Rancœur et pardon || Nuage de Tempête - end

C’était tout de même amusant (mais également terrifiant) à quel point la vie était imprévisible, et ne suivait pas un chemin tout tracé. Personne, dans la Forêt de Cerfblanc, n’aurait sans doute pu prédire les retournements de situation qui avaient eu lieu, ces derniers jours, dans la vie des apprentis du Clan du Tonnerre.
Qui aurait cru que Nuageuse Nuit s’engagerait finalement dans la voie des apprentis guerriers ? Que Petite Feuille irait jusqu’à refuser son nom ? Que les relations avec son frère se briseraient, et que ce dernier se rapprocherait de son tout premier ennemi, Nuage de Tempête ?
La vie était pleine de surprises qui les attendaient tous au tournant.

Pendant un instant, Nuage de Glycine en oublia les différents qui l’opposaient à l’autre apprenti — non pas la transphobie, ça, c’était du passé — mais la rivalité et la jalousie. Il s’essuya les yeux une bonne fois pour toute quand il lui demanda d’arrêter de pleurer, hocha la tête de façon un peu plus assurée pour se ressaisir. Et, par deux fois, il admit qu’il le respectait.

C’était bizarre, très bizarre même, mais sincère, et ça réchauffait le cœur de Nuage de Glycine. Il osa même un sourire, un peu tordu par ses récents sanglots et par la gêne.

— Je le redirais pas non plus mais… moi aussi je te respecte.

Il n’osait même pas regarder Nuage de Tempête dans les yeux — à la place, il fixa le sol, puis son nid de mousse.

— M-Merci encore, Nuage de Tempête.

« Je le redirais pas non plus mais… moi aussi je te respecte. » Ca aurait dû lui faire plaisir, mais au fond, cela lui semblait normal. Il fallait bien du respect, non, pour avoir l'envie de surpasser un rival ? Et, au fond, il avait toujours plus ou moins sut qu'ils allaient le devenir avec le temps.

« M-Merci encore, Nuage de Tempête. » Il grimaça et détourna une nouvelle fois le regard. C'était, au fond, tellement gênant ! Il savait qu'il avait bien agit, écoutant son instinct et son coeur mais, ces mots, sortit de cette bouche-... Il retira sa patte. Il suffisait, trop de tendresse pourrait le tuer !

Il se redressa sur ses quatre pattes, haussa vaguement les épaules en redressant ses minuscules oreilles.

« Ce n'est rien. Le clan n'a pas besoin de mousse pleine de sel et de morve. » Ses mots étaient durs, mais il en était convaincu. Il ne savait toujours pas vraiment ce qui l'avait pousser à faire ça. Il aurait put enfoncer Nuage de Glycine, se hisser tout en haut.

Mais non. Au delà de la nuisance réelle que cela provoquerait pour le clan, il ne voulait pas. Pas comme ça.

Songeant qu'il en avait assez, voir trop dit, il se détourna. Sa longue queue - trop longue, elle le déséquilibrait - se redressa fièrement alors qu'il entama sa marche maladroite vers la sortie. Il s'arrêta à quelque pas, pourtant, jetant un regard par dessus son épaule au chaton à peine adolescent qui était toujours allongé dans son nid.

« Et ne pense plus à elle, tu veux ? Ta vraie famille, c'est le clan tout entier. Elle a fait son choix, fait le tiens. » Et puis, sans plus d'explication, il se dirigea vers la sortie de la Tanière.

Il avait un entraînement à finir, non ?

Petite Tempête était devenu Nuage de Tempête, et, en changeant de nom, il avait aussi changé aux yeux de Nuage de Glycine. Il n’était plus ce gamin hautain à l’air supérieur qui lui donnait envie de feuler chaque fois qu’il s’approchait un peu trop ou le fixait un peu trop longtemps. Il était toujours un peu irritant, au fond, et ça ne changerait sans doute jamais — mais était-ce une mauvaise chose ? Nuage de Tempête était devenu un rival, un objectif à surpasser, une raison pour ne jamais se laisser abattre.

L’adolescent maladroit se leva pour filer droit vers la sortie. Une dernière parole au sujet du sens du mot « famille », et le voilà parti. Nuage de Glycine ne sut réprimer un gloussement. Il avait l’air tellement ridicule, à ses yeux, à se prendre toujours tellement au sérieux du haut de ses six lunes. À croire qu’à peine sorti du ventre de sa mère, il avait remplacé tout le fun par un trop plein de sériosité qui du haut de ses deux lunes lui donnait l’air d’un vieux vétéran grincheux.

— Dans deux lunes ! appela-t-il une dernière fois son camarade qui s’en allait. Dans deux lunes, on fera un concours pour voir qui de nous deux est le meilleur !

Ça lui donnerait un but à ne pas perdre de vue, pour continuer d’avancer droit devant lui, même dans le plus froid et le plus violent des blizzards.

« Dans deux lunes ! » Nuage de Tempête s'arrêta. « Dans deux lunes, on fera un concours pour voir qui de nous deux est le meilleur ! » Il agita ses oreilles, elles se tournèrent vers Glycine avant sa tête, mais cette dernière suivit. Il l'observa un instant, circonspect, avant d'oser un sourire.

Nuage de Tempête ne souriait pas, jamais. Il n'y avait que sa mère, que Nuageuse Nuit et peut-être Bécasse la tête de linotte qui avaient dû avoir eut la chance de l'ombre d'un sourire.

Mais là, ce sourire, il était franc : vrai. Il souriait non seulement parce que Nuage de Glycine l'amusait, mais parce qu'il trouvait l'idée d'un défi franchement intelligente. Et puis, c'était excitant, cela lui donnait un réel objectif - autre que la satisfaction personnelle de s'améliorer et d'être utile au clan.

Il hocha la tête mais se garda de toute réponse et, enfin, il lui tourna le dos. Tout regonflé à bloc, qu'il était, Nuage de Tempête. Il allait le vaincre, Glycine, pas pour l'écraser, mais parce qu'il le considérait comme un adversaire à sa taille.