Fly little bird ft. Nuage de Rossignol - abandon

Ses yeux divaguent sur le Camp inanimé sans grand enthousiaste. L'assemblée de la veille n'a rien fait pour rassurer le mâle à la cicatrice. Même sa discussion avec Œil de Tigre n'a pas vraiment aidé. C'est fou. Cœur de Puma a l'impression de s'accrocher, d'essayer vraiment de croire en Coup de Foudre, de lui laisser sa chance sans laisser les on dit et les mauvaises langues l'influencer. Mais rien n'y fait. Il y a toujours dans sa poitrine cette gêne grandissante, cette raideur qui s'étend bientôt jusqu'aux pattes, un grand frisson qui remonte dans sa nuque. Une inquiétude silencieuse qui le cloue presque à terre, et alors le guerrier tente désespérément de combattre l'impuissance et la peur, à grand coup de pattes, de speech, de conversations ça et là, d'espoirs qui se tarit.

Que deviendront Nuage de Rossignol et Nuage de Lézard, si leur futur chef s'ôte une vie comme il l'a promis ? Ou bien est-ce qu'un de leur camarade aura bondit sur le bengal avant qu'il n'ait eu l'occasion de s'achever ? Le vieux mâle ferme les yeux, comme s'il pouvait fuir ces scènes imaginaires derrière ses paupières. Un soupir déçu, et presque résigné. Il reste un moment là, sur le seuil de sa tanière commune à refaire le monde, à repasser en boucle l'assemblée de la veille en se demandant ce qu'il aurait pu dire de plus -ou de moins- pour que les choses bougent vraiment. Jusqu'à ce qu'il se souvienne de Nuage de Rossignol qui disparaît sans un mot. Bouleversé par ce qui venait d'arriver, il n'avait même pas cherché sa fille, ni ne savait où elle avait fui.

Il laisse ses pattes le guider jusqu'à la tanière des apprentis où elle est censée se reposer. De si bonne heure, il n'y a pas grand-monde debout, et surtout pas Source de Secrets. Nuage de Rossignol devrait donc être là, au creux de sa nouvelle litière, blotti contre son frère peut-être ? Il y glisse la tête, évite les autres novices jusqu'à atteindre sa fille. Sa toute petite fille qui a tant grandi... Il lui murmure son nom, la secouant avec délicatesse de la patte avant.

« Nuage de Rossignol ? Debout ma grande... » jusqu'à ce qu'elle émerge.

Il quitte alors l'antre en silence, intimant à la nouvelle novice de le suivre d'un mouvement de la queue. Une fois dehors, le vétéran commence : « J'espère que ta première nuit dans la tanière des apprentis a été bonne... » Il ne peut retenir un sourire ému. « Il est tôt » dit-il en pointant le ciel rose de son museau balafré « mais je voulais te montrer quelque chose. »

Sa voix douce en opposition à ses cris rageurs de la veille, Cœur de Puma invite la jeune féline marbrée à le suivre en dehors du Camp, tout ouïe de la moindre question.

Confuse, Nuage de Rossignol posa le regard sur son frère, puis Cœur de Puma et encore son frère endormi. Que voulait donc bien lui dire son père, que son frère n’aurait pas l’honneur d’entendre ? Elle se leva dans l’ombre de son père, prenant sa suite en prenant grand peine à ne pas réveiller le petit chat. Elle n’eut pas trop de difficulté à sortir sans bruit : la tanière n’était pas surchargée et comme elle venait tout juste d’être nommée apprentie, elle n’était pas encore complètement intégrée au groupe et son nid se trouvait tout près de l’entrée. Peut-être qu’un jour elle se retrouverait plus au fond et entourée de ses camarades.
Tant que les petits de Coup de Foudre étaient apprentis, ce jour n’était pas près d’arriver. Tapis au fond de l’antre roulés en boule, ils dormaient profondément. Mais sûrement pas paisiblement. Elle remarque que Nuage de Lycaon et Nuage de la Louve dormaient serrées l’un contre l’autre. Nuage de Ciel était légèrement plus en retrait. Quant à Nuage Brisé, eh bien… Nuage de Rossignol venait seulement de remarquer qu’il manquait à l’appel. Peut-être avait-il démarré l’entraînement plus tôt. Parfois les mentors réveillaient leurs apprentis plus tôt quand ils avaient quelque chose en tête.

Une fois à l’extérieur, Nuage de Rossignol put profiter de l’air frais qui enrobait la clairière. Une brume légère planait sur l’herbe. Avec le retour du beau temps elle n’avait pas beaucoup eu l’occasion de se rafraîchir. La minette bailla à s’en décrocher les mâchoires en suivant son père -elle était encore endormie. Mais très vite, les souvenirs de la veille lui revinrent en mémoire et eurent l’effet d’une étincelle qui gela son corps tout entier d’un blizzard de glace.

“Papa…” elle bailla encore. “Qu’est-ce qu’on fait ? Je dois -ghn- visiter le territoire avec Source de Secret ce matin. Il est si tôt…” elle ferma les yeux et plongea son museau dans le pelage de son père, y découvrant un réconfort comme personne d’autre n’aurait pu lui apporter. Là, dans ces poils fauves et sombres, elle trouvait un semblant de sécurité. Son père était brave et fort. Pour l’instant, il était le pilier auquel elle se raccrochait.

La petite féline brune ne tarde pas à sortir de son antre, dans un effort que son corps fatigué trahit par des pattes un peu molles.

« Papa… » l'interpelle-t-elle entre deux bâillements. « Qu’est-ce qu’on fait ? Je dois -ghn- visiter le territoire avec Source de Secret ce matin. Il est si tôt… »

Sans attendre la réponse de son père, Nuage de Rossignol vient loger son museau dans la fourrure rousse sombre du vétéran, lequel accueille le câlin avec tendresse, déposant délicatement sa queue sur l'épaule de sa fille afin d'encourager l'étreinte.

« Je sais, c'est pour cela que je te réveille si tôt. »

S'arrachant au corps encore fragile de la jeune chatte, Cœur de Puma commence à rejoindre le tunnel de ronce qui mène à l'extérieur du camp. D'un geste du menton, il invite la nouvelle apprentie à le rejoindre.

« Hier en fin d'après-midi, j'ai pu y emmener Nuage de Lézard; son mentor m'a permis de lui faire découvrir un lieu clé de nos terres. »

Il donne un sourire complice à son interlocutrice qui -il le sait- a déjà compris où il veut en venir.

« Je ne veux pas faire de différences entre vous. »

Une fois devant le tunnel de végétation, le mâle balafré salue le gardien qui doit encore finir sa nuit d'un signe de la tête puis il marque un arrêt. Sans rentrer dans le conduit bordé de piquants, il s'assoit et laisse place à Nuage de Rossignol. D'un regard, il l'invite à passer en première.

Tout se passera bien, je suis avec toi.

“Et tu as…” elle bâilla de nouveau, faisant craquer l'articulation de ses mâchoires. “Tu as prévenu Source de Secrets hein ? Je ne voudrais pas qu’elle me cherche partout, et qu’elle croit que j’ai filé en douce pour aucune raison.”

Là maintenant, elle n’avait qu’une seule envie : se fourrer dans le pelage de son père et y dormir une lune entière pour oublier la journée éprouvante de la veille, avec toutes ses disputes, l’humiliation entière du clan, la découverte sinistres faite au bord de la rivière… Elle salua elle aussi la sentinelle et passa le tunnel d’ajoncs en même temps que ses cinq sens et ses membres se réveillaient avec le soleil levant.

C’était si étrange de se promener à l’extérieur avec son père à ses côtés ! La sensation lui paraissait presque surnaturelle et elle en profita à fond, puisque d’ici même pas une demi-lune, cela deviendrait une routine tout à fait normale. Elle voulait profiter de ce sentiment de découverte, d’exploration qui l’animait depuis tout ce temps et la pousser à vouloir franchir l’horizon pour voir au-delà des frontières -du raisonnable bien sûr.

Elle inspira à fond, les yeux désormais grands ouverts : de belles aventures l’attendaient.

“Coe… Papa” elle savait qu’il n’aimait pas qu’il l’appelle par son prénom, mais pour une obscure raison, elle-même se sentait plus à l’aise en mettant de côté sa familiarité, excepté avec Nuage de Lézard qui méritait tous les noms les plus mélioratifs autant qu’insultant. “Où tu m’emmènes ? C’est loin ?”

Juste avant d'entrer dans le boyau végétal, Nuage de Rossignol s'inquiète : il faut prévenir Source des Secrets, sa mentor. Parce qu'il sait que sa fille ne peut plus se retourner pour voir l'expression de son visage, le matou brun-roux s'autorise un petit rictus amusé.

Au vu des évènements de la veille, il serait étonné que Source des Secrets cherche seulement sa nouvelle apprentie. La pauvre guerrière dormait encore quand il s'est éclipsé de la tanière et elle mérite bien du repos après toutes ces émotions. Pour rassurer Nuage de Rossignol, il répond alors qu'il entre à son tour dans le tunnel :

« Source de Secrets dormait encore quand je me suis levé, mais ne t'en fais pas : nous n'en avons pas pour longtemps et de toute façon on vient de nous voir quitter le Camp ensemble. »

Une fois de l'autre côté, il surprend la petite brune accueillant l'air de la forêt dans une grande inspiration. Puis elle se relâche, et l'interroge :

« Où tu m’emmènes ? C’est loin ?
- Hé, si je te raconte tout maintenant ce n'est pas drôle ! Laisse au moins à ton vieux père un peu d'effet de surprise, ha ha. »

Levant son museau bien haut, il inspire à son tour l'air humide des bois. Quand son regard revient à sa fille, c'est pour l'inviter à le suivre. Et il part en trottinant.

En chemin, il reste attentif aux premières impressions de sa fille : après tout, voilà seulement que ses pattes foulent le territoire très vert de son Clan. Mais le lui montrer pour la première fois n'est pas son rôle : Source de Secrets en est seule responsable, et il doit respecter cela.

Il a déjà introduit cette immense forêt à des Nuages qui ne partageaient pas son sang : respecter le lien entre un mentor et son apprenti est d'une importe capitale pour maintenir une cohésion cohérente au sein du groupe. Il presse le pas, pour atteindre au plus vite son objectif. Et heureusement, le Grand Sycomore n'est pas très loin.

Lorsqu'ils déboulent dans la clairière où se tient l'énorme érable, Cœur de Puma ne se permet pas de feindre le silence de la moindre remarque. A la place, il observe la réaction de sa chair et la presse contre son flanc à l'aide de sa queue dans une étreinte réconfortante.

Là, il l'attend. Elle posera ses questions quand elle sera prête.

“Hé, si je te raconte tout maintenant ce n'est pas drôle ! Laisse au moins à ton vieux père un peu d'effet de surprise, ha ha.”

Nuage de Rossignol leva les yeux vers le ciel en se demandant pourquoi il fallait que son père dise ce genre de chose. Avant de se dire que finalement, oui, son père n’était pas si jeune que ça. Elle repoussa aussitôt cette pensée dans un coin de sa tête pour ne pas s'attarder dessus et commencer à s’imaginer des moments qui n’auraient pas lieu avant des lunes.

Elle suivit son père et fut contente et soulagée de se dire qu’elle faisait ses véritables, les vrais, premiers pas d’apprentie dans la forêt, son territoire, avec son père. Cela lui fit oublier ce qu’elle avait malheureusement vu hier près de la rivière, même si l’image débarquait inopinément par fragments fugaces de cette atroce vision. Ce qu’elle voyait et vivait là, sous le couvert chaleureux des arbres, n’avait rien à voir. Elle se sentait presque apaisée et commençait à penser qu’elle pourrait oublier tous ses soucis pour repartir à zéro. Les fougères étaient d’un vert vibrant, la canopée chatoyait d’éclats de soleil qui perçaient la voûte feuillue pour lui tapoter amicalement l’échine. C’était un magnifique tableau romantique si bénéfique pour son humeur qu’elle en vint à délier son esprit et ses manies pour donner un coup de tête affectueux dans le flanc de son père et remonter jusqu’à réitérer le mouvement dans le cou, la queue haute et fièrement dressée vers le ciel.

Ils en vinrent à déboucher, après un moment qui lui parut assez long mais qui, elle le devinait, serait du gâteau à mesure qu’elle arpentait les sous-bois, dans une clairière à l’herbe tendre. Il y faisait étonnamment frais. Intriguée, elle leva les yeux en l’air et les ouvrit avec stupéfaction en constatant l’imposante ramure qui se dressait à des dizaines, que dire, des centaines de longueurs de queue au-dessus d’elle. Elle n’avait jamais rien pu d’aussi sensationnel et l’excitation se mit à bouillir dans ses veines comme une cocotte minute. Cet arbre était magnifique. Il déployait ses branches comme les ailes d’un majestueux aigle et donnait l’impression de les enconconner comme une chenille dans sa chrysalide. Elle suivit les branches du regard jusqu’à l’endroit où elles convergeaient, plus épaisses, et finit par repérer le tronc. Il était si large qu’il aurait facilement pu abriter tous les guerriers du Tonnerre. Quant à l’arbre, il aurait très bien pu accueillir le clan tout entier et plus dans son feuillage.

Épatée, Nuage de Rossignol demanda :

“Quel est cet arbre ?” Il lui semblait qu’on parlait souvent d’un gros arbre comme repère dans la forêt. Le grand pin, ou le grand platane peut-être… Elle ne se souvenait plus.