Question d’avenir || Petite Nuit - abandon

Tous les enfants jouaient dans la clairière du camp. Lycaon, lui, était parti prendre l’air, tout comme la mère de Patte Céleste, qui l’avait suivi peu après. Il ne restait, dans la pouponnière étrangement silencieuse en ce doux jour d’automne, que Source de Secrets et sa fille, Petite Nuit.
Si la jeune mère l’avait initialement punie, avec Petite Bécasse, pour être sorties seules du camp pour se rendre à la rivière quelques jours plus tôt, elle n’avait pu se résoudre à faire durer cette punition. Elles étaient jeunes, mais étaient désormais plus proches de leur baptême d’apprenties que de leur naissance. Elle voulait que ses enfants profitent de cette insouciance, de cette innocence qui les quitterait bientôt. Qu’ils puissent courir et crier dans la clairière du camp sans les regards durs et emplis de jugement des guerriers. Mais pour une raison ou pour une autre, Petite Nuit avait choisi de rester dans la pouponnière, plutôt que de rejoindre les autres.
— Tu peux aller jouer, tu sais. Tu n’es plus punie.
Il eut un court moment de silence, puis elle soupira.
— Je ne comprend pas. Ni toi, ni Petite Bécasse n’êtes idiotes. Vous savez pertinemment qu’à votre âge, sortir du camp sans être accompagnées est dangereux, ce n’est pas comme si on ne vous l’avait pas répété encore et encore. Vous m’avez fait peur, toutes les deux. Vraiment très, très peur. Pourquoi est-ce que vous avez voulu aller à la rivière seules, alors qu’il suffisait de me le demander ? Qu’est ce qui vous est passé par la tête ?
Son ton était posé et doux. Elle ne voulait pas que sa fille lui rende des comptes, elle voulait juste comprendre. Est-ce que le Clan de la Rivière les attirait ? Une partie de leur sang appartenait à ce Clan, après tout. Elle passa tendrement un coup de langue sur le crâne de sa fille.
— Je ne refuserais jamais de vous accompagner à l’extérieur pour une balade. Je peux demander à Lycaon de garder les autres, en attendant. Alors la prochaine fois, promettez moi de venir me chercher, d’accord ? Plus d’aventures en solitaire. Heureusement que Nuage de Poulpe passait par là au bon moment.
Sinon, le Clan des Étoiles seul sait ce qui aurait pu leur arriver…

Petite Nuit scruta les environs, remuant la queue lorsqu'elle s'amusait à observer les autres chatons devant la pouponnière... Ou presque. Elle était perdue dans ses pensées, et ses yeux reflétaient une certaine absence de sa part, que Source de Secrets ne pourrait deviner. Elle lui tournait le dos, et la mère crut d'abord que la petiote avait oublié la levée de sa punition : mais il n'en fut rien. Si la noiraude avait eu bien des regrets de s'être faite grondée par (surtout) sa mère, cette escapade avait fait jaillir un monde inouï d'interrogations dans sa tête. L'idée d'en parler avec sa génitrice la démangeait, mais ne serait-elle pas en colère ?

Seulement, Source ne la gronda pas plus. Elle semblait toujours dans l'incompréhension, mais sa voix douce trahissait ses sentiments. La colère l'avait quitté, mais la crainte de perdre ses filles était toujours présente. Et la tristesse, ça, Petite Nuit ne l'aimait pas tellement, au point d'en baisser les oreilles de dépit. Cependant, elle eut le courage de se tourner vers sa chère mère, le regret se lisant sur son visage. « On-... On voulait revoir la rivière... » miaula-t-elle en guise d'explication, celle qu'elle avait déjà entendu depuis mille fois par la bouche de Petite Bécasse. Ce par quoi leur maman répliquait toujours qu'elle aurait été présente pour les accompagner, si cela avait été proposé plus tôt. Et la bicolore en recroquevilla toujours plus la tête dans ses épaules, fuyant un peu son regard si semblable au sien. « Pardon, maman... » souffla-t-elle doucement, comme depuis plusieurs jours auparavant. M'enfin, peut-être valait-il mieux donner le fin mot de l'histoire, tout lui dévoiler ? L'idée lui semblait facile, moins d'être mise en pratique. Mais qu'importe, si elle arpentait le chemin doucement, tout irait bien. « C'est juste que... On est un peu tous grands maintenant, et on te fatigue beaucoup. On pensait pas faire du mal... On voulait juste savoir si la rivière c'était mieux. » expliqua-t-elle, avant de redresser sa tête afin d'avoir sa mère en visuel « Tu sais maman, je sais même pas si je pourrais être une bonne guerrière du Tonnerre... Ou de la Rivière. », puis elle soupira. Elle leva la patte droite et la montra à Source de Secrets afin qu'elle comprenne où elle voulait en venir. « Regarde, j'ai des palmes... Mais elles sont toutes rikiki. » dit-elle non sans écarter ses doigts pour lui montrer la forme de ses palmes si étranges contrairement au reste de sa fratrie. Elle était l'étrangeté même, un mélange entre Tonnerre & Rivière, une case à part...

Entre chatouilles et bisous d'amour, la petiote ne put glousser entre les pattes de sa mère qui la mettait toujours plus en garde contre les dangers de la forêt et notamment les hiboux qui entraient dans cette période de provision. Avec sa fratrie, ils étaient peut-être plus grands qu'il y a trois lunes, mais restaient des proies de choix pour ce genre d'oiseaux qui les guettaient du creux de leur arbre. C'était une pensée effrayante, qui glissa comme un rien près du creux de ses oreilles. Car le calme et la tendresse de Source de Secrets firent passer ses dires comme une histoire pour chaton.

Puis la bicolore la délivra de cette étreinte rassurante lorsqu'ils passèrent à cette conversation plus sérieuse. Toutes ses interrogations que Petite Nuit se posait depuis son escapade, depuis leur sortie à la Rivière. La cause de tout cela étant sa différence : ses petites palmes qui lui faisaient défaut dans sa fratrie. Mais pour sa mère, elles étaient parfaites ainsi, pour lui dévoiler à son tour les siennes. Semblables à Petite Bécasse, Petit Souffle, Patte Venteuse et tant d'autres. Mais bien différentes du reste du clan. Elle était sang-mêlée, loin de trouver sa voie, avant de devenir la mémoire de son père. « C'est vrai ? Tu aides toujours papi Foudroyante à se souvenir ? » demanda-t-elle, des étoiles dans les yeux de découvrir la potentialité de rôle qui s'offrait à sa famille.

Puis la femelle masquée finit par lui parler de ce choix d'avenir. Contrairement à ce que disait les autres, elle pouvait choisir. Et elle devait choisir, pour son bonheur, bien qu'il lui restait encore bien du temps. Quelques lunes la séparait de son baptême, lui laissant la réflexion nécessaire. Mais si elle savait déjà ? « Tu crois que je pourrais être une guerrière-sseuse ? Je pourrais vous aider, et vous soigner avec pleeeeeins de plante !! » s'exclama-t-elle toute joyeuse avant de reprendre « Je serais toute gentille, comme Nuage de Poulpe ! Je pourrais donner de l'aide à Moustache Hirsute et le rendre moins grognon ! » toujours cet éclat dans le regard bleu identique à son interlocutrice. Elle ne se l'avouait pas encore, mais la voie de guérisseuse l'attirait sans qu'elle ne puisse faire un choix définitif. Malgré les belles paroles de sa mère, l'esprit clanique restait implanté dans son esprit : et il était difficile d'identifier une autre voie que celle de guerrière.

Forcément que Source n'était plus le pense-bête de son père, elle était elle-même mère et presque-mère d'une bonne tripotée de chatons. Mais ça lui convenait, car elle prenait son rôle à cœur, au point où sa vie d'aujourd'hui semblait être un des moments les plus heureux. Ses enfants la comblait de bonheur et il n'y avait rien de mieux pour elle. Petite Nuit ne put répondre qu'avec son ronronnement de chaton, très rapide, contente qu'on lui rappelle que sa génitrice tenait à ses petits.

Puis la petite aux deux couleurs lui avait fait part de son envie d'être guerrière-sseuse, ce qui n'était évidemment pas un rôle facilement déchiffrable. Pour cause, il n'existait pas. Source de Secrets comprit donc sa formulation comme un aide-guérisseur comme on en connaissait peu au Tonnerre. Rares étaient les fois où Petite Nuit en avait entendu parlé, et pourtant, elle devinait déjà que là n'était pas sa voie. Mais comment formuler cela devant tant de hâte de la part de sa mère ? « Ouiii... » finit-elle par dire entre ses dents, le timbre ne suivant pas la phrase. Il était donc aisé de deviner que l'idée ne l'enchantait guère. « Mais-, je suis pas trop sûre. » expliqua-t-elle, sans avouer qu'elle ne voulait pas être aide-guérisseur, elle ne voulait pas vexer Source de Secrets après sa si belle offre. « Ça fait peur un peu. » continua-t-elle, expliquant à demi-mots qu'elle n'aimait pas non plus faire des demandes qui sortaient du lot, encore moins à Moustache Hirsute qui semblait un peu... Bizarre.