Fautive et complice (Rossi et Serre) - abandon

Nuage de Rossignol émergea du sommeil de façon très agréable, par paliers imperceptibles, tandis que le monde extérieur s’infiltrait graduellement dans sa conscience. À la dernière étape du processus, elle finit par ouvrir les yeux et vit un soleil éclatant percer à travers le rideau de mousse foncée qui protégeait des courants d’air.

Elle promena son regard sur la tanière : vide. Les autres apprentis s’étaient déjà levés pour partir en patrouille de l’aube ou de chasse, avec ou sans leur mentor. Puis une étincelle de stress embrasa l’angoisse permanente qui siégeait sur elle : le soleil s’était levé et elle n’était toujours pas dehors alors qu’elle était de double corvée ! Avait-elle donc dormi si longtemps ?

En jaillissant de la tanière des apprentis, le pelage en bataille -empressée, elle n’avait pas pris le temps de se toiletter ne serait-ce qu’un brin, la priorité étant qu’elle soit dehors, sur le territoire, à chasser des proies- elle remarqua que le train-train quotidien du camp avait déjà démarré ; même les reines se promenaient avec leurs chatons sous le soleil matinal, échangeant les dernières nouvelles en gardant un œil sur leur progéniture excitée.

Nuage de Rossignol bondit dans la clairière et salua très rapidement Ourse Polaire, si rapidement que la reine la fixait encore d’un air interloquée alors que l’apprentie traversait le tunnel d’ajoncs, sous le regard hébété de la sentinelle.

Une fois dehors, les battements de son cœur ralentirent ; l’adrénaline se diffusa plus lentement dans son sang et elle se calma en quelques minutes. Voilà qui était bien plus acceptable.

Elle se punit en ne s’autorisant à manger qu’au coucher du soleil, et seulement si tous ses devoirs étaient remplis et qu’elle estimait qu’elle en aurait fait largement assez pour le Clan. Quitte à passer une nuit blanche. Le nez en l’air et la gueule entrouverte, elle humait les odeurs près de l’entrée du Clan car en dépit du nombre de chats, il n’était pas rare que des bestioles, des proies potentielles, tentent leurs chances pour passer leur chemin.

Elle en perçut presque aussitôt la trace, quelque chose comme la fragrance d’un rongeur ; un mulot semblait-il, sûrement de passage pour trouver une cachette de l’autre côté de la forêt. Mais il semblait qu’une odeur familière et pourtant étrange flottait également. Familière et étrange, car bien qu’elle sentit le Tonnerre, il y avait ce petit quelque chose en plus, oui… La trace charriait des senteurs lactée.

Un chaton ! pensa Nuage de Rossignol, et son calme à peine trouvé la quitta aussitôt. Il y avait un chaton du clan en vadrouille ! Elle fut aussitôt partagée entre rentrer au camp et donner l’alerte ou se mettre en quête du fuyard, qui était peut-être déjà en danger, et que quelques secondes en plus pouvait sauver.

Mais la trace était si fraîche que la marbrée ne pouvait penser qu’il s’était aventuré loin. Elle colla la truffe au sol et remonta la piste pour tomber aussi tôt sur le, ou plutôt la fautive.

“Petite Serre !” s’exclama l’apprentie en écartant sèchement les fougères de la petite clairière où la chatonne s’était réfugiée. “Par tous les guerriers du Clan des Étoiles, qu’est-ce qu’il te prend de venir ici !? Où sont tes parents ?”

Bec Croisé et Belle Châtaigne étaient deux chats tout à fait respectables et seraient morts de trouille en constatant l’absence de leur petite.

"Attends… comment ça, cela ne me regarde pas ? Tu n’as absolument rien à faire ici ! C’est insensé. Quelle mouche t’a prise ?”

Elle voulut lui sauter dessus lorsqu’elle comprit que la chatonne, déraisonnée et bien tentée de poursuivre sa quête d’aventure, lui avait très consciencieusement tourné le dos. Nuage de Rossignol était perplexe : s’était-elle fait mal comprendre ? Son ton pourtant dur et sérieux en disait long sur ce qu’elle pensait et n’importe quel chaton avec un minimum de jugeote se serait recroquevillé sur lui-même pour se laisser gronder et ramener au camp. Mais visiblement Petite Serre n’avait cure de s’attirer des ennuis. L’apprentie s’imaginant faire le même coup à son père lorsqu’elle était chaton. Puis elle se dit qu’il n’aurait certainement pas réagi de la même façon, puisque sa mère était morte en quittant le camp trop tôt. Cœur de Puma lui aurait sans doute passé le savon de la décennie et elle l’aurait bien mérité.

Nuage de Rossignol ne se précipita pas tout de suite sur Petite Serre pour l’attraper par la peau du cou, même si elle en avait bien envie : cela aurait été très vexant pour un chaton de son âge, car la petite n’était plus si petite que ça. Mais elle la devança en deux ou trois bons et s’interposa entre elle et le reste de la forêt et ses dangers.

“Ne sois pas sotte, par les étoiles ! Si on t’interdit de voir ce qu’il y a ici pour l’instant, c’est qu’il y a une bonne raison. La forêt n’est pas faite pour un chaton, ni même un jeune apprenti qui débute. Ne crois pas que je vais te laisser faire. J’avertirai tes parents que tu t’es fait la malle. Et plus loin tu iras, plus ils seront contrariés, crois-moi. Je ne veux pas te chercher les noises, mais ils doivent être au courant. Allez viens, rentre avec moi, je vais te raccompagner.”