L'impasse (avec Éclat de Crépuscule) - Abandon

« Avec tous les poils blancs que tu m'as infligée, ne t'inquiète pas pour ça ! Mes nuits blanches à me demander ce que tu deviendrais m'ont bien calmée pour redevenir mentor ! » s'amusait-elle.

Et il était tenté de rire, d'apprécier la légèreté de sa Belle dans les moments qui pour lui étaient les plus graves. Mais s'il se comportait ainsi, on ne le prendrait pas au sérieux. Son sourire fut donc plus calme et plus passif que d'accoutumée. Il ne chercha pas même à répliquer avec quelque pique qui lui eût permis de retourner ludiquement l'accusation.

Et son amie reprit, en se rapprochant du ton qu'il cherchait à faire naître :

« Plus sérieusement, tu as été le plus beau cadeau qu'il m'ait été reçue à ma vie au Vent. Un tas de responsabilité, mais ça a aussi forgé notre lien, et c'est le plus important, pas vrai ?
- Et comment... » approuva-t-il, soulagé, mais presque rêveur. Ses yeux montraient la difficulté qu'il avait à réunir tendresse et sérieux, surtout lorsqu'il observait sa Belle retrouver l'appétit.

J'aimerais, chaque jour, lui offrir mes services.
J'aimerais, le matin, m'éveiller auprès d'elle,
La sentir détendue, inondée comme un lys,
Sous le soleil de l'aube, d'un bonheur éternel.

J'aimerais me soucier de bouger calmement,
Sans jamais déranger son si précieux sommeil,
Prendre soin, moi l'esclave, à ce qu'en se levant,
Éclat de Crépuscul' n'ait qu'à tendre l'oreille,

Pour trouver, tiède et chaud', mon offrande : une proie,
Qu'après notre toilette amoureuse et tranquille,
Nos deux cœurs réchauffés, satisfaits comm' des rois,
Nous aurions partagée, à l'abri des périls.

Une petite voix lui disait que s'il se taisait trop longtemps, il risquerait de ne jamais pouvoir parler à nouveau. Il mit donc la tête un peu sur le côté, dégageant son poitrail, comme pour offrir la place à sa Belle. Puis il poursuivit, plus clair dans son articulation qu'il ne l'avait jamais été jusqu'alors :

« Pour être franc, ça fait un certain temps déjà que je ne me pose plus la question. Mais je peux te le dire, à toi : même si en tant que guerriers, en tant qu'amis, nous ne cesserons jamais de veiller l'un sur l'autre, car la vie nous a déjà rapprochés pour toujours ; je suis sûr que nous nous ferons aussi confiance, et chaque jour un peu plus. »

Il eut un regard très résolu, un regard qui signifiait précisément qu'il avait le sentiment d'avoir dit les mots justes. Et il ne sut pourquoi, mais il eut l'impression que sa Belle et lui étaient en cet instant plus proches que jamais. Il se confiait si rarement. Dans son élan, il reprit.

« Tu sais... tu es la seule personne qui me connaisse vraiment, et je suis convaincu que même si je suis plus jeune que toi, je te comprends toujours presque parfaitement. » Il avait été plus hésitant, mais ses derniers mots le firent légèrement sourire. Très bas, il conclut :
« En fait, j'ai souvent l'impression qu'entre nous, il n'y a même pas besoin de mots. »

Elle le titillait avec une aisance qu'aucun membre du Clan n'était capable d'imaginer, elle n'avait ni peur ni dégoût pour lui, elle n'ignorait pas ses défauts, son égoïsme, sa susceptibilité, mais elle n'ignorait pas non plus qu'il n'avait jamais pris aucun plaisir à se laisser gagner par la médiocrité, elle savait parfaitement qu'il essayait de changer, profondément et sincèrement. Il lui avait même confié qu'il souhaitait gagner la confiance de ses camarades du Clan, qu'il souhaitait qu'un jour, ils s'en remettent à lui, et si ses confessions étaient rares, elles n'en étaient que plus incontestables encore. Elle savait le bon et le mauvais en lui, mais elle avait choisi, et elle était peut-être la seule à avoir jamais fait ce choix, de l'aimer quand même. La belle âme de son amie était de celles qui ne pouvaient pas le laisser indifférent. Il avait découvert le meilleur de sa Belle, il avait vu combien dans sa vie, les moments où elle ne se sentait plus soutenue étaient les plus douloureux. Il savait qu'il ne serait jamais capable de l'abandonner dans le malheur. Il savait que tant qu'il vivrait, tous ses vœux seraient pour elle, elle incarnerait toujours son avenir radieux, car il savait aussi comment il voulait mourir.

Il voulait mourir pour la faire vivre.