Et pour l'éternité. |PV. Nuage Scintillant] - end

Cœur de Lionne dressa l'oreille à l'écho d'un cri étouffé. Elle rouvrit alors ses paupières mis closes et un mouvement attrapa du regard ce que ses oreilles pointaient déjà. Un petit animal se débattait-là, dans une flaque de boue, la fourrure collée sur sa silhouette décharnée. La femelle jeta un regard derrière elle, les oreilles frémissantes et les yeux clignant avec lenteur. Tout en prenant le temps de s'étirer longuement en se levant, la guerrière s'avança d'un air innocent. En voilà-un qui n'aimait pas sa vie. D'un pas lent, très lent et presque dansant, elle traversa les quelques longueurs de renard qui les séparer. Elle s'assit face au rongeur qui s'agitait maintenant follement, projetant des gerbes de boue sombres de tous les côtés. Elle leva une patte amicale.

- Hé bien, hé bien, mon ami. Elle t'a laissé pour le voisin et elle a embarqué les gosses avec elle? Pas besoin de tant de pleurs, de la boue éclaboussa son visage, Erf... Je... Pourrais t'aider? Tu me montrerais où elle se trouve et je te ramènerais les petiots. Tu seras enfin débarrassé d'elle.

Le rongeur s'était à présent immobilisé, tremblant et résigné. Cœur de Lionne pouffa et abattit sa patte près de lui, faisant jaillir des jets de boue, manquant de noyer la pauvre bête.

- Comment as-tu pues tomber? Tu devrais connaître ton territoire. Toi aussi tu cherches la grenouille géante et dorée? Elle frémit, le ciel s'était encore obscurcit au dessus d'eux. Oh oui elle en met du temps.

Cette fois, sa patte effleura l'animal qui l'agrippa comme si sa vie en dépendait de ses petites pattes griffues, et remonta jusqu'aux épaules rousses de la femelle, rassuré de sentir du dur sous ses coussinets. Cette dernière se crispa, l'expression surprise, et bondit en arrière, secouant sa patte attaquée, paniquée. La souris fut délogée et s'enfuit sans demander son reste vers les frondes éparses qui parsemaient le sol marécageux. Cœur de Lionne ne le chassa même pas. Elle cligna un instant des yeux puis rit de bon cœur. Elle avait mérité sa survie. Elle méritait sa vie autant que n'importe qui, après tout. Elle fixa de nouveau les fougères. Givrées et dures, elles devaient être là depuis un petit bout de temps. Dans les... Marécages?! Elle ouvrit de grandes prunelles rondes, la morsure glacée de l'eau tourbeuse dans sa nuque. Il n'y avait d'habitude pas d'herbacées ici? Ses griffes se plantèrent dans le sol, elle abaissa son regard fixe vers lui. Il était couvert de vieilles fougères foulées, à peine reconnaissable tant elles étaient boueuses. Oh ouii...i ... OH NON!Elle se raidit.

- Nuage Scintillant !Une folle inquiétude lui lécha les entrailles. Nuage Scintillant !

Le redoux! Les terres devaient être instables ici! Et elle avait attiré une jeune chatte inexpérimentée ici? Quelle cervelle de moineau elle était! Elle cavala à grande allure, s'emmêlant les pattes autour dans les lieux humides. Quelle stupi... Son museau percuta le sol et s'y enfonça doucement. Clan des Etoiles faîtes qu'elle aille bien! Un miaulement lui parvint. Elle se redressa, et ne perdit pas une seconde pour s'élancer vers où la source du bruit semblait lui parvenir.

- Nuage Scintillant? J'arrive !

Le cri détonna encore, dans la direction opposée. Elle dérapa et se maudit intérieurement. Que ferait-elle sans elle, non non non, elle ne pouvait pas être blessée encore moins...

- Ou es-tu?

Ses yeux fixaient le sol qui filait à une vitesse folle sous ses pattes, le museau froncé pour atténuer la prise de des branches qui lui griffait le visage. Son ouïe la dirigeait. Elle devait la retrouver. Elle ne pouvait que la..
Soudain les branches s'écartèrent et ses pattes ne galopaient plus que dans le vide. Que...? Ses yeux rencontrèrent un instant ce qui semblait être des pattes se débattant dans de la boue avant qu'ils ne sombrent eux aussi dans l'épais et froid liquide. Les ténèbres l'enroulèrent, imprégnait son pelage, glissant dans ses yeux et ses oreilles. Elle chercha une prise désespéramment, muée par l'instinct qui lui commandait de retrouver l'air tout de suite. Mais comment discerner le haut du bas, la droite de la gauche dans un environnement pareil? Nuage Scintillant! Une forme se mouvait près d'elle. Elle essaya de tendre les pattes vers cet unique repère mais soudain deux autres la saisir de chaque coté des flancs. Elles la tirèrent du côté opposé, Cœur de Lionne paniqua puis obtempéra et joignit ses forces aux pattes. Il lui fut plusieurs secondes pour se rendre compte qu'elle pouvait respirer. Transis jusqu'aux os, couvertes d'une épaisse couche de boue et aveugle, elle déchira l'air de ses pattes et rencontra un objet dur. La berge! Elle s'y agrippa de toutes forces et s'y issa, surprise par l'énorme masse qu'elle pesait. La bouche pantelante elle tituba encore.

- Nuage Scintillant où es-tu?

Des bruits d'éclaboussures lui répondit et Cœur de Lionne n'hésita pas à se relancer volontairement cette ois, dans la marre dangereuse.

Un frisson lui parcourut l'échine quand ses pattes battirent de nouveau la masse visqueuse et froide. Cœur de Lionne se força à ignorer le sol dur à son côté: il y avait plus important que sa survie, celle de Nuage Scintillant. Elle y planta tout de même ses griffes arrières mais son poids se transféra si rapidement sur ses membres avant et sans appuie que sa main avant sombra de nouveau. Son pelage était lourd, sa bouche s’entrouvrait sur des cris silencieux. Où était Nuage Scintillant? Elle n'entendait rien de plus que ses propres à-coups sur la pâte de sa prison et son instinct qui pulsait à ses oreilles. Comment, que se passait-il, sa vie... Celle de Nuage Scintillant ne pouvait pas leur échapper comme ça. Maîtrisant tant bien que mal ses frissons d'horreur et la force qui la poussait à s'enfuir, elle s'enfonça davantage dans les profondeurs. Pitié qu'elle ne soit pas là. La guerrière inspira une grande inspiration humide et la boue se referma sur sa colonne vertébrale. Le silence l’ensevelit de nouveau, rien que son propre cœur pour battre le rythme. Cœur de Lionne lutta pour garder le cap. Força son propre corps de lutter. Jusqu'à ce que même son cœur oubli le temps qu'il était. Rien. L'air commençait à lui manquer. Toujours rien. Elle tendit ses oreilles inutiles dans les directions que lui autorisait le lourd onguent. Là! Une onde percuta son museau sensible. Sa queue essaya de s'agiter en vain. Elle devait être là! De toutes leurs dernières forces, ses membres furent secoués d'un dernier soubresaut et si au départ rien ne bougea, la femelle écaille commença à sentir autour d'elle la masse se déplacer. Elle arrivait à bouger! Tant qu'elle le put, encore et encore, la gorge sèche et les poumons brûlant, elle avançait. Lentement, dans l'agonie, tendant ses pattes de plus en plus loin, espérant repérer dans la masse si compact le contact chaud d'un congénère, elle continuait. Son corps commença à riposter contre le manque d'air: son torse menaçait de se contracter, engloutissant des quantités de boue qui lui serait fatale, ses muscles fatigués, incapable de continuer, et son corps décharné lui-même, commençait à peser plus lourd que la boue qui l’écrasait.Je vais mourir ici. Si son corps abandonna, ses yeux restaient bien ouvert, douloureux et aveugles dans le fluide puant. Nuage Scintillant ne pouvait pas mourir ici, son cadavre au fond d'une tourbe. Sa tombe ignorait de tous. Ce n'était digne du soleil. Ses poumons hurlèrent et frétillèrent, inspirant un peu de liquide. La douleur fut-elle que Cœur de Lionne ignora presque la masse qui l'avait maintenant percutée. Elle commença à voir des formes danser devant ses yeux. Machinalement et loin d'elle-même, la guerrière saisit la forme dans sa gueule, entre la boue et l'odeur. Et ses pattes forcèrent encore. Maintenant les formes devenaient plus réelles. Elle sentait même le vent frais du clan des étoiles qui l'effleurait. Ses poumons crissèrent de nouveau. De l'air. Pur et frais. Qui pénétrait dans son corps anéanti. C'était le meilleur qu'elle n'est jamais goûté; elle hurla plus que toussa et ouvrit brutalement les yeux, entre la boue et les débris, les branches se découpaient sous la lune.

- Nuag... Scintillant!

Consciente du poids mort contre elle, elle se baissa violemment vers la forme noire et, sans attendre aucun type de réponse, la traîna vers ce qu'elle apercevait comme une berge. Des pierres roulèrent sous ses pattes et la femelle y prit appuie pour se projeter en avant. Si son corps fatigué s'arracha difficilement à la boue, le train arrière de Nuage Scintillant apparu et s'échappa des mâchoires de la guerrière. Puis il retomba dans un "flop" ridicule sur l'onde visqueuse. Cœur de Lionne tomba sur la terre boueuse. Si elle était libérée de l'étreinte de la boue, ses pattes ne pouvaient plus la porter, alors elle rampa. Pitoyablement, le dos courbe et la queue collée contre l'une de ses pattes. Elle saisit entre ses dents la queue de son apprentie et la tira de toute ses forces. Ses pattes se dérobèrent sous elle.

- Non...

Ses yeux à présent menaçaient dangereusement de se fermer et le monde tanguait sous son corps. Elle posa une patte contre la petit forme immobile. Non... Et se glissa à son côté. Elle disparu de nouveau sous la boue mais y réapparu assez tôt, la tête ballante d'une petite chatte sur les épaules. Encore un effort. Un petit effort... Fouettant faiblement l'air autant que la boue, Cœur de Lionne gémit lorsqu'elle saisit la berge de ses pattes et s'y extirpa doucement. La tête de Nuage Scintillant glissa le long de son échine. Cœur de Lionne se laissa alors retomber, les pattes plantées dans des fougères mortes. Petite Grenouille, te voilà attrapée, respire maintenant. Suspendue par ses pattes, la tête et une patte de son amie bien calées sur son encolure, elle sentit des forces puissantes appuyer sur sa tête et des ténèbres l'envahirent. Respire... Tu as encore toute ta vie pour briller... Et pour l'éternité. Elle s'abandonna à l'obscurité.