Big or beg momma ? [Ft. Jaguar d'Opale] - abandon

Jaguar d’Opale détestait les patrouilles matinales. La guerrière aimait prendre son temps le matin pour se lever, faire sa toilette, manger, mais aussi le midi pour se préparer et— bref, elle aimait prendre son temps. Elle n’avait jamais vraiment compris l’intérêt des patrouilles quotidiennes à cette heure, et à vrai dire, elle avait tout simplement arrêté de se poser la question. Rivière d’Émeraude ou Merle Noir n’étaient plus là pour lui secouer la fourrure pour lui dire de se lever, alors les réveils étaient d’autant plus difficile désormais. Mais… il y avait autre chose. Elle ne savait pas vraiment quoi, mais elle se sentait terriblement fatiguée. Fatiguée dans le sens « bien plus que d’habitude », sans pour autant avoir couru un marathon la veille. Elle n’avait même pas nagé à contre courant ces derniers jours. Mais voilà, qu’importe ce qu’elle faisait, elle se réveillait toujours plus fatiguée chaque jour, toujours plus affamée, avec des envies bizarres (il y a deux jours, elle ne rêvait que de goûter à un serpent) qui finissaient par passer avant d’être remplacées par une autre.

Ça ne doit pas être grand chose, se dit-elle tout simplement dans un haussement d’épaule, puis elle bailla à s’en décrocher la mâchoire. Elle bailla si fort que ses yeux se fermèrent plusieurs secondes, mais elle continua d’avancer malgré tout pour garder le rythme de la patrouille. Puis quelque chose l’arrêta. Un caillou moussu ? Non, pas assez humide. Jaguar d’Opale ferma sa gueule, et rouvrit les yeux pour y découvrir Griffe Blanche, une jeune guerrière aussi de patrouille ce matin.

« Bonjour Jaguar d'Opale, salua-t-elle après quelques excuses, comment vas-tu ? L'aube est belle aujourd'hui, tu ne trouves pas ?

L’intéressée eut énormément de mal à se concentrer. Il lui fallut du temps pour chasser la fatigue, prendre chaque mot un par un pour en extraire le sens avant de tout recomposer. Après quelques secondes de battement, elle lui répondit enfin.

— h-Ah ! Griffe Blanche, c’est juste toi. Oui, ça va bien, répondit-elle tout en reprenant sa marche à un pas plus lent pour continuer de discuter. Et toi ? L’aube ? Ah… je dirais qu’elle est plus belle quand je ne la vois pas, parce que je dors encore !

Elle ponctua sa phrase d’une grimace amicale, se retenant de lui donner un coup d’épaule qui aurait pu bousculer la guerrière blanche un peu trop fort.

Griffe Blanche continua d’avancer à ses côtés. Jaguar d’Opale lui offrit un sourire en retour, comme pour la remercier de suivre son allure. Ensemble, elles regardaient les guerriers les dépasser, parfois même s’agacer derrière leur lenteur. Elle en vit un lever les yeux au ciel, mais n’y accorda aucune importance.

— On va dire que je vais bien pour un début de journée très matinal, au moins je peux profiter du calme avant toute l'agitation du camp !

Jaguar d’Opale pencha la tête sur le côté, et dressa ses oreilles sur sa tête pour mieux entendre. Sa camarade avait raison : tout était beaucoup plus calme, plus agréable. Elle entendait le roulis de l’eau sur les galets, le son des oiseaux qui se réveillaient d’une longue nuit de sommeil, le bruit des feuilles qui dansaient dans les arbres et les buissons, celui de l’herbe qui se couchait lentement sous la brise matinale qui emportait avec elle les perles de rosée.

— Je n’avais jamais vu ça sous cet angle, lui confia-t-elle. Mais si on me l’avait présenté de cette manière, je pense que j’aurais pris bien plus de plaisir à participer aux patrouilles matinales.

Cependant, elle aurait préféré profiter d’un tel calme seul, au lieu de le gâcher aux côtés d’une patrouille qui, comme la vaste majorité du temps, ne signalerait rien de nouveau.

— De temps à autre c’est agréable de voir toutes ses couleurs, seule et dans un silence tranquille... Si l’aube t’embête autant préfère tu la nuit alors ? Et c’est vrai que tu as l’air encore toute endormie, tu as bien dormi cette nuit ?

Jaguar d’Opale haussa les épaules. « C’est peut-être le deuil », répondit-elle d’un air quelque peu désintéressé. Après tout, Merle Noir l’avait quittée voilà tout juste quelques semaines, et bien qu’elle avait la sensation de s’en être bien remise, elle se disait que les quelques jours d’émotions plutôt intenses avaient du fatiguer son corps. Ou peut-être était-ce autre chose. Dans tous les cas, elle ne s’en inquiétait pas plus que ça : elle avait de l’appétit — peut-être un peu trop d’ailleurs. Malgré la truite avalée plus tôt, son ventre se mit à gargouiller furieusement.
— Le pire, ce n’est pas la fatigue, c’est la faim ! J’ai l’impression que je pourrais… que je pourrais avaler un cachalot !
Elle n’en avait évidemment jamais vu en vrai, mais elle se rappelait des histoires que lui racontait son père, quand elle dormait aux côtés de tous ses frères et sœurs dans son antre. Celle des gigantesques poissons qui dominaient des lacs déchainés qui s’étendaient à perte de vue comme des rois.
En fait, tout bien considéré, elle se dit qu’elle aurait pu en avaler deux. Ou trois.

Griffe Blanche se mit à ricaner. Jaguar d’Opale se tourna vers elle, un sourire sur le visage mais le regard interrogateur. Avait-elle raté quelque chose ? Qu’est ce qui était si drôle ? Elle regarda autour d’elle et, constatant qu’il n’y avait rien, elle profita d’une flaque à proximité pour vérifier dans son reflet si elle n’avait rien sur le visage. Rien non plus. Elle ouvrit la gueule, pour demander à sa camarade la source de son léger rire, mais celle ci prit les devants :

— Je ne voulais pas te manquer de respect, loin de là. Tu me rappelles tout simplement ma sœur quand elle attendait ses chatons il y a 6 lunes.

Jaguar d’Opale se mit à rire à son tour, d’abord de bon cœur, puis plus nerveusement. Elle repensa aux symptômes de sa première grossesse. À la fatigue, aux maux de ventre, à la faim interminable. La guerrière tourna la tête vers ses flancs, puis vers la femelle blanche.

— … Tu crois que c’est ça ?

Il y eut une forme d’appréhension qui se logea dans sa poitrine, qui se transforma en joie, en tristesse, puis en confusion. Merle Noir était mort il y a peu, mais elle avait partagé une nuit avec lui la lune dernière. Les dates concordaient, ça se tenait.
Jaguar d’Opale s’arrêta, et se pencha au dessus du lit d’eau. Elle essaya de regarder ses formes, si son visage avait changé (on disait toujours que la grossesse rendait plus beau)… mais ne vit pas vraiment de différence.

— Tu trouves que j’ai l’air grosse ? demanda-t-elle à Griffe Blanche.

Enfin, plus que d’habitude.