Dans le noir (ft. Brasier)

DANS LE NOIR

ft. Nuage de Papillon

Ce soir-là, il n'arrivait pas à dormir. Tout ses petits camarades étaient déjà lovés dans leurs litières; Crocs de Ronce à l'autre bout de la tanière. Lui, repensait au passé mais aussi au futur. Il ne savait plus réellement quoi faire. Il avait perdu goût en tout; la nourriture était fade, le soleil était froid, les journées tristes et les nuits sans rêves. A quoi bon continuer? Pourquoi s'acharnait-il à vouloir voir de quoi serait fait demain, comme si tout allait changer en un claquement de griffe? Mite Blanche ne reviendra pas à la vie, Crocs de Ronce ne redeviendra pas sa compagne. C'était peine perdue. Chaque matin, il avait moins d'énergie que la veille, comme une lumière fatiguée qui vacille, menaçant de s'éteindre d'un instant à l'autre.

Il avait décidé de ne pas continuer cette torture; il ne trouverait pas le sommeil ce soir, pas besoin de s'acharner. Demain, ils devaient partir à l'assemblée, et il avait évidemment été choisit par son meneur pour en faire partie. Mais il ne ressentait aucune excitation, aucun intérêt, aucune envie. Ce n'était qu'une coquille vide. Mite Blanche n'était plus là pour lui donner envie, pour lui poser multiples questions, pour le faire sourire, le faire rire. Il ne contesterait pas la décision, et irait tout de même à l'assemblée, couvrir les clans adversaires de son regard fatigué et de son air indifférent. Il n'était là que pour l'image; un grand guerrier puissant et large, à la sale gueule et à l'air menaçant. Rien que pour avorter les possibles pulsions violentes de leurs voisins.

Il avait décidé de se rendre aux Trois Chênes; peut-être qu'une petite balade là-bas lui donnerait envie d'y retourner le lendemain, peut-être qu'il trouverait quelque chose d'intérêt là-bas. Peut-être qu'il y croiserait le fantôme du passé, peut-être qu'il y verrait Mite Blanche à ses côtés, avec son engouement infatigable, son large sourire et ses yeux brillants. Mais au fond, il savait que ce n'était que pour profiter du calme plat de la nuit, de la solitude d'un lieu sans loi, pour perdre son regard dans la voûte céleste en espérant y voir l'esprit de Mite Blanche. Le voir s'amuser de nuage en nuage, sauter d'étoile en étoile, sans peine, sans douleur. Libre.

Lorsqu'il était enfin arrivé, la nuit était déjà bien installée. Le Printemps offrait des nuits de plus en plus courtes, et cela l'arrangeait. Il passait moins de temps en proie à ses démons, et rempilait chaque jour aux premières lueurs de l'aube. Il s'était avancé entre les quatre chênes, étudiant leur feuillage de plus en plus épais, se sentant si petit à côté d'eux. Il se hissa sur le rocher, s'asseyant en enroulant sa queue autour de ses pattes, redressant sa truffe vers le ciel, noyant son regard dans les étoiles.

Il se sentait bizarrement bien; léger et lourd en même temps, comme s'il était au bord des larmes, la gorge nouée. Mais il avait une sérénité profonde, comme s'il se détendait lentement. Silencieusement, il offrait une prière à son défunt apprenti. Il espérait qu'il était heureux là-haut, qu'il ne souffrait plus, qu'il avait retrouvé sa famille, sa mère. Mais, de façon égoïste, il espérait aussi que Mite Blanche pensait à lui, qu'il ne l'avait pas oublié, qu'il lui offrait un peu de son temps pour l'épauler. Et à ce moment-là, il s'était senti moins seul. Moins triste. Comme si le petit blanc était à côté de lui, comme s'il pouvait sentir sa fourrure contre la sienne, comme s'il pouvait entendre son rire cristallin, sentir son odeur. Des souvenirs lointains, des illusions. Il ferma les yeux, profitant de cette douce sensation encore un instant de plus, en sachant qu'elle s'effacerait aussi rapidement qu'elle était apparue. Que ce n'était qu'éphémère.

« - Pardonne-moi.. » souffla-t-il pour lui-même, d'une voix cassée par la peine qui le noyait.

Il faisait si noir.

DANS LE NOIR

ft. Nuage de Papillon

Il embrassait cette étreinte douloureuse, cette caresse brûlante, écoutant le vent se glisser entre les feuilles, le bois craquant et les branches dansantes. Les yeux fermés, il profitait de cet instant si calme, rempli d'une nostalgie amer, comme s'il était coincé dans un collet qui se resserrait lentement. Mais, finalement, il acceptait cette fin, il acceptait cette peine car il savait qu'elle serait là jusqu'à sa mort. Jamais il ne l'oublierait, jamais il ne passerait à autre chose, car il se sentait incapable d'avancer sans lui. Et pourtant, c'est ce qu'il faisait, car il n'en avait pas le choix. Mais il n'y avait pas une journée sans qu'il ne pense à lui, un soir sans qu'il ne prie pour lui. Il savait que Mite Blanche aurait préféré qu'il l'abandonne au passé, pour qu'il puisse profiter de sa vie.

Il sentait ses yeux lui piquer, fronçant ses sourcils dans la veine tentative de retenir les larmes qui montaient. Il ne savait plus quoi faire, il était perdu, au pied du mur. Le bout de sa queue s'agitait, de gauche à droite, signe de son agacement grandissant, de la violence qu'il se causait, se punissant de son inaction et de ses erreurs. Il avait failli à sa tâche. Il était coupable de la mort de Mite Blanche, parce qu'il n'avait pas été assez bon, assez présent. Et pourtant, il avait été là depuis sa naissance, curieux de cette petite boule de nuages, avec ses grands yeux aussi bleu que le ciel, son large sourire innocent. Il s'en voulait de ne pas avoir cru en lui, d'avoir juger le pauvre chaton comme un poids qu'on lui obligeait. Mais il avait apprit à le connaître, à le comprendre, à l'aimer. Tout ça pour ça.

Une voix s'éleva, le coupant dans sa remise en question. D'un hoquet silencieux, il réouvrit ses yeux, détournant sa tête vers la source de ces mots. Les larmes naissantes dans ses yeux avaient disparues, il avait reprit son air dur, fronçant ses sourcils dans l'espoir de garder son image de grosse brute, de faire taire cet instant de faiblesse, espérant que l'inconnu ne l'ait remarqué.

Cillant rapidement, ses yeux s'adaptèrent de nouveau à l'obscurité, éclairés par la lune pleine. Il découvrit une petite chatte au pied du rocher, qui s'approchait avec timidité et légèreté. Si sa première envie était de répondre sèchement, il lâcha un court soupir, se résiliant. Il était sur des terres neutres, protégés par les défunts pour y éviter tout conflit. Et puis, en réalité, il pourrait profiter d'un peu de compagnie.

Le regard planté sur la chatte, il détaillait son pelage brun-roux, similaire à celui d'un des écureuils de la forêt du Tonnerre. Il n'en avait vu que très rarement, mais ses vagues souvenirs les comparaient à cette personne. A en juger par son odeur, elle, ne venait pas du Tonnerre, elle avait plutôt l'odeur de ceux du Vent. Pourtant, il était incapable de dire qui elle était, tant il était mauvais avec les noms. Il retenait que le strict minimum dans les autres clans; les meneurs, les lieutenants, les guérisseurs, et Serres d'Épervier. Ce dernier devait sûrement être son camarade, si elle venait des landes.

« - Bonsoir; j'suis Brasier Caniculaire. »

Il ne voulait pas paraître désagréable, si bien qu'il en oubliait les étapes. Elle ne lui avait pas demandé qui il était, mais il préférait se présenter pour aller plus vite. Que pouvait bien vouloir une Venteuse aussi loin de chez elle? Surtout qu'elle semblait jeune, à en juger par ce qu'il pouvait sentir.

« - C'pas d'main l'assemblée? T'avais trop hâte? » dit-il dans un court rire, affichant un petit sourire presque charmant.

DANS LE NOIR

ft. Nuage de Papillon

Visiblement, il ne l'avait pas effrayé; car déjà elle se hissait sur la roche à ses côtés. Il prit se temps pour l'étudier plus en détail, une fourrure rousse au dessous crème, un regard vert sapin et de grandes oreilles ornées de plumeaux. Si elle n'était pas d'un clan adverse, on pourrait croire qu'ils avaient un lien de sang. Ce qui n'était pas impossible; Faucon Fugueur était connu pour sa versatilité et sa soif des infractions. S'il savait que sa matrone se trouvait au Clan du Tonnerre, peut-être qu'une demi-sœur ou un demi-frère pouvait se trouver dans les rangs de la Rivière ou du Vent; peut-être même au delà, chez les solitaires ou les domestiques.

La jeune chatte finit par se présentée; Nuage de Papillon. Donc une apprentie? Que faisait-elle si loin de son territoire, et surtout sans accompagnateur? Les apprentis du Clan du Vent avaient le droit de s'éclipser seul aussi loin? C'était assez inconscient, mais pas invraisemblable venant d'Étoile du Cobra. Mais en dehors de ça, le roux s'inquiétait pour la jeune chatte, et si elle était tombée sur quelqu'un d'autre que lui? Sur un chat comme Orage d'Or, ou un autre abruti qui l'aurait réduite en pièce? Et si elle était tombée sur un prédateur, un renard ou un blaireau? Un chien?

« - Nuage d'Papillon? C't'un joli nom, il te va bien. Mais dit-moi, pourquoi t'es sortie seule? J'comprend qu't'avais voulue voir les Quatre Chênes d'tes yeux, mais faut faire attention. Qu'ce soit des prédateurs.. ou des inconnus.. »

Des inconnus comme lui; il avait accroché son regard ambré sur elle, aucune once d'animosité, aucune menace ou hostilité, simplement une lueur d'inquiétude. Elle semblait jeune, pas plus de quatorze ou quinze lunes; ce qui voulait dire qu'elle était encore loin de son baptême de guerrière. Il voyait bien que la chatte n'attendait qu'une chose, c'était de venir aux assemblées, mais elle était encore jeune et avait sa vie devant elle pour se rendre dans ces lieux, ce serait con de tout avorté de sitôt.

Il soupira, comprenant finalement qu'elle était comme tout les jeunes apprentis, que ce soit de l'Ombre ou des autres clans, les novices ne pouvaient s'empêcher de déroger aux règles et d'en faire qu'à leur tête. Cela lui rappelait Mite Blanche; cet enfant si juvénile et insouciant. Lui qui galopait de droite à gauche, ses yeux grands ouverts pour découvrir chaque beauté de la vie. Et aujourd'hui, son insouciance l'avait tué. Il n'avait pas fait assez attention, et pourtant il ne s'était pas éloigné si loin du camp. Mais il avait été seul, et ironiquement, bien qu'il ne pouvait entendre; il n'avait pas vu venir la menace.

« - Enfin, c'est propre à vous les jeunes, j'pense pas que ça change d'un clan à l'autre, aha! » Dit-il dans un court rire rauque, avec sa langue sifflante sur certaines syllabes. « - Alors, c't'à la hauteur d'tes attentes? »

Le rouquin redressa la tête, plantant de nouveau son regard dans les étoiles. S'il était venu ici, c'était principalement pour cette vue dégagée du ciel qu'il n'avait pas dans les pinèdes de l'Ombre. Ici, il avait la triste impression que Mite Blanche pouvait le voir. Et lui, espérait toujours pouvoir l'apercevoir ne serait-ce qu'un instant.

« - Pourquoi ton chef veut pas qu'tu viennes demain, sans indiscrétion? » Sa voix était calme et posée, son regard accroché aux étoiles.