La vérité est dans les astres (Rossi, Louve, Loutre) - end

Un sentiment de futilité habitait Nuage de Rossignol au petit matin quand elle quitta la tanière des apprentis, qu’elle repoussa péniblement : elle se dit qu’elle devrait s’estimer heureuse d’avoir quelque chose à faire, et puis ses tâches ne différaient pas tellement de ce qu’elle avait accompli jusqu’ici. La seule différence était que maintenant qu’elle était apprentie chanteuse, elle aurait le droit de se promener un peu plus loin qu’à l’intérieur de ses propres frontières. L’idée ne l’enchantait guère, même si Dame de Cœurs s’était encore montrée réservée sur la question de son rang encore trop nouveau dans l’esprit de certains, qui rendait ses devoirs un peu flous, voire superflus. Nuage de Rossignol ne savait pas trop, elle non plus, à quoi s’attendre. Pour le moment elle espérait rester le plus possible dans la forêt, redoutant le moment où elle devrait parloter avec ce qu’elle considérait encore dans sa tête comme l’ennemi.

Ses pattes ne lui faisaient plus tant mal qu’auparavant, mais elle sentait encore un tiraillement très fort qui revenait régulièrement dans ses articulations chaque fois qu’elle marchait un peu trop longtemps. Elle avait aussi perdu en agilité, devenue beaucoup plus raide.

Elle s’était levée dans les heures grises qui précèdent l’aube et à son grand étonnement, le camp était déjà actif : peut-être que c’était le clan tout entier qui avait eu du mal à dormir sur ses deux oreilles, à cause de leur situation et de ces histoires d’étrangers rôdant près des frontières. Elle s’extirpa de sa tanière après avoir donné un coup de langue entre les oreilles de Nuage de la Loutre pour la sommer de se lever. Une fois en contrebas, on la salua avec moultes politesse et l’on s’enquit de ses blessures et de comment elle allait : car elle avait quitté la tanière de la guérisseuse la veille, Amour-en-Cage l’ayant déclarée apte à reprendre l’entraînement, à la surprise générale, y compris celle de l’apprentie, étonnée et soulagée d’avoir recouvré aussi bien d’un telle blessure. Mais elle était aussi inquiète et surtout très en colère après presque tout le monde, malgré elle et malgré eux ; sa rage depuis l’accident s’était muée en une rancœur dont il serait difficile pour elle de se débarrasser.

Nuage de Rossignol ne put s’empêcher de constater un contraste absurde, à quitter des idées aussi noires pour franchir un seuil de célébration où tout le monde était content pour elle (sauf Arc-en-Ciel, qui devait s’en ficher éperdument) : cela conférait à la scène une impression d’irréalité, comme si elle séjournait temporairement dans un monde féérique qui disparaîtrait aussitôt quitté.
Nuage de Rossignol s’avança dans la clairière sans parvenir à se défaire de cette impression que tout ce qu’il voyait était factice, que le monde entier était une mise en scène : que les chats et les chattes auxquels elle s’adressait était plats comme les feuilles d’un platane, tout en surface et sans profondeur. Ils lui adressaient tous les mêmes formules de politesse, répétaient les mêmes remarques.

Elle fit sa toilette. Elle avait perdu en force, mais il était indéniable qu’elle faisait la taille d’une guerrière, et qu’elle aurait dû l’être depuis un moment s’il n’y avait pas eu l’accident. Les chatons eux-même ne savaient même plus quel était son rang, et à juste titre puisqu’elle était chanteuse en devenir.
Nuage de la Loutre se faufila à son tour auprès d’elle et la salua ; Nuage de Rossignol la gratifia d’un regard amical.

“On ne va pas s’ennuyer aujourd’hui ! Apparemment, toute la barrière derrière la pouponnière à fini de s’effondrer cette nuit et tout est à refaire. Ça va nous prendre la journée. Dame de Cœurs m’a dit qu’elle nous enverrait un guerrier pour tisser la barrière de fougère. J’espère (commença-t-elle à ajouter plus bas), j’espère que ce ne sera pas Arc-en-Ciel !”

La bonne humeur n'est pas au rendez-vous ce matin pour Louve des Bois. La vielle, elle avait appris qu'elle devrait passer la journée à réparer la barrière de la pouponnière. Lycaon la réveille en se levant tôt et en lui marchant sur la queue. Elle rouspète et décide à se lever pour attraper une petite proie avant d'être consignée à une corvée d'apprentis. Elle s'étire et passe de rapides coups de langues sur son poitrail avant de se diriger vers le tas de gibier. Une fois à proximité de celui-ci, elle trouve une souris plutôt sèche tout au fond. Tant bien que mal, elle parvient à la sortir et s'allonge pour la déguster. Ce n'est pas vraiment un délice …

Après s'être assoupie sous le léger soleil matinal, Louve des Bois se réveille à nouveau alors que tout le clan s'affaire déjà. Légèrement honteuse, elle se laisse glisser loin du tas de gibier. Elle jette un coup d'oeil à la pouponnière pour voir qui vont être les apprentis qui vont l'accompagner toute la journée. Nuage de Rossignol et Nuage de la Loutre. Élèves de … Raaah. M'en rappelle plus.

La guerrière trottine et rejoint les deux. Elle n'est pas dans un bon jour et n'a pas vraiment envie de faire d'efforts pour paraître aimable :

« - Raaaah. J'espère que vous êtes motivés, au plus vite on termine, au plus vite on pourra faire de vraies activités. »

Râle-t-elle à peine arrivée à hauteur des deux jeunes.

Nuage de Rossignol s’amusa de l’humeur de son amie. Même si Nuage de la Loutre était un peu plus jeune qu’elle, elle n’avait pas ce drôle de grain dans la tête ce qui la différenciait un peu des autres énergumènes qu’il fallait se farcir constamment, jour après jour, semaine après semaine.
En revanche, elle ne sut pas vraiment trop comment se placer lorsqu’elle vit Louve des Bois s’approcher vers elles à pas lents. La chatte en déduisit que c’était elle qui leur avait été assignée, pour superviser la réparation de la pouponnière. Superviser quoi ? Se demandait la marbrée. Il s’agissait de réparer un mur de fougères et de ronces. Nuage de Rossignol était apprentie depuis tellement longtemps, qu’on n’avait cessé de lui passer ce genre de tâche, et qu’elle avait à elle seule plus d’expérience en réparation, colmatage, fortification et barricade que tous les chats de la forêt réunis.

Pas de chance non plus, elle ne connaissait pas du tout Louve des Bois – à vrai dire, elle était celle à qui elle avait eu le moins affaire. Elles s’étaient échangées deux ou trois salutations et politesse mais sans plus. Elle était aussi discrète, et très proche de Lycaon. Nuage de Rossignol s’entendait plutôt bien avec le calico ; cela devrait être plutôt rassurant, non ?

« Oh mais, réparer la pouponnière et la fortifier me paraît une activité tout à fait motivante et honorable. » dit-elle à Louve de Bois. Elle avait conscience de la contredire et d’un côté, Nuage de Rossignol serrait les dents en priant pour qu’elle ne soit pas du genre à prendre la mouche comme sa tricolore de sœur mais plutôt à réfléchir ; et aussi, car malgré tout, depuis son accident, elle avait décidé de dire ce qu’elle pensait à son clan. Même en dépit de son rang de diplomate, d’apprentie « chanteuse ». Elle avait donc adopté un ton plutôt avenant et un air calme, départit de l’obstination qui lui avait muselé la gueule les quelques dernières semaines suivant la collision.

Un peu plus loin dans la combe, elle vit et entendit Arc-en-Ciel s’exclamer. Ne désirant pas s’impliquer une fois de plus dans quelque sombre conflit impliquant de l’injustice et de l’impolitesse, elle donna un petit coup d’épaule à Nuage de la Loutre et lança un regard à Louve des Bois.

« Mais je propose aussi que nous nous y mettions maintenant. »