vroum vroum (avec Masque de Serpent) - end

Ce matin là, je ne sais pas pourquoi, mais je me suis réveillé aux aurores, la rosée me perlant sur le museau. C'est bizarre, je n'étais pas prévu pour une patrouille, pourtant. Alors, comme j'étais réveillé, je suis quand même aller chasser. Tout seul.

Alors je me suis enfoncé dans notre territoire, pour trouver de quoi nourrir le clan. J'étais ratatiné sur le sol, comme d'habitude, près à bondir sur une musaraigne, quand un vrombissement sourd l'a fait décampé.

Du coup, je suis allé voir...

Et on est là.

Je suis assis devant le chemin du Tonnerre, et je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, mais ça fait un moment.

Sur le chemin du Tonnerre, par moment, il y a des monstres. Ils font beaucoup de bruit, beaucoup de poussière, et beaucoup de vibrations.

C'est étonnant. D'habitude, j'aime pas trop ce qui fait du bruit, mais là c'est presque relaxant. Je devrais avoir peur, on me l'a assez dit, mais je suis comme hypnotisé. Ils vont vite, je les discerne à peine quand ils passent parfois, mais j'aime bien les regarder.

Je ne devrais pas être là, je devrais continuer à chasser, mais... Encore quelques minutes. Et puis, de toute façon, personne ne sait que je suis là. Qui irait cafter à mon chef de clan que je me la coule douce à observer les monstres quand j'ai tout un tas de corvée de guerrier à accomplir?

Masque de Serpent n'avait jamais eu un très bon instinct.

C'était peut-être ça qui faisait de lui un si mauvais chasseur. Il n'avait pas le truc pour sentir où se terrait le gibier, et il n'arrivait pas à sentir quand était le bon moment pour lui sauter dessus. Bon, il avait aussi tendance à ne jamais tenir en place, ce que les souris et autres bestioles sentaient venir à des kilomètres. Mais bon, l'instinct de chasseur, il ne l'avait pas.

Par contre, il avait une espèce de chance insolente quand il s'agissait de trouver quelqu'un à embêter. Une cible facile pour canaliser toute son énergie et l'occuper.

En l’occurrence, ce matin là, c'était vers le Chemin du Tonnerre qu'il avait finit par déambuler. Sans but précis, comme souvent. Et pourtant, de l'autre côté de la malodorante masse sombre qui constituait le chemin, une distraction de choix l'attendait.

Queue de Babouin.

Le bien nommé gorille du clan de l'Ombre, avec son gros derrière posé sur le sol de l'autre côté de la route. Les yeux rivés sur...

Heu... Sur les monstres qui passaient de temps en temps et qui faisaient se hérisser le poil sur le dos de Serpent.

Mais qu'est-ce qu'il fout, ce gros débile?

Ravi de voir que le gros matou avait l'air d'être à portée d'oreille, Masque de Serpent attendit que le dernier monstre ai disparu avant de lancer, sa voix de crécelle poussée à fond pour que l'autre l'entende bien :

" YOOO!! BA-BOU !!"

Surjouant à peine son enthouasime, le guerrier borne se fit bien grand, la queue levée haut:

" Haw haw haw, mais qu'est-ce que tu fais là, t'es collé sur le sol ou bien? "

Je suis toujours perdu dans mes pensées quand j'entends un bruit. Plus strident que les passages des monstres. En plissant les yeux, je vois une silhouette en forme de chat de l'autre côté du chemin du Tonnerre.

Après un temps de réflexion, je remarque que ce n'est pas n'importe quel chat. C'est Masque de Serpent qui m'appelle. Ce vieux greffier de malheur, un sac à puces du clan du Tonnerre, aussi talentueux à la chasse que subtil. Je l'aime pas beaucoup. Il est toujours en train de me chercher des noises. Et en plus il écorche mon nom. Ça non plus, j'aime pas.

C'est con, j'étais bien moi, là. En vrai, il m'a pas appelé par mon nom, si ça se trouve, il m'a pas reconnu. Je suis quand même loin, et puis il a qu'un œil, le con. En vrai si je ferme les yeux, et que j'attends assez longtemps, il va sûrement finir par s'ennuyer et partir. Il est quand même pas assez bête pour traverser.

Ah, ce que Masque de Serpent aimait ça. Queue de Babouin, c'était le genre grosse brute stoïque. Bête, un peu comme Couronne d’Épines, son grand copain du Clan du Vent, mais tellement moins facile à faire partir au quart de tour. En fait, à voir le gros chat tout faire pour l'ignorer, allant même jusqu'à fermer les yeux comme un chaton effrayé par le cri d'une chouette au loin, Serpent se sentait tout guilleret, sa queue fouettant l'air tant il avait du mal à cacher son excitation.

" Heyyyyy, je te parle, Babou ! T'as donné ta langue au monstre ou quoi? "

Être ignoré, ça allait bien deux minutes, cela dit. Serpent avait envie d'un peu d'action, et si gueuler des piques à son rival le faisait rigoler pour l'instant, ça allait vite le fatiguer. Il avait besoin qu'on réplique, en face, qu'on lui réponde ! Les quelques neurones dans la caboche du matou tournaient à plein régime. Qu'est-ce qui pourrait bien faire réagir l'autre idiot d'en face?

Se rappelant soudainement quelques rumeurs et racontars entendus à une assemblée, le guerrier borgne redressa la tête, miaulant de plus belle :

" T'aimes donc tant les monstres que t'as plus de temps pour ton pauv' vieux Serpent, haw? A ce qu'on dit, ces bébêtes là te font même pas peur ! "

La tête penchée sur le côté avec un rictus mauvais, Serpent espérait que ses vilaines mimiques étaient visibles de là où Queue de Babouin était assis :

" Tu s'rais pas un peu taré, des fois? "

Au début, je voulais pas trop réagir à ces conneries. Je commence à le connaitre, le Masque de Serpent. Il est toujours en train de chercher des noises à tout le monde. Le problème, c'est que là, maintenant, il commence vraiment à me les briser menu. Les noises.

J'apprécie surtout pas trop comment il a parlé des monstres. Je sens bien qu'il se moque de moi, et ça m'énerve qu'il sache un truc comme ça sur moi. Pas que j'ai honte. Non,je m'en fous. Mais je préfère que ça se sache pas. Un sac à puce du clan du Tonnerre n'a pas à savoir ça, en quoi ça le regarde ce bouffon?

Du coup, je ré-ouvre les yeux, doucement. Et voilà-t-y pas qu'en plus de devoir me coltiner sa voix de crécelle, je me retrouve avec sa tête d'abruti. Sa fourrure poisseuse que je remarque même d'aussi loin, ses stupides petites oreilles rapiécées, ce gros œil fixé sur moi... L'horreur, quoi.

Je décide de m'adresser à lui, finalement. Qu'il sache ce que je pense de lui.

- Babouin a pas envie de parler avec ta sale trogne.

Je prends une voix plus grave, menaçante :

- T'façon tu sais même pas ce que tu dis. Tu ferais mieux de déguerpir avant que le grand Babouin déboule de ton côté.

Il était quand même bizarre, Queue de Babouin. En plus de son espèce de fixette sur les monstres, il y avait sa façon de parler. M'enfin, c'était ridicule ! Il avait ce même tic de language qu'Arc-en-Ciel, a dire son nom au lieu de parler à la première personne. Sauf que sur elle, ça sonnait chic, et sur Babouin, ça sonnait comme si il savait pas aligner deux mots.

Pas que Masque de Serpent soit contre la bizarrerie, au contraire. Ça lui plaisait bien. Qu'est-ce qu'il aurait aimé que cet énergumène naisse dans son clan ! Ils en auraient fait, des conneries, ensemble... Bon, au moins, il l'avait comme ennemi. Et ça aussi, c'était génial. Même si il n'était pas assez réactif à son goût, Serpent était enchanté d'entendre le gros matou lui répondre enfin, le menaçant presque de venir lui frapper le museau.

Bon... Il était idiot, certes, mais quand même... Il n'allait quand même pas traverser ! Serpent lui même avait hésité, quand le gros chat avait commencé par l'ignorer. Mais bon, après l'épisode Rossignol que son clan avait vécu, il se voyait mal traverser le chemin du tonnerre sans bonne raison valable. Qu'est-ce qu'il se ferait engueuler, si ça venait à se savoir ! Queue de Babouin n'avait peut-être pas eu d'accidents similaires dans son clan pour penser comme lui, mais... Bah, il n'était pas si idiot !

Peut-être bien qu'aujourd'hui, ils allaient juste se contenter de se hurler des vacheries, séparés par le bitume. Alors, autant mettre la dose !

" Haw haw, j'aimerais bien voir ça, tiens ! Et tu vas te faire pousser des ailes pour soulever ton gros cul ou bien...? Me dis pas que tu vas venir de c'côté avec tes p'tites pattes ! "

Mais on m'insulte. Et moi j'aime pas ça. Surtout quand l'injure vient d'un espèce de sac à puces du clan du Tonnerre. Ce matou galeux se prend pour qui? J'ai pas à écouter ça. Babouin vaut mieux que ça. Je lui fait bien comprendre en me levant. Il m'a déjà pourri mon moment de calme, il va pas en plus me faire m'énerver. Je suis plus grand que ça.

Alors je le regarde longtemps. Puis je dis-

- Le venin du serpent n'atteint pas le Noble Babouin.

Voilà, et toc. Maintenant, si il veut continuer à me chercher des puces, faudra qu'il traverse. Et je sais bien que les grandes gueules dans son genre, elles osent pas ce genre de trucs. Il a beau parler des monstres comme si il en avait rien à faire, je suis sûr qu'il est mort de trouille. Rien que de se tenir sur le Chemin du Tonnerre, ça doit lui hérisser le poil. Bien fait. Il avait qu'à pas me soûler.

- T'as qu'à traverser si tu veux chercher la merde. On verra si toi t'as peur des monstres.

Moi, j'aurais pas peur de traverser. Pas du tout. Les monstres, je commence à savoir comment ils fonctionnent. Et puis y'en a pas beaucoup, aujourd'hui on dirait. Mais voilà, je m'en fiche de ce Serpent, je vais pas rentrer dans son petit jeu et venir lui coller une rouste. Manquerait plus que ça.

Comment il se la jouait, l'autre ! Non seulement il avait le culot d'ignorer ses provocations, mais en plus il se foutait de lui ! Masque de Serpent sentit sa queue sa gonfler involontairement quand le matou d'en face le traita plus ou moins de trouillard. C'était l'inverse, qui se passait, normalement ! Il blaguait et envoyait des piques, et sa cible finissait par s'énerver et venait le taper... Bon, ça rendait la situation intéressante, mais Serpent en savait plus trop quoi faire.

Quelques lunes plus tôt, il aurait complétement mordu. Il serait déjà de l'autre côté, ayant foncé ventre à terre pour traverser le Chemin du Tonnerre et monter au guerrier du clan de l'Ombre qu'il s'en foutait pas mal, de ces foutus monstres. Rien n'aurait pu l'empêcher d'aller lui en coller une !

Rien. A part l'accident de Nuage de Rossignol. Toujours un peu trop frais dans la tête des chats du Tonnerre. Même dans celle de Serpent, qui était pourtant vide de ce genre de préoccupations, d'habitude. Serpent scruta la grande étendue dure et noire qui faisait office de parcours aux monstres. Ça avait l'air calme, là tout de suite. Il aurait sûrement pu tenter une traversée. Mais si un monstre le surprenait soudainement, comme il avait surpris Rossignol...

Ouais, non, mauvaise idée.

Il se contenta de grogner, déçu que la situation n'aille pas dans son sens.

"Faut être complétement con pour pas avoir peur des monstres, Babou."

Ou être Coup de Foudre, qui s'amusait à traverser juste pour le plaisir des fois, à ce qu'on racontait. Ou être... Un mordu des monstres. C'est ce qu'on disait de Babouin, aussi. Enfin. On disait qu'il s'y intéressait, quoi. Ce qui était bizarre, en soit.

Serpent adorait les bizarreries. Alors que cet énergumène ne joue pas son jeu et refuse de venir danser avec lui, ça le contrariait plus qu'il ne l'aurait cru. Mince alors, ça allait quand même pas se finir comme ça ! Tentant le tout pour le tout, il feula, essayant de jouer sur une corde particulièrement sensible.

"On dirait qu'à l'Ombre, on mets rien dans la tête des guerriers ! C'était qui ton mentor, un rat? J'vois que ça pour que tu sois suffisamment bête pour admirer ces saloperies !"

Ah, alors comme ça j'ai rien dans la tête?

Ça encore, j'aurais laissé couler. Je m'en fous pas mal que ce Masque de Serpent de malheur pense que je sois bête.

Mais de l'entendre insulter mon mentor? Mon clan? Ça, hors de question. Comment est-ce qu'il ose insinuer qu'on s'occupe mal de nos apprentis? Nous, le plus grand clan de la forêt? Et puis je l'ai encore en travers de la gorge, la façon qu'il a d'utiliser ma curiosité pour les monstres contre moi? Et de me parler comme si on était pote. Plutôt devenir pote avec un rat crevé !

Je ne devrais pas faire ça. J'ai beau connaitre le chemin du Tonnerre, des plus malins que moi ont finis sur le pavé.

Mais il en va de mon HONNEUR. Je suis un guerrier du clan de l'Ombre, et ce greffier de malheur m'a trop cherché.

Alors je m'avance. Le chemin du Tonnerre est calme, depuis un petit moment déjà. Peut-être que les monstres ont sentis que j'allais traverser, et se cachent quelque part pour mieux me surprendre? Non, non, il ne faut pas que je me mette à penser comme un chaton peureux. Les monstres, ils s'en foutaient de moi et de mes petites magouilles. Si je n'en entendais pas, là tout de suite, c'est qu'il n'y en avait pas dans les parages. Alors je me concentre bien. Je tends l'oreille. Pas de vrombissement ni de rugissement, rien. Les monstres ont décidés de me laisser la voie libre.

Même si je suis relativement sûr d'avoir largement le temps de traverser, même en marchant peut-être, je fonce. De toute la force de mes pattes, je me propulse ventre à terre de l'autre côté, visant le petit coin où Serpent attend. Même pas essoufflé après l'effort, et le poil à peine ébouriffé (parce que j'ai pas eu peur.), je me fais bien grand, jetant un regard dur à l’effronté:

- C'est qui qui est complétement con, maintenant?

Et là, il se passa quelque chose d'incroyable.

Queue de Babouin traversa le Chemin du Tonnerre. Gueule entrouverte, Masque de Serpent regarda le gros matou se rapprocher, les muscles puissants de ses pattes avant martelant le sol tandis qu'il progressait sur le bitume.

C'était... Un sacré spectacle. Délicieux, même. Toute cette testostérone en action. Serpent en aurait presque versée une petite larme tellement c'était beau.

Et de le voir se rapprocher, ça lui rappelait que Babouin c'était quand même un sacrément gros morceau. Et un sacrément gros idiot, aussi. Parce que Serpent avait beau l'avoir provoquer, fallait être particulièrement stupide pour risquer aussi gros juste pour venir se cogner.

Ooooh, qu'est-ce qu'il était content que ce soit le cas ! Quand Queue de Babouin arriva près de lui, immense et le poil en bataille, il en frétilla presque sur place. Il était si excité de voir ce que ça allait donner ! La petite voix dans sa tête lui hurlait déjà des stratégies de bataille, et sa queue s'agitait dans tout les sens. Ça allait être génial !

"C'est qui qui est complétement con, maintenant?" lui demanda l'autre singe, un peu trop fier de lui après sa petite traversée. Serpent lui fit son plus affreux sourire :

"Bah, c'est toi."

Et il lui sauta sur le poil, profitant de son petit gabarit pour s'accrocher littéralement sur le dos du grand chat, lui mordant l'épaule avec enthousiasme:

"ALLEZ, MONTRE MOI SI CA VALAIT LA PEINE DE TRAVERSER, BABOU !"