Intrigant Binôme (avec Veuve Noire) [Fini] - Abandon

Fin Brouillard était devenu tout à fait guerrier lorsque l'aube avait mis fin à une veillée silencieuse, et s'était promis de méditer régulièrement. Depuis, il courait partout pour chasser, pour ne pas planter les camarades auprès de qui il devait patrouiller, pour être à la hauteur de ses jeunes et nouvelles responsabilités. Et le voilà qui enfin soufflait. Car Madame Veuve Noire n'était pas pressée, elle.

Il observait le va-et-vient du camp, il entendait gémir les chatons nouveaux-nés, il imaginait son frère en train de discuter auprès d'une gracieuse sentinelle un peu sans doute comme Crocs Nacrés aurait pu 16 lunes auparavant séduire Éclat d'Argent. Tout cela désormais se présentait sous ses yeux. Mais que voulait-il au fond ? Vivre tellement quellement et toujours dire du bien des Étoiles ?

C'était à ce genre de méditations un peu inquiètes qu'il consacrait son temps libre, et il fut surpris par l'arrivée de Veuve Noire dans son dos.

D'où vient-elle ? Je ne l'ai pas entendue. Frissonna-t-il en redressant les oreilles.

Il ne risquait pas de trouver beaucoup de gibier si la patrouille commençait de cette manière. Mais on ne s'attendait pas à ce qu'ils ramènent du moulin la moindre proie. Leur objectif était simplement d'y remarquer les frontières. Toujours et sans cesse, des odeurs étrangères venaient au vieux moulin et faisaient disparaître les traces du Clan du Vent. C'était déjà ainsi depuis plusieurs trentaines de lunes, sans doute, et ce n'était pas prêt de cesser.

" Nous partons maintenant ? " lança-t-il à la guerrière qu'il ne pouvait s'empêcher de trouver déconcertante dans sa façon d'être.

Ce n'était pas qu'elle le mettait mal à l'aise, mais il était loin d'être habitué à se tenir comme un guerrier en sa présence, alors qu'elle aimait bien qu'on la défie, et il le savait. Il faudrait feindre une sorte d'égalité lorsqu'ils parleraient l'un avec l'autre, lui le presque-novice et elle la guerrière dont les manières rappelaient celles de Moineau Cendré parfois.

Autant commencer doucement.

" Ne sois pas si impatient, les mâles sont vraiment tous des impatients. " lâcha Veuve Noire en guise de réponse.

Pas vraiment sèche, mais il n'était pas facile pour Fin Brouillard de comprendre ce qui la faisait parler ainsi. Ce devait être une manière pour elle de se donner un genre. En tout cas, elle ne semblait pas perturbée du tout de faire attendre les autres. Vain orgueil des âcres ladies, sans toi sans doute on s'ennuierait.

Elle n'en marcha pas moins, jugea-t-il, plutôt vite en direction du moulin. Quelque part elle calculait peut-être que s'ils rentraient trop tard, cela déteindrait sur elle.

" Moineau Cendrée t'a bien entraîné, tu vas devenir un bon guerrier, Fin Brouillard. " commença-t-elle. Il pencha la tête pour signifier qu'il n'avait pas l'intention d'être traité en petit. Inutile de s'effaroucher, mais dans la vie, il faut se défendre !

" Ne perdons pas de temps, mettons nous en action pour faire ce que nous devons accomplir.
- C'est ça ! " railla-t-il, l'air de dire tu radotes.

Lorsque c'était elle qui s'impatientait, ce défaut n'en était plus un ! Quelque part, Fin Brouillard ne se l'expliquait pas, mais il aimait ces petites manies qui faisaient qu'on ne pouvait la confondre avec personne d'autre.

" Il y a du travail. commenta-t-il en reniflant l'air, qui sentait presque comme les terres neutres. Ce doit pas être rare de trouver des solitaires, par ici. La frontière se discerne à peine. "

Voire pas du tout par endroits... songeait-il en se frottant vigoureusement contre un des côtés du moulin. La pierre avait gardé la fraîcheur du matin alors que le soleil était déjà haut et répandait une chaleur brutale.

Les planches du vieux moulin étaient propres à l'extérieur, le vent les heurtait déjà et les lissait sans interruption longtemps avant leur naissance. Elles ne laissaient aucune écharde dans les flancs et dans le cou de Fin Brouillard. En revanche, il se doutait qu'une fois à l'intérieur, ce serait très différent, ils progresseraient dans la poussière et cela deviendrait nettement moins agréable.

Sauf s'ils surprenaient quelque proie. Fin Brouillard oubliait un peu la présence de sa coéquipière et se faisait tout calme lorsqu'elle le surprit en commentant :

" Les solitaires ne se gênent pas de venir sur nos terres de ce côté si nos odeurs restent peu longtemps. "

Je crois qu'ils savent que le vieux moulin est très isolé et que nous n'avons pas si souvent besoin de nous rendre si loin dans les landes. répliqua intérieurement Fin Brouillard. Mais il se tut, en supposant qu'il était inutile de se plaindre de la relative vanité de leur travail devant quelqu'un comme Veuve Noire. Sans doute cette dernière aimait-elle au contraire donner du sens à ce qu'elle faisait.

" Essayons de mettre notre odeurs un peu partout et si on croise un solitaire on lui fera la peau, cela fait bien longtemps que je n'ai pas participé à un combat. " reprenait-elle, imperceptiblement plus joueuse même si Fin Brouillard ne se l'expliquait pas précisément.

Elle devait avoir quelque souvenir, quelque arrière-pensée secrète, qui lui faisait mieux apprécier ses propres mots.

" Comme cela doit te manquer ! " riposta Fin Brouillard avec un air gai.

Quand on était un jeune guerrier, on ne pouvait pas faire semblant d'avoir beaucoup guerroyé, c'était insultant vis-à-vis des aînés qui, eux, avaient parfois traversé de vraies épreuves. Mais Fin Brouillard aimait les récits guerriers de ceux qui, en leur chair, avaient frissonné en se demandant si leur départ du camp serait le dernier ou s'étaient laissés happer par les vapeurs brûlantes que la haine avivait entre le Clan et ses ennemis.

Il lui était donc plus commode, tandis qu'il marquait un petit buisson, de jouer aux tous-petits qui aimaient qu'on leur raconte des histoires et qui pour cela, étaient prêts à faire mine de s'ébahir.

" J'imagine que tu en as pas mal écorché, des envahisseurs... "

" Ecorcher serait un bien grand mot pour décrire tout ce qu'on fait durant nos batailles, mais maintenant tu peux faire partie de nos batailles alors là tu pourras voir et savoir ce que ça fait de s'attaquer à un ennemi et de voir le sang sur tes griffes. " reprenait Veuve Noire.

D'une certaine façon, elle fanfaronnait. Elle ne détestait pas tout à fait les moments où elle pouvait s'amuser un peu. Mais sa manière à elle d'être légère était bien différente de la manière de Moineau Cendré.

Chacun son caractère. frissonna Fin Brouillard qui trouvait à cette Veuve Noire une certaine classe, quelque chose de chic qui pouvait manquer au lieutenant et à ses manières plus généreuses.

" Je ne sens pas d'odeurs d'intrusion sur notre territoire, où elles sont anciennes donc rien de bien alertant pour notre clan.
- C'est quand même pas le coin où j'irais dormir... " riposta Fin Brouillard qui gardait en tête les histoires un peu lugubres qui circulaient encore sur le Vieux Moulin.

Il hasarda un coup d’œil à l'intérieur et se retourna.

" Quoique... le sol est un peu poussiéreux mais on y est à l'abri de la pluie... "

Les guerriers du Clan du Vent ne craignaient pas de dormir à l'air libre, mais Fin Brouillard exécrait la pluie froide qui tombait souvent sur lui lorsqu'il se reposait et qui parvenait bien souvent à traverser son pelage pourtant relativement touffu.

Il se roula un peu par terre, sans retenir un ronronnement d'aisance.

" ... Et du soleil et du vent... "

Les chats du Clan du Vent n'avaient pas une vie aussi confortable que les chats domestiques, mais ils n'en appréciaient que mieux les petits plaisirs que leur environnement leur offrait parfois.

" Tu n'as pas l'air d'apprécier quand la pluie nous tombe dessus pendant la nuit ? "

Eh non, un peu princesse, le Fin Brouillard !

" Enfin, il est vrai que ça manque de coin où s'abriter pour les mauvaises saisons, mais nous nous y sommes habitués. Mais il est quand même bien de s'abriter de temps à autre pour ne pas tomber malade et surcharger notre guérisseuse.
- C'est aussi nettement plus agréable ! " renchérit Fin Brouillard qui, tout compte fait, se sentait plutôt bien dans l'ombre fraîche de ce vieux moulin.

" Je n'irais pas dormir ici non plus, c'est un endroit où les plus faibles s'abritent, les solitaires y font escale j'en suis certaine, mais ils ont juste de la chance que leurs traces ne restent pas si longtemps.
- Hmmmm... " protesta le jeune guerrier en se redressant. Venait-on d'insinuer qu'il était faible ?

Il se frotta contre quelques rebords du vieux moulin, en espérant qu'ils chasseraient de son pelage la poussière qui s'y accumulait. Espoir vain, il était désormais véritablement aussi blanc que le brouillard, ce qui en ferait sûrement rire plus d'un.

" Donc tu fais partie, toi, de ceux qui tiennent à protéger férocement le Clan contre les étrangers. " commenta Fin Brouillard, très désinvolte. " C'est drôle, je t'imaginais pas du tout comme ça. Sentinelle dans l'âme ! "

Il sortait désormais du moulin et grimaça en sentant le soleil écrasant qui les entourait. Le vent ne s'était pas arrêté, mais il était devenu brûlant lui aussi. " Je m'arrêterais bien boire en rentrant, mais je ne sais pas vraiment où il faudra que j'aille. " demanda-t-il.

La guerrière serait-elle serviable au point de lui indiquer où il pourrait trouver de l'eau ? Rien n'était moins sûr.

Sinon, je n'aurais qu'à traverser le camp pour aller jusqu'à la Rivière, à l'autre bout du territoire. Il y avait bien une vieille mare quelque part dans les landes mais celle-ci n'était peut-être pas utilisable par temps sec.