Hiver scintillant [pv Scinti] - end

Une patrouille ? Seul avec une apprentie ? Qui n'était pas la sienne ?

Les ordres d'Etoile Dansante ne pouvaient pas lui paraître plus louche, à se demander si elle ne se faisait pas démente. Mais qu'importe, les meneurs ont leurs raisons que les lieutenants ignorent et au final qui était-il pour se plaindre d'une escouade à effectif réduit ?

Le soleil se dressait doucement au-dessus des nuages veloutés gorgés de neige et de vents glacés qui, comme le berger pousse ses moutons blancs, les forçaient à avancer lentement. De ses rayons peu chaleureux l'astre déposait sur le campement sa lumière matinale. A son arrivée s'éveillait geais, corbeaux et mésanges des pinèdes qui de leurs chants embellissaient l'aurore.

S'il faisait froid il faisait aussi beau et s'extirpant de la tanière des guerriers Feulement fit tomber sur sa pelisse charcoal de petits monticules de neiges qui s'accrochaient jusque là aux branches basses. La froideur contrasta drastiquement avec la température de son nid où sa chaleur s'additionnait à celle des autres pour en faire un lieu paisible. Mais la glace hivernale ne le dérangeait point autant que la chaleur estivale. Son épais manteau de fourrure, hérité de sa mère, le préservait de la mauvaise saison et de ses caprices.

Comme il avait mangé la veille au soir il jugea que son petit déjeuner pourrait attendre et se dirigea directement vers le jeune bouleau qui faisait office de dortoir des aspirants. Se plaçant à l'entrée il miaula de sa voix grave et autoritaire:

" Nuage Scintillant, patrouille. Dépêche toi. "

Il ignorait s'il avait éveillé d'autres félins endormis et honnêtement il n'en avait pas grand chose à faire. Revenant sur ses pas il s'assit à la sortie du buisson attendant l'émergence de l'intéressée pour lui faire suivre ses consignes.

" Me voilà ! "

Une voix trop joviale de bon matin avait de quoi faire fuir le passereau et le pinson. Son oreille remua désagréablement et il sut déjà comment commencer la conversation, de toute manière il commençait toujours par là.

" Parle pas, à l'Ombre on reste discret, si t'a un truc à m'dire tu l'fais avec ta queue. "

A son âge, le mentor de Nuage Scintillant avait déjà du lui enseigner ce langage corporel partagé par les membres de son clan. Tout était dans le mouvement de l'enveloppe charnelle et très peu des lèvres. Il espérait qu'il n'aurait pas à le faire lui-même, du moins il espérait pour elle car il ne prendrait pas le temps de le faire, elle s'adapterait.

Il fit rouler ses larges épaules en pivotant vers l'entrée du campement dans laquelle il s'engouffra, rasant de sa fourrure sombre les murs d'épines qui s'accrochaient à cette dernière. Il avait appris à devoir prendre soin de lui-même s'il ne voulait pas que sa pelisse s'emmêle et s'arrache au moindre accro. Aussi était-ce suite à de mauvais souvenir (n'est-ce pas Feuille de Houx) qu'il avait développé un mauvais gout de la sensation de ses poils plaqués contre sa peau par la boue.

C'était donc presque fluidement que les ronces glissaient au travers de son épais manteau charcoal, frôlant ses flancs sans jamais les toucher.

" Tu m'suis et tu t'écartes pas sans m'prévenir. "

Telle fut ses dernières paroles avant un long moment, du moins si la patrouille se déroulait comme il l'avait planifié.

Entre les hauts troncs de la pinèdes la neige était parvenue à se glisser, jonchant le sol d'aiguille qui grinçait presque à chacun de leurs pas. Une poignée de coussinets roses s'enfonçaient légèrement dans la poudreuse, assez épaisse pour ne pas s'y perdre mais trop légère pour pouvoir y marcher comme l'on marche sur un humus sec. Le bas de leurs ventres finirait certainement trempé d'ici la fin de la matinée.

A la grande satisfaction du soldat la jeune bleue demeura silencieuse comme il lui avait indiqué de faire. Au rythme de la chanson de la neige et du vent le duo serpenta entre les fougères mourantes et les bosquets de mauvaises herbes parasites. Ce n'était que le deuxième hiver du lieutenant qui pourtant s'était vu devenir guerrier puis sous-chef en l'espace d'un simple cycle saisonnier. Il ne suffisait que de quelques semaines pour que la forêt et son équilibre change radicalement au rythme des caprices politiques et religieux des clans.

Il se demandait quelle était l'utilité des quatre tribus. Elles auraient bien de nombreux avantages à se dissoudre et à quitter le couvert des arbres pour se joindre aux domestiques et à leurs vies bien plus stables et agréable. Ne servaient-elles qu'à nuire aux autres et à dépeupler la forêt de son gibier ?

Qu'importe, son père y était alors il y demeurait.

Les silhouettes déformées du couple guerrier-apprentie se reflétaient grotesquement sur les petits pics de glaces qui pendaient au nez des arbres, pris d'un rhume surement. Ils gouttaient sur la neige qu'ils perçaient à chaque contacte répétitif. L'une de leur larme s'écrasa sur l'échine de Feulement mais avant qu'elle ne puisse tremper plus que le bout de ses poils il se secoua rapidement avant de reprendre sa route.

Leur progression continua, l'ancien chuchoteur n'avait d'yeux que pour son entourage. Il ne jetait même pas un regard à la gamine pour s'assurer qu'elle le suivait, le bruit de ses pas se contentait de le mettre à jour sur le sujet. Il gardait l'oreille tendue, reniflait l'air froid, ordonnait parfois l'arrêt de la patrouille d'un mouvement droit de sa queue avant de sonner la fausse-alerte.

D'un œil peu intéressé il observait un corbeau s'amuser à arracher l'écorce d'un arbre, sans agir puisqu'il ne chassait pas. Pas le temps d'abattre de la volaille il lui fallait surveiller la bordure. Peu-être pourrait-il débusquer quelque chose sur le chemin du retour ...

Alors qu'il progressait à travers la poudreuse et les racines un appel paniqué articula son nom. Avant même que son cerveau ne puisse réagir son corps c'était déjà tourné dans un bond de surprise. Fourrure dressée sur l'échine et griffes noires plongée dans l'albe de la neige le lieutenant découvrit que la gamine avait disparut. Sans miauler ou prononcer le moindre mot (si un prédateur traînait dans les parages il ne fallait surtout pas l'alerter) il scruta intensivement la nature qui l'entourait afin de récupérer un quelconque indice. C'est alors qu'il remarqua qu'une oreille semblait pousser hors du sol comme une petite fleur printanière. Sa couleur fauve effaça rapidement les mille scénarios désastreux qu'il s'était imaginé tandis que le son d'un félin remuant contre la litière givrée confirma ses doutes.

Il ne roula pas des yeux mais les leva au ciel lors même que ses larges épaules s'affaissèrent de soulagement. Pas de renard, de buse ou de blaireau, seulement une gosse qui n'avait vraisemblablement pas appris à se méfier des terres rusées de l'ombre. Son mentor ne lui avait-il donc rien appris ?

De son pas lourd et las il s'approcha du creux dans lequel était logé la jeune fille, la surplombant de toute sa hauteur et prolongeant son ombre sur elle silencieusement durant une bonne poignée de secondes.

Son regard neutre quoi qu'un peu confus et dépassé par les événements ne quitta pas celui de Nuage Scintillant tout au long de son mutisme, puis enfin, d'une voix désabusée et réprobatrice il miaula :

" Mais qu'est-ce que tu fous ? "

Couchée au fond du piège Nuage Scintillant ne semblait pas redoublée d'effort pour s'en extirper, à vrai dire elle ne bougea pas se contentant de lever vers lui un regard doux et de lui adresser quelques battements de cils.

" Je crois que je me suis foulée une patte, je n'arrive plus à me lever du tout... "

C'était avec désespoir que Feulement écouta ses paroles, il ne la cru pas de suite, pensant à un caprice de jeune fille. Il en avait croisé des douillettes et savait de quoi elles étaient capables pour faire le moins d'effort possible. La neige ne lui plaisait donc pas ? Tant pis pour elle ils avaient une patrouille à poursuivre.

" Lève toi. "

Miaula t-il de sa voix rauque.

" Fais gaffe' à là où tu marches à l'avenir. "

C'était l'une des premières choses que l'on devait apprendre à un aspirant: Faire attention au terrain. Les terres du bourbier étaient parsemées d'embûches et leur proximité avec le charnier n'en faisait qu'un lieu plus dangereux pour quelconque créature ne les connaissant pas par cœur ... Mais encore une fois, il ne ferait pas l'éducation de la petite, il n'était pas son professeur. Elle apprendrait bien d'elle même à force de s'empaler sur des bouts de verre lorsque la chaleur reviendrait et que la poudreuse ne serait plus là pour la protéger.

Déjà pivotait-il pour faire demi tour, désintéressé de la scène qu'il jugeait comme peu importante et particulièrement retardatrice. Lui aussi avait du pain sur la planche.