Nervosité (avec Nuage de Chardon) - Abandon

Il n'en avait pas envie. Vraiment pas. Son ami Poil de Cyclone avait d'ailleurs rapidement senti que la tournure que risquait de prendre sa vie l'inquiétait énormément. Comme quoi, même humilié et privé des espoirs qui nourrissaient le commun des mortels, les chats comme Souffle Poivré n'étaient toujours pas débarrassés de l'appréhension sourde qui les faisait croire qu'à tout instant, ils perdaient le contrôle de leur vie.

C'était comme si la morne et solitaire existence qu'il menait depuis qu'il s'était battu avec Serres d’Épervier lui manquait déjà. Il sentait la tranquillité disparaître à la seconde où Chardon apparaissait dans ses pensées. La nervosité qui avait hanté sa jeunesse refaisait surface, mais sans qu'aucune perspective encourageante ne vienne lui faire face.

Si je m'énerve, si je perds mes moyens, je suis fini, c'est sûr. Mais qu'est-ce-qui m'a pris de les laisser me confier une apprentie ?

Il se sentait tout à fait dépassé. Il n'avait noué que très peu de liens profonds, dans son propre Clan, et s'était toujours fait un devoir d'ignorer ses cadets jusqu'à présent. Si les douloureux et vivifiants souvenirs de son apprentissage auprès d'Éclat de Crépuscule ne l'avaient pas abandonné, il se doutait qu'il ne devait surtout pas imiter celle qui fut son mentor.

D'abord parce qu'en aucun cas il n'était envisageable qu'il soit véritablement agréable avec la fille de Serres d’Épervier. Une véritable amitié entre eux lui semblait tout simplement proscrite.

Ensuite parce qu'il n'était pas Éclat de Crépuscule : il n'était pas capable de consoler efficacement des mioches, de leur inspirer le courage, de les regarder avec bienveillance. Il n'avait pas le rare génie qu'il savait que sa Belle possédait. Son caractère à lui ne semblait même pas correspondre au caractère d'un mentor.

Et enfin parce qu'il n'était pas certain d'avoir jamais expliqué beaucoup de choses aux autres. Il avait fini, après de durs efforts, par devenir un guerrier relativement habile, mais uniquement parce qu'il avait toujours été très exigeant avec lui-même. Il s'était fabriqué, il s'était travaillé. Mais exercer son art sur une autre personne que sur soi-même, c'était encore pour lui totalement nouveau.

Au pire, que faut-il craindre ? Essayait-il de se rassurer. Si elle ne progresse pas, elle trouvera bien quelqu'un d'autre pour l'aider. Surtout que le Clan ne manquera pas de comprendre qu'un puant de mon espèce n'est pas fait pour assumer des responsabilités. Il faut que je me calme. Voilà à peu près l'état d'esprit qui était celui de Souffle Poivré lorsqu'il se rendit devant la tanière des apprentis, à la recherche de Nuage de Chardon.

Il avait quelques idées, quelques pistes, mais il se sentait tout nu. Il ne savait même pas si le dégoût qu'il ressentait par rapport à ces petits, nés d'une union qui l'avait tant fait souffrir, ne risquait pas de le rendre fou à nouveau. Les regards pesants que le Clan lui adressait depuis plusieurs lunes n'avaient pas tué que sa fierté : il était devenu à cause d'eux un guerrier qui se méfiait de lui-même. Bizarrement, il avait le sentiment avec le temps de comprendre de mieux en mieux son vieux fou d'oncle, Crocs Nacrés.

" Nuage de Chardon est ici ? " lança le guerrier puant à l'endroit où quelques apprentis se réunissaient encore pour dormir.

C'était le matin, et retrouver cet endroit lui rappelait beaucoup de souvenirs désagréables. Il osait à peine scruter les différents félins qui se trouvaient là.

Il est hors-de-question que je vienne la chercher ici tous les jours. songea-t-il pour lui-même.