Les Joyaux de la Discorde (PV Ciel et Brisé / les darons s'ils veulent à la fin) - end

Voilà que le soleil achemine enfin sa course jusqu'à son zénith. C'est à ce moment que Cœur de Puma rentre dans le tunnel de ronce qui borde le Camp du Clan du Tonnerre. A ses côtés, un vieux novice avec lequel il a passé la matinée aux Rochers des Serpents afin de perfectionner ses techniques de combat.

Sur la route, les deux matous ont tenté de pister quelques proies mais seul le plus jeune est parvenu à prendre un mulot généreusement enrobé. En plein bilan de cette matinée sportive, le vétéran s'engouffre donc dans le conduit végétal avec un petit sourire rassurant.

« Tu t'es amélioré depuis la dernière fois. Je t'assure, tu n'as pas à t'inquiéter pour ton examen Nuage d-- »

Le mâle balafré marque un arrêt à la sortie du tunnel. Devant lui, un attroupement de fourrures bruyant, chuchotant comme sifflent les vipères des Rochers des Serpents.
Froncement de sourcils confus, redressage de tête.

« Mais qu'est-ce qu'il se--
- Explications. Maintenant. »

C'est la voix familière de Coup de Foudre qui vient de taire les murmures, lesquels ne laissent qu'un lourd silence. Alors, le vétéran s'avance; tant pis pour son jeune camarade, les mots doux peuvent attendre.

Lorsqu'il atteint la foule, on le laisse passer. Non, on s'écarte carrément.
Pourquoi ? dit-il de ses yeux lorsqu'ils les posent tour à tour sur les chats qui se poussent à son passage.

Il arrive derrière son chef-lieutenant-on-ne-saurait-dire, légèrement à la gauche de celui-ci. Il découvre alors l'arrogante Arc-en-Ciel, le menton bien droit, le pelage en bataille -une scène rare-, Cœur Brisé qui, penaud et affaissé sur son bassin fait peine à voir et enfin sa fille; Nuage de Rossignol se tient en position défensive, le pelage encore gonflé et… Mais elle saigne ?!

Il ne faut pas davantage de temps au guerrier pour reconstituer une partie de la scène; Arc-en-Ciel et Nuage de Rossignol se sont de toute évidence battues. Sans surprise, sa fille -encore Nuage- n'en a pas mené large face à la guerrière féroce qui lui faisait face. Quant à Cœur de Brisé… Sa fourrure encore relativement en ordre l'innocente; peut-être a-t-il tenté de les séparer ou bien… est-il l'objet de la dispute ?

Quoiqu'il en soit, le père ne peut guère retenir son propre poil de s'hérisser légèrement; tout juste assez pour être remarqué. Ses yeux -qui ont fini l'interrogatoire- accusent directement la tricolore. Une colère chaude.

« Je rentrais de chasse, quand cette petite conne » A ce doux surnom, son oreille tique, trahissant son irritation. « est venue m’emmerder. Le ton est monté et je l’ai attaqué. »

A nouveau, le sifflement ophidien du groupe. Quelques regards passent sur lui, même si la plupart des yeux sont rivés sur Coup de Foudre et Nuage de Rossignol.
Le matou se refroidit, il lance un regard glacial à la guerrière. Quoi qu'est dit sa fille, il n'est pas toléré de lever la patte sur un camarade de Clan. Et en tant que guerrière, il est d'une lâcheté rarement égalée de s'en prendre à une toute jeune novice.
Peu importe les chuchotements haineux -voire satisfaits ?- de ses confrères. Arc-en-Ciel a fauté, indépendamment de sa lignée, des superstitions à son encontre, des mots de Rossignol à son égard. Elle si précieuse et attachée au Code, elle vient de l'enfreindre. La colère est froide.

Droite et seule au milieu de la foule à présent hostile, la féline ajoute, la tête bien haute.

« M’enfin, Ciel se demande vraiment quelle version, entre celle d’Arc-en-Ciel l’enfant maudit et celle de Nuage de Rossignol l’irréprochable, le Clan et son chef préféreront croire. »

Cette fois, Cœur de Puma s'en remet à sa fille. Pour la première fois depuis le début de la scène, le matou musculeux accorde un regard à la novice impliquée. Si ce que dit Arc-en-Ciel est vrai -et puisqu'elle s'incrimine directement, difficile de ne pas y croire- c'est Nuage de Rossignol qui s'est présentée hostilement.

Pour la marbrée, pas de colère. Loin d'être doux ou encore consolateur, il se contente d'une neutralité corporelle à toute épreuve. C'est le "Alors ?" silencieux d'un père à sa fille.

Le temps que tout le monde intervienne dans leur confrontation que Nuage de Rossignol fut sûre que la quasi-totalité du Clan les dévisageait, l’apprentie était trop refroidie pour piper mot. Sa gorge était nouée aussi solidement que les racines du Grand Sycomore, et sèche au point qu’elle sentait un grain de sable lui picorer la trachée. L’effroi était immense, et s’abattit sur elle comme un chien sur sa proie : Cœur de Puma s’était silencieusement joint à l’assemblée, avec un retrait et un détachement envers elle comme les autres qui lui glaçait le sang. Elle savait très bien comment il se sentait et réagirait. Aussi, en dépit de toutes les erreurs commises, s’efforça-t-elle avec le plus de neutralité qu’elle en était capable, d’énoncer cette fois les faits, et rien que les faits.

“Boule Noire était en train de se promener dans le camp sans surveillance et je l’ai fait remarquer… Vivement… à sa mère. Il est vrai que… je suis allée trop loin. Mais j’ai voulu défendre la cause de Boule Noire” fit-elle valoir anxieusement, alors que ses entrailles se tordirent de dégoût envers Arc-en-Ciel et elle-même lorsqu’elle vit Source de Secrets se glisser dans le camp, une proie entre les crocs, pour découvrir à son tour ce qui se tramait au centre de la clairière. Parfait, je ne pouvais pas rêver mieux ! pensa la marbrée en détournant aussitôt le regard de sa mentor pour fixer le sol d’un air penaud.

“Et puis mince !” explosa-t-elle, oubliant son père, son frère, son meneur, sa mentor, sa rivale, son ami, et provoquant un tressautement chez certains matous de l’assemblée. “Quel genre de reine décide de faire un petit pour ne jamais s’en occuper et le laisser livré à lui-même ? Elle-même devrait comprendre la souffrance qu’elle inflige à Boule Noire ! Ce n’est pas seulement inacceptable, c’est impardonnable !”

“Mais qui est-elle pour donner des leçons ?” se diraient certains. Seulement voilà : il n’y avait pas seulement rivalité. Il y avait conflit de valeurs, et certaines choses, se dit Nuage de Rossignol envers elle-même, certaines choses, elle ne pourrait jamais les tolérer.
Ses entrailles se tordirent de dégoût face à l’injustice de la situation. Elle releva le menton, sûrement trop défiante, mais au moins, quel qu’en soit l’avis des autres... Elle sentait qu’elle se défendait pour une juste cause.

Il toisa tour à tour leurs pattes aux deux chattes pour s'assurer qu'elles aient rentré les griffes - bien. Ça signifiait qu'aucun coup de volerait si le ton montait, et ça signifiait que la pression fonctionnait à ravir - on s'était tu à son irruption, on l'écoutait, et maintenant on écoutait leurs versions respectives aux deux fautives.

Arc-en-Ciel se prononça la première:

— « Je rentrais de chasse, quand cette petite conne est venue m’emmerder. Le ton est monté et je l’ai attaqué.

Aucune réaction de la part du bengal, si ce n'est que d'incliner imperceptiblement la tête lorsqu'il vit les oreilles de sa fille se pivoter vers l'arrière, vers les guerriers qui s'étaient approchés, mais pas assez pour se mêler à l'histoire. Assez, toutefois, pour glisser chacun leur petit commentaire. Que Ciel était "belliqueuse", qu'[on] avai[t] "toujours su qu'elle poserait problème", qu'elle "était bizarre" et qu'il "ne fallait pas faire confiance aux enfants maudits, car ils s'attaquaient à leurs camarades". La dernière remarque venait d'un ancien, Vieille Branche, et Coup de Foudre fit aussitôt savoir son mécontentement en le fusillant du regard car chaque commentaire déplacé sur SES enfants maudits le touchait directement. Il s'éclaircit la gorge - l'ancien eut un tressaut en ressentant toute l'intensité de ces yeux électriques lui peser dessus. Ils se fixèrent pendant de longues secondes, interminables, selon Vieille Branche, jusqu'à ce que l'ancien n'ouvre la bouche, ne la referme, rentre le menton dans le cou pour déglutir et ne se taise pour de bon. Coup de Foudre hocha sobrement la tête, remettant ses yeux sur Ciel.

— M’enfin, Ciel se demande vraiment quelle version, entre celle d’Arc-en-Ciel l’enfant maudit et celle de Nuage de Rossignol l’irréprochable, le Clan et son chef préféreront croire. »

Son amertume ne lui était pas étrangère mais Coup de Foudre faisait figure de glace, cillant à peine à la fin des mots de sa fille, sans ne plus lui décerner d'attention. C'est que le père de Rossignol se trouvait à sa droite, maintenant, observant en silence, lui aussi, l'attroupement et la poussière suspendue du tumulte. Coup de Foudre suivit la direction de son regard jusqu'à l'apprentie, tendue, mais faisant preuve de suffisament de retenue depuis qu'elle avait les yeux du Clan sur elle. Coup de Foudre la relança d'un geste sec du menton, un "à toi" qui se passait de sa verve habituelle.

— « Boule Noire était en train de se promener dans le camp sans surveillance et je l’ai fait remarquer… Vivement… à sa mère. Il est vrai que… je suis allée trop loin. Mais j’ai voulu défendre la cause de Boule Noire.

Comme Ciel avant elle, elle n'eut de la part de son (Futur) meneur qu'un battement des cils, rempart émotionnel qui ne laissait rien passer. Mais intérieurement? Intérieurement il riait aux larmes (oui, encore), intérieurement il était impressionné (et furieux) de constater qu'il ne lui fallait que tronquer ses mots et hausser le ton pour faire s'applatir tout ces ingrats de son Clan. Rire, à l'instant, pourrait s'agir d'une pression supplémentaire, mais il s'en tirait très bien par la sentence de son silence et l'intensité dans ses yeux; il ne tenait pas seulement les fautives en haleine, mais aussi tous les guerriers qui avaient osé tendre l'oreille. Beaucoup s'étaient statufiés, craignant les représailles, craignant d'être emportés dans les sanctions car peu, vraiment, ne connaissaient Coup de Foudre.

Si pendant un rassemblement sa plus grande ennemie (?) leur avait révélé qu'il passait sous les voitures, il leur était impossible de prédire ce à quoi il pensait. Pourtant, c'était évident, mais la pression fit du bon lorsque Rossignol s'échappa: « Et puis mince ! »

Et puis merde corrigea immédiatement Coup de Foudre dans un coin de sa tête, mais un bref coup d'oeil à Puma lui fit comprendre que cette retenue lui venait de ne pas vouloir décevoir son père. Une part de lui avait bien envie de la voir réagir sans la pression familiale, mais il alla ranger cette idée ailleurs - plus tard, il se dit. Pour le moment, il y avait plus important:

— « Quel genre de reine décide de faire un petit pour ne jamais s’en occuper et le laisser livré à lui-même ? Elle-même devrait comprendre la souffrance qu’elle inflige à Boule Noire ! Ce n’est pas seulement inacceptable, c’est impardonnable !

— ... Il y a plusieurs réponses à ta question, répondit le bengal, sortant de son mutisme. L'ombre d'un sourire prit place à ses babines, un sourire doux, un sourire gentil, bref un sourire qui jeta froid dans le dos au même titre que l'entendre ricaner à Poil de Musaraigne, plus tôt. Tu tiens vraiment à les entendre, ou bien c'était un appel aux valeurs et à la sentimentalité, pour influencer ceux qui t'écoutent à se ranger de ton "côté" ?

En silence, ses épaules rebondirent par trois fois, puis il inclina sa tête vers l'avant sans ne plus rien cacher de son sourire, secouant doucement sa tête - le Clan du Tonnerre allait vite savoir qu'on ne la faisait pas, à lui.

Il ouvrit un oeil et toute son attention alla harponner Ciel:

— Tout comme toi. Belle provocation!  Sur un autre chat, peut-être qu'elle aurait marché.

Il se redressa, ses deux oreilles tombèrent dans leur cran mais en levant haute la tête, sa bonne humeur (?) semblait intacte.

— Je me fiche de qui a raison dans votre dispute; je vous fais confiance de savoir les régler ensemble, pas d'en faire un règlements de compte.

Haussement d'épaules: Visiblement, j'ai eu tort!  Puisque vous vous êtes blessées.

Si vous vous êtes blessées, Amour-en-Cage est forcée de vous guérir, et si Amour-en-Cage est forcée de vous guérir, vous gaspillez des ressources sur des - son sourire disparut complètement - querelles inspides.

Des ressources, je vous rappelle, qui sont devenues plus rares, après la canicule. Sans parler de la saison froide qui approche.

Plus fort, aux curieux qui n'étaient toujours pas partis:

— « Toutes mes excuses pour la prochaine patrouille! Si un accident survient il se peut qu'on ait pas les plantes pour s'occuper de vous - et vous le devez à Arc-en-Ciel et Nuage de Rossignol! Sur chacune il pesa son regard, veillant à s'être bien fait comprendre, avant d'enchaîner, après un frivole petit rebond de la tête.  Mais comme elles sont des guerrières e-xem-plaires (ou plutôt, comme il se servait d'elles en exemples), elles comptent bien sûr re-mé-dier au problème, hmm?

En... voyons voir, escortant Amour-en-Cage pendant une cueillette, ensemble, et sans se taper sur la gueule?

Ou est-ce que c'est vous accorder trop de confiance? »

...

Ok.

Assez de pression comme ça.

Coup de Foudre se laissa tomber assit et se mit à se gratter négligemment l'oreille. Quelques guerriers autour réalisaient qu'ils étaient tendus, certains se rendait compte que leur poil baissait - ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à une... intervention de leur lieutenant, et comme la fois d'avant (Ciel était alors un chaton), il semblait qu'une sorte de champ statique entourait le bengal.

À l'instant, il n'y avait plus une seule trace de ce champ. Il s'adressait à elles avec la même désinvolture qu'il l'aurait fait derrière une proie qu'ils partageaient, près de la pile.

— « Rossignol, double corvée de patrouilles. Les meilleures erreurs se font quand on est apprentis, je ne te laisserai pas le temps de te morfondre sur une seule.  Apprends.

Il gratta un peu plus vigoureusement avant de se secouer de long en large, étirant ses antérieurs et retrouvant la souplesse de son dos en profitant de l'étirement pour se relever.

— Ciel, toi n'as aucune excuse. Ou bien tu trouves un moyen de t'intéresser à ton chaton - auquel cas, tu es proscrite dans la pouponnière jusqu'à son apprentissage - ou bien tu trouves une reine à qui le refiler, et ce, de façon permanente.   C'est pas les reines qui manquent, prends tes responsabilités.

Tout en légèreté et en insouciance:

— « Si tu le refiles à une reine, génial! Je te donnerai les corvées d'apprentis de Rossignol, puisqu'il se trouve que tu as peut-être besoin qu'on te réenseigne les bases. »

L'état de Coeur Brisé s'expliquait davantage depuis qu'il savait ce que Rossignol reprochait à Ciel. Malgré tous les efforts de Coup de Foudre d'être... du moins physiquement disponible pour ses enfants (passer du temps avec eux dans la pouponnière, chasser pour leur reine d'adoption, Ourse Polaire, les laisser explorer les environs du Camp plus-ou-moins sous surveillance), Coup de Foudre n'était pas sans ignorer que Coeur Brisé s'était toujours senti négligé, du moins émotionnellement.

Cette histoire de négligeance (le bengal secoua sa patte postérieure pour la sortir de son immobilité, échauffant les muscles du jarret en le repliant et les tendons de ses phalanges en les étirant) avait du le toucher en plein coeur et piégé entre les deux (son attachement pour sa soeur et la force de ses valeurs), il n'avait plus du savoir sur quelle patte danser. Même en ce moment ses yeux ne donnaient aucun signe d'être conscient dans le moment présent, et rares étaient les fois où Brisé se laissait perdre dans ses pensées. Il avait toujours été réactif, toujours été impulsif, et aujourd'hui c'était son impulsion qui avait peut-être sauvé à sa soeur et son amie plus de blessures inutiles.

Coup de Foudre sentit d'yeux jaunes percer la foule - Poil de Musaraigne, qui n'avait pas fini d'en démordre - mais disons qu'après ces sanctions, il avait envie de tout sauf parler des amants qu'il avait perdus (et de leur prétendu "retour à la vie").

— « O.k. !  J'ai faim. Il lança à la cantonade, niant complètement la tension précédente d'une ondulation de la queue. Brisé!

Le poids dans une patte lui permit de pencher la tête et de s'incliner vers l'avant, cherchant ses yeux au snowmink, cillant avec lui en le voyant peu à peu émerger de sa torpeur.

— Viens chasser ?

Elle est sincèrement convaincue qu’elle agit pour le bien du clan, mais elle fait tout de travers… comment Arc-en-Ciel ne pouvait-elle voir cela ? En l’instant, elle était une reine, pas une guerrière, et affichait naturellement ses prises comme si cela compensait, avec toute la normalité du monde, son irresponsabilité et le refus de s’occuper de son petit comme le devoir d’une reine l’exigeait.
Nuage de Rossignol avait honte, elle avait honte d’elle-même, honte pour Arc-en-Ciel et de sa scène mémorable qui resterait ancrée dans les esprits pour les neufs prochaines générations, honte de cette situation qui la mettait au centre des regards. Le raisonnement de Coup de Foudre était peut-être légèrement tiré par les poils : personne dans le camp ne souffrait d’une maladie ou d’une blessure trop grave pour requérir des herbes dont Nuage de Rossignol, en dépit de ses propres plaies, se serait bien passée - elle les aurait volontairement et naturellement laissées aux plus nécessiteux. Mais la remarque demeurait fondée. Et si la situation avait été autrement et qu’il avait eu raison ? Dans ce cas, elle aurait eu toutes les raisons du monde pour disparaître de cette forêt et ne jamais revenir.

Nuage de Rossignol se sentait comme un livre ouvert à la vue de tout le clan, et elle n’aimait pas ça. Coup de Foudre était le pire : lui lisait entre les lignes, sondait son âme, la racler de l’intérieur. Oui, elle avait voulu faire appel aux bons sentiments et aux valeurs morales et universelles que son clan - que chaque clan - se devait de partager et d’appliquer, comme l’exigeaient les règles, le Code du Guerrier, leurs coutumes, leurs traditions, peu importe comment ils appelaient cela du moment qu’ils les appliquent, contrairement à Arc-en-Ciel.
Quant au bengale, elle n’appréciait pas du tout cette façon qu’il avait de sourire, ni de se comporter. Il semblait à la fois faux et sincère. La dualité de la personnalité ambiguë de leur chef ressortait en ce moment même, et la rendait confuse, incapable de réagir à la sentence, qui s’abattit sur elle comme un coup de massue. Elle ne se retourna pas, ne voulait pas croiser le regard de son père, elle avait trop peur d’y lire sa déception ; ne voulait même pas poser ne serait-ce que les yeux sur son pelage fauve, qui l’aurait pourtant tant rassuré, si elle avait pu se cacher, se blottir à l’intérieur de ses poils. Mais elle n’était plus une jeune apprentie à qui l’on pouvait pardonner ses actes. Elle comprit le poids des conséquences de ses actes plus que jamais, comprit aussi qu’elle ne pourrait jamais plus se faire confiance. Maintenant, il fallait qu’elle endosse la responsabilité de ses actes.

Et qu’elle comprenne le manège de Coup de Foudre.

Elle releva la tête et planta son regard dans celui du meneur. Leurs yeux, de la même couleur mielleuse, dorée, tels le soleil sérotinal d’une équinoxe, se reflétaient comme deux paires de petits miroirs. Elle hocha subrepticement le menton, signifiant qu’elle avait bien compris les ordres de son chef. Au moins ne risquait-elle pas de s’ennuyer à ramasser de la mousse pour les litières ou retirer les tiques des anciens, quand bien même ces tâches étaient nécessaires, car Arc-en-Ciel fit clairement comprendre à son congénères - si elle les considéraient encore comme tels - qu’elle ne comptait pas rester prostrées au camp les pattes croisées et encore moins coincée dans la pouponnière avec un petit dont elle ne voulait même pas prendre le temps de s’occuper, et encore moins d’éduquer. Sous le regard mortifié de quelques reines et des apprentis et celui, plus stoïques, des guerriers, elle jeta ses proies encore tiède là où elles ne pourraient plus être propre à la consommation, démontrant une fois de plus son incapacité à faire preuve de réserve autant que de raison.

Nuage de Rossignol entendit Coup de Foudre inviter Cœur Brisé à aller chasser - proposition touchante mais surprenante de la part du bengale, qui n’avait jamais plus fréquenté son fils que l’apprentie n’avait passé de temps avec lui ; elle-même se tourna. Elle croisa le regard de son père cette fois. Puis, sans lui laisser le temps d’intervenir, elle fila droit vers la tanière d’Amour-en-Cage.

“Je suppose que tu as tout entendu…” souffla-t-elle. “Allons, dis-moi de quoi tu as besoin.”