La Cour des Grands (pv Petite Myrtille , Lueur d'Espoir) - end

La pouponnière était calme. C'était rare, ça.

Ce n'était pas si étonnant, en fait. Petit Chardon et sa fratrie étaient des grands, maintenant. Pas question de mettre le boxon et de courir partout ! Il y avait bien Petite Morsure qui continuait à sauter dans la moindre flaque et à entrainer les autres dans ses bêtises, mais à part ça, ils étaient calmes. Vraiment. Même si Petite Poulpe avait toujours été calme, en fait. D'ailleurs, il était sûrement en train de ronfler dans un coin... Et Morsure de faire les quatre cents coups, et Boule Cendrée...

Hé.

Mais il était tout seul, en fait.

Petit Chardon cligna des yeux, comme si il craignait soudainement d'être attaqué par un prédateur, se sentant tout petit et vulnérable sans sa portée. Avant de se reprendre. Non mais ! Il était trop grand pour avoir peur d'être tout seul, enfin. Se secouant pour se changer les idées, le chaton se remit sur ses pattes, regardant tout de même autour de lui. Bon, Petit Poulpe dormait comme prévu dans un coin, avec Petit Escargot tapi pas loin. Il aurait pu les rejoindre, mais il n'était pas vraiment fatigué. Petite Morsure et Boule Cendrée devaient être de sortie, parce qu'elles n'avaient pas l'air d'être dans le coin.

Par contre, il y avait Petite Myrtille. Qui était certes plus jeune que lui, mais qui au moins n'était pas en train de roupiller. Alors quitte à choisir, entre devoir discuter avec une petite ou rejoindre le club des dormeurs...

Petit Chardon se fraya un chemin jusqu'à Myrtille, pas trop sûr de comment procéder. D'habitude, quand ils jouaient tous ensemble, c'était Morsure qui lançait les hostilités, qui aidait à engager la conversation. Bon, ça ne devait pas être trop difficile...


"Hey... Tu fais quoi?"

Pour une fois j'étais calme ; assise dans un coin de la pouponnière, assez loin des dormeurs, en train de me faire la toilette. Je venais de me réveiller alors j'étais encore un peu fatiguée. Il faut me comprendre aussi, je passe mon temps à attaquer des guerriers grands et forts ou des anciens avec beaucoup d'expérience. La vie d'une chatonne guerrière n'a rien à comparer avec les simples chatons.

Slurp slurp slurp, mon pelage est assez soyeux maintenant, maman continuerait sûrement à me nettoyer si elle avait été là, mais moi je trouve que c'est suffisant, je ne vais pas passer ma journée à faire ça.
Avant que je ne commence à m'agiter, un chaton de la pouponnière venait me voir, l'air gêné :

— Hey... Tu fais quoi ?

Mhhh, il se livre à moi comme ça, c'est trop tentant de lui sauter dessus pour lui croquer l'oreille !

J'avais qu'une envie à cet instant, c'était de le faire, j'ai tout le temps envie de bondir sur tout le monde et de tous les croquer, je ne sais pas pourquoi je suis comme ça, j'en ai envie c'est tout.
Curieusement, je ne laissais pas mes pulsions agir et j'essayais de faire preuve de sagesse... Il ne faudrait pas qu'il me tente plus, sinon je n'arriverais pas à résister.

— Salut, plus rien maintenant. Tu veux faire la guerre ?

Oui bon, j'ai dit que je ne lui sauterais pas dessus, pas que je n'allais pas lui proposer de faire la baston. Proposer et agir sont deux choses différentes, même si pour moi, agir sera toujours la bonne solution. Je fronçais les sourcils, perplexe ; mais en fait, je ne connais même pas son nom. Comment pourrais-je miauler mes exploits si je ne le connais pas, je dois le savoir.

— Comment est ce que tu t'appelles déjà ? Moi c'est Petite Myrtille.

C'était mal parti. "Faire la guerre" avec un chaton surexcité, ça ne le motivait pas plus que ça, Petit Chardon. Quoique... Il avait déjà plus de chance de gagner si Petite Morsure ne jouait pas. Elle avait le chic pour toujours l'écraser quand ils se battaient. Petite Myrtille n'était pas bien grande, mais elle faisait partie de ses chatons infatigables qui étaient toujours en train de tendre des embuscades aux guerriers ayant le malheur de passer trop près de la pouponnière. Pas du tout comme Chardon, quoi. Comme si il allait se risquer à des jeux aussi idiots, maintenant qu'il était tout proche de devenir un apprenti !

Pour changer, de penser à ce qu'il allait devoir faire, et ce qu'il allait devoir abandonner, en devenant apprenti, le fit frissonner. Tellement fort qu'il faillit rater la question suivante de Petite Myrtille, et...

Quoi, elle ne connaissait pas son nom? Mais. Mais enfin ! Il était le fils de leur chef, quand même, comment est-ce qu'un chaton qui vivait dans la même tanière que lui ne le connaisse même pas? Il allait vraiment s'offusquer et demander à ce petit tas de fourrure si elle vivait avec la tête dans le sable, mais se ravisa. C'était une petite. Et il fallait être gentil et patient avec les petits. Parce qu'ils étaient petits. Pas comme lui. Il fallait montrer l'exemple, ou quelque chose dans le genre.

Alors autant se présenter. Pour de vrai.


"Petit Chardon. Je suis le frère de Petit Poulpe qui dort là bas... Et de Petite Morsure et Boule Cendrée, mais je sais pas où elles sont. Et..." Il prit son air le plus important, gonflant la poitrine. "Je suis le fils d’Étoile Déchirée !"

Il se retint d'ajouter "Tu sais, notre chef?" parce que ça sonnait un peu trop méchant. Au lieu de ça, il préféra se concentrer sur ce qu'elle avait dit juste avant de lui demander son nom.


"La guerre, c'est pas très drôle juste à deux, tu sais." Détaillant la petite chatte, il ajouta, "En plus je suis vraiment plus grand que toi, ce serait pas juste comme guerre."

Maintenant que je me sens un peu plus réveillée, j'ai bien envie de m'amuser. Mon voisin de tanière est sûrement venu me voir pour ça ; s'il ne connaissait pas mon nom non plus, il avait déjà dû me voir attaquer tous les intrus qui passaient devant la pouponnière !

— Petit Chardon. Je suis le frère de Petit Poulpe qui dort là bas... Et de Petite Morsure et Boule Cendrée, mais je sais pas où elles sont. Et...Je suis le fils d’Étoile Déchirée

Le jeune mâle se présentait en insistant bien sur le fait qu'il soit le fils d’Étoile Cendrée. Ça m'agace en fait. Je vais lui faire la peau à celui là et on verra qui mérite d'être le rejeton de la meneuse.

— La guerre, c'est pas très drôle juste à deux, tu sais. En plus je suis vraiment plus grand que toi, ce serait pas juste comme guerre.

Alors là, s'il pense que trois pauvres lunes font la différence, il se met la griffe dans l’œil !

D'un seul coup, je bondissais sur lui, bénéficiant de l'effet de surprise je devais l'avoir un peu désorienté. Je n'étais pas encore assez forte pour le plaquer au sol avec l'aide de mon poids alors je m'agrippais à lui comme je le pouvais, tentant de lui mordre la nuque. Entre deux coups de crocs je lui feulais telle une chatonne guerrière :

— Puisqu'on ne peut pas faire la guerre à deux, je te défie en duel, fils d’Étoile Déchirée !

Il avait beau s’enorgueillir d'être presque un apprenti, et se dire qu'il avait bien pratiqué la bagarre, avec Petite Morsure comme adversaire privilégié, Petit Chardon ne vit pas le coup venir. Elle l'avait prévenu, pourtant, Petite Myrtille. Mais quand elle lui sauta littéralement sur le poil, le chaton se contenta d'écarquiller les yeux, se raidissant pour ne pas finir par terre. Heureusement, elle n'était pas bien lourde. Mais elle y mettait une telle énergie ! Chardon remercia sa fourrure, son duvet de chaton étant remplacé petit à petit par un poil plus épais, le protégeant des petits crocs acérés plantés dans son cou.

Bon, il n'échapperait pas à 'la guerre', en fin de compte. Tant pis ! Il n'était pas mauvais à la bagarre, Petit Chardon, Myrtille allait l'apprendre ! Il lui donna un petit coup de patte sur la tête, pas assez fort pour faire mal. Juste pour lui rappeler que, pendue comme elle était à son cou, elle faisait un cible facile pour une contre-attaque. Et comme elle ne lâchait toujours pas, il s'autorisa un ronronnement amusé. Elle avait de la suite dans les idées !


"Hey, arrête !" grogna-t-il, plus amusé qu'agacé, même si les petits coups de dents commençaient à l'énerver. "Arrête, j'vais le dire à-"

Il ferma la gueule.

Il allait dire 'J'vais le dire à Hippocampe'. Question d'habitude. C'était vers son père qu'il allait quand les bagarres devenaient un peu trop violentes à son goût. Les autres le traitaient de rapporteur quand ça arrivait, et c'était sûrement vrai, mais il s'en moquait, trop content d'être réconforté par la chaleur de celui qui s'occupait d'eux.

Avant.

Refroidi par ce souvenir, Petit Chardon s'arracha brusquement à Petite Myrtille, se redressant de toute sa hauteur, le poil hérissé :

"Bon allez, stop ! J'ai pas envie de jouer à la guerre, j'ai dit."

Petit Chardon me donnait un petit coup de patte sur la tête alors que j'étais suspendue à son cou. J'avais envie de lui dire : même pas mal ! mais mes crocs sont serrés sur sa gorge alors je ne pouvais pas articuler correctement ; je me contentais de me le dire à moi même, ne lâchant aucunement le chaton ennemi.

— Hey, arrête ! Arrête, j'vais le dire à-

Je percevais d'abord un ronronnement de sa part qui m'indiquait que la bagarre l'amusait un peu mais cela était de courte durée puisqu'il me demandait tout de même d'arrêter. Je continuais encore un peu jusqu'à ce que son ton changeait. Le chaton n'avait pas fini sa phrase, que voulait t'il dire ? Il voulait me menacer ?

Je m’agrippais encore plus à son pelage pour pouvoir libérer ma gueule, j'avais quelques uns de ses poils dégoûtants dans la bouche que je me contentais de recracher sur le côté. Berk... puis j'étais repartie à faire ma maligne :

— Tu veux le dire à qui hein ? Tu ne sais pas te défendre tout seul ?

Je lui tirais la langue en le toisant du regard. Tu ne vas rien dire à personne, Petit Chardon, sinon, je t'attaquerais encore et encore !

— Bon allez, stop ! J'ai pas envie de jouer à la guerre, j'ai dit.

Petit Chardon s'arrachait brusquement de mon emprise, il se redressait de toute sa hauteur avec le poil hérissé. Pfff, il est vraiment pas drôle ! D'habitude, j'aurais peut être eu envie de continuer mais là, même moi, je ne m'amusais plus.

Je me redressais à mon tour en m'ébrouant le pelage pour retirer les petites poussières qui auraient pu se faufiler dans mes poils pendant ma chute. J'étais vexée, et quand je suis vexée, j'ai envie de lancer des piques :

— Tu devrais te secouer les puces si tu ne veux pas continuer à ressembler à un vieux porc epic !

Mais c'est qu'elle s'arrêtait pas du tout, en fait?? Même si elle finit par le laisser remettre de la distance entre eux (bien obligé, il s'était dégagé, après tout), Petite Myrtille continuait à le chercher. A le provoquer, même ! Tout hérissé à l'idée de se laisser parler comme ça par plus petit que lui, Petit Chardon jeta un rapide coup d’œil autour de lui. Bon, les dormeurs n'avaient pas bougés. Et personne à l'horizon. Bien. Personne n'avait vu ça, alors.

Jamais le dernier pour donner des leçons, il en profita pour toiser la haute chatte, la foudroyant d'un regard qu'il espérait sévère.

"Pheu, je sais très bien me défendre! Je veux juste pas risquer de te faire mal."

Et même si ce n'était pas son genre de faire le malin avec ça, il ajouta, cherchant à provoquer l'envie de sa jeune camarade :

"Je serais apprenti bientôt, tu vois, alors faut pas que je m'attire des ennuis."

Il se garda bien d'ajouter que, si il avait le choix, il serait bien resté à la pouponnière une lune ou deux encore. Ou même plus. Finalement, c'était lui qui enviait Petite Myrtille. Mais ça, pas question de le lui dire. Déjà toute excitée par la bagarre comme elle l'était, la petite avait sûrement hâte d'être apprentie. Comme les autres. Elle ne comprendrait pas ses angoisses...

Le jeune mâle me toisait du regard, comme s'il se croyait effrayant avec son air faussement sévère. J'avais envie de lui rire au museau mais il avait miaulé quelque chose juste avant, je me contentais simplement de sourire sournoisement, cela lui ferait comprendre que je n'avais aucunement peur de lui.

— Pheu, je sais très bien me défendre! Je veux juste pas risquer de te faire mal.

Il faisait comme si j'étais fragile pour se justifier. Il est un peu plus grand que moi c'est vrai, mais je suis sûre que si on faisait un vrai combat avec les griffes et les crocs, je pourrais facilement gagner !

— Mouais.

J'allais lui miauler une autre de mes répliques cinglantes mais je me ravisais au dernier moment, comme si j'étais lassée d'écouter ses bêtises ;"Ca ne serait pas juste comme guerre", "je ne veux pas te faire mal" POUETTE POUETTE !

Je suis sûre que je pourrais le battre quand je serais guerrière, de toute façon...

— Je serais apprenti bientôt, tu vois, alors faut pas que je m'attire des ennuis.

Soudainement intéressée par notre conversation, je m'asseyais face à lui. Je plissais mes paupières pour l'observer, j'avais l'impression qu'il ne semblait pas aussi hâtif que moi, c'est bizarre. Je devais me faire des idées, tous les chatons rêvent de devenir apprentis comme tous les apprentis rêvent de devenir des guerriers...

— J'aimerais bien être à ta place, j'apprendrais à faire la bagarre tous les jours, comme à la pouponnière, mais en mieux !

Il devait me prendre pour une sauvage à toujours vouloir combattre, surtout à mon âge, mais ce n'est pas grave. Moi je veux faire partie des Alpha d’Étoile Déchirée et je m'en donnerais les moyens.

Oh, parler de la future cérémonie d'apprentissage avait l'air de marcher. Petite Myrtille avait perdu son air féroce, et avait le même regard brillant qu'il avait vu sur le reste de sa fratrie, quand le mot "apprenti" était prononcé. Bon, a priori, ce ne serait pas aujourd'hui que Petit Chardon trouverait un camarade pour partager ses appréhensions. Tant pis. Il était déjà content que Petite Myrtille ai arrêté d'essayer de l'attaquer.

Elle aimerait bien être à sa place, disait-elle. Si elle savait combien Chardon était d'accord. Il aurait bien laissé son tour pour que Myrtille soit baptisé à sa place. Elle irait vadrouiller sur leur territoire et nager dans la rivière tandis qu'il resterait bien au chaud dans la pouponnière. Même si cette image était séduisante, sur le moment, Chardon savait bien que c'était impossible. Il ne pourrait pas supporter d'être laissé derrière tandis que son frère et ses sœurs faisaient un pas vers leur futur de guerrier. Et le regard des autres membres de la Rivière, déçus de son refus de participer à la vie du clan... Sans compter sa mère, qui ne comprendrait jamais qu'il ai peur de devenir apprenti... Non, c'était vraiment impossible.

Comme il n'était pas question de confier ses craintes à Petite Myrtille, qui de toute façon n'aurait pas compris, excitée comme elle était à l'idée d'un jour quitter la pouponnière, il prit une voix aussi détachée que possible, essayant d'imiter le ton jovial et plein d'énergie du chaton.

"C'est pas la bagarre tout les jours, enfin, je crois pas. Y'aura la pêche, aussi, les patrouilles..." Il marqua une pause, essayant de se souvenir ce que Goujon Tranquille lui avait dit quand ils avaient parlé de son apprentissage. "Et puis c'est le moment de se faire des amis aussi, les autres apprentis tout ça..."

Si parler de ça avait tendance à le rassurer, il sentait que ça ne séduisait peut-être pas Petite Myrtille plus que ça. Elle avait mangé du lion, cette petite ! Dire qu'elle était déjà prête à en découdre avec le monde entier alors que Chardon, plus vieux, aurait bien aimé esquiver les batailles. Si seulement il n'avait pas aussi peur de passer pour un trouillard... Il jeta un regard curieux à Myrtille :

"Mais t'as pas peur, de te battre pour de vrai? Il parait que les guerriers des autres clans sont vraiment horribles !"

J'étais calmement assise aux côtés de Petit Chardon à discuter de nos futures vies d'apprentis. Ça me donnait pleins d'idées en tête : la rencontre de mes potentiels ennemis lors des assemblées, les entraînements de combat avec mon mentor, les patrouilles aux frontières, que des choses excitantes quoi !

— C'est pas la bagarre tous les jours, enfin, je crois pas. Y'aura la pêche, aussi, les patrouilles... Et puis c'est le moment de se faire des amis aussi, les autres apprentis tout ça...

Je faisais un gros soupir après la réponse de mon camarade de pouponnière. Peu emballée par la pêche ou toute autre chose qui ne ressemble pas à du combat d'ailleurs. Remettre des litières propres, enlever les tiques des anciens, chasser, brrrr !

— Mais t'as pas peur, de te battre pour de vrai? Il parait que les guerriers des autres clans sont vraiment horribles !

Je me redressais avec dignité, la tête bien haute tout en bombant mon poitrail avant de lui répondre :

— Peur ? Moi ?

Je tournais la tête pour regarder mon corps, l'incitant à m'imiter comme pour lui dire ; Tu m'as bien regardé ?
Je miaulais mes paroles avec assurance :

— Je suis Petite Myrtille, chatonne guerrière du Clan de la Rivière, je n'ai peur de personne !

Sans l'ombre d'un doute, mon égo est surdimensionné. Dans ma tête de chatonne, je peux tuer tout le monde et les chats des autres Clans me craindront rien qu'en entendant mon nom. Je veux être forte, comme Étoile Déchirée !

— Si les guerriers des autres Clans paraissent horribles, ils ne m'ont pas encore vue !

Devant Petit Chardon qui ne semblait pas partager la même opinion que moi, je me reprenais un peu, ma voix était moins forte et je le questionnais sérieusement, sans jugement :

— Pourquoi, tu as peur toi ?