Lorsque le conflit trépasse, la trêve grandit ! ft. Serres d’Épervier - abandon

Vol de Colibri ferma les paupières, un instant. Une douce brise sillonnait les frondes hérissées des Quatre Chênes. La jeune guerrière sombre laissa l’alizé parcourir son sa silhouette sous divers rubans d’arabesques, pour la rafraîchir. Son premier printemps promettait d’être doux à souhait, assez pour pouvoir profiter sans faillir à quelconque danger. La forêt regorgerait bientôt de rongeurs et autres mammifères quêtant leur propre reverses de nourriture, sans se douter que de nombreux guerriers se languissaient de leur viande. Vol de Colibri s’en pourlécha les babines, rien que d’y penser ! Elle-même venait de fêter sa première année, ainsi que le droit de parcourir le territoire en toute légitimité, sans être accompagné. Sa nouvelle liberté lui permettait de jouir d’une nouvelle indépendance exempte de surveillance dont elle fût satisfaite, d’être débarrassée.

C’était bien le seul défaut dont se salissait la palette de bénéfices qu’offraient l’apprentissage du futur guerrier. Garnir le novice d’un guerrier officiant de garde du corps pour son cadet, permettait surveillance sans que le plus jeune ne se risque à quelconque dérive méconnue, ça, Colibri agréait. Seulement, au fil des lunes, la présence continuelle d’un guerrier devenait obsolète pour le novice et rébarbative pour l’adulte. Si ce n’était d’être perclus sous la houlette de la réprimande, et du rappel à l’ordre au moindre faux pas, la novice témoignait que cette tutelle devint usante, à la fin de son apprentissage. Dénoter une méfiance non dissimulée à l’égard de leurs novices ? Oui. Mais il s’agissait également d’une marque d’inconfort marquée par relève que prit le Clan du Tonnerre, sitôt la disparition d’Etoile Masquée survenue. Comme si, les guerriers craignaient de voir surgir un malfamé de leurs rangs, en redoutant une ascension similaire à celle de Coup de Foudre. Ainsi, sous l’excuse de veiller au grain, ils reportaient leur scepticisme sur leurs élèves, à défaut de viser le réel fautif.

Si Vol de Colibri n’avait avisé ce conflit existentiel qui subsistait au clan, elle n’aurait guère respecté ce manque d’égard à sa personne. Mais, à défaut de ne pas supporter le manque de jugeote de certains, elle désirait plus que tout que le Clan aboutisse à son unicité, sans engendrer de conflits physiques.

Une bourrasque fugitive s’agita sous son museau, délitant ses inquiétudes malvenues. L’astre diurne se tenait déjà haut dans le ciel, parsemant ses rayons sur toute l’envergure du son territoire. Depuis combien de temps malmenait-elle son esprit, avec ses réflexions impersonnelles ? L’inflexion la fit s’articuler, retrouvant avec plaisir sa légèreté habituelle. Les aiguilles de pins ployaient sous son poids, tandis que les frondes picoraient ses flancs, à chaque soubresaut. Elle soupira d’aise ; enfin un peu de tranquillité, loin des méfaits claniques. La féline agita les moustaches, avec satisfaction.

Quand soudain.

POUF.

Son corps en percuta violement un autre, dans une détonation mate et brute. Une surface souple, bien qu’immobile. La secousse fit s’envoler un effluve caractéristique : celles des plaines et du zéphyr. Avant qu’elle ne se détourne pour quêter l’identité de la silhouette qu’elle eût injustement malmené, elle devina facilement le fumet dont se paraissait la pelisse des félins du Clan du Vent. Mais bien vite, soucieuse d’avoir infligé un moindre mal à son homologue, elle fit volteface à son encontre. Tandis qu’elle se confondait en excuses, employant le bon langage pour s’asservir de pardon, elle posa sa croupe à terre, la queue lasse. La Honte l’envahissait, à l’instar d’un chaton penaud. De même que sa tête s’était résolument baissée, les oreilles plaquées sur son crâne en signe de soumission. Elle n’osait bouger. Elle craignait d’avoir percuter un assaillant belliqueux, et bien qu’elle exagérât le trait pour attiser la pitié, elle voulait lui assurer son pacifisme.

- Je suis vraiment navrée ! Par le Clan des Etoiles, je ne vous ai pas fait mal ? Bredouillait-elle, apeurée. Je viens en paix ici, je vous le promets !

Serres d'Épervier est de bonne humeur, ce matin. La saison des feuilles nouvelles l'accueille d'une douce brise venue des collines entourant le Camp alors qu'il s'extirpe de sa litière. Doux. C'est vraiment ainsi qu'il pense le temps tandis que ses yeux teintés d'or explorent encore les environs qu'ils connaissent déjà par cœur. Hier, il a quitté son post de sentinelle dans la nuit, et c'est ce pourquoi il se lève aujourd'hui un peu tardivement. Encore ensommeillé, il s'accorde une toilette bien méritée près de l'un des grands rochers qui forment l'abri des guerriers. Il voit passer une patrouille qu'il salue de la queue avant de filer à son tour.

Aujourd'hui, objectif entraînement de chasse. Il n'a qu'une idée en tête : impressionner Éclat de Crépuscule et lui montrer comme ses conseils l'ont aidé. Il s'élance dans les landes qu'il connaît à présent si bien. Il ne lui faut guère longtemps avant de se rapprocher des Quatre Chênes.

Serres d'Épervier est assez perturbé en ce moment. D'un côté, il veut être fidèle plus que jamais à son Clan qui abrite la jolie Éclat de Crépuscule, mais aussi son frère Joli Plumage, sa sœur Mamba Noir et surtout son père récemment promu Étoile de Cobra à qui il ne peut faire défaut. Mais d'une autre part, ses amis Bec Croisé et Tête de Grive le poussent à fréquenter la terre sacrée des Assemblées dans l'espoir de les revoir. Il n'est donc pas très rare qu'il vagabonde dans la lande, en restant à proximité des chênes centenaires. Parfois, il leur jette de petits regards furtifs au cas où l'un des deux mâles y serait caché.

Alors, il s'exécute. Relevant le museau pour humer l'air, faisant silence pour écouter tous les sons et fouillant l'herbe de ses yeux dorés, Serres d'Épervier tente de mettre toutes les chances de son côté. Il patiente. Encore. Encore jusqu'à percevoir la présence d'un petit animal... Bientôt, ses yeux se posent sur la fourrure grisâtre du rongeur qui lui tourne alors le dos. Il applique les conseils de son amie à l'oreille blanche. Il se tapit dans la végétation, queue au dessus du sol meuble, il s'applique dans son pas feutré jusqu'à être à bonne distance de la souris. L'objet de sa chasse paraît alors insouciante, complètement sereine alors que le matou au médaillon blanc bande ses muscles. Il se retient de piétiner sur place avant de bondir comme il en a la fâcheuse habitude et au lieu de ça il s'approche encore un peu. Enfin à portée de bond, le rongeur est alors victime du saut fatal de son prédateur le chat, lequel lui assène un coup de crocs bien placé à la nuque. Sans même qu'elle ait eu le temps de dire skouik, la souris pend, inerte dans la gueule de Serres d'Épervier.

Il ne cache pas sa joie et sourit bêtement, s'accordant même un petit bond satisfait qui fait rebondir le corps de sa proie qu'il tient par la queue. Il lance alors un regard vers les Quatre Chênes : et si Bec Croisé l'attendait là, et si Tête de Grive l'avait vu faire ?! Il est sur le point d'abandonner l'idée lorsqu'il y distingue une silhouette. Se pourrait-il que...

Il galope avec le rongeur en gueule, et atteint le couvert des arbres en quelques foulées seulement. Et alors que ses yeux cherchent l'un de ses amis, une masse le percute à l'épaule gauche et le renverse. Il feule de rage et lâche la souris puis sort les griffes, prêt à riposter. Qui oserait l'attaquer sur un territoire aussi sacré ?!

Furibond, sa fourrure a déjà doublé de volume lorsqu'il pose ses yeux sur le coupable.

« Je suis vraiment navrée ! » C'est une jeune féline grise qui se confond en excuses. « Par le Clan des Etoiles, je ne vous ai pas fait mal ? Je viens en paix ici, je vous le promets ! »

Il l'inspecte de bas en haut un moment, en rangeant ses griffes. Elle sent le Clan du Tonnerre, tout juste comme Bec Croisé et Tête de Grive. Il se redresse.

« Euh, ce... Ce n'est pas grave. Je vais bien, et toi ? »

Sa pelisse retombe doucement mais surement. Il veut bien croire qu'elle n'a pas fait exprès, et qu'elle vient effectivement en paix. Pour se donner un peu de contenance, il lisse son poil à coups de langue.

Le mâle bredouilla quelques mots, lui assurant son bien-être physique. Visiblement, il semblait plus surpris d’avoir été percuté, que sonné par la force qu’induisait l’impact. Vol de Colibri soupira, soulagée. Sa maladresse aurait pu être mal interprétée et lui porter défaut. En effet, les quatre chênes représentaient un lieu bénit par les cieux, opérant une période de trêve durant la réunion des quatre Clans. Symboliquement, l’endroit sacré revêtait un décor de paix et d’abondance, et nulle violence ne devrait maculer les rites religieux de leurs ancêtres, hors période de rémission, ou non. De plus, le code du guerrier enseignait qu’aucun combat disparate ne devait animer l’échange de deux guerriers rivaux, sauf en cas d’extrême nécessité. Si elle s’était excusée avec autant d’exagération dans ses courbettes, c’est qu’elle eût craint un affront inutile, soucieuse d’avoir offensé ce chat inconnu.

- Oui, je vais bien, ne t’en fais pas ! Elle le remercia d’un geste souple de queue, le regard doux.

Ne soyons pas défaitiste, et changeons de sujet ! Se motiva-t-elle tandis qu’un silence pesant commençait à alourdir l’atmosphère. Elle mima la gestuelle du matou aux nuances brunes, par lesquelles il usa d’une toilette sommaire pour se donner contenance. Dans son détour, Vol de Colibri avisa une prise écroulée dans l’herbe, certainement le Matou eût-il failli à sa chute via tumulte qu’elle eût crée. Vol Colibri voulut chasser sa culpabilité d’un revers de queue, mais à défaut, elle déglutit avec difficulté sous ce décor macabre, médisant contre sa fichue maladresse ! Elle avait gâché un repas, bon-sang.

- Belle, prise ! Le félicita-t-elle, plus par complaisance que réelle honnêteté. Si elle s’était voulue bienveillante, c’était râpé. A l’odeur, il s’agissait d’un mulot récemment attrapé. Et désormais, le pelage du rongeur mêlait flaque de sang et autre débris de terre. Sa remarque présentait des allures d’ironie et de mauvaise blague, à défaut du réel sentiment bienveillant, quelle voulut partager.

Idiote, c’est la présence d’un garçon, qui te met dans cet état ?

Responsable, elle s’activa pour se hâter d’aller chasser un substitut au cadavre de souris, involontairement gaspillé. Lorsqu’on faute, on répare son erreur ! sonna-t-elle au creux de son esprit, comme un vieux crédo qui l’animait d’une nouvelle force. Sans prévenir, elle se détourna pour humer l’air. Le printemps florissant apportait avec lui son lot d’effluves délicates, dont se délectait Vol de Colibri avec goût. En effet, un rongeur solitaire grignotait une noix, qui retournait incessamment entre ses pattes. Par-delà les hauteurs, l’écureuil dont le pelage flamboyant se découpait du feuillage garni, se croyait prémuni contre toute attaque fugitive, dissimulé dans les recoins de l’arbre. C’était sans compter le talent naturel dont se prévalait Vol de Colibri à monter aux arbres. Elle et son ami, Nuage Brisé s’étaient épris par de nombreuses heures de jeux, défiant l’autre à se hisser vers les hauteurs, le plus rapidement possible. Ainsi, cet entrainement de fortune eût le bénéfice d’y glaner une coquette somme d’expérience, desservit au gré d’un baptême prématuré, pour sa part.

Ainsi, la femelle se glissa à pas feutrés à travers le rideau de frondes qui s’opposait à elle, ondulant prudemment entre elles, pour que leur souplesse ne risque pas d’avertir l’ouïe fine du rongeur, d’un éminent danger. Sitôt arrivée près des racines du chêne à l’image d’une paire de griffes éjectées de leurs fourreaux, Colibri se prédisposa à l’élan pour manigancer son saut. Elle bond hors de la terre, puis étreignit l’écorce d’une rangée de crochets dévoilées au gré des rainures que façonnait l’arbre. Resserrant son étau pour prendre appui dans sa montée vertigineuse, elle usa de ses membres postérieurs pour se propulser en altitude. Malgré le caquètement inopiné de ses griffes pour se maintenir dans son sillage durant son ascension, Vol de Colibri finit par amorcer un atterrissage correct, en funambule sur une branche. Troublé par la vitesse de la féline, le rongeur s’était carapaté au creux de son nid, semant sa lignée de graine dans son détour. Quel idiot, profana Vol de Colibri, en se pourléchant les babines, à moi le repas ! Ainsi, la femelle quitta son perchoir de fortune pour s’élancer d’une démarche langoureuse, pour désillusionner la méfiance de l’écureuil. Se laissant choir à la méprise de son opposant, le rongeur roux émergea d’une enclave renfoncée dans le marbre. Sitôt apparu, à regret pour sa vie éphémère, Colibri s’empressa de lui porter le coup de grâce, décochant une fêlure à la jugulaire. Propre. Ainsi, elle proféra une prière silencieuse à l’attention des Etoiles, pour les remercier du juteux repas qui les attendait, avant de s’emparer de son paquetage. Amorçant une approche similaire, à la montée, la femelle sombre se laissa glisser le long du tronc, pour rejoindre son pied-à-terre.

- Tiens, c’est pour me faire pardonner, présenta-t-elle le rongeur avec délicatesse aux pattes de son interlocuteur. Puis elle ajouta, avec plus de légèreté. J’espère le spectacle en valait le coup !

Elle osa un clin d’œil malicieux à l’attention du Venteux, pour signifier qu’aucune arrogance n’empruntait ses paroles.

L'étrangère aux yeux verts lui répond assez rapidement que tout va bien de son côté, le remerciant d'un geste de la queue. Il hoche vaguement la tête avant de retourner à sa courte toilette, plutôt embarrassé. Mais alors qu'un silence commence à s'installer entre eux, l'inconnue le chasse de sa voix :

« Belle, prise ! » le regard posé sur la souris du Venteux.

Ce dernier arque un sourcil, confus. Ce n'est qu'une maigre souris, qui par ailleurs est désormais couverte d'un mélange de terre et d'herbe. Il tique un instant : Est-ce qu'elle est en train de me taquiner là, ou bien elle se fout carrément de ma gueule ? Interdit, le mâle balafré reste immobile, le regard interrogateur. Mais la féline au poil argenté ne lui apporte aucune réponse et à la place, elle se lève et... s'en va ?

Hein ?

Serres d'Épervier se demande de quelle sorte de farce il vient d'être victime. Il s'apprête à ramasser son maigre gibier -ce n'est pas un peu de terre qui le poussera à gâcher la nourriture- quand soudain une ombre émerge de la végétation et s'accroche à l'un des quatre chênes centenaires. Retenant un nouveau hoquet de surprise -décidément !- le matou au médaillon blanc se raidit, retenant le moindre mouvement. Rapidement, il reconnaît la pelisse sombre de la guerrière qui l'a cogné quelques minutes auparavant. Il se tait, et observe la scène sans l'interrompre.

Faisant démonstration de son agilité, la jeune au menton d'argent se hisse dans l'arbre à la manière de Bec Croisé. Incapable d'admirer toute la scène depuis le sol, Serres d'Épervier se tort pour apercevoir l'action. Et après quelques acrobaties dont seuls les guerriers du Tonnerre ont le secret, la féline redescend, une boule de poils roux à la gueule. La maladroite -finalement très adroite- dépose délicatement l'écureuil qu'elle vient d'abattre aux pattes de son homologue des landes, avant de lui souffler :

« Tiens, c’est pour me faire pardonner. » Ses yeux dorés posés sur le rongeur habile, Serres d'Épervier ne peut entièrement cacher son admiration. Il sait comme ces petites bêtes-là sont vives et difficiles à attraper; il sait aussi comme elles sont prisées par les chats de la forêt. « J’espère le spectacle en valait le coup ! » conclut la petite grise, accompagnant sa réplique d'un clin d'oeil.

Sans cacher sa gêne, il lui répond : « Merci mais... ce n'était vraiment pas la peine. » Désignant sa souris -ridicule à côté de l'écureuil au passage- il ajoute. « Ce n'est qu'un peu de terre, tu sais. »

Mais la chasseresse des sous-bois vient de lui faire cadeau de sa propre prise et... il est particulièrement impoli de refuser un présent, non ? Encore plus lorsqu'il a été fait dans l'espoir de se racheter.

« Mais merci. » appuie-t-il finalement en se penchant sur le rougeur roux. « Hm... On partage alors ? » propose-t-il en levant ses yeux d'or vers la femelle au loup argenté.

Vol de Colibri ne savait pas si elle devait accepté la proposition du matou. Elle voulait juste se racheter pour avoir gâché son rongeur. Et voilà qu’il lui proposait de partager un repas. Nerveuse, elle ne savait pas. Et pourquoi pas, après tout ? Il suffit juste de ne pas m’en vanter. Les grondements de son estomac la poussèrent à accepter. L’escalade lui avait donné faim et le sang de l’écureuil lui avait ouvert l’appétit. Elle appréciait beaucoup de manger les écureuils.

- Oh, pourquoi pas, après tout ?

La jeune guerrière grise s’installa pour manger. Elle était en des terres sacrées, personne ne lui en voudrait de partager un moment pacifique avec un autre clanique. Surtout aux Quatres-Chênes. Mais les plus respectueux du Code et des Etoiles n’oserait attaquer quelqu’un aux Quatre-Chênes. Quoique… Ce n’était pas la pleine lune. Mais était-ce vraiment le moment de se poser ce genre de question. Elle était en des terres sacrées. Jamais elle n’attaquerait quelqu’un aux Quatre-Chênes.

La jeune femelle dépeça l’écureuil puis le poussa vers le matou brun afin de lui laisser la première bouchée. Elle l’observa, il en avait des cicatrice. C’était probablement un vétéran. Pourtant, il paraissait encore jeune. Avait-il connu la guerre ? Elle était curieuse, mais pas assez pour se montrer impolie. Alors, elle engagea la discussion plus simplement.

- Comment vous appelez-vous ? Moi, c’est Vol de Colibri. J’espère que vous apprécierez l’écureuil.

De toute évidence, la féline des bois marque un instant d'hésitation. Moment durant lequel le matou brun réalise toute la dangerosité de sa proposition. Peut-être qu'au Tonnerre, on n'aime pas trop fricoter avec les étrangers non plus (même si ce n'est pas l'impression que donnait Tête de Grive et Bec Croisé…) mais au fond, c'est surtout lui qui risque gros. Et au moment où la femelle argentée cède à l'idée de partager son écureuil, Serres d'Épervier ne peut s'empêcher imaginer être surpris maintenant par un camarade.

Elle s'installe alors à son tour autour du rongeur roux et se met à dépecer l'animal avec méthode. Il suffirait qu'un apprenti perdu se pointe pour les découvrir, l'un face à l'autre, le gibier comme seule barrière… pour que sa vie change drastiquement. Pour qu'il subisse à son tour les regards mauvais, les "non" quand il voudra prendre un post de sentinelle seul, la déception dans les yeux de ses frères et sœurs et puis la gêne dans ceux de son père.

« Comment vous appelez-vous ? » La douce voix de la guerrière le tire de ses pensées. « Moi, c’est Vol de Colibri. » continue-t-elle tandis qu'il arrache un morceau de chair. « J’espère que vous apprécierez l’écureuil. »

Il acquiesce d'un hochement de tête tout en engloutissant sa première bouchée. Ça change du lapin, ça c'est sûr !

« Euh, tu peux me tutoyer, si tu veux... » Petite gêne. « Appelle-moi Lapin; je ne peux pas te donner mon vrai nom. Par chez moi, ça pourrait être… dangereux qu'on apprenne ça. » De ses yeux, il désigne l'écureuil partagé. « Mais, le repas en vaut la peine ha ha. C'est mon premier écureuil ! » confie-t-il, presque honteux.

Il laisse sa nouvelle rencontre planter ses propres crocs dans le gibier qu'elle vient d'attraper avant de continuer à lui faire la conversation :

« Tu viens souvent, par ici ? »

Dépeçant l'écureuil, la guerrière pousse la proie vers le guerrier qui refuse de lui donner son nom. Elle hoche la tête, elle accepte et ne s’en offusque pas. Par contre, elle n’allait pas le tutoyer. Ça, elle refusait. Il n’était pas son camarade, elle n’avait aucune raison de le tutoyer.

- Non merci, je préfère vous vouvoyer.

Mais, Lapin avait l’air d’apprécier le repas. Et ça lui suffisait. Elle prenait des bouchées aussi, mais des plus petites. Elle ne voulait pas trop briser le Code, le Clan n’avait pas encore manger, après tout. Ce n’était pas correct de se nourrir avant.

« Tu viens souvent, par ici ? »
- Pas en dehors des Assemblées, je sors rarement de mon territoire et vous ? Vous n’avez pas trop froid par ce vent ? Vous me direz, vous devez être habitué, non ?

Vol du Colibri appréciait la petite discussion et le repas partagé. Mais, elle savait que ça ne pouvait pas durer bien longtemps. Bientôt, chacun repartira chez soi.