Pas d'Emmerdes

— J'y crois, fut tout ce que lui répondit Étoile Feulante, maître de lui-même, détenteur de toute sa tête et féroce gardien des tréfonds de son opinion.

Sans ne cacher un tic de sa langue, Étoile Foudroyante fut déçu que sa provocation ait si peu d'effet. Mais il était bon joueur, et surtout, bon perdant: il n'était pas l'ennemi de Feulement.

Aussi il haussa les épaules, fermant doucement les paupières, poussant un soupir pour allégrement rebondir:
— En même temps, vu notre position, difficile de nier leur existence.

Chacun de son côté, leur toilette se poursuivait sans accroc, du moins jusqu'à ce qu'un autre ricanement ne vienne secouer les épaules du bengal qui avait aplati ses coussinets contre un oeil, se cachant la moitié du visage.

— ...C'est marrant, quand même.

Je crois que ma relation avec les Étoiles est la seule dont les sentiments sont réciproques.

Secret du Firmament avait cultivé un amour curieux, l'amour d'une mère, l'amour de l'amante jalouse et l'amour de son amie la plus proche et il n'en ressentait que la dernière. Waffle n'avait jamais voulu s'affirmer; Douces Caresses ne lui avait même pas demandé son nom; Tigre Maussade s'était cru sa bride, son exception; Moineau Cendré --... l'avait laissé sur sa faim, même après qu'il ne soit venu s'excuser.

Il n'y avait que les Étoiles qui lui vouaient la même haine qu'il leur vouait lui-même.

— ...Marrant, ou triste.

Ou simultanément les deux en même temps?

"En même temps, vu notre position, difficile de nier leur existence.
— Mhh."

Pendant un instant le bavardage des deux félins fut entrecoupé d'un silence, l'un et l'autre s'appliquant alors à lisser le poil qui habillait leur corps. Dans leur mutisme le jacassement des pies fut remplacé par le chant des moineaux et le grincement des pins s'éleva par-dessus la brise. Là-haut, le soleil dominait encore fièrement les bois, couchant ses rayons d'or contre la fourrure de leur dos.

Du coin de l'œil, le ricanement de Foudre attira l'attention de son homologue.

" ...C'est marrant, quand même. Je crois que ma relation avec les Étoiles est la seule dont les sentiments sont réciproques. ...Marrant, ou triste. "

Il ne trouvait pas la solitude du bengal particulièrement drôle. Ne sachant trop quoi répondre Feulement se contenta d'hausser des épaules avant de reprendre sa toilette. Entre deux coups de peigne son regard se posa sur les restes de l'écureuil, se demandant comment les chats du Tonnerre se débrouillaient pour les chasser. Sautaient-ils eux aussi de branches en branches?

Sur les terres de l'Ombre on pouvait occasionnellement apercevoir des rongeurs grimper contre le pied des arbres, mais une fois perchés, impossible de les suivre. Le tronc des sapins s'élevait bien trop en hauteur et leurs doigts d'épines n'étaient pas assez épais pour supporter le poids d'un guerrier.

La curiosité du meneur finit par le pousser à prendre la parole et c'est en désignant la carcasse d'un mouvement de son museau qu'il demanda :

" Comment est-ce que tu les attrape? "

Ça avait été plus fort que lui, il s'était épanché sur ses sentiments. Bah - même un haussement d'épaules lui en dit long sur l'avis d'Étoile Feulante, suscitant au bengal la pareille. En retournant à leur toilette solitaire, il se risqua un regard sur l'autre meneur, regrettant aussitôt son geste. Le géant de l'Ombre n'en avait pas que l'envergure: sa langue plate et rugueuse valait bien deux fois la largeur de la sienne, en volume. Toute sa bonne volonté ne retint pas à ses griffes de bondir de leurs fourreaux et donc de s'entailler la langue en se nettoyant les coussinets. « Ack-pfft--! ». Étoile Foudroyante secoua sa tête, rentra sa langue, poussa un bref crachat et se frotta le museau avant de reprendre sa toilette (en s'assurant méticuleusement de rentrer les griffes).

Okay libido, tu te calmes maintenant, se garda-t-il de gromeler, retournant sa patte pour plutôt remonter l'avant-main jusqu'à l'épaule. Mine de rien, il enviait cette quiétude au meneur de l'Ombre. Au Campement du Tonnerre, sauf lorsqu'il se taillait le temps d'un somme sur les Rochers du soleil, bordant la Rivière, tout le monde parlait, feulait, miaulait, riait. S'il n'était pas toujours joyeux, le campement battait alimenté par la vigueur de ses guerriers, apprentis, et tous les chatons qui s'échappaient de la pouponnière les reines à leurs trousses. Même recalés au creux sous leur souche, il n'était pas rare d'entendre leurs anciens râler et se languir d'une autre vie, contribuant à l'atmosphère du Clan.

Comme lui - Étoile Foudroyante aimait se consoler qu'il avait au moins la décence de retenir près de quatre-vingt-dix pourcent de la totalité de tout ce qu'il voulait râler.

...Toute vérité n'était pas bonne à dire.

Il en avait le nez dans le creux du flanc qu'Étoile Feulante l'apostropha.

— Comment est-ce que tu les attrape?

Les oreilles du bengal se redressèrent au rebond de sa tête, et il la tourna afin de suivre du nez ce que lui pointait celui du Géant. Comment on attrapait... les écureuils?

— ...Avec de la chance, avant qu'ils grimpent. Mais bon, de la chance, ce n'était pas à Étoile Foudroyante qu'on en donnait. En les pourchassant entre les branches, sinon. Leur agilité surprend, mais il suffit d'anticiper leur chemin pour les aplatir et les achever d'une morsure fatale. Sa queue se souleva, puis tapa le sol. Elle le fit deux fois, tandis qu'il se construisait le portrait d'une chasse d'écureuil typique. ...Pour ma part, puisque l'inertie d'un bond les empêche d'agiter leur queue, je les cueille au vol.

Avec la patte arrière qu'il était en train de se toiletter, il désigna les poils touffus et pour le moins épineux qui servait de queue à leurs repas.

— C'est râpeux sur la langue, mais j'aime bien la leur tirer.   Tu veux essayer?

Foudre interrompu brièvement ses coups de langue pour répondre:

" ...Avec de la chance, avant qu'ils grimpent. En les pourchassant entre les branches, sinon. Leur agilité surprend, mais il suffit d'anticiper leur chemin pour les aplatir et les achever d'une morsure fatale. "

Et ne pas tomber surtout. Étoile Feulante peinait à s'imaginer poursuivre une bestiole si svelte. Ses grosses pattes s'adaptaient aisément à la boue des marais, aussi, la fourrure qui poussait entre ses coussinets les protégeaient de l'usure des épines qui jonchaient le sol— en revanche, il n'était pas très agile pour un chat.

S'il s'amusait à grimper comme le faisait le chasseur d'en face il finirait probablement par se blesser.

" ...Pour ma part, puisque l'inertie d'un bond les empêche d'agiter leur queue, je les cueille au vol. L'iner-quoi? C'est râpeux sur la langue, mais j'aime bien la leur tirer. Tu veux essayer? "

Les iris de l'ombreux se posèrent sur l'animal roux. Il étira son bras pour venir toucher du bout de ses griffes la queue duveteuse de l'écureuil. D'abords doucement, puis, en lui affligeant un petit coup.

C'est vrai qu'elle n'était pas très douce au toucher.

" De? " La tirer? " Il est mort ton truc. "

Alors il n'en voyait pas le principe.

Piqué de curiosité, le Géant testa les mots du bengal en effleurant du bout de ses griffes les poils de la queue du repas qu'ils s'étaient partagés.

Confirmant la texture incomparable, son examen fut succédé d'un vif coup de patte contre la carcasse, comme s'il eut espéré un dernier souffle de vie de sa part. Sauf cliqueter les côtes de sa cage thoracique, la carcasse chut, incapable de se plaindre de l'abus de sa queue touffue.

— De? La marche à suivre semblait confondre Étoile Feulante. Il est mort ton truc.

Tout bas, Étoile Foudroyante se pris à rigoler.

— Et alors?  C'est juste pour jouer.

Bien que les écureuils lâchaient leurs meilleurs cris quand on leur tirait la queue lorsqu'il étaient encore en vie, la texture sur les dents était amusante. Étoile Foudroyante termina sa longue lapée de la croupe à la courbe de sa queue plaquée contre sa cuisse, et après s'être secoué, aplatit sa patte sur la queue touffue, sortant les griffes, et d'une torsion du poignet fit serpenter tout les poils de la queue en l'ondoyant au sol.

— Regarde bien--

Il cessa le mouvement, pesa son regard dans celui de Feulement, et d'un mouvement brusque, tracta la queue et l'écureuil vers lui « --Hop! » reprenant la secousse. Sa queue le trahit en tapotant au sol derrière lui.

Dans ses yeux, ses pupilles s'étaient dilatées, se prenant à jouer son propre jeu.

Le bengal sembla amusé par le commentaire de son voisin, accompagnant son rire d'un tressaut des moustaches avant de rétorquer:

— Et alors? C'est juste pour jouer.

Il pressa sa patte fauve contre le dos du cadavre puis mouva son poignet de sorte à ce qu'il s'articule. C'est alors que la queue du rongeur se mit à onduler sur le sol feuillu, comme s'il se débattait encore sous l'emprise de Foudre.

Sans qu'il ne s'en rende tout à fait compte lui-même, les iris d'Etoile Feulante réagirent au stimuli en se dilatant jusqu'à remplacer l'ambre de ses yeux par deux grosses boules noires.

— Regarde bien-- Le serpent de poils roux s'immobilisa, puis sans crier gare, bondit vers le matou qui le manipulait. --Hop!

Bien que l'ombreux ne s'était pas jeté sur la proie fictive qui s'agitait devant lui, ses grosses griffes s'étaient subitement refermées autour de la terre sur laquelle elles reposaient. Il ne pipa mot, son attention accaparée par l'étrange récréation de son homologue. Il n'était pas d'un naturel joueur pourtant, mais le meneur du Tonnerre avait sût tirer avantage de ses instincts de chasse.

Ce dernier, d'ailleurs, semblait se prendre à son propre passe-temps, trahissant son intérêt de plusieurs soubresauts de la queue.