Le long de la rivière || Petite Bécasse, Petit Souffle & Petite Nuit - abandon

Source de Secrets était devenue mère. Enfin, elle était censée l’être, en toute logique. Elle avait porté des chatons pendant deux longues lunes, avait accouché dans la douleur (et s’était jurée que c’était bien la première et la dernière fois), et, depuis deux autres lunes, s’occupait des petits. De beaucoup plus de petits que prévu, en fait. En plus des siens s’étaient ajoutés ceux de sa sœur, Louve des Bois. Il fallait ajouter à cela les autres marmots sur lesquels elle devait veiller lorsque leur mère sortait prendre l’air. La Reine bicolore, elle, n’avait jamais osé prendre du temps pour elle. Elle avait plus de responsabilités qu’elle n’en avait jamais eu jusque là, et la dernière fois qu’on lui en avait confié, c’était pour l’entraînement de Nuage de Rossignol. Alors, malgré la présence de Lycaon pour l’aider, elle avait décidé de ne jamais s’éloigner trop longtemps, de toujours rester à la pouponnière, de s’occuper jour et nuit de ses enfants et de ceux des autres.
Mais à trop vouloir en faire, elle avait l’impression de ne pas pouvoir vivre son rôle de mère. Quand avait-elle seulement eu un moment privilégié avec ses enfants, seuls à seuls ? Ce n’était encore jamais arrivé. Même après la naissance de ses petits, elle avait du veiller rapidement sur Petite Feuille et Petite Glycine, nés quelques jours plus tôt. Elle avait accepté avec plaisir, bien sûr ! Mais elle n’avait certainement pas anticipé la charge de travail que cela lui ajoutait, et cette petite frustration, aussi.

Aujourd’hui, les petits avaient deux lunes bien engagées, et, qu’elle le veuille ou non, ils s’éloignaient immanquablement. Ils marchaient de façon plus adroite, pouvaient même courir, sauter, et ressemblaient plus à de vrais petits enfants qu’aux bébés qu’ils étaient quelques jours plus tôt. Impossible de les garder confinés à la pouponnière, pour son plus grand désarroi. Elle se sentait tellement anxieuse qu’elle avait l’impression que sa tête allait exploser. Voir les autres Reines élever leur bébés avait toujours semblé si simple, pourtant !
Mais c’était trop pour elle — il fallait qu’elle sorte, qu’elle s’échappe quelques heures de cette pouponnière qui devenait chaque jour de plus en plus étroite. Et qu’elle profite de ses enfants, dans le même temps. Source de Secrets rassembla ceux qui étaient réveillés, et laissa la responsabilité du reste à Lycaon.

— Petite Bécasse, Petite Nuit et Petit Souffle ! appella-t-elle alors pour réunir ses 3 petits garnements. Ils étaient si beaux… jamais elle n’aurait soupçonné pouvoir aimer d’une telle manière de petits êtres qu’elle ne connaissait que depuis si peu de temps.
Petit Souffle était le portrait craché de son grand-père maternel, Étoile Masquée. Petite Nuit, de son côté, ressemblait énormément à sa grand-mère maternelle, Jolie Abeille. C’était comme si malgré tout ce qui les avait séparé — les Clans, les lois, la maladie, puis la mort — ils ne s’étaient jamais quittés, et étaient revenus pour pouvoir vivre ensemble une vie où ils pourraient être heureux. Et Petite Bécasse… Oh, Petite Bécasse. Elle ressemblait tant à sa tante Nuage de Rossignol. Son cœur s’était serré si fort quand elle l’avait vue pour la première fois — son petit corps ambré tellement, tellement fragile.
L’histoire de la famille de ces chatons était semée d’embûches et de tragédies, mais Source de Secrets avait décidé qu’elle n’en ferait pas un fardeau pour ses enfants. Non, ce serait quelque chose dont ils devraient être fiers.
— Et si je vous disais qu’aujourd’hui… annonça-t-elle d’une voix toute excitée, en laissant un peu planer le suspens. On sortait du camp, pour la première fois. Juste vous et moi ? Ça vous tente, d’aller voir la rivière ?

Petite Nuit avait été réveillée tôt, comme bien des jours auparavant. Jamais n'avait-elle eu le véritable luxe de dormir comme souhaité, jamais elle n'avait connu la paix et la tranquillité dans sa famille puisqu'elle était née et vivait avec Petite Bécasse. Et d'aussi longtemps qu'elle s'en souvienne, même lorsqu'ils ne parlaient, même lorsque leurs petits yeux étaient restés clos : l'existence de sa sœur se résumait aux petits cris et autres braillements. Evidemment, la petite noiraude avait fait avec, car elle aimait et aimerait toujours sa sœur qui en était ainsi faite.

Et aujourd'hui, cette matinée prématurée avait son lot de consolation, car sans elle, la bicolore n'aurait jamais eu la chance d'entendre une si stupéfiante proposition de la part de sa mère. Source de Secrets les avaient rassemblés : Petit Souffle, Petite Bécasse et elle, les portraits crachés de leurs ancêtres, dans la joie de leur montrer la rivière.

Oh que oui, la petiote en était plus que ravie, elle avait tant hâte de ce moment privilégié avec sa mère qui en restait si rare. En général, c'était leur père qui venait les chercher pour soulager leur génitrice qui avait beaucoup à faire, malheureusement. Mais aujourd'hui, ce n'était pas le cas. C'était enjouant, entraînant mais quelque peu angoissant... La rivière, elle la craignait. Ou plutôt craignait-elle les chats des rivières dont Queue de Lézard ne cessait de les mettre en garde. « Mais... Maman... La rivière ça fait peur. » dit-elle un peu angoissée mais aussi tiraillée de se voir retirer de cette petite escapade familiale. « Tu-... Tu promets que la méchante des rivières viendra pas nous embêter ? », la crainte de découvrir l'immense Etoile Déchirée lui tordait les boyaux. Mais si sa mère lui promettait de les protéger, alors elle n'aurait rien à craindre. Car sa maman restait sa maman, la plus grande force protectrice des quatre clans.

« - Petite Bécasse, Petite Nuit et Petit Souffle ! Et si je vous disais qu’aujourd’hui… On sortait du camp, pour la première fois. Juste vous et moi ? Ça vous tente, d’aller voir la rivière ? »

« Mais... Maman... La rivière ça fait peur. Tu-... Tu promets que la méchante des rivières viendra pas nous embêter ? »

« POUR DE VRAI ?! T'inquiète P'tite Nuit ! Avec Souffle et Maman, on pourra tous se protéger ! Hein qu'c'est vrai Petit Souffle ?! Et hein maman ?! »

« Sympa la nage ! Héhé »