Mise au point [PV Coup de Foudre] - end

Sans Source de Secrets pour lui servir d'aide-mémoire, il s'était ressassé quelques moments de la soirée avec des membres du Clan en qui il avait confiance. Bec Croisé, nottament, car Coeur Brisé caracolait trop vite en passant d'un chat de Clan à un autre (il s'était trouvé une petite bande Interclan à parasiter, dont Coup de Foudre en fut presque envieux). Il avait vite-fait parlé à Louve des Bois, sa fille, et avant de rentrer à la forêt, s'était entretenu, discrètement, avec quelques chats d'autres Clans — trois. Je vous laisse deviner lesquels.

Il en avait dit beaucoup.

Peut-être trop. Peut-être s'était-il laissé déjouer par les piques de Petit Serpent quant à feue sa compagne. Peut-être avait-il vendu trop vite sa relation avec Moineau Cendré, le Lieutenant du Clan du Vent. Peut-être aurait-il du s'en tenir à une offre d'écureuil avec Étoile Feulante et n'en offrir à personne d'autre ensuite. Coup de Foudre ne regrettait rien cependant, car le regard qu'on lui portait était nouveau...

Mais intense.

Intense: quand il ramena le convoi avec lui, à la queu-leu-leu dans l'herbe haute en direction de leur forêt, il sentit le jugement des guerriers du Tonnerre sur lui comme des piqûres d'insectes sur sa peau. Ses deux oreilles s'étaient pivotées vers l'arrière et sa queue s'était levée bien haute et on compris.

Il allait tenir sa promesse.

Cette nuit, promis, il irait aux Hautes-Pierres changer son nom et chercher les vies.

C'est pourquoi on se demanda ce qu'il faisait à les raccompagner, plutôt qu'aller directement aux Hautes-Pierres. Se moquait-il d'eux? Ou bien c'était par souci de leur faire plaisir (et soigner les apparences)? On murmura que sa petite fille, Nuage d'Ambre, était encore en convalescence chez la Guérisseuse après sa malencontreuse rencontre avec un Renard, et de là naquit une nouvelle hypothèse: Coup de Foudre les raccompagnait pour s'assurer qu'ils atteignent le campement et la barrière de ronces sains et saufs. L'idée semblait invraisemblable, mais la nuit avait été suffisament étrange pour secouer les puces et les idées que le Clan se faisait de leur chef-en-devenir.

Coup de Foudre fut le premier à passer le museau dans le tunnel de ronces, suivit par le reste du convoi. Il s'assied en bordure de l'entrée et laissa passer, un à un, les guerriers qui l'avaient accompagné. Ils se dispersèrent, se dirigeant chacun vers leur respective tanières, museau contre museaux et langues et oreilles à se retrouver en famille en conjoints en amis entre potins. Et en distance, le bengal s'était assit, les oreilles droites, scannant le campement à la recherche d'une pelisse en particulier.

— COUP DE FOUDRE !!!

On s'écarta de son chemin. Personne n'aimait vraiment être dans celui d'une Arc-en-Ciel en colère.

On se retourna vers le chef, qui opina du sien à sa fille, à mille lieux du courroux qui lui dressait les poils comme des éclairs.

— ...Tiens, Arc-en-Ciel. Justement, je devais te parler.
— On m'a raconté l'Assemblée !

D'un fouet de la queue furieux, elle désigna les coupables et Coup de Foudre les avisa - Tache de Poire et Sève de Sapin. Il ne reconnut pas leurs noms mais la couleur de leurs pelisses. Surtout Tache de Poire, à vrai dire: il se souvenait que sa fille était encore chaton qu'il leur collait au train comme de la sève.

— Pourquoi ? Pourquoi as-tu dévoilé les faiblesses aux autres Clans ! Si t'en as marre de mener ce Clan, alors laisse la place à quelqu'un de bien plus méritant que toi !

— Tu veux dire, quelqu'un comme toi? lui renvoya Coup de Foudre tout en dérision et en fatigue, toujours immobile à côté du tunnel de ronces. Provocation faite, il prit le temps de se relever sur ses pattes, qui l'élançaient un peu après l'aller-retour, mais les escapades cette nuit étaient loin d'être finies.

— ...Ça te gênerait qu'on sorte pour traiter -- il souleva une patte, la pointa à sa fille, décrivit un vague mouvement circulaire en faisant la moue, -- traiter tout... ça? La nuit était longue, tout le monde a besoin de repos, mm? Je suis sûr que tu comprends.

On se raidit.

Personne n'ignorait vraiment l'hostilité que portait la fille à son père.

Après une punition humiliante devant tout le Clan, après avoir été destituée à faire le boulot d'un apprenti (Arc-en-Ciel avait attaqué feue Nuage du Rossignol après une dispute d'ordre familial; Coup de Foudre les avait toutes deux punies à des corvées supplémentaires pour avoir fait gaspiller des plantes à leur guérisseuse) on se demanda, l'espace d'un moment, si la laisser passer le tunnel avec leur chef-en-devenir était une bonne idée.

...Et pourtant, on les laissa faire.

Coup de Foudre sortit le nez du tunnel, respirant l'air chaud de cette nuit d'été, confortable dans l'obscurité. Sa fille, derrière, détonnait avec ses taches blanches, vêtue d'un pelage clair qui se prêtait mieux aux chasses à l'aube; lorsqu'il se tourna pour l'aviser d'un geste de la tête à l'accompagner, l'éclat de la lune reluit dans le fond des yeux d'Arc-en-ciel et sa paupière nictitante. Ses pupilles, rondes, étaient figées sur lui. Plus que des piqûres sur sa peau il sentit le dard se planter dans ses veines.

— ...Te voilà bien calme, pour quelqu'un qui semblait prête à m'invectiver devant la totalité du Clan.

À quoi tu penses, Ciel?

Lui faisant dos, la queue haute, le pas sûr, Coup de Foudre s'éloigna de la palissade de ronces et de la protection du campement, s'engoufrant avec elle entre l'arbre et l'écorce. Il ne prit pas la peine de tourner la tête ou de regarder par-dessus son épaule, baigné dans l'ombre et à l'abri des regards. Le bruissement des feuilles vertes ponctua avec lui les réflexions qui fomentaient dans son esprit.

— Nan... Par les arbres? Il s'enquit alors, lui faisant bien sentir son sourire dans sa voix, à défaut de se tourner pour le lui montrer. Le front? Remarque, le Chemin du Tonnerre est tout près.

Coup de Foudre ondula sa queue à la levée d'une brise, avant de la dresser bien haut au-dessus de sa croupe:

N'empêche, ce serait ennuyant de passer sous les pattes du Monstre sous lequel tu comptes me pousser...!

Derrière lui, le mouvement (mais pas la menace), se stoppa. En retour, Coup de Foudre stoppa sa patte, si ce n'est pour effectuer une demie-volte et faire profil à sa fille. Il se confronta à la stupeur dans ses yeux ronds en lui faisant voir la placidité dans les siens.

— Comment tu sais ? elle lui demanda.

La forêt pesa son jugement — sur la fille, qui considérait le patricide pour faire revivre les traditions des cycles d'avant, et sur son père, ion libre et visionnaire qui désirait construire un futur qui semblait n'intéresser personne. Les feuilles bruissaient au-dessus, le feuillage couvrant partiellement les yeux des Étoiles dans leur toison. Coup de Foudre avait les deux pattes sur terre, et les griffes rentrées, quand il répondit à sa fille.

— Pose-toi la question, Ciel. Crois-tu être la seule à me vouloir mort?

Malgré la dérision dans son ton, il n'eut plus le coeur à sourire. Elle était sérieuse avec lui; il se devait donc de l'être avec elle, aussi il la relança du menton.

— Et si tu te demandais plutôt, pourquoi je te laisserais faire? Pourquoi je ne résisterais pas? Il secoua sa tête — pour lui, tout ces jeux d'esprit étaient comme des sables mouvants.

— Arc-en-Ciel, il dit alors, réaguillant le tir, sais-tu pourquoi je voulais te parler? À toi, et à personne d'autre?

Rien du tout.

Comme tétanisée, elle le regardait sans comprendre, sans ne jamais l'avoir compris, et pour peu Coup de Foudre se retint de rouler les yeux. Meuh bien sûr que la grânde Arc-en-Ciel ne savait pas ce qui se tramait dans sa tête cassée, parce-que tout ce qui l'intéressait, c'était sa petite pomme à elle. Et ça voulait être cheffe? Ça voulait devenir responsable de paires et de paires de pattes dont elle ne se soucierait jamais de marcher leur même pas? Coup de Foudre secoua sa tête, et trancha l'air de sa queue.

— Rien du tout, mm? Dommage.

Il prit un air ennuyé, pivotant sur les pattes pour s'en retourner vers la forêt. D'une voix forte, sans lui prêter un seul autre regard:

— Bon, tu te décides? Tu me tues, tu rentres, ou tu me suis? Cette nuit, j'ai autre chose à faire que de t'aider à démêler tout tes biais cognitifs.

Petit un, même s'il lui montra son dos (et sa croupe, et sa queue levée bien haute en paratonerre à sa hargne), Arc-en-Ciel ne se jeta pas sur lui. Sans doute parce-qu'elle attendait une meilleure opportunité, mais il était aussi probable qu'il l'ait complètement déboussolée en défrichant aussi facilement les os de son plan.

Petit deux, même sans savoir ses plans à lui, indéniablement, sa curiosité était piquée: Arc-en-Ciel s'était hâtée de le suivre sans même savoir où il allait. Et si ce n'était pas plutôt lui qui la menait vers un piège?

Petit trois...

— Et donc, où vas-tu comme ça ?

De loin, on aurait presque pu s'imaginer qu'il s'agissait d'un tandem de patrouille - enfin, si on ignorait la pelisse d'Arc-en-ciel, dont la clarté se camouflait mieux dans les lueurs de l'aube que dans la noirceur de la nuit...

— Tu n’as rien dit à Ciel avant de partir.

Mm, tout juste.

— Et pourquoi Ciel ? elle demanda. Il y avait mieux comme escorte pour toi, non ?
— ...Si je comprends bien, ta théorie c'est que tu m'escortes? Coup de Foudre lui retourna la question, toujours sans se retourner.