Hello, old friend || Solo

Oh, hello, old friend.

Elle était là, devant elle, cette vieille amie inséparable qu’elle détestait tant. Elle reconnaissait ses formes, son odeur — avait son visage gravé si profondément dans sa mémoire qu’elle la voyait même les yeux fermés.
Face à celle qui venait de donner la vie, la Mort se tenait debout, impassible et droite comme toujours.

Seule, dans ce trou qu’elle avait passé les deux précédentes lunes à creuser sous l’un des gros pommiers pour retrouver la familiarité de son ancienne maison, Vent du Nord baissa la tête vers ses six petits.
— Laisse moi au moins le temps de leur donner un nom, murmura-t-elle, le cœur brisé par ce trop-plein de joie et de tristesse.
La Mort ne bougea pas. Les yeux rivés sur ce chaton roux, comme Aurore, et aux yeux cernés de noirs, comme les siens. Personne ne donnait d’ordre à la Mort, mais cette dernière était capable de faire preuve de respect, à celle qui l’avait tant côtoyée et si souvent accueillie.
Elle posa son museau contre le petit corps si fragile de cette petite au visage rond. Si douce, si belle, avec ses petites tâches qui rappelaient la lune, comme sa sœur, feue la porte parole de la Tribu dont elle avait pris la place, avait si souvent rappelé le soleil. Ces deux astres qui ne se côtoyaient jamais, mais qui dominaient le monde entier depuis le ciel. Elle avait connu, un jour, une magnifique chatte qui avait si souvent bouleversé son cœur. Elle espérait que sa fille hériterait de sa force de caractère — après tout, elle avait déjà hérité de sa beauté.
— Petite Lune.
Sa petite lune, si jolie. Elle l’embrassa, la serra contre elle, avant de la libérer lorsque la petite couina pour être laissée tranquille pour pouvoir manger. Vent du Nord se mit à rire. Tout juste née, et déjà si pleine de vie.
En regardant l’autre chaton qui dormait à côté, elle eut l’impression de revoir sa sœur lorsqu’elles étaient encore à la pouponnière. Elle était le portrait craché de Doux Alizé, avec son pelage blanc rayé de gris, et son air déjà si paisible et patient. Il y avait un chat parti bien trop tôt, qui ne quitterait jamais leur cœur, et qui aurait aimé ne jamais être séparé de sa chère et tendre.
— Petite Araignée, murmura Vent du Nord, le museau posé contre son petit front.
Pour qu’Araignée Tordue reste aussi proche que possible d’Alizé, qu’ils ne soient jamais séparés une seconde fois. Pour qu’il puisse vivre à travers les yeux de cet enfant cette douce vie qu’il aurait tant mérité.
Si Petite Araignée lui rappelait sa sœur, son autre fille, qui se gavait de lait à côté, lui rappelait Brise Argentée. Un peu comme Petite Lune, finalement. Son petit frère gris essaya de se frayer un chemin vers la tétine que s’était accaparé la Brise miniature. Cette dernière se mit à pousser un cri puissant, refusant qu’on lui prenne ce qui était à elle, et le repoussa d’un coup de patte. Tout doucement, elle repoussa le petit gris à côté, là où il y avait plus de place, et se reconcentra sur sa sœur. Déjà si vive et pleine de caractère. Il lui rappelait son meilleur ami, Corbeau Ensoleillé, qui avait été si brutalement arraché à la vie. Calme, doux, mais jamais du genre à se laisser marcher sur les pattes.
— Petite Pie, chuchota-t-elle à son oreille si minuscule. Pour qu’elle puisse voler libre et au delà des frontières.
Le petit gris, enfin, recroquevillé là où sa mère l’avait posé. Visiblement perturbé d’avoir été repoussé, il tétait en silence, les pattes toutes rassemblées contre son ventre rond. Il lui rappelait son père, mais la nacre était tellement fragile — celui là avait besoin de quelque chose de fort et de résistant, pour pouvoir faire face à la dureté du monde.
Le museau posé sur sa nuque, elle lui donna son nom : « Petit Silex. »
Le petit chaton blanc, à côté de lui, dormait à poings fermés, si calme et si détendu. Elle ferma les yeux, priant pour qu’il ne garde jamais ses yeux bleus, et qu’ils ne deviennent pas rouges non plus. Son pelage immaculé, sa présence si discrète lui donnèrent un nom déjà tout trouvé. Effleurant son petit corps de sa truffe, elle le baptisa, comme elle l’avait fait pour les autres. « Petit Silence ».

Et puis il y avait la petite dernière. Rousse, blanche et noire, et tellement, tellement minuscule. La plus petite de la portée, qui n’avait jamais bougé et ne bougerait jamais. Elle la serra contre elle de ses pattes avant, le bout du nez enfoui contre son petit corps, se retenant de pleurer pour ne pas la noyer de larme.
Pour celle qui lui avait donné une seconde chance dans la vie. Pour celle qui lui avait offert la chance de devenir mère. Pour celle qui n’avait jamais été destinée à vivre longtemps, mais qui avait toujours été destinée à de grandes choses. Pour sa sœur, pour le Soleil devenu Aurore.
— Petit Crépuscule.
Où que tu sois, prends bien soin d’elle. Elle lui confiait sa fille.

Acceptant l’inévitable, acceptant la vérité aussi cruelle que douce, Vent du Nord leva les yeux vers la Mort. Elle la laissa accueillir sa fille, la prendre toute entière. Et même si elle la connaissait mieux que personne, elle sentit son cœur se briser, en regardant la Mort lui prendre son enfant.

Et puis elle disparut. Aussi silencieusement qu’elle était venue, aussi indifférente qu’à son arrivée, elle était partie. Il ne resta plus, entre les pattes de la guérisseuse, que le corps sans vie de Petit Crépuscule. Elle lui offrit une dernière étreinte chaleureuse qui dura une nuit, pour s’assurer qu’elle n’ait jamais froid, durant ce grand voyage, puis l’enterra dans sa petite antre de fortune, juste à côté d’elle, pour qu’elle ne soit jamais seule le soir et n’ait jamais peur.

Dehors, aux premières lueurs de l’aurore, éclosent les premiers bourgeons de l’année. Le premier jour de la saison des feuilles nouvelles, ses enfants étaient nés.