait pivoté, attrapant une patte arrière de sa cheffe pour la déséquilibrer. Mais la chatte tricolore restait redoutable, malgré sa maladie. D’un puissant coup de patte arrière, griffes rentrées, elle avait délogé la chatte brune. Puis, la scène se déroula au ralentit. La femelle tricolore bondit, attrapant la tête de Cobra Royal de toutes ses forces cherchant à le mordre à la gorge. Ce dernier se débattait, bloquant les voies respiratoires de la cheffe de son pelage abondant. Quant à Griffe de Boue, elle bondit, attrapant Tache d’If par la peau du coup pour la faire lâcher prise. Mais la chatte tricolore tint bon, malgré tout. Alors la femelle brune serra les dents et tira plus fort sur la femelle tandis qu’un craquement sinistre retentit. Tache d’If devint molle, cessant de se débattre. Griffe de Boue desserra les mâchoires, le corps de sa sœur tombant à ses pattes, de l’écume au coin des lèvres et le corps dans un angle improbable, la colonne vertébrale brisée.

« Tu…
- M’as tuée ! »

Pelage de Boue tourna la tête et poussa un cri d’effroi. Tache d’If se tenait à quelques pas d’elle. La femelle était plus maigre que jamais, dans ses yeux dorés brillaient une haine nouvelle, son pelage tricolore gouttait d’une matière sombre, la fourrure déchirée ici et là. Était-ce du sang ? Personne n’avait soigné les blessures de sa sœur ? La femelle brune avait même aperçu de l’écume au coin de la gueule de la chatte. Et même, sa tête semblait prendre un angle… particulier. Pourtant la chatte tricolore s’avança d’un pas, l’oiseau venant se poser sur son dos à elle. Lorsque Tache d’If parla, sa voix semblait sourde, comme un grondement, mais tonna aussi fort de la foudre s’abattant sur la renardière.

« - Tu m’as abandonnée au moment où j’avais le plus besoin de toi ! Tu m’as insultée, humiliée, trainée dans la boue ! Tu m’as trahie pour au final me tuer ! »
- Je… Non ! C’était … Un accident !
« - Je comptais sur toi… Tu m’as déçu… »

La vieille chatte détourna son regard de la tricolore pour le reposer sur l’entrée. Sur le seuil se tenait Bond du Lièvre, son pelage constellé d’étoiles, pourtant, ses yeux bleus pâles étaient froid, sans aucune lueur amicale. Ils étaient, au contraire, remplis d’amertume et de déception. À ses côtés se glissa une souple femelle blanche et brune, ses yeux verts remplis de colère dardèrent Pelage de Boue, Vol d’Oiseaux.

« - Comment peux-tu ainsi trahir les tiens ?
- J’ai honte de toi ! J’ai honte d’avoir donné des enfants à une traîtresse telle que toi ! »

Pelage de Boue vit apparaître auprès de Tache d’If un mâle à la fourrure rousse brillante, ses yeux ambrés regardèrent furieusement la vieille chatte brune. Puis au bout d’un moment, Flèche de Pluie se mit à secouer la tête d’un air désapprobateur. De l’autre côté de la chatte tricolore, une autre tricolore se présenta, avec beaucoup plus de blanc dans le pelage. Les griffes sorties, Plume Colorée feule sur Pelage de Boue.

« - Comment as-tu pu faire ça ? Ne t’ai-je donc jamais rien appris ?! »
- Je… Suis… Désolée…

La vieille chatte marmonnait des excuses, s’agitant, tandis que des larmes commencèrent à couler de ses joues. Flèche de Pluie hurla « Traîtresse ! », le mot fut repris par les guerriers-étoiles qui le scandaient de plus en plus fort, si bien qu’ils couvraient à présent la tempête à l’extérieur. Puis, au-dessus de ce vacarme, Tache d’If et le corbeau croassèrent d’une unique voix.

« DIS LA VÉRITÉ ! »

La Tricolore avança, ses yeux jaunes devenant noirs de haine. Pelage de Boue sursauta, prise d’un accès soudain de panique. La femelle voulu reculer, mais la paroi se tenait dernière elle.

« DIS CE QUE TU A FAIS ! »
- NON ! Tache d’If !

La chatte s’approcha d’un nouveau pas, son haleine, s’approchant plus de l’odeur de viande faisandée qu’autre chose, s’accrochant à la femelle brune. Cette dernière sursauta à nouveau et voulu s’échapper, sa tête ricochant sur la paroi, glissant tout contre, s’entaillant la joue et la babine, laissant une traînée de sang et de bave dans son sillage.

« DIS- LE ! »
- Je suis… Désolée ! Je voulais pas… te briser la nuque… Je voulais juste… Te déloger…
« - Mais tu l’as fait quand même ! Tu m’as tuée ! »
- Pardon ! Ma sœur… Pardonne-moi !
« L’heure du jugement est venue, Griffe de Boue ! Tu seras punie pour tes crimes ! »

Tache d’If avait fusionné avec l’oiseau, elle n’était plus d’une masse sombre informe, ses yeux jaunes posés sur la vieille chatte brune qui posaient sur elle des yeux terrifiés. Alors la créature difforme levait la patte prête à l’abattre sur la femelle qui hurla de terreur, empêtrée dans son délire.

HRP:

Les membres du Clan des Étoiles continuaient de la huer. Pelage de Boue paniquait. Surtout lorsque la créature la chargea, s’apprêtant à l’abattre. La vieille chatte lâcha un hurlement de terreur, tandis que des pattes s’abattirent sur son épaule.

— PELAGE DE BOUE, S’IL TE PLAÎT JE T’EN PRIE !! Arrête toi, calme toi !!

Tremblante, la vieille chatte revint à la réalité. Le vent s’arrêta de souffler, les étoiles disparurent tout comme la créature. Elle entendait les oiseaux pépier à l’extérieur, elle revoyait clairement la guérisseuse. Rien n’avait existé, tout avait été dans sa tête. Comme ça lui arrivait de plus en plus souvent ces derniers jours. Elle comprit. Elle comprit qu’elle s’était déliée d’un poids. Les larmes et le cri silencieux de Vent du Nord le lui prouvait. Elle comprit qu’elle avait livré le secret le plus terrible de son Clan. Elle comprit qu’elle avait approuvé son implication dans un acte qu’elle avait amèrement regretté par la suite.

Comme épuisée, la vieille chatte tomba au sol. Elle sentait son cœur battre la chamade, elle avait l’impression qu’il allait exploser. Il lui faisait mal. A cause de son rythme effréné ou de ses remords ? Qu’est-ce qui lui empoignait le plus le cœur ? Peut-être de voir sa nièce pleurer dans son pelage. Pelage de Boue avait tout brisé, elle le savait. Sa famille avait éclaté, dès l’instant où elle avait senti une pointe de jalousie lui transpercer le cœur. Plus rien n’avait été pareil. C’était de sa faute, et elle le savait.

La vieille chatte le sentait, dans son être. Elle n’en n’avait plus pour longtemps. Après une quinte de toux secouant tout son corps, la femelle tapota la patte de sa nièce. Elle avait quelques mots à lui adresser encore.

- Vent du Nord… Je ne te demanderais pas… pardon… Peut-être n’en seras-tu… même pas capable… Je n’en veux… pas… Je ne mérite pas… le pardon… Pas après… ce que j’ai fait… à ma propre sœur… Mais je veux… que tu saches que…

La femelle marqua une pause, parler lui devenait difficile. Sa voix devenait de plus en plus faible. Pourtant, elle voulait le dire.

- J’ai toujours agis… dans l’intérêt du Clan… Comme Tache d’If… Nous n’avons juste… jamais agis de la même manière… Mais ma sœur… ne voulait que… le bien-être du Clan… J’espère… que le Clan… la pardonnera… un jour.

La vieille chatte était à bout. Son délire, son dernier délire, l’avait épuisée. Elle poussa un soupir tandis que son cœur s’arrêta de battre. Tout devint noir.



Lorsque la femelle rouvrit les yeux, un ciel étoilé s’étendait face à elle, jusqu’à perte de vue. Elle se leva, son corps plus léger et plus souple que ces dernières lunes. Elle avait retrouvé sa jeunesse d’antan. Devant elle se tenait Flèche de Pluie qui lui toucha affectueusement le museau.

- Le Clan des Étoiles sait ce que tu as fait. Mais malgré tout, il comprend ton geste et t’accorde son pardon.

Le cœur de la chatte brune se remplit d’espoir. Si elle avait été pardonnée malgré son crime horrible, alors peut-être que sa sœur aussi l’avait été. La nouvelle étoile tourna la tête à droite et à gauche, cherchant un pelage tricolore si familier.

- Elle n’est pas là. Elle n’est pas autorisée à vivre parmi nous.

Pelage de Boue se tourna vers Coeur de Rose, qui ne semblait guère ravie de ce qu’elle apprenait. Les yeux verts de la femelle se remplirent de larmes.

Quel monde injuste…